Mercedes Moresco "Validité de la psychanalyse, principes et débutants"

Sigmund Freud en son temps, a été accueilli avec indignation à cause de ses idées. Il a souffert de rejet et de ségrégation, mais il a su mettre de côté la critique et a poursuivi ses recherches pour donner naissance à un champ révolutionnaire sans précédent, que nous célébrons, et auquel nous nous référons encore actuellement.
Pour Lacan, face aux dévoiements de certains points cruciaux de la théorie psychanalytique, il n’a pas été aisé de mettre en œuvre un «retour à Freud».
Aujourd’hui nous sommes confrontés à d’autres défis.

Dans toute recherche, réussite et échec vont ensemble, il s’agit de «ne pas mourir en essayant. »
Le succès n’est pas inhérent à la psychanalyse.
La critique l’a accompagnée dès sa création. Critique de sa théorie, de sa pratique, critique due parfois au fait que certains qui se désignaient comme « psychanalystes » ne répondaient ni à l’éthique, ni aux principes de la profession.
Néanmoins, très peu de gens se sont montrés indifférents à la psychanalyse.
Il n’est pas rare, encore aujourd’hui, et surtout aujourd’hui, que ceux qui critiquent la psychanalyse profitent de ses découvertes. Les « anti-psychanalyse » dénoncent différents aspects de cette pratique. Aspects qui ne correspondent pas à leurs croyances, ou à leur mode de gestion du patient. Ils en acceptent d’autres, ce qui les conduit à faire, sans l’assumer, un bricolage personnel bizarre.
Néanmoins, dans mon pays, avoir fait une psychanalyse est bien considéré. Pour le développement social d’un groupe, pour l’affectif, pour le travail, ou sur le plan académique. C’est souvent un point favorable dans un C.V.
Or, de nos jours, pour la psychanalyse, il ne suffit pas d’avoir des analysants prêts à faire l’expérience. Sans l’expérience personnelle du futur analyste, il n’est pas possible d’engager une pratique. Il y a plusieurs exigences à avoir pour que la psychanalyse se perpétue avec vigueur.
La déconstruction clinique (ou supervision), le passage au public, les relations institutionnelles, les liens sociaux, les cartels, les séminaires, les présentations de cas, sont des témoignages qui confirment sa validité, et qui nous donnent la chance de soutenir la réalité de la clinique, avec tous ses imprévus. Ce prolongement de l’expérience, et qui est aussi un effet de la pratique analytique, s’origine dans l’intention, dans l’examen des phénomènes et de la structure, ce qui est à la base de la démarche de chaque analyste.
C’est pour cela que nous sommes toujours « débutants », et que nous abordons chaque cas comme si c’était le premier, parce qu’il est unique.
Si la psychanalyse est encore de notre temps, c’est parce que l’inconscient existe.
Après Freud, rendre compte d’une cure pendant l’analyse, peut également être suspecté ou « soupçonné ». Raconter son expérience, implique déjà pour celui qui s’y risque un mélange de I, R et S. Dès lors, la certitude d’avoir bien raconté, ou encore d’avoir fini de raconter, peut être mise question.
Parce que la psychanalyse est un savoir ignoré, pas seulement une expérience de vie vécue dans un cabinet. C’est peut-être ce qui légitime la proposition de « la passe » inventée par Lacan, qui néglige à la fois l’analyste et l’analysant en cause, pour mettre l’accent sur les considérations des tiers (les passeurs), sur le témoignage indirect et sur la décision du jury sur l’expérience.
Prenons un axe théorique de la psychanalyse pour confirmer qu’elle est encore de notre temps.
Par exemple le principe universel du phallus.
Cette prémisse que Freud propose, pour les deux sexes, a suscité certaines controverses. À l’époque de Freud, Abraham, postulait qu’il y avait déjà une connaissance précoce du vagin chez les filles.
Et Lacan reprend cette idée dans le séminaire 4 « La relation d’objet et les structures freudiennes» (27/02/57), tout en acceptant le principe du phallus comme référent structurel des deux sexes. Donc, il confirme la vigueur du principe freudien.
