Lyon: journée d'étude 03/12/2016. Michel Ferrrazzi: "Une nouvelle voie de la guérison"

Dans son cabinet, le psychanalyste est appelé à recevoir maintes personnes en situations variées  que je vais évoquer de façon rapide :

– Celles qui ont vécu un traumatisme (décès ; perte ; violence ; divorce ; adoption qui tourne mal…).

– Celles qui sont dans un questionnement perplexe ou angoissé (sur l’amour ; sur leur valeur à leurs propres yeux ou aux yeux des autres ; sur leur histoire ou leur famille ; sur leur désir d’enfant…).

– Celles qui sont mises en difficulté : (perte d’emploi ; incapacité à faire valoir leurs droits ; qui ne savent plus où elles en sont…).

– Celles qui présentent un malaise indéterminé, tout semble aller bien mais quelques indicateurs qui insistent les mettent dans le doute.

– Celles qui ont une démarche en tant que professionnels de santé : (mieux travailler avec une population donnée : désir d’en passer par la psychanalyse pour en user ensuite…).

– Celles qui présentent des symptômes qui finissent par les entraver dans leur quotidien :(phobies ;  obsessions ; impuissance sexuelle ; anxiété…).

– Celles qui présentent un grand malaise existentiel, qui sont parfois tentées par le suicide ou en sont déjà passées par  là…

Cette liste n’est pas exhaustive puisque par exemple je ne parle pas des parents qui adressent une demande qui concerne leur enfant, mais cela n’empêche pas la question qui suit : Le psychanalyste a-t-il la même visée pour chacune de ces personnes ? Autrement dit, peut-on parler d’un soin parfaitement circonscrit qui viserait une guérison pour chacun ?

A cette question, je répondrai tout de suite : bien sûr que oui mais en précisant deux points. Le premier c’est qu’avoir la même visée pour chacun ne signifie pas avoir la même réponse pour tous. Le deuxième étant ce qui peut être contenu dans ce qu’on appelle guérison. Des intervenants lors de cette journée aborderons ce sujet j’en suis sûr et en préciseront l’enjeu.

Cependant, il m’est apparu difficile d’aborder cette question de la journée d’Analyse Freudienne sans me poser la question de la demande, en particulier celle qui m’a personnellement amené à rencontrer un psychanalyste. Est-ce que je savais  ce que je voulais vraiment changer dans ma vie et mon rapport à elle ? Aujourd’hui encore, la réponse ne me vient qu’après coup, qu’en mesurant le changement advenu qui n’est certainement pas ce que j’aurais pu souhaiter. Donc, entendre la demande des personnes qui s’adressent à nous, ce n’est pas seulement entendre les mots qu’elles mettent sur leur malaise ou leur espoir, c’est-à-dire sur leurs symptômes, c’est entendre la demande qu’elles ne peuvent énoncer clairement, car le désir en a détourné une partie, la partie consciente, alors que la partie du désir inconscient a continué à courir sous la construction en place et de celui-là, le sujet n’en sait rien, sinon que cela vient le « déranger » dans sa vie et dans son rapport aux autres.

Un médecin psychiatre qui exerce pas très loin de mon cabinet et qui n’est pas préoccupé par la psychanalyse semble toutefois en avoir compris quelque chose puisqu’il dit souvent à ses patients après leur avoir donné un traitement médicamenteux ; « Maintenant que vous allez mieux, il faut faire une psychothérapie pour éviter que ça recommence ». Certains de ses patients viennent alors me rencontrer en disant soit : « Mais ça va bien maintenant, je n’ai plus mes angoisses » ou bien : « pourquoi j’ai eu ces angoisses » ou encore : «  Avec l’enfance ou la vie que j’ai eu, c’est normal que je ne sois pas bien ». La demande apparente semble très différente mais n’organise pas ma réponse et ceux qui disent aller bien peuvent tout autant entrer dans une analyse que les derniers cités.

