Nestor Braunstein "Structures cliniques ou positions subjectives"

I)  PSYCOPATOLOGIA

Grand honneur, grand plaisir d’être ici comme participant dans le Congrès organisé par mon cher ami, Robert Lévy. Le thème de mon exposé est suffisamment explicatif de ce que j’ai l’intention de vous transmettre. Je trouve que nous sommes arrivés à une vraie croisée de chemins dans la démarche de la pensée qui oriente la clinique psychanalytique lacanienne et la transmission du savoir acquis. Nous sommes aujourd’hui dans un point de choix non inclusif que je résume dans le titre comme opposition entre deux façons de concevoir la clinique: positions subjectives versus structures cliniques. Deux syntagmes décisifs pour définir la position de l’analyste par rapport à celui qui pâtisse et formule une demande que doit être différenciée de  celle qu’on ferait au magicien, au prêtre ou au médecin en tant que lui, il serait le représentant de la science et du savoir universitaire. Le titre de mon exposé de cet après-midi c’est le même que celui que j ‘ai donné à une conférence soutenue en New York dans l’année 2014.

Une minime considération historique nous amène à la conclusion suivante : tandis que le premier de ces syntagmes « position subjective » affleure souvent dans l’œuvre écrite et dans les séminaires et conférences de Lacan, l’autre syntagme, « structure clinique », ne peut pas être trouvé dans le corpus lacanien. C’est vrai que Lacan a utilisé le mot « structure » tout au long de son enseignement depuis la définition de son retour à Freud par un motto  dans lequel Freud lui-même aurai eu du mal à se reconnaître : l’inconscient est structuré comme un langage. Freud, de sa part, a souvent utilisé le substantif  Struktur  mais lui n’a  jamais non plus  parlé de « structure clinique ». Je suis revenu au sujet de cette opposition et me suis laissé aller à une recherche sur le syntagme « structures cliniques» et sur l’opposition avec les « positions subjectives » à partir d’une thèse de doctorat que je puis caractériser comme exceptionnelle, présentée hier  après-midi dans le cadre d’une institution universitaire dirigée par des psychanalystes qui ont fait des contributions excellentes à la doctrine de la psychanalyse : je parle du Doctorat de recherche en psychopathologie et psychanalyse (dans cet ordre) à l’Université Sorbonne Paris-Diderot (Paris 7) que dirige mon bon ami, le Professeur François Sauvagnat. Le thésard, un jeune collègue du Mexique, Miguel Sierra Rubio pour le nommer, a écrit un travail richement documenté sous le titre de « Les contributions de Freud et de Lacan á la théorie des structures cliniques. Sous-titre : Des fondements généalogiques aux débats en psychopathologie ». Je me référerais à cette soi-disante « théorie » par son acronyme TSC, homophone avec le vocable thèse.

C’est lui, Sierra Rubio,  à qui je rends l’hommage dû pour sa recherche, qui a constaté l’absence du syntagme incriminé, « structures cliniques », chez les deux auteurs, Freud et Lacan, où il soutient qu’ils auraient fait des contributions posthumes à une supposée « théorie »  née après eux. Hier j’ai dit que l’appeler théorie est une hyperbole, du même qu’il serait hyperbolique de parler d’une « théorie des positions subjectives » Il n’y a pas ni l’une ni l’autre. Ce sont deux approches excluantes, selon ce que je crois, pour répondre á la question des différentes façons de présentation des demandeurs de psychanalyse face au psychanalyste auquel ou à laquelle ils ont fait recours.

Dans la thèse présentée, Sierra Rubio, a bien noté que le syntagme psychopathologie psychanalytique “brille par son absence” dans les dictionnaires et vocabulaires de la psychanalyse. On ajoutera que même psychopathologie est un mot dont l’absence est aveuglante dans tous ces ouvrages de référence, à la seule exception du dictionnaire Roudinesco-Plon où il est gratifié d’une brève entrée de 5 lignes ; on y souligne son origine médicale qui remonte au XIX° siècle et qui sert à dénoter l’opposition normal/pathologique. Je peux ajouter que ce mot brille également par son absence dans le volume XXIV des Complete Psychological Works qui comporte un index thématique où tous les termes significatifs du vocabulaire freudien sont ordonnés alphabétiquement.

