Margarita Moreno "Les conflits à l'école vus du cotédu psychanalyste"
Les conflits vécus à l’école peuvent venir en consultation par le biais des différents agents impliqués dans le processus éducatifs: élèves, professeurs et parents.
Le traitement analytique de ces problèmes n’est pas différent de celui qu’on applique aux autres symptômes, c’est à dire que nous n’essayons pas de les supprimer mais bien de mettre en place un dispositif qui permette de les travailler. Notre objectif est de faire apparaître la signification subjective que ces problèmes expriment, l’étrange satisfaction qu’ils procurent et leur relation avec les événements réels et fantasmés de la vie de ceux qui en patissent.
Les symptômes ont des traits typiques qui permettent un diagnostique mais aussi des traits singuliers qui servent de matière pour déméler les mots qui les lient à des vêcus particuliers.
Dans le travail que je réalise avec des adolescents, quand les motifs pour lesquels on consulte sont en lien avec des problèmes scolaires, j’entends souvent parler du peu de rendement dans les études (à cause d’un manque d’intérêt pour les cours ou pour certaines matières), des problèmes dérivés de situations de harcèlement, des conflits disciplinaires, de l’isolement en milieu scolaire, de l’absentéisme, etc.
Des parents sont venus en consultation avec leur fils unique de 16 ans. Ils étaient très angoissés parce qu’ils avaient découvert que ça faisait deux mois que leur fils n’allait pas en classe: il partait le matin, se cachait dans une remise en attendant que ses parents partent travailler puis rentrait chez lui et refaisait la même opération l’après midi où il revenait à la maison comme s’il rentrait du lycée.
Il s’agissait d’un garçon psychotique, intélligent, qui masquait ses symptômes paranoïdes face à des parents qui le considéraient comme un menteur sans vergogne. Dans ses attitudes provocatrices, il cachait une peur qui lui rendait insupportable de partager une salle de classe avec un groupe de garçons qui, selon son récit, faisaient partie d’une bande de délinquents qui soumettait les autres élèves de la classe, en les humiliant ou en les intimidant physiquement.
Les conflits scolaires prennent une importance particulière dans la clinique avec les enfants et les adolescents dans la mesure où l’école implique une exigence de socialisation qui sert d’abord à mettre en évidence des problèmes déjà existants mais que le milieu familial ne voyait pas et sans lesquels il n’aurait pas eu de raison de consulter. C’était le cas de ce garçon qui vivait isolé à la maison où il passait la journée dans sa chambre ou sur le divan à regarder la télévision, à lire ou jouer à des jeux vidéo. Il ne maintenait pas de relations avec des amis, ce qui était plus rassurant que gênant pour sa famille pour laquelle sa maladie restait invisible.
Mais l’école peut en plus générer de nouveaux conflits. Même si, dans la vie en commun à l’école, a lieu un transfert qui réédite les relations avec les parents et les frères et sœurs, comme Freud l’a souligné, l’environnement scolaire fournit aussi un contexte normatif différent. Celui-ci impose au sujet de nouvelles exigences qui peuvent questionner l’homéostasie fantasmatique que l’adolescent maintient avec sa famille, en exposant le jeune à de nouvelles situations auxquelles il ne peut plus faire face selon les mêmes schémas connus jusqu’ici, ce qui donne lieu à de nouvelles manifestations symptomatiques.
Dans le cas de ce garçon, tout semblait aller selon les attentes quant à son rendement scolaire jusqu’à l’année précédente où il est passé d’une école privée où il avait étudié pendant 11 ans dans une école secondaire publique. Il rédoubait son année scolaire et n’avait pratiquement pas été en classe durant le premier trimestre. L’environnement scolaire avait cessé d’être pour lui un milieu familier et donc fiable.
Les clés de la socialisation s’acquièrent dans la famille où chacun apprend à réguler la jouissance, à organiser sa psyché, à partir de l’interdiction culturelle de base: l’interdiction de l’inceste. Dans le monde occidental, l’école est, dès l’enfance, le lieu de socialisation officiel. Les apports effectués par le groupe de pairs sont aussi fondamentaux puisque, comme nous le savons, au cours de l’adolescence, il prend une importance particulière.