Ce qui me semble extrêmement favorable dans les propos de ce médecin, au-delà du fait qu’il ne se déclare pas tout-puissant face à ses patients, ce sont les deux points suivants : « aller mieux » qui peut tout à fait se substituer au concept de guérison pour tout patient, qu’il aille très mal ou pas si mal que ça, il peut y avoir l’idée qu’il pourrait aller mieux par un autre levier, une autre voie que l’intervention de la chimie dans son corps. L’autre point, c’est que même si il va mieux, il y aurait autre chose en jeu. Cette autre chose reste floue puisque ce psychiatre ne propose pas la psychanalyse mais une psychothérapie. Certains font alors appel à la sophrologie, à l’hypnose, aux thérapies cognitivo-comportementales, au chamane, peu importe en fait, puisque l’essentiel est dit : « il y a quelque chose d’autre en jeu ».

Ne retrouve-t-on pas là l’essentiel de la découverte freudienne qui, partant d’une position médicale traditionnelle pour laquelle la guérison c’est la disparition ou l’atténuation des symptômes, va arriver à une autre idée de la guérison qui fera que le sujet, quelles qu’aient été ses manifestations symptomatiques pourra en donner un certain sens, les réintégrer dans son univers psychique sous une forme logique (celle du signifiant bien sûr) et donc ne plus en être bousculé comme ce fut le cas auparavant. Par ce qui s’énonce dans la cure et qui vient se renouer à la chaîne signifiante qui le représente, le sujet va réaliser un certain travail qu’on pourrait dire d’écriture. Quelque chose va cesser de ne pas s’écrire par un deuxième tour du symptôme qui ne sera plus marqué dans le corps ou  décrit par des mots mais qui sera l’une des composantes intégrées du sujet, c’est-à-dire un attribut symbolique de sa place de sujet.

Alors à l’expression « nouvelles demandes  de guérison » qui est concernée par notre travail d’aujourd’hui, je proposerais nouvelles guérisons (des demandes) qui est, me semble-t-il, contenu dans les démarches de plus en plus répandues de recherche d’un équilibre, d’un mieux-être, voire d’une guérison dans les appels à la nature : huiles essentielles ; traitement par les fleurs, les racines, les bourgeons, les conduites végétariennes etc… peu importe en fait. Ces personnes ont le plus souvent seulement envie de se soigner et de guérir autrement, une nouvelle guérison qui leur donnerait le sentiment d’avoir été entendus, pris en compte comme sujet c’est-à-dire comme ayant quelque chose qui existe ailleurs, un enjeu « ailleurs » est en question. C’est aussi un tel chemin que Freud a dû emprunter pour inventer la psychanalyse.

L’expression de nouvelle guérison me semblant bien prétentieuse, je proposerai donc « Une nouvelle voie de la guérison », expression que je vais tenter de préciser maintenant.

Intégrer le symptôme à l’organisation du sujet, on peut penser que la médecine traditionnelle le fait parfois, dans des circonstances bien particulières, après une opération aux conséquences lourdes, face à un handicap irréversible suite à un traumatisme ou face à des séquelles de trouble neurologique. Des progrès peuvent toujours être espérés mais en attendant il faut apprendre au patient et à son entourage à faire avec. Seulement, il s’agit là exclusivement de réel, d’une marque qui s’est faite dans la réalité et qui est difficile à impossible à imaginariser, quant à la symboliser… Le sujet reste et restera asservi à son handicap marqué dans son corps… et le médecin aussi.

Ce que Freud va proposer est d’un tout autre ordre et va concerner des troubles de la personnalité dans lesquels le poids de la réalité n’est pas du tout au même niveau, vo
ire n’est pas en question et qu’il nomme lui-même les maladies de l’âme. (C’est un point important car aujourd’hui, ces maladies sont traitées comme les handicaps lourds c’est-à-dire comme irréversibles). C’est par un lent processus que la psychanalyse va s’étendre à d’autres états, avec cette même intention qui est que le sujet y puisse quelque chose pour lui-même et par lui-même là où il était démuni en réalisant qu’une partie de son organisation psychique lui reste étrangère mais n’en est pas pour autant inactive. On peut alors dire que le réel change de lieu en passant d’une marque dans le corps à une marque dans l’organisation psychique du sujet qui vient se jouer dans sa vie voire dans son corps. L’inconscient dès lors ne parait pas comme un but en soi qu’il faut à tout prix élucider pour que le sujet aille mieux, mais comme un enjeu majeur et déterminant dans le processus de guérison. C’est un premier point de différence d’avec la médecine qui parait important : si une certaine cause produit un ou des symptômes, ce n’est pas en éradiquant les symptômes que l’on va soigner la cause ni en éradiquant la cause que l’on va éradiquer les symptômes. C’est en modifiant la place que le sujet occupe dans sa propre organisation psychique que le psychanalyste va intervenir.