Chez Freud la psychopathologie était l’affaire de Breuer, raison pour laquelle il a dû s’en séparer. En vérité, le psychopathologique, comme chose, peut se lire chez Freud en antipathie vers le mot.

’Psychopathologie’ apparaît presque comme hapax dans le séminaire I de Lacan, n’étant employé que comme un synonyme de “psychologie morbide”, pour désigner ce “sol sur lequel s’est produite la découverte freudienne” (30/06/1954). Le sol,non la plante. En effet, le lit d’accouchement de la psychanalyse est le discours de la psychiatrie finiséculaire (hispanisme avoué). Le bien connu titre du livre de Freud sur l’Alltagslebens ne fait aucune référence à la psychopathologie pour l’analyse des formations de l’inconscient qu’y sont décrites et interprétées.

Le mot “psychopathologie” traîne avec elle, la prolifération des mots et des syntagmes rattachés ou valant comme synonymes :  maladie mentale, entités et genres morbides, entités cliniques psychanalytiques, syndromes, étiologie, pathogénie, nosographie  lacanienne, nosologie, nosotaxie psychanalytique, psychopathie, troubles mentaux, “structures nosologiques freudiennes” etc… À la fin de l’enseignement de Lacan, même le substantif ‘symptôme’ était considéré comme un archaïsme médical duquel il avait besoin de se séparer, en lui substituant un vocable homophone. Il devient presque redondant, si tout cela est admis, de rappeler la constante opposition de Lacan a tout projet d’infiltration ou de dominance du discours médical dans la formation des analystes, ce qui fut la raison de sa rupture avec la SPP. Cette opposition se manifeste, en première instance, dans la sélection de son vocabulaire qui ne conserve du lexique médical que les noms de névrose, psychose et perversion et qui, en dernière instance, finit par leur substituer, après l’invention de l’objet a et du sinthome, la père-version et les nouages borroméens, sans faire de concession aux propositions tendant à faire d’un cas, par exemple le “cas James Joyce” (si ce n’était pas de lui-même qui en parlait de cette façon) un psychotique, un névrosé ou un pervers.

J’insiste et me reporte pour cela à la langue allemande: Psychopathologische : On sait bien que le nom de la première publication psychanalytique (1909) était Jahrbuch für psychoanalytische und psychopathologische Forschungen, un nom qui déplaisait à Freud lui même (lettre à Jung du 6 juin 1907), et qui fut accepté avec résignation par le viennois, pour des raisons d’ordre politique, cela afin de conserver l’adhésion des psychiatres suisses et aryens, tandis qu’il aurait préféré la désignation “plus effrontée” de psychoanalitische en faisant omission du mot psychopathologische.

Même le substantif ‘pathologie’ et l’adjectif ‘pathologique’ sont rares dans le vocabulaire freudien, n’apparaissant presque toujours que pour souligner la distinction d’avec les contraires : ‘normalité’ et ‘normal’. Dans l’article de Freud sur “L’intérêt de la psychanalyse” (1913) publié en Italie, Freud proclame que la psychanalyse a “arraché la psychopathologie à la psychiatrie” pour l’incl
ure dans une nouvelle psychologie qui parvient à rendre compte de sa grande innovation: l’inconscient. La raison de ce silence sur la “psychopathologie” semble évidente : c’est un des mots qui renvoient au discours médical, un discours duquel Freud et Lacan ont fait tout ce qui était possible pour s’éloigner. On pourrait risquer de dire que nous avons affaire à deux vocables : d’une part, ’pathologie’ et ‘pathologique’ qui n’ont pas de verbe correspondant et, de l’autre, nous avons un verbe: ‘pâtir’ qui manque de substantif et d’adjectif pour lui faire pendant. Le H muet, mais bien présent dans les premiers, signerait la différence entre le discours médical et le discours psychanalytique.

L’insistance constante sur le mot psychopathologie et le syntagme psychopathologie psychanalytique, ne cacherait-il pas le projet sournois de faire de la psychanalyse une branche ancillaire de la médecine et de négocier sa présence dans l’Université, toujours réticente à la psychanalyse au nom de la vraie “science”? Ce ne serait pas du tout naïf ici de se rappeler, comme le soulignait Freud que “lorsqu’on cède sur les mots, presque toujours, on finit ensuite, peu à peu, par céder sur les choses”.

