Mirela Stenzel "Manifestations en acte du sujet de l'inconscient à l'école : une expérience à partir d'un CAPSi à Curitiba"

Je coordonne actuellement un CAPSi, où nous accueillons des enfants et des adolescents porteurs de souffrances diverses ou de troubles psychiques. Dans cette pratique, j’ai l’intention de circonscrire la discussion aux cas où la plainte la plus importante concerne ce qui se présente dans le comportement d’adolescents comme une série d’actes impulsifs, indomptables, disruptifs pouvant assumer des formes diverses, telles que le mauvais comportement à l’école, des comportements oppositifs, des actes agressifs contre les autres et même des actes de délinquance et antisociaux, ce que la psychiatrie qualifie de trouble de conduite. Ces comportements, quand ils se manifestent à l’école, deviennent une demande d’accueil pour le CAPSi, convoquant le besoin d’intervention auprès de l’école.

 À la fin des années 1980, au Brésil, un mouvement, déclenché par les travailleurs de la santé mentale et les familles des personnes en asile, devient plus consistant, visant la désinstitutionalisation de la folie. Ce « Mouvement anti-asile » est consolidé en 2001 par la Loi Paulo Delgado qui, outre la réduction du nombre de lits psychiatriques, propose un modèle d’assistance communautaire et substitutif de l’hôpital psychiatrique. Dans ce nouveau modèle, le CAPS constitue le service d’attention quotidienne, responsable de l’assistance à la personne porteuse d’un trouble mental et de l’articulation du réseau dans le territoire de chacun des sujets pris en charge, ce qui représente une proposition de clinique élargie.

 À partir de 2002, les CAPS sont plus spécialisés : des unités pour les troubles mentaux, pour les alcooliques et usagers d’autres drogues, et pour enfants et adolescents. Ainsi, le CAPSi est un dispositif de santé mentale accueillant les enfants et adolescents porteurs de souffrances diverses et/ou de troubles psychiques. Le travail est réalisé dans une clinique interdisciplinaire, où plusieurs spécialités partagent le processus de travail, cette action partagée étant subordonnée à une direction clinique et discutée en équipe. Cependant, au delà des actions thérapeutiques dans les CAPS, est réalisé un travail d’inclusion de ces enfants et adolescents dans le lien social, ce qui demande une intervention auprès des équipements responsables de l’enfant, tels que l’assistance sociale, la justice et l’éducation.

 Normalement, la demande d’accueil la plus importante dans un CAPSi devrait concerner les cas d’enfants et d’adolescents porteurs de troubles mentaux graves, tels que les psychoses, l’autisme et les névroses graves. Néanmoins, dans ce CAPS que je coordonne depuis plus de quatre ans, nous nous sommes rendus compte que la plus grande demande d’accueil pour les enfants et adolescents vient des familles, de l’école ou d’autres équipements, en raison de leur comportement inapproprié. Si, dans un premier moment, nous pouvons observer que la structure psychique de ces enfants ne s’inscrit pas dans la psychose ou l’autisme, d’autre part nous sommes impactés par leur impossibilité d’inscription dans le lien social. Plusieurs s’orientent déjà vers l’évasion scolaire et se retrouvent souvent dans les rues, car ils ont été exclus par les équipements sociaux, ce qui attribue à ces cas un statut de sévérité en raison du destin de marginalité et d’exclusion sociale qui semble s’y dessiner.

 Les plaintes d’une façon générale concernent les comportements inappropriés, considérés par l’école comme inacceptables. Ces enfants incarnent « l’élève problème ». Outre les difficultés à l’école, les familles se plaignent également de ces comportements à la maison, où se manifeste l’impossibilité, pour l’enfant, d’obéir et d’accepter toute limite. Très souvent, quand ils arrivent au CAPS, la famille l’a déjà laissé tomber et l’enfant fait ce qu’il veut.

Au début, la prise en charge est difficile. Dans le maniement, il s’oppose aux propositions de traitement, il est incapable de mettre sa souffrance en mots, il confronte les autres enfants et les professionnels en permanence, il est agressif, enfin, insupportable.

Néanmoins, comme résultat du travail au CAPS, en peu de temps cet enfant se permet d’accepter les propositions thérapeutiques, il échange avec ses collègues d’une façon saine, il accepte les limites posées par l’équipe et parle de ce qui le gêne. Le CAPS soutient l’importance de la reconnaissance de la singularité, par moyen d’une écoute permettant au sujet d’émerger dans sa différence, en présupposant que ce qui se manifeste en acte exprime en effet une souffrance de ce sujet.

