NICE Robert Lévy "une approche psychanalytique de l'acte prostitutionnel"

Journée de Nice du 15 mars 2014

UNE APPROCHE PSYCHANALYTIQUE DE L’ACTE PROSTITUTIONNEL

Je pourrais commencer mon propos par quelques nouvelles du front .En effet dans cette guerre de Syrie qui dure maintenant depuis de nombreux mois , nous apprenons que le viol systématique et la torture des femmes de l’opposition à Bashar el Assad sont devenus ‘une arme de destruction massive’1.

Pourtant rien de très nouveau dans cette constatation puisqu’en d’autres temps déjà, la volonté de reconstruire une grande Serbie avait déjà conduit les troupes engagées dans ce projet à violer toutes les femmes et de plus, à laisser un enfant pour modifier jusqu’aux origines de ceux que l’on voulait annexer .

Alors quel rapport me direz-vous avec la prostitution, ou l’acte prostitutionnel ? Eh bien la question que pose l’acte prostitutionnel est celle-là même que pose tout viol .On peut ajouter à cette entrée en matière ,que l’on pourrait tout simplement savoir dans quels pays actuellement la guerre sévit en repérant l’origine des personnes prostituées dans nos villes. C’est à dire qu’il y a développement des réseaux de prostitution partout où le contrat social et la société civile n’ont plus leur efficacité …
Le malaise dans la civilisation n’est autre que le malaise inhérent au désir lui-même. Malaise dont la prostitution va servir de caisse de résonance en lui offrant un contenant, ou mieux encore, une façon de maintenir l’espoir que, par cet acte, le client va enfin pouvoir se réaliser, échappant dès lors à son manque, donc à son malaise.

C’est une façon d’expliquer pourquoi, l’existence de la prostitution ayant été depuis toujours bien admise, de ce fait ,elle serait considérée comme tout à fait normale ; thèse devant être réfutée parce que le temps ne justifie d’aucune logique de la normalité mais, en revanche, insiste plutôt sur le fait que la prostitution s’est toujours trouvée, à la place imaginaire d’offrir une alternative au malaise inhérent au désir, en s’achetant du sexe.
Si l’esclavage humain a été aboli, alors qu’il était soi-disant un mal nécessaire mais inévitable, on peut espérer qu’il en sera de même de la prostitution, car ses défenseurs utilisent très exactement le même discours que ceux qui, il n’y a pas encore si longtemps défendaient le maintien de l’esclavage.
Il m’a paru très étonnant que, dans le débat qui s’est instauré récemment dans notre société à propos de la prostitution et de son encadrement législatif, il n’ait été question que de l’aspect moral, éthique ou politique de la prostitution, comme si cet acte n’existait, en fait, que dans des théories dont on pouvait débattre, sans mesurer les effets cliniques que représentent ces pratiques sur le sujet ..
Un peu comme si on pouvait débattre de la prostitution sans les personnes prostituées ou plus tôt,seulement avec celles qui revendiquent de garder, hors société civile ‘ce qui se passe dans un lit ente deux personnes adultes et consentantes ‘, dès lors que‘ la rétribution est d’ordre privé .Nous surveiller et nous pénaliser est d’ordre privé.’
En effet, l’acceptation du mythe de la prostitution – selon lequel il s’agirait d’un travail comme un autre, ou bien qu’il existerait une prostitution volontaire – repose sur la même idée que l’on retrouve chez les violeurs ou les pédophiles :
« Elle l’a bien cherché, elle m’a accosté et a mis des vêtements pour m’aguicher »,ou bien encore « elle disait non, mais en réalité , elle voulait que ce soit oui ».
Il va s’en dire que le consommateur de prostitution va tenter de réaliser cette part maudite à laquelle ,seul son fantasme lui donne accès d’habitude et qu’il ne réalise, à d’autres moments qu’à travers le rêve, mais un rêve au réveil particulièrement générateur d’angoisse.
Le client de la prostitution croit pouvoir résoudre tout ce qui est de l’ordre du malaise inhérent à son désir : solitude, misère sexuelle, impuissance ; ou, plus banalement, petits extras fantasmatiques hors d’une vie familiale souvent bien rangée, permettant qu’il n’y ait aucun investissement amoureux par rapport à ce que serait une histoire extraconjugale avec une maîtresse ; liste à laquelle nous devons ajouter les perversions en tout genre qui trouvent là un cadre pour se réaliser.
La personne prostituée est, quant à elle, dans une position totalement dissymétrique ; ce n’est pas son fantasme qu’elle trouve à satisfaire mais plutôt l’effraction de son fantasme qui se répète à chaque nouveau client. On peut dire que, plus long est le temps passé dans la prostitution, plus forts seront les effets traumatiques produits chez la personne prostituée ; de la même façon, plus le nombre de clients sera important, plus les effets détériorant sur la femme seront importants.
La personne prostituée est donc à la place de cet objet supposé permettre aux intéressés de jouir sans contrainte, c’est-à-dire d’exercer une jouissance pulsionnellement hors du champ habituel qui régit notre société.
Dans cette mesure, la personne prostituée devient donc un objet délesté de ses caractéristiques humaines, réduite à une métonymie (ne se définissant que par son orifice), permettant dès lors d’être consommée  hors culture ,  c’est-à-dire déshumanisée.

