Maria-Cruz Estada "L’intervention non intervenante"

CARTEL SUR LE TRIPODE

Paris journée institutionnelle du 4/10/14

En contraste avec le tripode et ce qu’il nous apprenne, je vois l’offre de cours du Collège de Psychologues de Madrid:
– Intervention en dysfonctions sexuels
– Intervention clinique en crise
– Intervention en catastrophes
(Et les pires de toutes: les interventions précoces).

Ilsont à la mode les thérapies qui visent l’active du coté du professionnel mais, d’autre coté, nous sommes aussi envahis par les discours new age —même des analystes— qui valorisent la tranquillité, la calme, ne pas se mêler à la bagarre et regarder les taureaux dès derrière la barrière. Bon, pourquoi pas, mais l’éthique de l’analyste je ne la vois pas bien dans aucun des deux extrêmes. Lacan disait que l’éthique à laquelle nous amène la psychanalyse a à voir avec « la relation de l’action avec le désir que l’habite » et, donc, il y a de l’action. De là sa question qu’il dit qui a la valeur du Jugement Finale: « Avez-vous agi d’accord au désir qui vous habite? » Il dit: l’éthique a laquelle nous amène… mais il ne dit pas ni où, ni quand ni comment nous y mène; il ne fait que mettre en rapport action et désir et il évite, par exemple, en établir des item de ce qui serait cette éthique.

Mais comment transmettre aux jeunes quelque chose de ce désir qui habite l’action de l’analyste qui fait que parfois il faut trancher, par exemple en rappelant l’analysant qu s’il a dit désirer ceci, ses actions ne vont pas dans la même adresse que ses mots, ou bien en lui faisant payer une séance ratée.
Pourtant la meilleur intervention en est parfois ce que j’appelle la non-intervenante. Seulement après-coup on saura si notre intervention a été juste puisqu’elle aura permis (futur antérieur) ouvrir un espace chez l’Autre… ou pas. Freud a dit que ce n’est qu’après-coup, dans un rêve, par exemple, où nous pourrons le constater.
Et je suis préoccupée aussi de comment transmettre cela aux juges, aux agents sociaux, aux politiques…
La Bible, par exemple, utilise des métaphores, des paraboles, pour transmettre son message. Je vous rappelle l’intervention du Roi Salomon quand une prostituée accuse une autre d’avoir changé son nouveau né par celui d’elle qui était mort pendant le sommeil. Il n’est mort n’importe comment, mais parce que sa mère, endormie, s’est penché sur lui. Les deux disent que son fils est le vivant. Salomon demande une épée pour « trancher » et donner une moitié à chaque mère. La fausse mère, malade de rivalité, demande qu’en effet le Roi utilise l’épée pour que aucune des deux puisse jouir d’un enfant vivant, tandis que la vraie mère demande qu’il ne soit pas tué. Elle renonce à le retenir pour que son désir continue vivant. Le happy end arrive quand Salomon ordonne donner l’enfant à la vraie mère.
C’est une métaphore oedipienne magnifique mais, au delà du littéral et des louanges que les religieuses de mon école faisaient de l’amour maternel, elle nous transmet quelque chose à propos de la santé, du désir, par le chemin du décrochage.
Du décrochage ou de l’interdiction car nos pauvres têtes de névrosés ne peuvent que comprendre l’objet comme interdit et non pas comme inexistant.
On trouve d’autres métaphores du décrochage dans les dits populaires. J’aime bien un qui dit: « Si tu te plaignes parce que les mouches volent autour de toi, jette loin le noyau que tu gardes dans la main ».
Mais aujourd’hui plus que métaphores on produise des dogmes et les dogmes… ne transmettent rien du tout. Tout ce qui a le jugement de Salomon de capture symbolique, de possibilités d’inscription, ne l’ont pas les « interventions ».
Dans le Dispositif du Protocole institutionnel, on dit que AF « se propose de reconnaître ceux de ses membres dont la pratique clinique et théorique relèverait de l’éthique psychanalytique telle que l’association la soutient à travers son expérience », ce qui est comme dire: l’éthique a laquelle nous a mené petit à petit notre devenir. On continue à ne pas pouvoir formuler concrètement quelle est l’éthique qui fait l’analyste. Pourtant on sait que notre éthique est foncièrement liée à un maniement précis du transfert et au désir d’analyste et on sait bien aussi que ce désir ne nous laisse pas tranquilles quand les mouches entourent notre fauteuil et notre divan, puisqu’on sait que celui-ci est le moment précis de laisser tomber le noyau que nous retenons.