Très souvent, avant même de parler en symptôme, en angoisse ou autre formation clinique, c’est l’acte qui est le plus évident – ce qui fait penser à l’acte comme une voie de manifestation privilégiée.

Cet acte se présente comme quelque chose qui échappe à la parole, où le sujet lui-même est incapable de formuler une question et de s’interroger sur ce qui le prend et qui résonne seulement comme un malaise diffus. Pourtant, ceci parle de quelque chose du sujet qui échappe au signifiant et qui s’exprime en acte, renvoyant à une position particulière, à un mode de satisfaction. L’acte parle à partir de cette place.

Lacan, dans le « Séminaire 10 : L’Angoisse (1962-1963/2006), considère l’acting out et le passage à l’acte comme des expressions de l’agir, par lesquels il est possible d’arracher de l’angoisse sa certitude (Lacan, 1962-1963/2005, p. 88). Quand le sujet se lance dans ce type d’actions, il reste dans un avenir où la dette est abolie, et il se rapproche de la certitude. Se sont des défenses contre l’angoisse, des opérations où le sujet se rapporte à l’objet a, au manque de l’Autre et, ainsi, il privilégie la relation du sujet à l’Autre, le drame du désir.

On peut conclure que ces comportements ne se réfèrent pas, de façon générique, à une structure clinique, qu’ils ne sont pas caractéristiques de la perversion, de la psychose ou de la névrose, mais qu’ils sont liés intimement à la structure, en ce qu’elle détermine le sujet. Je fais alors le rapprochement de ces comportements inadéquats qui se présentent dans la conduite du sujet et qui sont la plainte à l’origine de la quête de traitement à l’acting out et au passage à l’acte, comme travaillés par Lacan ((Lacan, 1962-1963/2005) dans le « Séminaire 10 : L’Angoisse.

Le passage à l’acte implique une sortie de scène. C’est la tentative de se séparer de l’Autre. Le sujet congédie la chaine signifiante, et ne sera réanimé que si parlé par l’Autre. Dans l’acting out il y a démonstration d’un désir inconnu, d’un désir dont l’essence est de se montrer en tant qu’autre. Le sujet se met en scène et pourquoi ? Pour faire appel. Face aux difficultés dans la relation avec celui qui se trouve à la place de l’Autre, il le convoque à voir quelque chose qui ne peut être mise en mots. Il s’agit d’un message énigmatique adressé à l’Autre.

On sait bien que ces enfants et adolescents pris en charge pour des actes provoquant aussi de troubles sociaux ne sont pas vraiment gênés par ces plaintes. Comment alors placer l’acte comme expression d’une souffrance dans le discours du sujet? L’orientation éthique proposée ici consiste à offrir au sujet une possibilité, avec les ressources apportées par la psychanalyse, symboliques par excellence, de resignifier et d’élaborer sa souffrance, jusqu’où il est possible, pour assumer une autre position face à l’Autre. De ce mode, montrer la vérité qui peut être implicite dans l’acting out et dans le passage à l’acte. Cette vérité est l’objet a lui-même, introduisant la division du sujet, du fait d’être essentiellement manque. L’interprétation analytique vise cette division du sujet, l’a, pour avoir comme effet la vérité, située du côté du désir.

Cependant, même ayant accepté le lien social
dans le CAPS, en raison de l’orientation du traitement, les comportements disruptifs sont toujours en œuvre à l’école. Ainsi, les professionnels du CAPS sont confrontés à une demande d’éducation urgente, car l’élève ne répond pas aux méthodes pédagogiques et devient un problème dans le contexte scolaire par son comportement inapproprié, rendant inviable sa permanence à l’école.

La demande de l’école est manifestée dans le sens de la médicalisation, de l’expertise, c’est-à-dire, sous forme de tamponnement du problème, sans possibilité de reconnaissance d’aucune vérité outre le mauvais comportement et sans viser non plus l’implication des professionnels de l’école, la mise en question de la pratique éducative et le maniement de ce type d’élève. On observe que ce genre de demande est une source d’angoisse pour l’équipe du CAPS qui, à son tour, manifeste son irritation face à ces demandes, car nous croyons à la possibilité de réaliser un travail avec ces sujets suite à un pari sur le traitement, et nous constatons que, de la part de l’école, il y a la tentative de forclore le sujet ainsi qu’un abandon de l’investissement.