 

C’est le moment d’évoquer ici la polémique et presque scandaleuse conférence de Lacan en 1966, Psychanalyse et médecine et aussi, lors de ce même annus mirabilis de la psychanalyse, la référence concernant le concept de structure dont Lacan a dit (et ce n´était la première fois) qu’affirmer que l’inconscient est structuré comme un langage n’est qu’un pléonasme puisque structure il n’y a que du langage (Petit discours à l’ORTF).

 

En 1978 a été publié au Seuil, collection ‘Le champ freudien’, dirigée par Jacques Lacan, un texte fondamental, un livre qu’on devrait lire et relire, un livre que j’aimerais citer tout entier, L’Ordre médical, dû à Jean Clavreul. On y lit la discussion la plus courageuse du rapport entre le discours et l’ordre médical et les quatre discours de Lacan. Je devrai me restreindre dans mes citations pour n’en rappeler que quelques-unes JE CITE CLAVREUL: “Car s’il s’agit seulement de mettre quelque bribes du savoir psychanalytique au service de l’Ordre médical, c’est une option politique. On peut penser que la psychanalyse n’a rien de mieux à faire que se glisser dans le discours dominant, quitte á espérer l’infléchir ou à prétendre le subvertir. La médecine y devient alors le support ou bien la cible de la psychanalyse. C’est en somme une position réformiste, plus soucieuse d’efficacité, au moins immédiate, que de rigueur. Mais on peut se demander qui, à ce jeu, sera conquis par l’autre, de la médecine ou de la psychanalyse. Il semble que l’évolution de la psychanalyse américaine ait déjà fourni la réponse” […] “Car ce ne pourrait être au nom d’un totalitarisme psychanalytique qu’on viendrait se mettre en renfort du totalitarisme médical”. […] “Toute découverte scientifique (et le diagnostic en est une) supprime la division du Sujet. Le désir du médecin pour son objet est unificateur (des médecins entre eux, mais aussi du médecin envers lui-même)”. (p.166). Et pour conclure CES CITATIONS: “En se précipitant pour accepter le strapontin qu’offre l’Establishment, surtout médical, mais aussi universitaire, les psychanalystes acquièrent sans doute quelques avantages immédiats, mais y perdent ce qui fait leur vocation propre. Par là, ils suivent la pente du retour discret à l’ordre médical et universitaire. C’est le principe même de la fonction surmoïque d’un ordre auquel il faudrait se plier et s’adapter que la psychanalyse met en cause, aussi bien dans son rapport aux pouvoirs publics que dans les cures individuelles” […] “La théorie psychanalytique n’est pas un corps doctrinal qu’il conviendrait d’enseigner, elle est l’ensemble des repères qui permettent à l’analyste d’entendre son patient. […] Parallèlement, c’est aussi la notion de maladie mentale qui en est subvertie. Le médecin continue d’avoir et ne peut avoir à son égard d’autre formule à proposer que d’en faire un diagnostic d’élimination”. (p. 177).

 

II) ESTRUCTURAS CLÍNICAS

 

Nous pouvons constater l’origine du syntagme “structures cliniques” : il se trouve en fait dans le discours des adversaires de Lacan dans les années ‘50’ : Lebovici, Nacht, Bouvet, etc., ceux donc qu’on pourrait appeler les analystes médicalisants à l’intérieur de la SPP, suivis ensuite par André Green.

 

L’absence du syntagme « structures cliniques » s’est prolongée tout au long de la vie de Lacan jusqu’au moment, qui coïncide avec sa mort, où J.-A. Miller, à Bruxelles, en a avancé la proposition et adopté un syntagme prétendument “homonyme” de celui des rivaux de Lacan. Miller, avec ses confrères et ses élèves du Champ Freudien, ont transformé le syntagme en devise d’un lacanisme bien à eux. Il faut se souvenir du fait que, d’abord, la perversion ne faisait pas partie des susdites ‘structures cliniques’. Miller, la même année, avait reconnu que : “Notre clinique est un héritage psychiatrique qui est essentiellement une typologie”. On pourrait bien dire que la chose désignée du nom de « structure clinique » est l’œuvre de certains disciples de Lacan, une attribution faite à Lacan de quelque chose qui n’est pas de Lacan, n’en constituant pas moins l’axe majeur de la psychopathologie psychanalytique. On doit remarquer, d’après ce que j’ai appris de Sierra Rubio, l’origine française de la tripartition des nommées structures à partir d’un titre arbitraire adossé par Jean Laplanche en 1970 à un recueil d’articles de Freud : “Névrose, psychose, perversion” qui, en marchant, a fait son chemin.