Bien entendu il faut éclairer notre propos par la constatation que ceci n’est possible que par la particularité de la construction masculine du rapport à l’objet, nous savons tous que les femmes consommatrices de prostitution sont de l’ordre de l’exception.
Par conséquent, les personnes prostituées sont à la place de cet objet sexuellement consommable grâce auquel il est possible d’ assouvir ses pulsions, pulsions par essence déshumanisées ; qui ne trouvent à s’humaniser que grâce à une certaine forme de renoncement, grâce à la culture justement. Ce renoncement se construit par identification à l’autre, identification de par nature absente dans l’acte prostitutionnel .
Il faut également remarquer que, en dépit de l’attente de cette jouissance sans contrainte et malgré un discours massif sur l’absence de plaisir, même limité à l’éjaculation, les clients y retournent.
Le clientélisme tend ainsi à se construire pour une partie des concernés comme premier recours devant une difficulté de l’existence, et ce, indépendamment des évaluations posées sur les satisfactions antérieures. Une partie importante des clients est d’ailleurs consciente de la dimension illusoire de ce recours, alors qu’une autre partie décrit une dépendance avec le même vocabulaire que celui des toxicomanes, en soulignant dans l’aspect essentiellement psychologique de cette dépendance, la place centrale du déterminant que nous appelons “ les acheteurs de marchandises ”. La centralité de ce déterminant n’est pas étonnante au regard de la place importante de la pornographie que l’on peut repérer dans les trajectoires des clients. La banalisation et la diversification des images pornographiques ne sont pas sans effet sur l’image que l’on se fait de notre propre sexualité et de celle de l’autre sexe.
Un modèle est ainsi véhiculé qui a des conséquences ensuite dans les rapports sociaux de genre. Sans doute devrions-nous approfondir notre savoir sur les effets de la consommation pornographique sur les rapports sociaux.
Les analyses d’une étude récente soulignent également le caractère mutilé et insatisfaisant de la sexualité des clients de la prostitution. Il n’y a pas de nombreux clients heureux, mais des personnes souffrantes, tentant de combler par le clientélisme, un vide sexuel, affectif et amoureux. Ces mêmes personnes véhiculent cependant de
s images et des comportements porteurs d’une domination de l’autre. Mais rien de tout cela n’évacue pour autant que quelle que soit la forme de la prostitution, ce soit une activité dans laquelle une personne détient le pouvoir social et économique de transformer un autre être humain dans la mise en acte d’un fantasme masturbatoire.
Il faut donc entendre que les femmes prostituées font ,en fait, partie du grand ensemble des femmes : « mal traitées » qui le sont par les méthodes de contrôle et de domination qu’utilisent les proxénètes et les clients : contrôle économique, contrôle social, isolement, intimidation, dévalorisation de la femme.
De la même façon que les mauvais traitements des femmes dans le couple, la prostitution est quelque chose d’inscrit dans notre propre culture et souvent invisible au grand jour. Si on comprend ce qu’est un mauvais traitement domestique, on comprendra également nombre de mécanismes qui régissent la prostitution.
Les femmes prostituées font partie intégrante des femmes battues que l’on peut également considérer comme une forme de violence de couple dans lequel le conjoint, le partenaire n’est autre que le client ou le proxénète. L’acceptation du mythe de la prostitution est étroitement liée aux comportements coercitifs et violents dans le couple et une étude récente montre que les hommes violents et abusifs dans leur propre couple sont ceux-là même qui acceptent parfaitement la prostitution.