Face à cette angoisse concernant le champ de l’éducation, et l’angoisse de l’équipe du CAPS, nous avons proposé le tour de la demande (médicalisation, expertise), en ouvrant des espaces d’interlocution avec les écoles, dans le but, outre la sous-traitance de l’élève au service de santé, d’impliquer les professionnels de l’éducation. Par moyen du travail d’écoute des éducateurs, en leurs difficultés et leurs impasses, nous avons repensé des stratégies et le maniement avec ces élèves pour rendre possible leur permanence à l’école.

En toute évidence l’éducation au Brésil est confrontée à plusieurs problèmes, parmi lesquels le manque de ressources matérielles, le rapport entre les enseignants et les élèves, maintes fois soumis à des violences et à des attitudes d’exclusion; la difficulté dans le processus enseignement/apprentissage; la relation de culpabilité établie par l’école envers les familles. Ce problèmes sont encore plus évidents dans la mesure où les objectifs démocratiques et intégratifs souhaités par l’universalisation de l’enseignement n’ont pas été atteints. Ce qu’on a obtenu a été la précarisation du vécu scolaire, pour les enseignants comme pour les élèves, notamment dans l’éducation publique. Selon le récit des éducateurs, l’universalisation entraîne toute une série de mesures élargissant l’éventail de la précarisation, comme l’interdiction de mesures disciplinaires, la suspension et l’expulsion, l’interdiction de garder l’élève dans les premières séries de l’enseignement fondamental. Suite à cette précarisation, les enseignants répondent de façon à atténuer l’impotence provoquée par la situation, par le déclin de l’autorité des professeurs, la pathologisation et la médicalisation de l’enfance, les justificatives naturalistes et avec un fond sociologique, la criminalisation de la jeunesse et la culpabilisation des familles.

Comme une partie du mouvement de l’universalisation de l’enseignement, comprise dans la Constitution brésilienne, « L’Éducation, droit de tous et devoir de l’État et de la famille… », il y a le mouvement englobant une série de politiques publiques visant l’inclusion scolaire de celui qui a du mal à établir un lien à l’apprentissage. La discussion sur l’inclusion scolaire commence avec les enfants dits attardés, lesquels, en raison d’un déficit, n’étaient pas susceptibles d’être éduqués. Cependant, je souligne ici l’impossibilité d’éduquer les enfants non classables dans un déficit, mais qui refusent le lien à l’apprentissage, et, plus radicalement, refusent le lien social, en mettant l’école en question de façon permanente, ainsi que les institutions, l’autorité, la Loi.

L’école, comme institution devant transmettre des valeurs, la culture, etc, depuis un certain temps se montre fragilisée. C’est contre cette institution précaire et fragile que les enfants se révoltent, en convoquant quelque chose qui provoque leur exclusion scolaire. De ce fait, l’école n’étant plus un lieu possible, il ne leur reste que les rues.

Le discours des enseignants est toujours traversé par cette précarisation et fragilité de l’école publique au Brésil. Ils parlent de leurs difficultés dans le maniement de ces élèves. Ils donnent des cours pour plus de 40 élèves à la fois, sans avoir une formation pour cette situation spécifique. Ils se sentent alors impuissants face à ce type d’élève, car les mesures disciplinaires ne sont pas à leur portée. En même temps, ils racontent des situations de représailles au moment où ils proposent des punitions, tandis que les plaintes augmentent et s’établit une impasse de solution difficile.

Comme nous avons dit, la première demande est celle de la médicalisation. L’enseignant prétend que « dopant » l’enfant, celui-ci pourra s’adapter à l’école. Nous, au CAPS, d’autre part, affirmons que les médicaments peuvent effectivement rendre l’enfant moins impulsif, mas ce qui est dans la base de ce comportement ne changera pas. Se présente alors quelque chose du registre du maniement. Quand cette demande n’obtient pas de réponse, ils insistent sur l’expertise. Au Brésil, selon le CID de l’enfant, il a la possibilité d’être classé comme un élève d’inclusion, d’avoir un programme scolaire adapté et, d’une certaine façon, l’école n’est pas culpabilisée de l’échec scolaire. Une autre conséquence concerne le fait, pour l’enfant, d’avoir à porter le label du manque d’opportunités et d’un avenir différent de celui qui lui est supposé (Lajonquière, 2010, p. 191), dont la gravité d’un destin marqué par la marginalité.