Ce n’est pas en vain que, pour ce jeune, des difficultés surgissent au moment où il doit réaliser l’opération de déplacement vers d’autres figures d’autorité et d’autres pairs, opérations nécessaires durant l’adolescence pour consommer « une des plus importantes réalisations psychiques, mais aussi une des plus douloureuses, comme le souligne Freud, … le détachement quant à l’autorité des progéniteurs «
Les institutions éducatives permettent les déplacements vers d’autres personnalités en dehors du contexte familial, ce qui facilite la remise en jeu, modifiées, des relations et des conflits œdipiens.
Avec l’éclosion pulsionnelle de la puberté, les pulsions libidinales qui, au cours de la période de latence ont pu être réprimées et mises au service d’autres fins sociales, intellectuelles et artistiques, se dirigent à nouveau vers les parents. La recherche sexuelle de l’enfant reprend à l’adolescence en réeditant les questions sur la sexualité et la mort qui préoccupaient l’enfant. L’abandon de l’image infantile du corps, soutenue dans le regard et la voix de la mère et le phallus du père, devra donner lieu à une nouvelle reconstitution imaginaire en relation avec l’Autre sexe, alors que s’impose dans le même mouvement la réorganisation des idéaux .
Encore une fois, il faudra le travail de répression de ces désirs incestueux pour aller à la recherche d’autres objets significatifs vers lesquels diriger l’amour et la haine, et la promotion de nouveaux signifiants qui mettent en marche les processus de métaphorisation nécessaires à la refondation identitaire qui est en jeu et où le choix de la profession joue un rôle clé.
Ce garçon dont nous parlions, qui précisément, de par sa structure psychotique, était mis en jeu subjectivement et au sein de la famille, n’a pas pu répondre au désir parternel de réussir des études universitaires. Il a poursuivi des études jusqu’à entrer à l’université, mais après avoir commencé 3 carrières différentes, ce fut sa mère (enseignante dans une école secondaire) qui a décidé qu’il suivrait une formation professionnelle de gestion administrative, ce qu’il a fait sans aucun entrain vu qu’il ne parvenait pas à se représenter ce que serait son avenir professionnel.
Nous ne trouvons pas, dans tous les cas, des difficultés aussi graves que celles que nous relatons ici, bien que, lorsque les parents accompagnent leurs enfants à la consultation, préoccupés par les difficultés scolaires rencontrées, comme dirait Maud Mannoni , ils attendent très vite de nous que nous prenions position quant à ce qui se passe, que nous donnions ou non raison aux réclamations des uns et des autres, que nous les donnions des conseils sur ce qu’ils devraient faire.
Au cours des premiers entretiens, il est très important de ne pas se précipiter d’offrir des réponses avec des fins d’adaptation. Montrer que nous n’avons pas un savoir «totalitaire» sur le sens des symptômes, promouvoir le travail d’associations libres grâce à nos questions, donner des preuves de respect de la confidentialité de la matière qu’on traite durant les séances avec le jeune, voilà quelques références spécifiques à l’organisation d’un dispositif qui va permettre de mettre le patient au travail de construction d’une demande personnelle, née de la relation transférentielle qui met en marche le circuit du désir.
Dans ce scénario, il y a plusieurs variables à considérer qui vont déterminer la directio
n de traitement et le travail à réaliser aussi bien avec les parents qu’avec l’enfant: selon la structure psychique que le garçon ou la fille présente (névrose, psychose ou perversion) et en fonction de la valeur que les symptômes actuels occupent dans les relations familiales. Habituellement, nous laissons aux parents la responsabilité de dialoguer avec l’école.