 

La conception d’une TSC, dont chacun des classes est le résultat d’un mécanisme spécifique d’opération langagière : refoulement pour la névrose, déni pour la perversion et forclusion pour les psychoses, est très facile à transmettre, très apte pour la mémorisation et la répétition doctrinales, très populaire, au point d’être vite passé en doxa (Miller) ou vulgate (Fink)… ; et cela, bien que très éloignée de l’œuvre et de la pensée psychanalytiques. La facilité de la transmission (prenons Lacan comme paradigme), le schématisme, n’est pas toujours une vertu ; on peut tomber dans le péché de la vulgarisation en prêchant comme vérité l’hypothèse de ces trois structures clairement délimitées, comme trois continents isolés d’une même planète clinique. L’intention de cette opération est avouée, sans faire la fine bouche : “on visait la communicabilité objective et publique de la pratique psychanalytique qui est transférentielle et privée”. Est-ce cependant encore du Lacan qu’on transmet ? Est-ce compatible avec le nœud borroméen ou le nœud en trèfle de la fin de son enseignement? Il ne s’agit même pas d’ une chaîne olympique !… Non, ces trois boucles restent sans interconnexion. En vérité, est-ce là ce qu’on constate dans “la clinique sous transfert”, d’après l’heureux et bienvenu syntagme de J.-A. Miller? (Ornicar?, #29)

 

Le moment est venu d’énoncer mon idée (la mienne, celle d’un médecin): le nom de “théorie des structures cliniques” (TSC) est une hyperbole. Je n’éprouverais aucun regret au cas où cette “théorie” serait avouée comme étant ce qu’elle est : son acronyme, une hypo-thèse… à démontrer. Il y a, certes, une théorie de la psychanalyse qui débouche sur une théorie du sujet
. Ces deux théories ne sont pas des systèmes clos et s’expriment sous la forme d’un discours toujours inachevé, qui s’enracine dans les avancés théoriques et pratiques de Freud et de Lacan, mais sans méconnaître les apports pertinents d’autres psychanalystes du monde occidental, comme ceux de philosophes tels que Milner, Zizek, Badiou, etc… Malgré ses dénégations, la soi-disante TSC ne laisse pas d’être une proposition post-lacanienne de classification rigide des sujets qui peuvent accéder au regard diagnostique d’un sujet supposé savoir, d’un supposé psychanalyste. Il y aurait trois structures et rien que trois, névrose, psychose et perversion qui ont été fixées par les théoriciens d’une des associations nées après la dissolution de l’EFP.

 

Le projet mis en marche cherche ses fondements et a la prétention de dériver cette ‘TSC’ (cette thèse) d’un hypothétique triptyque freudien qu’on aurait du mal à trouver dans les textes laissés par le fondateur de notre théorie et de notre pratique. Théories? La gravitation universelle, l’évolution des espèces, la psychanalyse, les essais pour une théorie sexuelle. Mais, TSC? On peut lire l’aveu dans des phrases comme : “Le concept de structure clinique se réfère immédiatement à la classification d’une maladie mentale, comme névrose, psychose ou perversion…” (je souligne) On ne pourrait mieux dire. Et, pour en finir, on fait d’elle: “la principale théorie psychopathologique de l’analyse lacanienne”.

 

La question du “triptyque freudien” est constamment rabâchée et fonctionne comme critère d’autorité permettant de “fonder sur le fondateur” la TSC, malgré le fait universellement connu et reconnu dans de ce que Freud n’a jamais mis sur un pied d’égalité ou d’équivalence la névrose, la psychose et les perversions.

