Maria Celina Peixoto Lima et Cecilia Maria Girão Gomes"De la clinique à la politique : considérations sur le parcours de la relation entre médecine et éducation"

Ce travail est en partie le résultat d’un projet de recherche dont le thème était « penser l’éducation inclusive à partir de ses références discursives ». Initialement, la problématique de la recherche s’inspire d’une brève expérience de stage dans une école publique maternelle et élémentaire du réseau municipal de Fortaleza au Ceara. Il convient de souligner que notre intérêt spécifique se porte sur la question de l’inclusion scolaire d’enfants qui souffrent de troubles d’ordre psycho-émotionnel, encore que notre réflexion finisse par remettre en question les propres fondements de l’inclusion en tant que praxis.

En participant des réunions de professeurs et coordinateurs de l’AEE (Assistance Éducative Spécialisée) de différentes régionales, nous avons pu constater les impasses qui existent dans la mise en œuvre de ce service. Dans ce contexte, le rapport médical apparaît comme l’opérateur de référence pour l’AEE. Dans les cas qui nous intéressent, le diagnostic médical décrit dans les manuels de classification tels le DSM IV et le CID 10 se montrait incapable d’orienter des actions effectives de l’école à l’égard des enfants. Identifiés selon les catégories de troubles d’apprentissage ou de développement, les élèves de l’AEE sont, d’un côté, englobés dans le signifiant « tous » qui définit le projet d’une éducation inclusive (éducation pour tous), accompagné d’une espèce de « furor educandis » et, de l’autre, finissent par intégrer les classes de porteurs de handicaps et/ou de troubles, le plus souvent condamnées, selon l’expression de Roland Gori, à une « médicalisation de l’existence ». Cette alliance entre la médecine et le domaine de l’éducation nous a ainsi interpellés car elle semble définir les politiques d’inclusion actuelles.
Toutefois, ce lien apparaît dès l’origine des pratiques éducatives destinées aux enfants porteurs de handicaps physiques et/ou mentaux. Dès le XVIe siècle, on parlait d’éducation spéciale suivant la pensée et la pratique de médecins et de pédagogues qui, à l’époque, misaient sur la possibilité d’éduquer des individus jusqu’alors considérés inéducables. Il n’y a eu que peu d’expériences dans ce domaine, une fois que, jusqu’au XIXe siècle, la principale réponse sociale ne se traduisait que par des soins de garde et par l’internement dans des asiles et des hospices.
C’est en 1826, avec la publication de Jean-Marc Gaspard Itard au sujet de sa tentative d’éduquer le jeune Victor, que l’on peut plus précisément situer l’invention de l’éducation spéciale. Les notes du médecin, qui ont inspiré François Truffaut pour son film sur le Sauvage de l’Aveyron, inaugurent ainsi une série de travaux décrivant les pratiques éducatives dirigées aux enfants et jeunes handicapés mentaux. Alors qu’aux yeux de Pinel, à qui l’enfant a d’abord été confié, l’état de Victor ne différait en rien de celui observé chez les « idiots », Itard défendait que l’état médical de l’enfant fût le résultat d’une vie totalement isolée de la culture. Soulignons qu’il ne s’agit pas ici de reprendre la discussion au sujet de la polémique concernant le diagnostic de Victor, mais la référence à l’expérience d’Itard est justifiée par le fait que celle-ci inaugure la combinaison entre médecine et pédagogie. À partir de là, d’autres médecins en sont venus à s’occuper d’individus jusqu’alors considérés inéducables, les idiots comme on les appelait à l’époque. Les psychiatres adeptes de cette nouvelle tendance ont transformé les pratiques éducatives en une pédagogie spéciale qui cherche à corriger l’état d’insuffisance mentale par des procédures thérapeutiques fondées sur l’idée d’orthopédie mentale.
C’est dans ce souci des médecins concernant l’éducabilité de l’idiot que Foucault a identifié l’amorce du processus de psychiatrisation de l’enfance, « l’apparition d’une forme mixte de discipline médico-pédagogique, dont la diffusion a fait naître l’enfant anormal » (Lobo, 2008, p. 362). De sorte qu’il est possible d’affirmer que l’émergence de la psychiatrie infantile s’est produite dans le domaine des handicaps mentaux et non pas dans le domaine de la maladie mentale proprement dite.
L’union entre les critères médicaux et pédagogiques a rapproché l’anormalité infantile de la scolarisation. Deux catégories ont alors été définies en fonction de ces mouvements : l’anormal d’asile (interné dans des hôpitaux et donc exclu de l’école) et l’anormal scolaire, considéré éducable. Et pour atteindre cet objectif, il faudrait un type d’institutions spécialisées, à savoir l’école spéciale (Lobo, 2008).
Dans son étude sur la débilité et le savoir psychiatrique, Ana Lydia Santiago (2007) ajoute que la notion de débilité, créée par la nosologie psychiatrique infantile, est maintenant utilisée par la pédagogie et par la psychologie émergente dans l’institution scolaire. Soulignons que l’aspect humaniste de la pédopsychiatrie avait pour objectif la réhabilitation d’enfants aliénés, par le recours à une éducation spéciale. L’éducation spéciale devient alors la voie de récupération des idiots, à la confluence de la pédagogie avec la psychiatrie. De ce fait, si la pédagogie psychiatrique possède un aspect thérapeutique et orthopédique, lesdits pédopsychiatres étaient connus comme des « éducateurs d’idiots ».
Ainsi, cette première version de l’alliance entre médecine et pédagogie, par le biais de l’éducation spéciale, porte en elle la marque de la clinique médicale pour la pratique éducative. Nous pouvons alors soulever une première question: sous quelle forme la conjonction de ces deux domaines se présente-t-elle dans le contexte actuel, marqué par le discours de la démocratie et de la science moderne, lequel défend l’idée d’un savoir complet et réalisable (Lebrun, 2008) et donne la priorité aux initiatives de caractère universaliste dans l’organisation des politiques publiques d’inclusion?
Pour comprendre ce changement de paradigme de l’éducation spéciale vers l’éducation inclusive, nous allons tirer parti de la discussion de Michel Foucault sur le bio-pouvoir et de celle de Pierre Boudieu sur l’École libératrice.
Foucault (1979-2011) analyse les origines de ce curieux pouvoir qui agit sur l’individu : il ne s’agit pas de mécanismes négatifs d’exclusion ; bien au contraire, il s’agit

