METZ Robert Lévy "le sujet aurait-il plus le choix de sa sexualité dans la post modernité?"

J’introduirai cette question par une autre : L’inconscient est-il créateur d’un ordre sexuel articulé sur la différence des sexes, ou est-il façonné par cet ordre sexuel ?
Autrement dit notre fonctionnement psychique a-t-il quelque chose à faire avec les époques et les cultures et ce, quelles que soient les transformations de la notion de famille, des rapports entre les hommes et les femmes et/ou de l’état de la libération de la sexualité ?
Il est vrai que la réussite sexuelle aujourd’hui apparait comme une garantie de bonheur et a surpassé dans les esprits sa rivale historique : le sexe était plutôt une source d’abaissement et de tristesse qui n’avait d’autre justification morale que les impératifs de la reproduction de l’espèce.

Mais peut être sommes-nous pris dans une sorte d’aliénation sexuelle que nous façonnons et qui nous façonne. Encore faut-il savoir comment, et je me propose brièvement de vous en tracer les grandes lignes.
Le masculin et le féminin en sont les axes principaux avec la problématique incontournable de la différence des sexes qui, aujourd’hui prend des accents tout à fait nouveaux et novateurs pour certains, au point même que ce serait dorénavant un élément dépassable dans la sexualité humaine et sa descendance.
Un mot sur la question de la descendance ; le problème, s’il y en a un, c’est que jusqu’à présent la reproduction humaine est liée à la bisexualité ; bisexualité qui renvoie à des supports d’affiliation au groupe.
C’est-à-dire que la reproduction se réfère à travers les genres masculin et féminin à des statuts paternel et maternel ; d’où la difficulté à nommer dans les couples homo qui est père et qui est mère …Il s’agira donc d’accepter que filiation et engendrement, bien qu’inscrits depuis longtemps dans notre droit, ne soient plus deux concepts liés inextricablement …
Mais Les méthodes nouvelles de procréation permettent justement de revendiquer simultanément la prééminence du génétique dans certains cas, et dans d’autres celle du lien social et du désir.
Pourtant, comme le fait très justement remarquer Françoise héritier (nom prédestiné à cette recherche), il n’y a pas de société qui ne fasse la différence entre les rôles sociaux, établissant la filiation notamment de pater et de mater et les fonctions physiologiques de génitor/génitrix, c’est-à-dire entre filiation et engendrement …Est-ce de nature, parce que la procréation est coupée de la sexualité, à assimiler engendrement et filiation ? Puisque les parents peuvent être maintenant plus de deux ….

Qu’en est-il véritablement de la sexualité ?
Il suffit de se rappeler comment la masturbation était un fléau responsable des névroses au début de ce siècle pour s’apercevoir que les choses ont bien changé.
Et ce, même pour la psychanalyse, si on se souvient de cet extrait de Freud : « Nous considérons comme expression de féminité tous les désirs qui sont caractérisés par la passivité et surtout le besoin d’être aimé et en outre la tendance à se soumettre aux autres qui atteint son apogée dans le masochisme ou désir d’être malmené par les autres. D’autre part nous appelons masculin, tous les désirs qui présentent un caractère actif, comme le désir d’aimer, de dominer les autres, de conquérir le monde extérieur et de le transformer selon ses désirs propres. Nous associons ainsi la masculinité avec l’activité et la féminité avec la passivité. »
Propos sexiste s’il en est, qui n’empêche pas Freud néanmoins de soutenir également : « Il répond à la spécificité de la psychanalyse de ne pas prétendre décrire ce qu’est la femme, tâche dont elle ne pourrait guère s’acquitter, mais examiner comment elle le devient. » Propos Aussi proche de la véritable révolution sexuelle qu’introduisit Simone de Beauvoir lorsqu’elle dit « on ne naît pas femme, on le devient »