Le travail avec les parents est un des piliers du traitement, mais n’oublions pas que notre rôle est à la fois de permettre d’entendre le réseau signifiant que les parents utilisent pour nommer les difficultés de son enfant, signifiants qui très souvent proviennent du milieu scolaire lui-même, mais aussi d’ouvrir un temps et un espace où l’adolescent puisse prendre la parole et ainsi parvenir à s’interroger sur sa responsabilité dans ce qui lui arrive.
Il est important de pouvoir assumer l’inadéquation entre les exigences de l’école, celles de la famille et celles de l’adolescent qui se plaint souvent d’être traité injustement par son entourage. De la plainte à la demande personnelle, il y a, dans de nombreux cas, un travail important à réaliser avec chaque garçon ou fille.
Comme nous, les analystes, nous travaillons à partir de la demande, bien que d’autres difficultés soient détectés, si elles ne sont pas le motif de la demande, nous devons attendre de voir quelle place elles occuperont au cours du traitement. Nous savons que l’objectif initial où les problèmes se situent va s’élargir et se déplacer au cours du traitement de par les effets que le mot dirigé à la fonction que nous représentons produisent, que Lacan appelle Sujet Supposé Savoir, dans la signification des symptômes aussi bien pour l’adolescent que pour sa famille. Ce qui fonctionne dans une analyse obéit à une logique de l’urgence, c’est pourquoi nous ignorons quand et comment les choses vont se produire.
Dans une brève référence aux difficultés que plantent le transfert et le travail avec les parents, nous voyons que si ces derniers sont capables de permettre que leur enfant évolue au cours du traitement, c’est parce qu’ils sont en mesure de trouver une voie de symbolisation à la perte que suppose déloger la problématique du jeune de la fonction de symptôme familial qu’il occupait jusqu’alors. Dans certains cas, c’est impossible parce que sur le symptôme du fils retombe la responsabilité de garantir la rencontre du couple, de telle sorte qu’on ne peut pas bouger sans le déstabiliser, ce qui précipite souvent l’interruption du traitement.
En tant qu’analystes, nous exerçons une fonction de séparation, une fonction paternelle qui implique d’abandonner le plaisir incestueux mis en jeu au travers des symptômes. Comme l’expose Robert Levy , le père, en tant que fonction, ne peut pas exister « si ce n’est sous la forme d’une section, d’une rupture, d’une séparation de la tendance maternelle à l’unification et au narcissisme primaire ».
Nous concluons avec l’impression d’avoir ébauché certaines questions que nous pouvons continuer à débattre à cette table. Bien que nous soyions partis de l’idée que, d’un point de vue technique, le traitement des conflits scolaires ne diffère pas du traitement des autres symptômes, nous ne pouvons nier l’importance que ces conflits peuvent arriver à prendre au cours de l’adolescence, de par la valeur que représente l’environnement éducatif en tant que soutien aux opérations de socialisation qui sont en jeu.
Ces opérations sont fondées sur la déception vécue par l’adolescent à cause de l’incapacité de ses parents à le défendre contre l’angoisse que lui procure la réalité corporelle qui s’est enclanchée ou pour leur garantir ce qu’ils semblaient lui avoir promis. Cette inconsistance parentale nécessaire, quelle répercution a-t-elle sur la capacité d’apprentissage des jeunes?
La psychanalyse s’occupe d’un savoir qui est crypté dans l’inconscient, que le sujet « ne sait pas qu’il sait ». Curieusement, bien que nous ne poursuivions pas la rééducation pédagogique, de nombreux jeunes réussissent, suite au travail analytique, à améliorer leur rendement et leurs relations scolaires. Pourquoi se produit cet effet de résonance entre le savoir sur l’inconscient et la capacité d’apprentissage?
Ángel Gabilondo dit que le bon maître nous accompagne par la connaissance d’un mode de savoir, et que éduquer consiste à laisser être le sujet en formation et il ajoute que: « Laissez être n’équivaut pas à un acte de passivité, de permissivité ou de condescendance. Laisser être est une manière d’agir, une forme d’action qui consiste à créer les conditions pour le mot. «
Margarita Moreno
Sevilla 24/11/2014