Paris-Robert Lévy "Le temps de conclure"(6)
- A l’approche de la fin de ce séminaire sur l’inactualité de la logique de l’inconscient, il est peut-être temps de nous demander quels sont les effets de cet accueil de l’inconscient que l’on appelle l’écoute puisque cela a des effets au delà du divan. En d’autres termes, l’inconscient, pour autant qu’on s’y attache, aurait-il quelque vertu politique ?
Nous avons eu ces derniers temps des rencontres extrêmement intéressantes et passionnantes, à la fois avec des collègues italiens à Ravenne mais également avec des collègues du monde entier et en particulier Sud-américains Sla semaine dernière à Paris avec lesquels les actualités nous ont amenés à envisager cette question là d’une façon que j’ai trouvé très nouvelle. Un peu poussé par l ‘actualité politique de certain pays dont celle de l’Italie concernant la psychanalyse, mais pas seulement puisqu’au fond la question était de savoir si notre position d’analyste, nos institutions analytiques pouvaient être pensées ou envisagées comme étant de nature à produire quelques effets politiques.
La temporalité ou plus exactement l’inactualité de l’inconscient telle que Freud la présente : « Le souvenir, même non abréagi, s’intègre dans le grand complexe des associations, y prend place à côté d’autres incidents pouvant même être en contradiction avec lui, et se trouve corrigé par d’autres représentations ». Donc Freud nous indique que quelle que soit l’opération que l’on puisse effectuer sur la mémoire, le souvenir reste là en tant qu’il est porté par la lalangue. C’est-à-dire que ce n’est pas la peine d’aller chercher le souvenir, il est présent là où ça parle et dans ce qui se parle. Pourtant une philosophie diffuse qui explique les impressionnantes levées de boucliers qui ont accueilli au fil des années les tentatives d’acclimater en France les thérapies cognitivo-comportementales n’est plus de mise, et aujourd’hui les neurosciences ou la psychiatrie biologique tentent de nous faire enfin comprendre que le souvenir n’a que trop duré et que nul besoin est de lui attribuer une quelconque place dans la dynamique du sujet puisqu’il est plutôt inconvénient qu’avantage à toute option thérapeutique.
Mais au lieu que les bénéfices et les défauts de ces approches soient évalués de façon différenciée et pragmatique, elles servent à lancer un assaut contre les droits de la subjectivité et les valeurs humanistes des Lumières en réduisant l’homme à un comportement animal ou à une machine neuronale. La psychanalyse, inversement, a été présentée comme le dernier rempart contre le matérialisme et le «scientisme» anglo-saxons. Élisabeth Roudinesco, dans un pamphlet dirigé contre la psychopharmacologie et les «théoriciens du cerveau-machine», expliquait pourquoi : la psychanalyse échappe à toute évaluation objective de ses résultats car une telle quantification «réduit toujours l’âme à une chose». Mais la Psychanalyse et sa raison d’être en tant qu’inconscient seront perdantes face à ces coups de boutoir s’ils ne peuvent pas transmettre à la fois ce qui est de l’ordre de leur spécificité mais aussi ce qui est du ressort de ce que l’on pourrait appeler leur acte politique.
En effet c’est parce que « l’inconscient c’est la politique », comme l’affirmait Lacan le 10 mai 1967 dans son séminaire sur “La logique du fantasme” (inédit) que nous pouvons nous interroger sur ce que permet encore aujourd’hui la psychanalyse de préserver du côté du sujet.
Je crois qu’il y a là matière à considérer cette façon d’envisager le sujet, déjà, comme un véritable acte politique.
Au-delà de cette question, il est tout aussi impératif de nous interroger sur celle de savoir si nos institutions psychanalytiques dans leur mode de fonctionnement auraient, elles aussi, quelque ,politique ou plutôt quelqu’effet sur le lien social.
Pour ce qui concerne le sujet, il faut différencier la responsabilité du sujet d’une part au sens de l’inconscient, et d’autre part celle qu’il assume au sens ontologique, c’est-à-dire du sujet en tant qu’il aurait un choix philosophique sur son environnement. Ce sont deux conceptions du sujet tout à fait différentes et on peut se poser la question de la responsabilité en sachant qu’il ne s’agit pas de la même.