Il y a, en vérité, un triptyque freudien clairement énoncé par lui dans “La perte de la réalité dans les névroses et les psychoses” (1924):

“La névrose ne dénie pas la réalité, elle veut seulement ne rien savoir d’elle ; la psychose la dénie et cherche à la remplacer. Nous appelons normal ou “sain” un comportement qui réunit certains traits des deux réactions, qui, comme la névrose, ne dénie pas la réalité, mais s’efforce ensuite, comme la psychose, de la modifier. Ce comportement conforme au but, normal, conduit évidemment à effectuer un travail extérieur sur le monde extérieur, et ne se contente pas comme la psychose de produire des modifications intérieures ; il n’est plus autoplastique, mais alloplastique…

 

III) PERVERSIONES

 

À propos d’une supposée « structure perverse » on trouve souvent des affirmations carrément  contestables et dangereuses pour la psychanalyse dans la mesure où elles mettent en avant une face que, pour la nommer, je prends le risque de néologiser en l’appelant : normoralisante.

Il est bien connu de tous que, dans la psychanalyse, on préfère parler ‘des perversions’ (au pluriel) que de ‘la perversion’. Freud a remar

qué dans son article de 1927 sur le fétichisme que l’interprétation analytique des cas montrait, sans exception, l’intervention du mécanisme de la Verleugnung de la castration féminine chez le garçon. Notons, en passant, que le mot ‘perversion’ n’apparaît dans aucune des lignes de cet article. Freud ne prétendait pas restreindre au fétichisme (encore moins aux perversions) la Verleugnung qu’il avait décrite avec une précision cristalline dans son étonnant article sur ‘La perte de la réalité dans les névroses et les psychoses’ (1924), et il aura à y revenir dans Moïse et la religion monothéiste ou, de façon encore plus manifeste, dans son article sur l’Ichspaltung (1938). Le démenti des hommes fétichistes n’est qu’un des multiples cas dans lesquels ce ‘mécanisme’ (je préfère la dénomination de : choix subjectif) entre en action. En principe, il faut se souvenir que la Verleugnung de la réalité est, pour le fondateur du discours psychanalytique, le ressort propre aux psychoses, un mécanisme obéissant au principe de plaisir qui consiste à rejeter la représentation de ce qui est désagréable ou douloureux. Chez Freud la notion de Verleugnung a eu, depuis 1924 et jusqu’à 1938, une “spécificité conceptuelle” qu’il a exposée de façon exemplaire mais non unique, dans son article de 1927. “C’est dans l’Abrégé de psychanalyse que Freud en donne l’exposé le plus achevé”, déclarent Laplanche et Pontalis. En se référant à l’article sur la perte de la réalité (1924), ils montrent et démontrent que la position freudienne est clairement distincte d’une quelconque TSC fondée sur des mécanismes spécifiques : “En tant que le déni porte sur la réalité extérieure, Freud y voit, par opposition au refoulement, le premier temps de la psychose : alors que le névrosé commence par refouler les exigences du ça, le psychotique commence par dénier la réalité”. L’article de 1927 n’y change rien: il ne fait qu’ajouter un exemple complémentaire. Quant à l’équation (Verwerfung  (du nom-du-Père) = psychose, qui pourrait nier qu’elle ne vient pas de Freud mais de Lacan? Pourquoi alors insister sur le “triptyque freudien”?

 

 

Il faut évoquer le travail si connu d’ Octave Manonni : Je sais bien, mais quand même…, texte incontournable pour l’intelligence de la vraie signification du déni, de la Verleugnung freudienne, dont l’application au fétichisme n’est qu’un cas particulier. Chez Freud la notion de Verleugnung a eu, depuis 1924 et jusqu’à 1938, une “spécificité conceptuelle” qu’il a exposée de façon exemplaire mais pas seulement dans son article de 1927. “C’est dans l’Abrégé de psychanalyse que Freud en donne l’exposé le plus achevé” (disent Laplanche et Pontalis) En se référant à l’article sur la perte de réalité (1924) ils montrent et démontrent la position freudienne clairement distincte d’une quelconque TSC fondée sur des mécanismes spécifiques: “En tant que le déni porte sur la réalité extérieure, Freud y voit, par opposition au refoulement, le premier temps de la psychose : alors que le névrosé commence par refouler les exigences du ça, le psychotique commence par dénier la réalité”. L’article de 1927 n’y change rien: il ne fait qu’ajouter un exemple complémentaire.