d’établir, de fixer, de donner son lieu, de définir des présences, et des présences quadrillées. Non pas rejet, mais inclusion. […] De la même manière, il ne s’agit aucunement de cette espèce de mise à distance, de rupture de contact, de marginalisation. Il s’agit, au contraire, d’une observation proche et méticuleuse. (p. 39).

Il importe de souligner que, dans ce pouvoir positif, il existe une recherche de la maximisation de la santé, de la vie, de la longévité, de la force des individus. L’auteur ajoute que le contrôle qui agit sur les individus ne s’effectue « pas seulement par la conscience ou par l’idéologie, mais commence dans le corps, avec le corps » (Foucault, 1979-2011, p. 80), car la société capitaliste table avant tout sur le biologique. Appelée bio-pouvoir, cette forme de pouvoir agit directement sur le corps des sujets ; au lieu d’une vigilance directe, il agit de manière discrète et subtile. Le bio-pouvoir est un pouvoir qui apparaît non plus sous la forme d’une « menace » de mort contre la vie ; au contraire, il se manifeste sous la forme d’une offre d’amélioration de la vie, d’une attention vis-à-vis de la vie, vis-à-vis des corps.
Ainsi, selon Foucault (1975-2008 ; 1979-2011), le bio-pouvoir soutient et alimente le discours médical qui se présente lui-même comme le
détenteur d’un savoir scientifique qui connaît le corps et, pour cela même, à qui il est permis de s’approprier et d’intervenir sur le corps du sujet, par une action qui prend soin de lui, avec l’offre constante d’une qualité de vie.
À partir des théorisations de Foucault, on peut « comprendre l’école comme une charnière efficace, capable d’articuler les pouvoirs qui y circulent avec les savoirs qui lui donnent forme et qui y enseignent, qu’ils soient pédagogiques ou non » (Veiga-Neto, 2011, p. 15). Il n’est donc pas rare d’identifier des tendances différentes et parfois opposées en termes conceptuels, politiques et idéologiques dans le domaine de l’éducation, principalement en ce qui concerne l’inclusion. Selon Laplane (2007), les politiques éducatives et les formes de fonctionnement de l’éducation reflètent des tendances créées en dehors du système et qui touchent plusieurs institutions sociales. L’éducation est une des diverses pratiques sociales institutionnalisées. Elle reflète les contradictions présentes dans la société, les rapports de forces, les relations de pouvoir, la confrontation de tendances et d’intérêts, etc.
Un autre penseur français, Pierre Bourdieu, a également apporté une contribution importante à la réflexion sur les égarements de l’éducation. Dans le célèbre texte « Les exclus de l’intérieur », Pierre Bourdieu et Pierre Champagne (1998) théorisent sur le mouvement apparu dans les lycées français à la fin des années cinquante, jusque-là fréquentés uniquement par les classes les plus favorisées de la société, et qui ont commencé à accueillir des élèves provenant des classes sociales défavorisées.
Il y avait dans ce mouvement un discours dit libérateur qui préconisait l’accessibilité de l’école à toutes les classes économiques et sociales, en promettant d’intervenir dans l’inégalité sociale ; cependant, « un des effets les plus paradoxaux de ce processus a été la découverte progressive, parmi les plus démunis, des fonctions conservatrices de l’école « libératrice » » (Bourdieu & Champagne, 1998, p. 220). L’institution scolaire continuait à reproduire l’inégalité sociale car, avec l’entrée d’un public défavorisé, les certificats obtenus ne donnaient plus accès aux positions sociales qui pouvaient être atteintes auparavant. Selon les auteurs, pour ce nouveau public, l’école était de plus en plus considérée comme une espèce de terre promise qui reculait au fur et à mesure que l’on allait dans sa direction.
C’est dans ce sens que Bourdieu et Champagne (1998) affirment que « le système d’enseignement, largement accessible à tous et néanmoins strictement réservé à quelques-uns, a réussi la prouesse de réunir les apparences de la « démocratisation » […] avec un effet accentué de légitimation sociale » (p. 223). Et donc, théoriquement au nom de la démocratie, l’école accueillait les enfants économiquement démunis, mais l’inégalité continuait d’exister au sein de la propre école, établissant ainsi un espace d’exclusion de l’intérieur.