Pour argumenter, Lacan reprend justement un cas d’Abraham, et en tire des conséquences nouvelles. C’est une fille de deux ans qui, après le déjeuner, prend des cigares dans une boîte. Elle en donne un à son père, un autre à sa mère, qui ne fume pas, et elle en place un troisième entre ses jambes. La mère les ramasse tous, les remet dans leur boîte, mais l’enfant répète l’action.
Lacan ajoute « Ce n’est pas au hasard que la petite fille retourne et recommence » …
Lacan soutient qu’Abraham, par son exemple, montre que l’objet manque à la fille, et il ajoute que l’enfant l’a aussi donné à sa mère parce qu’elle non plus ne l’avait pas, et c’est une manière de signaler que celle-ci (la mère) désire posséder cet objet, et que la fille (ce n’est pas la reconnaissance précoce du vagin) veut satisfaire aussi celle qui est en manque.
Une fois présente cette dimension du manque, on peut penser à différentes façons d’interpréter la question, mais surtout, nous devons signaler que ce manque opère déjà dans les tous premiers jours de l’appareil psychique. Freud avait déjà relevé dans «Au-delà du principe de plaisir» avec les jeux de son petit-fils, plus jeune que cette fille, la manière dont s’annonçaient dans ces jeux, et dans d’autres, les voies de symbolisation de la perte. Et chez cette jeune fille il ne s’agit pas seulement de montrer le manque de phallus, mais «d’en donner un équivalent» à sa mère, un équivalent symbolique (Freud a travaillé ce sujet dans «Sur la sexualité féminine» (Œuvres complètes).
Nous ne devrions pas confondre un trou de structure qui opère dans et pour le signifiant (en raison d’une « opération » du mot), avec un investissement précoce vaginal, comme l’ont soulevé d’autres psychanalystes.
Comprendre ce que veut dire « un trou dans la structure » est essentiel pour repérer la position de l’analyste, particulièrement dans le cas d’un analyste d’enfants. Là aussi, il faut remarquer l’actualité de la psychanalyse.
Nous associons la validité de la psychanalyse, conçue, étudiée, avec le fait de toujours repenser ses bases et ses concepts, avec le soutien de la clinique.
Alors, retour à notre époque :
Que demande celui qui se décide à consulter ?
Il demande que sa souffrance soit soulagée, que nous éradiquions ses angoisses, ses peurs, ses inhibitions. Il demande des solutions. Il voudrait faire taire ses pensées ou ses sentiments négatifs, le plus vite possible, car son malaise s’accompagne de beaucoup d’inconvénients.
Qu’est-ce que nous, psychanalystes, lui proposons ?
Nous proposons, d’abord d’écouter et puis … de perdre. (Un peu de jouissance, un peu de narcissisme)
Notre proposition n’est pas tout à fait satisfaisante.
Une garantie de guérison, de combler des espoirs, de faire disparaitre le problème, seraient des éléments beaucoup plus rassurants.
Nous proposons à l’analysant de parler, de dire : «de se dire « . Qu’il se mette à travailler ses pensées et ses rêves.
C’est vraiment une drôle de façon d’attirer les patients !
Evidemment, il serait beaucoup plus intéressant de leur assurer non seulement la guérison et un savoir le plus complet possible, mais encore de leur garantir l’accès au plaisir, qui semble si facile à obtenir si l’on en croit ces publicités qui assurent une satisfaction sexuelle sure et contrôlée, selon des techniques de spécialistes du domaine, appliquées par les sexologues.
Ou bien de leur proposer des psychothérapies reposant sur des résultats vérifiables, scientifiques, des études statistiques, concernant l’extrémité des nerfs, des neurones, des comportements, etc…
Comment tolérer qu’il n’existe pas de technique qu
i conforte notre fonction?
Que tout encadrement possible que nous mettrons en pratique, ne sera pas «technique», parce que rien ne peut garantir un résultat à l’avance? …
Et comment être préparés à ces surprises spontanées, assez habituelles chez nos analysants ?