Bien évidemment, les associations psychanalytiques n’échappent pas à cette différenciation et conjuguent forcément ces deux occurrences puisqu’elles sont à la fois aux prises avec la nécessité qu’elles ne soient pas fondées contre l’inconscient et en même temps elles ont forcément affaire avec les quelques autres du socius ou de la Polis puisqu’elles relèvent d’organisations du type de la loi 1901.
En d’autres termes cela revient à interroger la dichotomie entre ce que j’avais déjà appelé l’irréductible singularité de l’acte du sujet de l’inconscient et les quelques autres de l’organisation sociale qui peut être de type démocratique ou autre. Cette dichotomie entraîne une tension qu’il n’est pas question de vouloir résoudre au risque de précipiter la psychanalyse ou bien du côté exclusivement démocratique, si on supprime l’irréductible singularité de l’acte, ou bien du côté de l’individualité si on supprime le rapport aux quelques autres. Je dirai donc que ce qui fonde l’occurrence possible de l’analytique dans une institution est cette tension.
Notre association s’est fondée sur l’idée que « si l’institution existe elle ne peut être autre que la cure elle-même », ce qui implique forcément un certain type, à la fois de responsabilité de l’acte du sujet de l’inconscient au un par un, et une responsabilité également partagée quant à la conception de l’institution : pas sans l’inconscient.
Je vous rappelle qu’Analyse Freudienne s’est spécialement fondée sur cette gageure de fonder en même temps au un par un et avec quelques autres dans un « nous » qui fondons « un par un ».
Je trouve que dans l’après coup de cette fondation et avec le travail que nous y avons produit depuis déjà une vingtaine d’années, il y a cette dimension de maintenir présente l’idée que ce qui est important pour la psychanalyse est cette tension entre ce qu’il en est du un par un dans son acte irréductible et ce qu’il en est des quelques autres. 
;Cette conception de l’acte a entraîné la nécessité de s’appuyer sur un tripode constituant une certaine forme d’interrogation permanente du désir d’analyste qui n’est pas à confondre non plus avec le désir au sens de celui de chacun aux prises avec ses pulsions et la dimension volontaire qui en ressort. Désir aveugle donc au sens freudien marqué par le caractère de la fatalité grecque.
Reste à déterminer en quoi et de quoi le sujet de l’inconscient serait responsable puisque nous savons que Lacan l’a maintenu contre vents et marées tout au long de son enseignement.
Ce sujet dépendant des lois du langage relève, dans la responsabilité qui lui incombe, d’une autre éthique.
Cette éthique a pour conséquence directe que le sujet de l’inconscient ne consiste pas à s’offrir à l’Autre comme sacrifice, ce que le sujet ontologique réalise très souvent ; il ne s’offre pas non plus comme idéal mais il doit répondre, et c’est là sans doute sa responsabilité envers l’inconscient, aux effets du signifiant voire même répondre de la structure.
Ainsi le désir d’analyste et le sujet de l’inconscient nous entraînent à concevoir une éthique, et par conséquent une responsabilité qui ne peut pas se fonder sur un quelconque idéal fut-il celui supposé de la Psychanalyse.
La première conséquence de cette conception c’est celle de la théorie, ou des théories du transfert et de la fin de cure sur lesquelles se fondent en général et à leur insu les institutions psychanalytiques. C’est également une question politique car quel type de lien social pourrait produire l’amour de transfert ?
En effet, la servitude volontaire est souvent le modèle qui implicitement se présente comme idéal institutionnel. Le maitre et son discours ne sont jamais loin et servent à la fois la cause de l’idéal et celle de l’esclave.
D’un autre côté une conception strictement égalitaire entre tous entraîne une dynamique certes fraternelle mais dans laquelle la jalousie, la frérocité des égaux ne peut que faire rage et régner en maitre.
Une autre position serait-elle possible, une autre position de lien social entre analystes donc ?
Nous avons fait ce pari à Analyse Freudienne en retirant notamment toute nomination à l‘issue du dispositif de la passe et en invitant les membres à travailler dans des dispositifs cliniques, qui eux-mêmes ne présentent aucune espèce de gradus quel qu’il soit, ce que l’on retrouve également dans la logique qui consiste à n’envisager qu’une seule catégorie de membre…
Il se peut donc que le transfert de travail soit d’actualité quant à induire un certain type de lien social entre analystes mais peut être même au-delà…Pourtant il ne faut pas que ce lien se réduise au strict déplacement du transfert sur l’analyste au transfert sur la théorie.