Il faut avouer que la psychanalyse est embarrassée par la perversion comme un poisson d’une pomme et qu’elle est forcée d’en appeler à toute une classe de dénégations si elle veut l’inclure dans son discours. Troisième patte du tripode? Normale, pathologique, morbide, civilisatrice, ordinaire, bienheureuse, malheureuse, civilisatrice, etc… ? Pourquoi ne pas s’en débarrasser tout simplement, en évoquant le souvenir de “la perversion polymorphe de l’enfant” et la considérer comme une conséquence, celle-ci vraiment structurelle et incontournable, de l’inexistence du rapport sexuel, perversión  qui a été reconsidérée comme “maladie” par la psychiatrie finiséculaire du XIX° et dégradée en paraphilie par la psychiatrie du XXI° siècle?

Au-delà de certaines interventions “normoralisantes” sur les homosexuels dans les premiers séminaires, Lacan a une position très précise sur les rapports entre perversion et normalité. Quant à Freud sa position sur la normalité comme une condition désirable ou “saine” se voit bien quand il propose so
n triptyque, tellement différent de celui proposé dans la TSC. Insistons sur la question de Lacan “Pourquoi il y a des pervers anormaux?” Lacan lui même répondait “En lisant les excellents bouquins de Foucault vous comprendrez pourquoi, premièrement, il y a des pervers normaux, deuxièmement, il y a des pervers considérés comme anormaux…. Si, à partir du moment où il y a des pervers anormaux, il y a aussi des gens pour les considérer comme tels, à moins que les choses soient dans l’ordre inverse” … “il faut partir du fait que la perversion c’est normal” … “… sans compter le discrédit sur le haut-clergé, pourtant bien connu pour être particulièrement expert dans ces pratiques,  que, de nos jours, il se croît forcé de dissimuler ces choses qui ne sont les signes que d’un rapport sain et normal aux choses fondamentales” (je souligne).  (XIII, 15/06/66).

Avec son “père-version, homophone de la subjectivité perverse”, Lacan était loin de généraliser une structure nosographique à tout sujet parlant. La notion de père-version apparaît ainsi comme un perle baroque dans la joaillerie structurale de Lacan”. Bien sûr, puisque dès le séminaire XX (p. 96), Lacan avait proclamé qu’il se rangeait du côté du baroque et contre “le règne aristotélicien de la classe, c’est à dire du genre et de l’espèce, autrement dit de l’individu considéré comme spécifié”, conception classificatoire sous-jacente à la TSC,

 

IV – POSITIONS SUBJECTIVES

Il convient ici souligner l’importance d’une sérieuse alternative à la « TSC », antérieure, à elle de quelques décennies et plus capable d’intégrer ce que nous pouvons constater chaque jour dans notre pratique sans nous éloigner de la théorie et de la pratique lacanienne. Je fais ici allusion à la conceptualisation des positions du sujet ou positions subjectives, un thème si présent dans l’enseignement oral et écrit de Lacan. L’antécédent, et nullement la copie ou l’adoption de ces termes, peut être retrouvé dans la bien connue proposition de Melanie Klein sur les positions schizo-paranoïde et dépressive (1934, 1946). Chez la “tripière”, comme l’a appelée Lacan, on a affaire, non à des structures immuables, mais à des positions variables du sujet dans la vie et dans la séance de psychanalyse, qui dépendent des circonstances, de la variable situation du sujet dans son rapport à l’autre et à l’Autre, de la recherche d’une réponse adéquate aux demandes et aux sommations qui proviennent du jeu des pulsions (instincts) et des défenses.

 