Tout comme chez les femmes battues dans leur couple, le mauvais traitement verbal, les insultes et les cris résonnent encore pendant pas
mal d’années dans la tête des femmes prostituées, bien longtemps après que leurs atteintes physiques aient été cicatrisé : je veux évoquer là , à propos des atteintes physiques,plus précisément, des violences corporelles et sexuelles (coups à mains nues, avec objets contondants, blessures par armes blanches, viols par les proxénètes et les acheteurs) dans la prostitution et la traite, et les violences verbales (menaces, injures,)
La première conclusion que l’on peut donc tirer de ces éléments c’est que l’acceptation culturelle de la prostitution permet et fomente elle-même la violence contre la femme, contre toutes les femmes et pas seulement contre celles qui sont prostituées.
Une fois ces éléments posés, il nous faut aborder l’effet produit par la prostitution chez les personnes prostituées qui souffrent de ce traumatisme très particulier qui consiste à avoir été mises à la place d’un objet sexuel consommable. Ce type de souffrance psychique n’est pas très loin des traumatismes causés par l’enfermement dans les camps de concentration ou par des tortures dans lesquelles les caractères d’humanité ont été éradiqués par des actes dont les conséquences sont la disparition des personnes elles-mêmes.
Les femmes prostituées présentent les mêmes symptômes que certains militaires de retour d’un conflit guerrier, mais également les mêmes symptômes que certaines femmes battues ou maltraitées dans leur couple. Avec néanmoins, la grande différence que, dans son écrasante majorité statistique, le ou la personne prostituée est quelqu’un qui a déjà subi un premier traumatisme sexuel infantile sous forme de viol, et/ou d’abus sexuel dans lequel bien évidemment l’inceste a une place très importante.
C’est pourquoi l’exploitation du corps des femmes, et a fortiori des enfants, est indissociable de l’inceste et du viol. Elle commence justement avec les enfants sexuellement abusés et se termine par la torture. Ce qui ne veut pas dire pour autant que tous les enfants abusés auront un devenir prostitutionnel.
C’est également pour cette raison que les symptômes psychologiques qui sont le résultat des incestes, des viols et de la prostitution sont très proches : disparition de l’estime de soi, haine contre soi-même avec automutilation, troubles de la personnalité, dissociation ; et, bien entendu, usage et abus de drogues en tout genre, à quoi il faut ajouter les dépressions, les angoisses et les phobies. Evidemment, ces derniers éléments sont des facteurs aggravant la négligence à prendre soin de son corps et de sa santé.
Les troubles psychologiques consécutifs à la prostitution potentialisent considérablement les troubles ou maladies à composante psychosomatique : dermatoses (eczéma, psoriasis), gastropathie (ulcère gastrique ou duodénal, reflux gastro-œsophagien), problèmes rhumatismaux.
On retrouve chez les personnes prostituées et les traumatisés de guerre la même culpabilité qu’éprouvent les enfants violés ou abusés. Entendons que, dans ce premier traumatisme, le traumatisme sexuel infantile, une initiatique imprégnation, pour ne pas dire empreinte, s’est faite, celle d’avoir été abusé, c’est-à-dire l’expérience d’avoir été déjà utilisé comme objet réduit à n’être plus qu’un sexe consommable.