Si nous pensons alors aux finalités de l’éducation spéciale actuelle, à partir de la référence foucaldienne au sujet des relations de pouvoir et des indications de Bourdieu et Champagne sur les effets pervers d’idéaux démocratiques, nous sommes conduits à proposer une nouvelle image de l’alliance entre médecine et pédagogie, non plus soutenue par la clinique, mais bien par le biais des politiques publiques.
Toutefois, ce n’est que dans les dix dernières années du XXe siècle que le thème de l’éducation inclusive fait son apparition officielle dans le contexte mondial, en conséquence de deux événements politiques. Le premier a été la Conférence mondiale sur l’éducation pour tous : répondre aux besoins éducatifs fondamentaux, laquelle s’est tenue en 1990 dans la ville de Jomtien en Thaïlande. À cette occasion, la Déclaration mondiale sur l’éducation pour tous a été approuvée, affirmant l’importance de concentrer les efforts pour répondre aux besoins éducatifs d’innombrables élèves jusqu’alors privés du droit d’accès à l’école. Le second événement, en 1994, a été la Conférence mondiale sur les besoins éducatifs spéciaux : accès et qualité, organisée par le gouvernement espagnol et par l’UNESCO, lors de laquelle la Déclaration de Salamanque a été approuvée, document important pour la diffusion de la philosophie de l’éducation inclusive. À partir de là, les théories et les pratiques inclusives ont fait des progrès dans beaucoup de pays, y compris au Brésil.
Dans le cas du Brésil, la Politique nationale d’éducation spéciale a été publiée en 1994. En 1996, une autre réglementation importante a été promulguée par la loi 9.394/96, Loi des directives et bases de l’éducation nationale. On y considère que l’éducation spéciale « est une modalité d’éducation scolaire offerte de préférence par le réseau d’enseignement normal » (LDB, 1996), tout en préconisant que les professeurs doivent posséder une formation adéquate pour une prise en charge spécialisée et pour l’intégration de ces élèves dans les classes normales. En 2003, le Ministère de l’Éducation (MEC) a mis en place le Programme éducation inclusive : droit à la diversité, dont le but est de soutenir la transformation des systèmes d’enseignement en systèmes éducatifs inclusifs, ainsi que de former des responsables et des professeurs, de manière à garantir à tous le droit d’accès à la scolarisation. Finalement, la Politique nationale d’éducation spéciale dans la perspective de l’éducation inclusive a été proposée en 2007, qui oriente actuellement les pratiques inclusives dans les écoles brésiliennes.
Comme les politiques publiques sociales constituent des actions gouvernementales qui visent à garantir l’exercice de la citoyenneté à la population – y compris les exigences du droit à la santé, l’éducation, l’assistance sociale, la prévoyance sociale, la justice, l’alimentation, le logement et l’environnement – nous mettons en évidence que ces droits sont considérés comme des biens de consommation, une consommation de ce qui fera du bien au citoyen.
De sorte que la consommation des conditions de la citoyenneté tire son origine du discours capitaliste, discours qui, en plus de pousser les individus à la consommation de ce qu’il leur fera du bien, leur assure qu’à partir de cette consommation, les choses iront mieux et promet un soulagement du mal-être dans le monde.
Tenant la Science pour un légitime représentant du Capitalisme, la pédagogie semble elle aussi devenir un savoir scientifique légitime dans l’univers scolaire. En affirmant que l’éducation s’est laissé dévorer par le Capitalisme, Voltolini (2007) soutient que celui-ci exerce des effets sur celle-là, car la pédagogie actuelle adopte des caractéristiques de ce paradigme, comme la généralisation, l’effacement des spécificités, l’uniformisation. Et l’auteur continue en disant