Je crois que, par exemple, la condition de l’Homme aux loups, sera bien mieux comprise en termes de “positions subjectives” telles qu’elles ont changé dans ses rapports successifs à sa sœur, à son père, au suicide des deux, aux médecins (Kraepelin en premier place), à l’infirmière qu’il a rencontrée dans sa clinique et de laquelle il resta amoureux tout au long de sa vie, à Freud pendant son analyse et après la publication du livre (“une névrose infantile”) qui avait fait son nom et assuré son passage à la postérité, ce Freud duquel il était fier et pouvait se dire l’élève le plus cher et qui lui a offert “le mythe fondateur de son existence” (J.-J. Rassial), aux otorrhinos qui furent consultés pour son hypochondrie nasale, à Ruth Mack Brunswick qui l’a pris en analyse à cause de cette hypocondrie teintée de claires manifestations délirantes, aux écrivains auxquels il pouvait revenir après le recouvrement de la capacité de lire des romans à l’issue du succès de l’analyse chez Mac Brunswick, à Judd Marmor, envoyée à son secours par l’IPA, à Fraulein Tini qui était sa nouvelle infirmière, aux psychanalystes de New York qui achetaient ses dessins de l’arbre à loups et aux journalistes qui avaient fait la découverte de sa vraie identité, jusqu’à sa mort, à 92 ans, en 1979. Est-ce que nous pouvons nous conformer avec une acceptation du “diagnostic” de “structure psychotique” selon le diktat de ces savants qui rencontrent la présence d’une forclusion par dessus le refoulement et du déni ? “L’étape du diagnostic est un acte de maîtrise” (encore Clavreul), une méconnaissance de ce qu’on ne connaît de l’homme que par son manque à être et par la parole où il en témoigne. Le “diagnostic”, tout “structurel” qu’il se veuille, entérine l’hypothèse du sujet supposé savoir. Le mieux qu’on puisse faire avec l’histoire de cet “homme aux psychanalystes” (Roudinesco) est de suivre la succession de ses “positions de sujet” tout au long de sa vie. Que pouvons- nous gagner avec l’affirmation selon laquelle il aurait présenté une “structure psychotique” (J.-A. Miller) pour la compréhension après-coup de son cas ou pour s’éviter les erreurs commises par Freud dans la direction de sa cure? 

 

Comment soutenir une T des SC fixes, immuables et définitives, sous-jacentes à son discours jusqu’à la fin de l’enseignement de Lacan et venir la proposer (après sa mort) comme fondée sur ses mots quand on peut encore entendre son discours: JE CITE  “Fou, pourquoi après tout Joyce ne l’aurait-il pas été? Ceci d’autant plus que ce n’est pas un privilège, s’il est vrai que dans la plupart des cas , le symbolique, l’imaginaire et le réel sont embrouillés au point de se continuer les uns dans les autres, à défaut des opérations qui les distinguent comme dans la chaîne du nœud borroméen.  Pourquoi ne pas saisir que chacune de ses boucles se continue dans l’autre d’une façon strictement non distinguée? Du même coup, ce n’est pas un privilège d’être fou”. (XXIII, 87) FIN DE LA CITATION — Ou, s’il en est bien ainsi, comment reprendre la discussion potentielle sur le diagnostic “structurel” qui aurait pu être posé sur le juge Schreber, s’il avait pu avoir des séances préliminaires avec un analyste lors de son 40º anniversaire ?

 

Le Pr. Sauvagnat a dit, quant aux buts de la psychanalyse: “Quand se pose la question d’un fonctionnement psychotique … un gain peut être obtenu en termes de modification de la position subjective, de l’écriture [nodale du sujet]”. Moi, je pense que ce qui est vraiment structurel, c’est l’extraction de l’objet a ; la conséquence en est que se manifeste le choix du sujet dans sa façon de se positionner face au manque, c’est à dire avec le sinthome, le sinthome qu’exige un “savoir-faire avec”: le père, une femme, un boulot, un hobby, un lobby, l’écriture, le psychanalyste, la recherche d’une Vérité quelconque, etc… On sait bien : “Tout est structure mais pas-tout est langage”. Absences obéissant à la structure, celle du langage : du rapport sexuel, d’un signifiant dans l’Autre, de La femme, du métalangage, tous déclarés, les uns après les autres, qu’il n’y en a. Ce sont les absences qui réclament l’ajout d’une quatrième boucle dans la chaine borroméenne ; successivement le nom-du-Père dans le symbolique (1974), le sinthome dans le réel (1975), l’ego dans l’imaginaire (1976). Trois quatrièmes boucles, 4, 5, et 6, si on donne les nombres indistincts 1 -2 -3 à l’imaginaire, le réel et le symbolique. Moyennant ces rapiéçages (on dit, suppléances) nous trouvons un vrai réseau, pas un catalogue, des choix et des réponses possibles au manque constitutif du sujet. C’est la modalité lacanienne de concevoir les positions du sujet et, corrélativement, les positions du psychanalyste au-delà de toute “structure clinique”.