Ce positionnement d’Analyse Freudienne, dans une éthique liée plus spécialement au sujet de l’inconscient qu’au sujet ontologique, a-t-il des effets par rapport au champ social ? Pour répondre, nous ne pouvons nous appuyer ni sur la sociologie ni sur l’histoire mais sur la prise en considération de certains points vifs et critiques des analyses de chacun, et nous ne pouvons pas non plus penser les choses comme si rien n’avait changé depuis que Freud a écrit son Malaise dans la Culture.
La question serait donc la suivante : « en quoi la conception et le fonctionnement institutionnel d’une association psychanalytique on-t-ils des conséquences politiques?» Pouvons-nous à partir des différents modes sur lesquels s’est fondée notre association concevoir une politique de la psychanalyse face à la conception de la visée de la cure et donc à la visée du politique ?
Pour ce qui concerne la visée de la cure nous pouvons dire qu’avec cet aphorisme fondateur : « l’institution si elle existe n’est autre que la cure elle-même », l’institution ne peut être que ce qui résulte d’une cure ; institution ayant une seule catégorie de membres puisqu’il faut assumer les conséquences qu’il n’y a pas de nomination à la clef du dispositif de la passe. C’est un Principe auquel il nous faut ajouter que si l’analyste ne s’autorise que de lui-même et de quelques autres, par extension, l’institution ne peut pas non plus échapper au fait que l’institution ne peut également que s’autoriser d’elle-même et de quelques autres, à savoir celles que l’on rencontre dans l’Inter Associatif Européen de Psychanalyse et Convergencia mouvement pour la psychanalyse freudienne et lacanienne. Cette assertion nous indique que l’intention et l’extension sont les deux faces d’une même bande de Moebius sur laquelle circule de façon continue l’instituant et l’institué. Autrement, comment pourrait-on envisager différemment cet aphorisme fondateur que « l’institution si elle existe ne soit autre que la cure elle-même » ?
Par conséquent le lien social entre analyste qui en résulte est promu par la dimension du manque à être et non pas par la promesse de la jouissance d’une nomination enfin obtenue. C’est une position de lien social plus tôt inconfortable puisque au fond, rien n’est jamais acquis, si ce n’est dans l’éphémère de l’émergence du désir d’analyste à renouveler sans cesse dans chaque cure versus patient quand le désir s’annonce, mais également à entendre dans les différents moments institutionnels qui fondent l’institution, à commencer par la cure bien sûr …
Chaque membre de cette association pour la psychanalyse ne peut donc s’appuyer que sur sa propre parole qui peut émerger à divers moments des dispositifs utilisés pour ce faire et y compris dans les séminaires, groupes de lecture ou tout autre moment où des « quelques autres » peuvent entendre et à ce moment reconnaitre qu’il s’agit bien de quelque chose d’une émergence du désir d’analyste. Je crois que si notre protocole institutionnel a bien une fonction alors, c’est celle de recueillir ces éléments là où ils se produisent, sans exclusive, et surtout sans faire de hiérarchie du dispositif. Parce que dans ce cas, cela serait à nouveau de promouvoir un idéal dans l’institution dont découlerait une reconnaissance qui, même si elle est imaginaire, aurait des conséquences tout à fait fâcheuses.
Peut-on exporter dans le social ce type de lien ? Je crois que la réponse est oui ; mais c’est un oui qui suppose une vraie laïcité. Nous entendons par laïcité celle que confère une cure menée à son terme, c’est-à-dire une cure ayant assuré au sujet dans sa désubjectivation de s’affranchir de toute croyance fût-ce celle en la psych
analyse. Ce qui ne veut pas dire que l’on mette la psychanalyse au rebus… Cela veut dire que si la croyance à la fin d’une cure, se déplace uniquement sur la psychanalyse comme telle, alors ce n’est pas fini… La psychanalyse vient là en position d’idéal. Donc je dirais que l’on n’a pas gagné grand chose. Voilà une conception bien radicale pourtant il n’y a pas d’autre issue possible à ce qu’on appelle « politique de la Psychanalyse », si ce n’est être sans cesse à la place d’un « dire que non » à toute tentative d’instaurer de nouvelles croyances c’est-à-dire de ce que Freud appelle nouvelles Weltanschauung, nouvelle conception du monde. Qu’est-ce-que c’est qu’une croyance, si ce n’est une forme de conception idéale du monde.