Que ce soit dans l’éducation contemporaine, par l’hégémonie attribuée à la discussion méthodologique dans ce domaine, ou dans le domaine des diverses thérapeutiques qui essaient de se poser comme des alternatives à la souffrance humaine, pour n’importe quelle partie du tissu social, […] nous ne pouvons plus penser sans tenir compte de ce que la science a à dire à ce sujet. Principalement par son obstination à donner une image de respectabilité et de discernement à un savoir constitué qui, d’une manière ou d’une autre, est toujours lié au penchant des individus à consommer ce qui leur fera du bien. (Voltolini, 2007, p. 199).

Nous assistons ainsi au passage du modèle d’une éducation spéciale, avec une relation entre médecins et pédagogues, au paradigme d’une éducation inclusive orientée par des politiq
ues publiques, une question réservée aux administrateurs et spécialistes. Il se dessine ainsi un nouveau profil de cette vieille alliance entre les domaines éducatif et médical, suivant toutefois une autre rationalité médicale.
Nous appelons nouvelle rationalité médicale le domaine basé sur le discours actuel de santé collective et dont l’objet est la santé. Ces dernières années, une rupture épistémologique s’est établie au sujet des pratiques médicales, passant d’un modèle curatif de la maladie à l’idée de conservation et promotion de la santé. À partir de la création de l’OMS en 1948, l’idée de santé est apparue comme une construction positive, détachée de l’idée de maladie.
L’examen des symptômes plus ou moins évidents et la classification nosographique subséquente définissent traditionnellement la clinique médicale. Ce qui change dans la nouvelle rationalité médicale, c’est la substitution des symptômes par les signes/indices qui deviennent les principaux objets de l’attention de la médecine contemporaine. Cette médecine de la santé traite et organise d’autres moyens de détection en dehors du contexte de la clinique proprement dite, créant ainsi un nouveau champ d’action qui est celui de la santé collective.
En ce qui concerne la santé mentale, la situation n’est pas différente. Outre l’instrumentalisation du diagnostic de troubles déjà établis, l’utilisation des DSM permet d’établir une cartographie statistique des populations en termes d’incidences diagnostiques. La pratique clinique, orientée vers l’étude des causes des maladies et vers le traitement psychothérapeutique des symptômes, laisse la place à un souci de classification des conduites et au traitement médicamenteux.
Si la psychopathologie infantile semble être actuellement un cadre privilégié pour les effets de la rationalité de la médecine contemporaine, elle constitue également un terrain de résistance. La « Bataille de l’autisme » (Laurent, 2014), le « Mouvement, autisme, psychanalyse et santé publique » agitent les deux hémisphères de la planète et se présentent comme des réponses effusives à certaines initiatives d’une bureaucratie sanitaire, aussi bien française que brésilienne. Les tentatives de substitution des interventions guidées par la psychanalyse par celles de caractère cognitivo-comportemental, sous « la fausse synonymie entre traiter et éduquer » (Laurent, 2014), visent à réduire l’éducation à un simple apprentissage comportemental.
Nous sommes d’accord avec Éric Laurent quand il dit que la longue bataille des discussions cliniques concernant l’autisme prend actuellement une tournure politique. Mais nous ajoutons, non pas d’une politique au sens aristotélique du terme, d’une politique des hommes, mais bien de la mise en scène de ce que Jean-Claude Milner appelle « La politique des choses ».

Que le gouvernement des choses se substitue aux misérables décisions humaines, ce fut un rêve du dix-neuvième siècle. Il dure encore. Dans sa version de gauche et dans sa version de droite, au point de bifurcation entre utopie sociale et technocracie, le gouvernement des choses a connu bien des variantes et bien des légitimations. Tantôt les sciences de la nature, tantôt la planification ; tantôt la pure et simple mise en ordre administrative ou comptable. Sans parles des variantes mixtes. Toutefois le mouvement est toujours fondamentalement le même : les choses décident à la place des hommes (p.25)
 

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