 

Tel est l’authentique triptyque freudien : celui qu’il a exposé avec une clarté méridienne dans son article de 1924 sur la perte de la réalité. Dans mes propres te
rmes j’avance ma conception du triptyque (sans l’approfondir pour le moment) : Il s’agit des positions du sujet au regard du savoir et du discours, de sa place dans la structure structurante qu’est celle du langage. Il n’y a pas un meilleur terme pour l’en définir que le vénérable mot grec : nous qui peut être considéré comme l’équivalent de l’anglais mind ou le français esprit. Je vais vite maintenant mais je crois que les trois termes que je vais vous proposer, seront facilement assimilés par vous. Je parle d’un tryptique formé par les concepts de  ortonoïa, metanoïa et paranoïa. Ortonoïa: (comme en orthodoxie ou ortographe) le droit, l’accepté, la normale statistique. En termes de psychanalyse, la résignation à vivre en adoptant des positions subjectives orientées pour  le “malheur banal”, la soumission à la demande de l’Autre avec renoncement du désir. Exemples cliniques : Dora, petit Hans, la multitude intégrée à la majorité silencieuse.

 

La deuxième position subjective serait celle de la metanoïa : dont le discours est centré sur le désir, la volonté de changer ou de ne pas se soumettre à la convention, l’impulsion vers la transformation de la réalité et même la volonté de Jouissance, d’aller jusqu’au limites dans le chemin du désir de l’Autre. Dans les termes de Freud, ce serait la position « saine » d’acceptation de la réalité et de prise de position pour en changer cette réalité. On trouvera une multitude de cas paradigmatiques: Socrate, Saint Augutine, Coulomb, Galilée, de Sade,

Nietzsche, Oscar Wilde, Freud, Lacan, Herbert Graf, c’est à dire le petit Hans devenu régisseur. 

 

Il y a une troisième position qui rejette (verwirft) la réalité et la reconnaissance tant du désir comme de la demande des autres et de l’Autre, élude le désir et la demande de l’Autre en réveillant son angoisse. Le choix du sujet, dans ce cas-là c’est celui du renoncement au discours comme effectuation du lien social . C’est la Paranoïa . Il faudra se souvenir que le terme Paranoïa  était un vocable populaire et aussi philosophique dans la Grèce ancienne dont s’est emparé la psychiatrie à la fin du XIX° siècle (Kahlbaum). La paranoïa inclut ses manifestations prothéiphormes de dissotiation subjective et d’éclatement du sujet dans ces rapports aux autres et à l’Autre et aussi ce que les grecs ont consideré comme étant hors du sillon, c’est à dire délirants.

Hier soir le thésard quI avait écrit le savant essai en faveur de la théorie des structures cliniques, Miguel Sierra Rubio, pour le nommer, a proposé une définition  dirimante par référence au but de l’analyste dans la poursuite de la compréhension du sujet en demande d’analyse : dessiner une cartographie de la subjectivité désirante”, en tant qu’elle serait, selon moi, un réseau de repères pour le clinicien qui peut être fondé sur le graphe du désir, dont aucun des mathèmes ne fait la moindre allusion au discours médical et qui pose la question de ce à quoi confronte la rencontre analytique, quand elle se déploie dans les termes d’une éthique éloignée de toute ‘pathologie’

La ‘position désirante concrète’ invoquée est variable et dépend, non pas d’une structure étanche, mais du rapport du sujet aux autres et à l’Autre de son histoire, qui s’actualise à chaque instant de sa conjoncture vitale ou de la suite de son discours dans la séance de psychanalyse. C’est ce que nous apprend la clinique sous transfert, c’est l’interrupteur qui balise notre chemin dans la réponse que nous apportons à un sujet qui pâtit du signifiant et qui serait prêt à céder sur son désir.

Nous avons tout à gagner avec l’idée d’une cartographie de la subjectivité désirante, “référence éthique du psychopathologique” (en vérité, un changement de terrain de la psychanalyse: on passe de la médecine à l’éthique) ce qui constitue “une subversion face à la défaillance contemporaine dans l’appréhension du réel clinique”.  

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