Nous voyons bien que ce XXI° siècle s’engage délibérément vers le retour d’un certain nombre de Weltanschauung et en particulier du religieux et du communautarisme ; c’est peut-être sur ces manifestations que la psychanalyse peut encore avoir quelques effets politiques puisqu’elle est la seule à pouvoir rendre compte du réel autrement que par une croyance en la divinité. Ainsi nous avons répondu par avance sur la question de l’analyse laïque puisqu’ il n’y a de laïcité que celle que nous pouvons admettre lors d’une analyse menée à son terme ; par conséquent la question de l’analyste laïc ne peut être réduite à la celle de savoir s’il est médecin, psychologue ou rien du tout puisque ce qui compte c’est de savoir quelle laïcité il a pu acquérir dans sa propre analyse, seule garantie pour que son désir d’analyste ne soit plus un désir comme tout autre, au sens de la pulsion, mais une fonction…
La question est bien compliquée car nous ne devons pas « passer le Rubicon » c’est-à-dire que nous ne pouvons pas avoir de Weltanschauung, de conception du monde, en tant qu’analyste. En revanche, nous pouvons avoir une conception du sujet de l’inconscient, celle que nous venons de développer, qui nous porte par exemple à soutenir que l’on doit se débarrasser du DSM puisqu’il est une machine à éradiquer le sujet de l’inconscient dans sa façon de ne plus envisager l’individu que dans ses comportements. De la même façon nous ne pouvons que condamner comme le fait Laure Murat, historienne invitée lors des dernières assises de la Psychiatrie à Villejuif, qui dit ceci : « Le plébiscite exclusif des sciences cognitives et comportementales du Troisième Plan Autisme me paraît comparable à ces oukases officiels en ceci qu’il impose une orientation scientifique qualifiée de seule « positive », et limite ainsi la recherche c’est-à-dire l’appauvrit. Après la proposition de loi du député UMP Daniel Fasquelle, en janvier 2012, appelant à une interdiction pure et simple de la psychanalyse dans le traitement de l’autisme, il est très regrettable que soit entériné si vite ce qu’il faut bien appeler la victoire d’un lobby, au mépris des règles élémentaires qui président à tout travail intellectuel. »
Pour terminer, je voudrais dire que notre pratique de l’inconscient ne peut que nous engager à transmettre en quoi l’acte analytique est toujours politique ou bien c’est la psychanalyse comme telle qui disparaitra ; non pas parce qu’elle aura été éradiquée de l’extérieur mais parce qu’elle aura succombée aux résistances des psychanalystes eux-mêmes à son égard….
C’est ce que je voulais vous dire en conclusion, très momentanée, du séminaire de cette année où je crois que l’inconscient et sa temporalité nous mène à envisager finalement des questions très politiques.
Alors évidemment, c’est un peu compliqué dans tout cela de ne pas adopter une position militante. Car bien évidemment, qui dit militantisme dit aliénation. Donc en fait, il y a un chemin extrêmement étroit auquel nous convie la psychanalyse et je crois que Freud et Lacan aiment à penser les choses de façon ni croyantes ni militantes ; mais à une place où l’on puisse accueillir de l’hétérogène et qui permette que cet hétérogène ne soit pas recouvert par les différentes formes d’atteinte au sujet comme celles auxquelles on est en train d’assister plus actuellement qu’à d’autres moments. Même si cette forme d’atteinte a toujours été présente…
Chantal Cazzadori : Cette laïcité me fait associer au passage du désêtre. Dans le temps, en psychanalyse, il y a quelque chose qui fait que tout « fout le camp ». Il y a comme un vertige et une solitude qui font que l’on ne sait plus en quoi on croit et que cette façon de tarir tous ses idéaux, d’être dans cette espèce de finitude existentielle, est un moment que je trouve assez dangereux pour la personne Et effectivement c’est difficile quand on le traverse mais c’est aussi difficile quand on accompagne quelqu’un. Je pense que c’est vraiment le passage obligé pour arriver à se soutenir de sa parole.
Robert Lévy : La question qui se pose à la suite de ce que vous évoquez, et que je vous remercie d’avoir construite de cette façon, est celle de savoir si, à la suite de ce passage-là, cela entraîne un nouveau type de lien social. A la fois entre analystes et par extension aux quelques autres
C.Cazzadori : Oui c’est heureux… de faire avec son symptôme, de faire avec le symptôme des autres… Autrement on reste sur une île déserte. Je cois que c’est important de retrouver des amitiés, des gens que l’on a rencontrés et que l’on peut fréquenter à nouveau parce qu’on est passé par là, dans quelque chose qui n’est plus de l’ordre du « tout ou rien ».