J’ai dit au début que, à part la tendance aux interventions, il y a aussi une tendance très branché à rester tranquilles. À ce propos, m’est tombé dans les mains une phrase de Thucydide qui dit:

« C’est la liberté ou la tranquillité. Tu dois choisir, tu seras libre ou tu seras tranquille. Tu ne peux pas avoir les deux choses ».

Avec un style plus moderne, un jour où j’en avait marre des rivalités politiques des analystes, j’ai envoyé un mèl à Robert Lévy où j’ai écrit: « Robert, ça fait 35 ans que l’on rame à contre vent et marée. Est-ce que pour nous n’arrive jamais la retraite de ces stupidités? ». Et il m’a répondu dans son style:

« NON!; parce que heureusement, le désir et ses effets ne passent pas à la retraite puisque, si non, on meurt »

Et alors, comment faire pour trouver un chemin singulier entre la tranquillité de la pulsion de mort et l’activité désubjectivante? Et comment le transmettre?

J’ai cité en haut un petit coin du chapitre 24 du Séminaire sur l’Éthique. Lacan dit aussi une autre chose qui peut nous aider avancer sur le thème, phrase que vous connaissez par cœur:

« Je propose que la seule chose de laquelle on peut être coupable, au moins dans la perspective analytique, est d’avoir cédé sur son désir ».

En Espagne on ne dit pas cette phrase, plutôt on l’assassine quand on dit: « Il ne faut pas céder sur son désir ». Impératif que Lacan n’a jamais dit. Intervention surmoïque, et même perverse de vouloir faire du désir une loi avec laquelle aiguiller la vie d’un patient devenu objet de son analyste. Une analyste a dit à son analysant qui se formait avec moi et se résistait à aller se former dans l’Institution de son analyste: « Je vais arrêter d’être un père mort pour être un père vivant: quand est-ce que vous quitez le séminaire de María Cruz? ». Quelle éthique!

Quelqu’un se sent coupable parce qu’il a cédé sur son désir, ou bien il s’est laissé trahir. Il a choisi les biens, dit Lacan, ou bien il s’est laissé mener par la crainte de se confronter, on pourrait ajouter. Mais peut-être la prochaine fois ne va pas céder. Si nous tenons compte des temps logiques, on le saura après que cela arrive, après-coup, mais ce n’est pas notre affaire faire un impératif, ni l’aiguiller pour qu’il ne cède pas sur son désir. Peut-être il le fera l’année prochaine… ou jamais.

Cela a à voir aussi avec une chose que j’ai écouté dans notre cartel: qu’AF ne fait pas École d’emblée, et seulement après-coup on saura s’il y a eût des effets d’École pour chacun, ce qui est toujours une surprise.

Il ne s’agit pas non plus, comme disent quelques écoles, d’essayer de flexibiliser le surmoi des analysants, mais de montrer en acte qu’il ne doit rien faire pour être bon pour son analyste, parce que le désir d’analyste ne vise pas un analysant performant pour se donner de l’éclat.

J’ai pensé un jour que s’il existe une seule catégorie de membres à AF, n’est que celle des membres où l’on voit les effets d’être passés par un ou plusieurs des dispositifs du tripode. On verra bien.


 

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