Il y a une dizaine d’années, quelqu’un a suggéré l’idée de l’ «analyste parfait », c’est-à-dire : l’ordinateur. La tâche consisterait à poser des questions, à propos de ce qui a été raconté par le patient « virtuel » à un analyste « virtuel » lui aussi, dans une confiance absolue, puisque seul le consultant a accès à cette information. La machine « analytique » répondrait en fonction de paramètres déjà étudiés et prouvés scientifiquement, avec peu de mots, et employant une combinatoire de ceux utilisés par le patient lui-même. Ce serait un gain de temps et d’argent…
Grâce aux nouvelles technologies, l’ordinateur, la plus grande expression moderne du progrès, en relation à la vitesse de la pensée, et auxiliaire indispensable, est déjà utilisé comme « conseiller » pour les problématiques névrotiques .Certains programmes de psychologie tentent de séduire l’adepte d’internet pour qu’il aille sur leurs sites.
Mais ces programmes sont loin de la psychanalyse, car, comme ils se servent de statistiques, ils oublient que ce qui est «humain» ne peut pas être mesuré, et que dans toute erreur, il y a toujours quelque chose de vrai.
Une telle situation ne peut pas être « programmée ». C’est pour cela que les programmes de psychologie mentionnés sont basés sur de fausses prémisses, faisant penser à de la divination ou à l’astrologie, et pas comparable à une «pratique de la parole psychanalytique».
Cependant, au cours des dernières années, certains traitements psychanalytiques se poursuivent par téléphone, ou Skype, même s’ils n’avaient pas commencé de cette manière. Distance, langue et virtualité sont donc associées.
N’est-ce pas la preuve de la vigueur de la psychanalyse ?
Rares sont ceux qui ne répondent pas à des courriels d’analysants qui, confrontés à une urgence, écrivent à leur analyste, interrogent, s’interrogent, réclament sa présence « virtuelle ». Mais que ce soit par écrit ou par la parole, cela repose sur des mots ; à distance, un transfert peut se soutenir alors qu’il avait débuté en face à face. Les analysants migrent, mais le transfert reste intact. Et c’est une façon de continuer.
Ce qui a été soulevé comporte surement des lacunes et des inexactitudes, mais la psychanalyse ne peut pas être reconnue comme une science comme une autre du fait de ses singularités, de son manque d’homogénéité.
Il n’existe pas de guide garantissant le succès, aucune promesse ne peut être faite. Cela peut décevoir, mais c’est réaliste. Il s’agit de tenter de rétablir pour quelqu’un qui n’y parvient plus, ses possibilités d’amour et de travail, c’est-à-dire, ce à quoi l’essentiel de notre vie est consacrée.
Ce n’est pas peu.
L’ébranlement des certitudes dans le champ de la psychanalyse ne doit pas être un relativisme conduisant à un « tout est permis ». Au contraire, l’aspect insaisissable, fuyant, de l’inconscient est la condition même de notre responsabilité face à ce que nous faisons, et à ce que nous croyons faire.
Dans le texte perdu, dans le désir ignoré, il y a une histoire intransférable, qui trouve à s’animer dans toute situation analytique. Pénétrer dans le secret de la névrose et chercher à éclaircir ses causes implique une passion pour les fragments, pour les bribes.
Se confronter à la douleur de l’existence, qui concerne tout sujet humain, ne doit pas mener à un éloge de la tristesse, mais à une invitation à renoncer au fantasme de sa propre toute-puissance et de celle de l’autre. Ce qui consiste à assumer un manque, une perte constitutive.
Il y a psychanalyse parce qu’il y a eu un homme qui est parti de son ignorance, et non pas de son arrogance, pour s’affronter à des contrées obscures, qui peuvent provoquer de la peur, de la perplexité. Un des grands mérites freudiens a été de comprendre les limitations et les difficultés de la procédure d’analyse, et les obstacles à son parcours. Toujours conscient de ces obstacles au succès de son entreprise, il a été prêt à les étudier.
Freud, en tant qu’auteur, en tant qu’écrivain, a su être un «conteur». C’est à ce mélange brillant de neurologue, d’homme de lettres, d’autobiographe, de chercheur, auquel nous assistons à la lecture de son œuvre relatant sa découverte.
J’ai dit tout à l’heure que la psychanalyse existe parce qu’existe l’inconscient. Alors, si nous nous faisons appeler psychanalystes, nous devons être à la hauteur de l’enjeu.
Mercedes Baudes Moresco
 

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