Chantal Hagué : Mais il y a toujours un moment, sur le divan, où l’on se dit qu’on a l’impression de ne plus pouvoir parler qu’ à des gens qui ont connu l’analyse…Et on ne sait pas en dire plus…
R. Lévy : Eh bien si, il faut en dire plus ! Qu’est-ce que c’est que ce dire, disant qu’on ne peut plus parler qu’à des semblables…
C. Hagué : C’est-à-dire qu’à ce moment là, on ne sait pas exactement ce qu’il y a, mais on sait qu’il y a une différence…
Françoise Fabre : Je me suis trouvée dans une assemblée pour une discussion apparemment banale et, parmi tout ces gens,
je repère les gens qui ont fait une analyse. On se repère entre nous.. Les autres ne se rendent pas compte…Il y a un type de lien social faisant que l’on va paraître comme les autres semblables mais on va repérer ceux qui, finalement, sont moins dupes de leur inconscient… C’est quelque chose comme cela.
C. Delarue : Je suis d’accord avec ce que tu dis, bien-sûr, mais je trouve que justement, au niveau du politique cela pose problème parce que si la psychanalyse est la seule qui peut rendre compte du réel, du mythe, indépendamment de la réalité du militantisme du communautarisme… Lorsqu’on parle du réel, de rencontre du réel, je me demande si cela peut se faire en dehors de la cure elle-même. Parce qu’on voit bien, dans une association analytique, comment déjà on suppose que tout le monde a une expérience analytique et pourtant on y entend des différences, des points de rencontre etc. Ce qui fait que lorsqu’on n’est plus dans le champ analytique, je voudrais bien que l’on m’explique comment on peut rendre compte, en tant qu’analyste, de ce réel, justement dans des milieux qui ne sont pas analytiques…Tous les soubresauts sociétaux qu’il y a eu actuellement montrent combien les psychanalystes, au demeurant fort honorables dans le milieu analytique, ont dit un certain nombre de bêtises qu’ils auraient mieux fait de taire.
R.Lévy : Je suis bien d’accord avec vous…Vous savez combien je ne soutiens absolument pas les prises de paroles au nom de la psychanalyse. Ce n’est pas de cela dont je parlais…
Catherine Delarue : Il y a là, une réelle difficulté parce que nous sommes sollicités et en ce qui me concerne, je pratique l’esquive car je trouve que c’est très compliqué… Ou bien on risque de tomber dans un discours de psychanalyste, posant l’analyse comme une référence d’ un concept de l’ordre de l’idéal, ou bien on essaie par d’autres voies un petit peu plus subtiles en passant éventuellement par des repérages cliniques… Là du coup, j’ai remarqué récemment que ça en fait entendre quelques-uns et on me renvoie qu’on ne parle pas comme tout le monde…Que l’on parle un peu différemment en passant par ces détours-là. Voilà, comment ce réel dont la psychanalyse peut rendre compte peut-elle en rendre compte en dehors de la cure…
Marcel Rockwell: Je voudrais rebondir avec l’idée de « désêtre » évoquée tout à l’heure, ce qui est presque d’ailleurs ce que tu évoques Robert, d’un lien social particulier si ce n’est communautaire… Justement il me semble que c’est un danger et c’est peut-être ce dont parlait Lacan en disant que le psychanalyste a horreur de son acte. Qu’il n’y a peut-être jamais de moments où l’on soit certain d’avoir passé sans avoir à repasser par ce moment. C’est-à-dire que c’est un moment fragile et évanescent. Que ça n’établit pas un lien social nouveau. Ce que l’on peut constater dans la vie courante… C’est peut-être cette résistance de la psychanalyse au psychanalyste et vice-versa, cet autre type de tension qui permet de ne pas être dupe, sans être dans la croyance et en même temps de maintenir quelque chose d’ouvert à l’autre dans cette histoire… Parce que sinon on tombe, en effet, sur le texte au sens religieux du terme.