Il faut insister sur le fait que ce premier temps va créer ce que l’on appelle une effraction du fantasme chez l’enfant en raison de la disparité des désirs en jeu : coté abuseur, il s’agit d’un acte génital adulte ; côté abusé , il s’agit d’être introduit à une sexualité adulte, alors que les repères sexuels dont l’enfant dispose, passent seulement par le fantasme ou la fantaisie souvent séductrice en effet, mais que l’enfant est en mesure de maîtriser en permanence dans sa tête.
Justement ce qui arrive à un enfant dans l’abus, c’est qu’il n’est plus en mesure de le maîtriser, puisque ce qui se passe lui est imposé par la force. Là encore, il y a dissymétrie des positions : l’adulte met en acte ses fantasmes dans le réel et l’enfant, en conséquence, rencontre l’effraction de son fantasme par ce réel dont il s’était protégé jusqu’alors. C’est cela qui est traumatique, au-delà de la question de l’acte sexuel en lui-même. Ce qui est imposé à l’enfant et à la personne prostituée, c’est le réel du sexe de l’autre qui n’a rien à voir avec ce qu’il (elle) avait pu construire dans son fantasme. C’est pourquoi on peut parler d’effraction du fantasme et dire que, ce qui fait traumatisme, c’est donc cette effraction et non pas tant l’acte en lui-même. C’est pourquoi on constate dans les deux cas le même syndrome post-traumatique.
Si j’insiste sur ce point, c’est que c’est cette même disparité entre les deux positions que l’on va retrouver également dans l’acte prostitutionnel. En effet, du côté personne prostituée, il ne s’agit même plus de fantasme ni de fantaisie, mais d’être dans l’impossibilité de s’identifier,à être réduite à un objet, réduite à un trou. Sauf à mettre en œuvre un processus d’annulation psychique, pour ne pas dire d’anesthésie, face à l’acte dont cette personne est l’objet ; processus très exactement identique à celui que l’on rencontre chez les personnes ayant subi des tortures ou bien encore chez celles sorties des camps de concentration ou d’extermination. Ces personnes souffrent donc dans une écrasante majorité de syndrome post-traumatique, associé souvent à un syndrome de dépersonnalisation dans lequel leur nom et leur identité disparaissent.
Elles souffrent aussi de syndrome dissociatif dont on peut dire qu’il était nécessaire comme système défensif contre l’horreur lors de leur enfermement.
La dissociation existant sur le plan psychique va se manifester aussi sur le plan physique, car on ne peut dissocier de manière contrôlée le ressenti physique de ce qui se passe dans la tête de la personne. Tous ces troubles perturbent le fonctionnement de la sensibilité corporelle des personnes prostituées. Le syndrome dissociatif se présente donc comme un mécanisme de défense qui permet également de ne plus ressentir physiquement ce qui n’est pas désiré.
Les manifestations physiques essentielles vont être
des troubles de la sensibilité à la douleur et aux sensations tactiles, troubles non organiques dus à la dissociation  » tête-corps « . Le seuil de la tolérance à la douleur chez ces personnes s’en trouve nettement augmenté par rapport à la moyenne de la population. Plus la situation prostitutionnelle se prolonge dans le temps, plus l’hypoesthésie va se transformer en anesthésie.
C’est également là que l’on comprend pourquoi la prostitution est si souvent associée à la prise de drogues ; drogues qui permettent la mise en œuvre de cette anesthésie, dont les conséquences psychiques sont, quel que soit le cas de figure, un processus de rupture avec la réalité qui, nécessaire à un moment donné pour supporter l’insupportable, obligera à des soins au long cours, pour que tout cela puisse revenir dans l’ordre de l’humain.
C’est pourquoi la personne prostituée ayant choisi de s’en sortir est une multi-traumatisée psychique et physique, chez qui on constate un grand nombre de troubles de la personnalité, du caractère et du comportement, et des syndromes persécutés très proches de ceux rencontrés chez les grands traumatisés de guerre.
Sur le plan médical, toute tentative de proposer des structures ou des actions de soins comme on le fait pour la population générale est vouée à l’échec : ces personnes n’ayant plus la possession pleine et entière de leur propre corps, le concept même de soin ne leur évoque rien.
En effet, le soin se donne à un être vivant, et si le concept de corps dynamique et de sujet disparaît, les concepts de soin et de santé disparaissent également. Ce qui n’est plus symbolisé n’est plus de l’ordre d’une accessibilité à la réalité.
Enfin, exactement à l’égal de ce que sont les problèmes des femmes battues, j’insisterai sur le fait que la prostitution est une forme de violence contre le genre et que toute violence physique est une violence sexuelle.
Par conséquent, il serait illusoire de penser que l’on pourrait passer de la prostitution à son renoncement en retrouvant simplement un travail et une vie normale. A cet égard, il s’agit d’un véritable problème de santé publique.
C’est sur ce point que les associations ont leur partie, à jouer dans l’accueil et le respect de la spécificité et de la singularité de la personne prostituée qui n’est comparable à aucune autre si ce n’est à celle de toute femme maltraitée.
                                                                                                    

 
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