Suite à la déconstruction de ces demandes il sera possible d’ouvrir un espace effectif d’écoute pour les enseignants. Seule la psychanalyse peut penser les vicissitudes propres à l’émergence du sujet du désir opérant dans l’éducation comme l’envers de la forclusion du sujet pouvant être implicite dans les méthodes pédagogique et dans les justifications sociologiques, matérielles et de tout autre ordre. Dans ce processus, nous accueillons les plaintes des enseignants concernant leur impuissance face au manque de ressources matérielles, humaines et de formation. Nous les convoquons à penser ce qui est possible, à penser sur l’enfant qui provoque leurs plaintes, son histoire, sa place à l’école, sur les mauvais comportements, et sur les stratégies déjà utilisées. Nous échangeons sur les activités thérapeutiques dans le CAPS et le processus d’acceptation ou de refus du lien à l’Autre.

Aux éducateurs, il faut souligner le fait de s’adresser à un sujet qui a un prénom et un nom, et que le comportement manifesté peut vouloir dire quelque chose, conformément à ce que dit Lacan à propos du comportement en tant qu’acting out, et donc comme un message adressé à l’Autre. Si ce comportement se manifeste à l’école il contient sans doute un message et, s’il ne peut pas être décodé, car les enseignants ne se trouvent pas dans le dispositif analytique, il peut au moins être accueilli. Il s’agit enfin de miser sur un pari. Le pari basé sur le fait que, outre le sujet connaissant, de l’apprentissage, il y a un sujet inconscient, permettant alors d’élargir l’acte éducatif et d’inclure le désir. Ainsi, il est nécessaire d’adresser la parole à un enfant et d’être prêt à l’entendre.

Au-delà de l’insistance sur ce pari, nous nous trouvons familiarisés avec l’affirmation de Freud sur les métiers impossibles – gouverner, éduquer et psychanalyser – comme le dit Lajonquière (2010), impossibles parce que ces métiers sont toujours insuffisants, ce sont des formes symboliques du lien social, marquées par un reste, une différence, revenant toujours dans le décalage entre sujets concernés. Nous constatons ainsi le besoin de souligner cet impossible, en jeu dans l’acte éducatif. Dans la renc
ontre enseignant/élève il y a toujours un reste concernant la castration, mais c’est ce reste qui détermine la rencontre possible avec l’Autre.

Pour Lacan, ces comportements indomptables et disruptifs peuvent être classés comme des acting out et, en tant que tels, visent à la convocation de l’Autre. Par l’universalisation de l’éducation, celle-ci ne s’adresse plus à un sujet qui porte un nom et un prénom. De ce mode, quand les enfants se révoltent de façon aussi insistante, ne seraient-ils pas en train de dénoncer l’impossibilité de l’acte éducatif et en même temps en train de convoquer l’Autre incarné dans les éducateurs pour que ceux-ci les reconnaissent en tant que sujets, non pas seulement en tant qu’objet de l’acte éducatif, mais en tant que sujets du désir ?

On comprend alors le caractère dramatique de la situation, car les enfants ne peuvent se faire sujets que par la voie du refus du lien à l’école. Ils convoquent l’Autre à attester un message mais ils ne trouvent qu’un abandon, et l’impossibilité d’advenir en tant que sujets.

Si le CAPSi propose le tour sur la demande de médicalisation, c’est pour rendre évident que, d’essayer de supporter par ces voies l’impossible de l’éducation ce serait de l’infanticide, comme l’affirme Lajonquière (2010, p. 219) dans la mesure où l’enfant peut devenir un objet de jouissance, le sujet de l’inconscient étant forclos du désir, c’est-à-dire, en marquant un destin d’exclusion du lien social.

 

MirelaStenzel 

Psychanalyste, Membre de la Bibliothèque Freudienne de Curitiba, Brésil.

Références Bibliographiques :

FREUD, Sigmund. O mal estar da civilização. In_____. Obras Psicológicas Completas de Sigmund Freud. Rio de Janeiro: Imago, 1980. v. 21.
LACAN, J. Seminário 10: A angústia. Rio de Janeiro: Zahar, 2005.
LAJONQUIÈRE, L. Figuras do Infantil. Petrópolis: Vozes, 2010.
VOLTOLINI, R. Educação e Psicanálise. Rio de Janeiro: Zahar, 2011.
 

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