Tout ces prolégomènes pour mettre en relief que les théories du genre ont en tout cas le mérite d’insister sur le fait que le sexe et la différence des sexes sont pris dans une époque et une culture et que c’est cette influence qui va déterminer, non pas la sexualité des humains, mais leur mode de représentation. En effet, l’identité sexuée est une composition complexe d’imitations, d’identifications, d’incorporations de tous ces autres qui nous environnent, à commencer bien sûr par les parents et leur désir.
Ce qui permet de poser aujourd’hui de nouvelles questions telles que : jusqu’où autoriser la féminité des petits garçons et la masculinité des petites filles ? Question impensable à une autre époque puisque c’était l’idéologie du moment et non l’exactitude de l’observation qui déterminait la vision qu’on avait des hommes et des femmes et de leurs différences.
Le temps n’est pas si éloigné où la fameuse théorie du cerveau droit et du cerveau gauche donnait aux femmes une plus grande inclination aux émotions et la communication, aux hommes à l’action. L’IRM a fort heureusement fait voler en éclats ces scories d’une croyance au fond plus idéologique qu’anatomique.
Ce qui sépare les hommes et les femmes est assez peu anatomique ; notre corps se façonne en effet sur la logique d’une construction sociale des signifiants dans une certaine forme d’actualité.
Les signifiants du corps social fabriquent le corps humain qui devient une personne sexuée, en référence aux normes et valeurs qui témoignent d’une participation active à la logique spirituelle et matérielle de la société où chacun vit dans son temps.
Ici pas grand choix, pourtant la sexualité se réduit-elle aux signifiants du corps social ?
L’enfant n’est pas une page blanche asexuée sur laquelle s’imprime des rôles sexués selon l’histoire de ses parents et le contexte global des rôles sexués dans la société à laquelle il appartient, pas plus d’ailleurs que son anatomie lui imposerait un destin.
C’est là la difficulté des théories du genre, car si elles nous renseignent sur l’environnement idéologique de la différence des sexes dans une culture donnée, elles laissent de côté la sexualité au sens propre du terme.
Le film magnifique de Guillaume Gallienne « Guillaume et les garçons à table ! » en est la parfaite démonstration. Le titre en lui-même induit la présence du désir de l’autre (en l’occurrence sa mère) en excluant ce prénom masculin de l’ensemble des autres garçons ; il nous renvoie donc à une question beaucoup plus fondamentale : qu’est-ce que le désir, et en particulier le désir sexuel ?
Je m’en tiendrai pour ma part à une seule définition, en l’occurrence celle de Lacan : lorsque je te dis que je te désire c’est que je te fais entrer dans mon fantasme.
Le fantasme sans lequel il n’y a pas de sexualité humaine marque à la fois d’un côté la primauté, non pas de l’anatomie, mais de la jouissance et de l’autre du désir comme désir inconscient.
De même dans l’actualité de la procréation Avoir un enfant maintenant c’est être donc forcément renvoyé au désir et, à rien d’autre. Serions-nous réduits à n’être plus que des purs porteurs des droits de l’homme, par conséquent asexués, abstraits, intemporels, donc purs porteurs de droit. ….Serait-ce cela l’insu portable ? Ce qui pose le paradoxe suivant : l’être de droit est-il un sujet sans désir ??
Ceci amène Françoise héritier à oser l’affirmation suivante, à mon sens fondamentale : il n’y a aucune institution sociale fondée exclusivement en nature, ainsi « Le recours à La vérité génétique et biologique correspond à une illusion, à un fantasme du naturel qui est en contradiction totale avec la définition du fait social, lequel n’est jamais que le résulta
t des règles arbitraires que les hommes se donnent … »
Nous adhérons forcément à cette remarque, en ajoutant que pour la Psychanalyse, la filiation ne saurait se poser autrement qu’en termes de désir et d’aliénation au signifiant, c’est-à-dire également au fantasme.
La sexuation serait-elle du même ressort ?
Certainement Lacan, en introduisant le terme de sexuation renvoie à cette question, mais en y ajoutant la question de la jouissance et donc en inscrivant côté féminin cette jouissance autre qui change en effet toutes les perspectives qui jusqu’alors situaient la différence des sexes dans la polarité binaire ; dès lors la différence des sexes ne peut plus se référer à quelque couple oppositionnel que ce soit.
Le point très intéressant concerne en fait la ‘non existence ‘ de cette jouissance autre puisqu’elle n’a pas d’existence telle qu’elle pourrait être refoulée : elle n’est pas du domaine de ce que le refoulement secondaire nous permet habituellement de considérer comme existence .Puisque la castration, de par le refoulement qu’elle met en place détermine un manque qu’aucun objet ne saurait dès lors combler .C’est en ceci que la castration permet l’accès du sujet au désir et à la trame des métaphores , qui dans sa parole tenteront sans cesse d’articuler ce désir …
Mais La jouissance autre est donc sans lieu et accompagne la jouissance Phallique comme son ombre sans jamais trouver de sens : par conséquent elle est hors sens et échappe à ce que la castration peut produire habituellement comme refoulement.
D’où l’idée que la ‘la femme n’est pas toute sujet de la castration’ puisqu’elle y échappe en partie avec la jouissance autre .. …Il n’y a donc pas qu’une jouissance mais il est exclu qu’il y en ait deux. le constat c’est donc que l’on ne peut pas faire d’un sexe la négation de l’autre mais en revanche on peut faire d’une jouissance l’obstacle de l’autre …
C’est ce que Lacan nous indique assez clairement dans le séminaire ENCORE : « Il y a autre chose qui nous ligote quant à ce qu’il en est de la vérité : c’est que la jouissance c’est une limite. »
On peut imager ce non choix de la sexualité par cette remarque que me faisait catastrophée une patiente : « mais comment se fait-il que vous ne puissiez rien changer aux fantasmes nécessaires à ma jouissance, fantasmes qui concernent le fait que je me retrouve toujours prise par derrière comme une enfant ou bien , pire encore que j’assiste muette à un viol d’enfant ?
 

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