R.Lévy : Je pense que c’est une des formes, précisément, du retour du religieux dans les institutions analytiques. C’est-à-dire mettre le texte à la place de la croyance. Essayer d’aller au plus vrai de la vérité du texte, on sait bien que c’est une des tendances possibles dont voit bien combien dans ce retour à la vérité du texte il y a quelque chose qui fait aussi retour à une forme de religieux. C’est assez compliqué, en effet, tu as raison…Mais par exemple, je ne crois pas que toutes les institutions analytiques soient équivalentes. Je pense qu’elles se fondent et qu’elles fonctionnent sur des modalités extrêmement différentes les unes des autres. Ainsi, je me demande dans une institution analytique dans laquelle il n’ y aurait aucun gradus donc aucune reconnaissance d’un type de lien social adossé au phallus, parce que la reconnaissance est forcément quelque chose qui à avoir avec une phallicisation à un moment donné et qu’on le veuille ou non d’une position, quel type de lien social pourrait être pensé sur une modalité non phallique de la reconnaissance. C’est une façon de poser la question de savoir s’il y aurait une possibilité de lien social à partir d’une autre jouissance et pas sur la jouissance phallique précisément. C’est assez révolutionnaire comme idée après tout… Parce que, au fond, on voit bien que les institutions se créent et disparaissent dans les modalités de positionner à la fois le totem, le phallus et le père au centre et on le tue, on recommence, on passe à un autre etc. C’est la forme la plus habituelle de modalité où la démocratie vient mettre une certaine forme de régulation mais qui n’exclut pas la possibilité du retour à une forme de religieux. La démocratie est impuissante à faire un quelconque barrage au grignotage petit à petit de ce que l’on voit actuellement par l’accentuation et le développement de tous les communautarismes et de ce à quoi on assiste également dans toutes les religions, en France notamment, d’une espèce de retour aux fondamentaux, au fondamentalisme. Et je ne crois pas que la démocratie soit en position d’y mettre un certain barrage. Voire même, elle est forcément pervertie face au retour du religieux. On voit bien comment les débats sur le port du voile, sur la laïcité, à un moment donné sont complètement retournés dans et par l’idée même du démocratique: « vous n’êtes pas démocratiques puisque vous ne me laissez pas porter le voile, puisque vous ne voulez pas permettre que la laïcité républicaine, à savoir le respect des religions puisse se développer tranquillement». C’est quand même une des façons de pervertir la démocratie.
F.Fabre : La démocratie laïque !
R.Lévy : Bien évidemment
F.Fabre : Ce n’est pas au nom de la démocratie mais au nom de la laïcité.
R.Lévy : Au nom de la laïcité mais la démocratie a quand même quelque chose à voir là-dedans puisqu’elle ré
;gule, en principe, ces modes de tension.
Serge Sabinus : La laïcité sur le mode de la république puisque le fondement du républicain est quand même la séparation de l’église et de l’état.
R.Lévy : Oui et l’on voit bien que ça ne marche pas du tout. C’est sous couvert du respect de la démocratie et de la laïcité que l’on revendique de porter le voile. Il y a certes un effet pervers mais ni la laïcité versus républicaine, ni la démocratie ne sont en mesure de trouver une position dans cette situation.
C.Delarue : Cette question du voile par rapport à la différence des sexes est une façon de camoufler, d’escamoter la question du réel. Alors, justement, comment fait-on avec ce réel hors du champ de l’analyse lorsqu’on est dans le lien social ou politique ? Je reviens à cette question-là…On voit bien que c’est loin de fonctionner
R.Lévy : C’est la question…
Radjou Soundaramourty : Je voudrais revenir sur ce thème de « laïc ». Quand on parle de laïcité, certes c’est d’actualité aujourd’hui, la laïcité de 1905 en France, mais c’est aussi le texte de Freud : « The Laienanalyse ». Certes dans ce terme laïc il s’agirait de s’affranchir de toute croyance mais il y a aussi autre chose à savoir que si l’on regarde le Petit Robert on trouve « laÏcos », donc de « laos » : peuple, qui s’oppose à « clericos ». Il y a des juridictions religieuses et des juridictions laïques. Quand on parle de séparation de l’église et de l’état, on peut aussi entendre église comme groupement d’appartenance…Dans ce texte de Freud, lorsque c’est traduit par profane ou par laïc, il s’agit en fait de deux acceptions du laïc. C’est-à-dire que cela s’oppose aussi au clergé, à savoir ce groupement qui est aussi du coté du pouvoir