Le deuxième point concernant l’idée de guérison par la psychanalyse, c’est qu’il ne s’agit pas de mettre une absence de symptôme là où il y en avait parce que la guérison est homéomorphique à la castration en tant que là où il y avait un conflit entre un sujet en souffrance et un manque ou une perte non identifiés, la guérison serait que cette perte ou ce manque soient dépouillés de leur angoisse et des contraintes qu’ils introduisaient pour devenir une marque du sujet avec laquelle il aura à mener une vie sans perturbation pathologique. Pouvoir y faire avec quand il avait espéré pouvoir faire sans.

Ceci nous amène ainsi à nouveau à la question de la demande telle que formulée lors des premiers entretiens qu’on dit préliminaires. Le sujet vient le plus souvent demander à un psychanalyste qu’il le libère de ses symptômes, comme il serait allé demander cela à un médecin (mais c’est à un psychanalyste qu’il s’adresse). Cette demande pourrait se formuler ainsi : changer ce qui ne va pas en laissant tout le reste inchangé. Or le psychanalyste sait qu’il va falloir changer tout le reste pour que ce qui ne va pas change et que l’analysant doit avoir une grande part du travail à faire lui-même, donc que sa demande initiale contient une demande insue et que la guérison demandée ne sera pas forcément celle qui adviendra, même si l’une n’est pas sensée empêcher l’autre, c’est donc par un pas de côté qui pourrait s’apparenter à un refus de soin immédiat que cela peut commencer. Là encore, l’expression peut sembler brutale, mais c’est le terme immédiat qui est à prendre en compte car il ne saurait s’agir d’un refus de soin. En fait, il va falloir un certain temps pour que la demande d’un analysant trouve son écho dans l’offre du psychanalyste et une grande partie de l’éthique de l’analyste va concerner ce point pour éviter qu’un demande reste non entendue ou mal entendue, laissant le sujet dans un désarroi important,  parfois plus que cela et qu’une offre soit reconnue comme ce que l’analysant attendait de sa démarche. On peut parler là d’un vrai savoir être du psychanalyste pour un analysant. Quand ces deux composantes sont accordées, (on est parfois loin de l’unisson mais là n’est pas l’essentiel) le processus de guérison est en route, même si il met x années à trouver sa clôture car le « ce n’est pas ça que vous voulez » du départ ouvre la voie à une démarche qui visera à l’incompatibilité absolue entre un désir fondateur du sujet et un objet voire une satisfaction. Cet écart s’était inscrit par un ou des symptômes, il aura à être reconnu comme une marque du sujet, le symptôme restant à apprivoiser pour en atténuer la dimension de gêne pour ce sujet.

Quant au psychanalyste qui est sensé en être passé par là, il ne sera pas forcément satisfait par le résultat obtenu, d’autant que l’analysant lui-même, arrivé à un stade avancé de son analyse qui peut l’amener à penser une fin ou un passage, il ne sera pas forcément satisfait non plus. J’ai noté, le plus souvent, un étonnement exprimé par l’analysant de pouvoir exprimer cela.

Une nouvelle voie de la guérison peut alors se dessiner, elle est disais-je, homéomorphique à la castration, au roc de la castration nommé ainsi par Freud, c’est-à-dire que l’analyste a à en trouver un équilibre tout autant que l’analysant et ce point sera remis en question pour chaque analysant car homéomorphique à la castration ne signifie pas qu’il y a une fin d’analyse valable pour tous mais que c’est ce qu’en aura autorisé le transfert et son maniement par l’analyste qui en déterminera l’empan. Ainsi, la fin d’une analyse détermine de façon absolue la capacité d’un analyste à tenir sa place et à être….Guéri ?

 

Michel Ferrazzi.

 

 

SHARE IT:

Leave a Reply