et quand on parle de politique de de la psychanalyse, il y a la question toujours centrale du pouvoir et donc de ces groupes d’appartenance qui se posent dans la société comme institués et comme défendant un certain ordre. Freud s’est positionné clairement du coté du laïc contre l’ordre médical et lorsqu’on regarde ce qui se passe en Italie, ce qui se développe est l’Ordre des psychologues. C’est une plaie cette affaire là : l’Ordre des psychologues. Nous n’avons pas cela en France mais en Italie, ils imposent des dénonciations ! C’est-à-dire que tout regroupement institué qui est du côté d’un pouvoir, d’une doxa instituée qui vient dire le vrai, certes on rejoint la question de la croyance mais c’est surtout la question du pouvoir et de l’identification à un certain pouvoir. C’est un point très important et c’est aussi une question qui se pose aux sociétés des associations analytiques. En effet, on n’est pas loin de la question de la croyance. A partir du moment où il y a une doxa, à partir du moment où il y a un discours du maître ou une servitude volontaire, je pense que dans les associations analytiques, c’est plus présent que dans n’importe quel groupement à cause de la question du transfert. Parce que dans le transfert, il y a une suggestion avant qu’il puisse y avoir quelque chose d’une séparation vis à vis de cette aliénation. C’est ce que l’on retrouve dans tout transfert et c’est bien le problème dans les sociétés analytiques, cette question du pouvoir et du risque de cette déviation du coté du cléricos et donc de l’ordre.
R.Lévy : A cet égard, Freud n’a jamais cédé un pouce au pasteur Pfister, dans les très longues conversations écrites qu’ils ont pu échanger, ce qui est tout à fait d’actualité, Freud reste donc dans la même position jusqu’au bout, à savoir qu’il tient à la laïcité de la psychanalyse dans tous les sens que vous avez développés y compris sur le fait qu’il n’est pas question d’y mettre quelque croyance que ce soit. Je pense que c’est un point tout à fait important et intéressant qui nous sert peut-être à envisager une des questions que pose cette problématique.
Geneviève Taieb : Je n’ai pas bien compris la question de ta dernière phrase où tu disais « notre pratique de l’inconscient ne peut que nous engager à transmettre en quoi l’acte analytique est toujours politique ou bien c’est la psychanalyse comme telle qui disparaitra ; non pas parce qu’elle aura été éradiquée de l’extérieur mais parce qu’elle aura succombé aux résistances des psychanalystes eux-mêmes à son égard… » Je pensais à l’intervention d’Elisabeth Roudinesco du groupe des 39 et qui consistait à dire que finalement les psychanalystes étaient responsables de l’attaque qu’ils subissaient parce qu’il n’étaient pas suffisamment montés au créneau et n’avaient pas assez pris le pouvoir dans différents sujets d’actualité. Aller rivaliser avec les instances politiques, en quelque sorte aller les infiltrer pour prendre le pouvoir. Je me disais que c’était une conception assez particulière de la politique et de la défense de la psychanalyse, voire une position pour le coup très phallique.
R.Lévy : Mais c’est Elisabeth..
Geneviève Taieb : Ce sont des choses que l’on entend quand même… Et quand on voit les politiques de certaines associations analytiques, il y a, je pense, cette dimension là, que cela se passerait au niveau de la politique mais au sens de parti politique. On peut aussi penser que la politique est autre chose que d’aller dans des partis politiques, cela peut se passer ailleurs. En tout cas, si on pense que l’on peut compter sur les psychanalystes pour qu’il y ait des changements dans le lien social ce n’est pas très bien parti parce que c’est une poignée de personnes. Je pense que cela serait une position élitiste de dire que les psychanalystes ou ceux qui sont passés par une analyse sont ceux qui auraient une certaine expérience.
R.Lévy : Ce n’est pas ce que j’ai dit !
G.Taieb : Oui. Cela pourrait être quand même quelque chose qui dévie de ce coté là
R.Soudaramourty : Oui, mais la question du fait de parler de l’intemporalité de l’
inconscient, il y a la question de l’universalité de l’inconscient aussi. Donc qu’il y ait des psychanalystes ou pas, il y a toujours eu des artistes ou d’autres pour parler du réel c’est-à-dire pour parler de quelque chose qui ne soit pas réduit au conscient. C’est précisément de cela dont il s’agit d’approcher dans cette torsion conscient/inconscient. Il y a sans doute des régimes totalitaires, et le totalitarisme peut être aussi une idéologie tout à fait néo-libérale, servie par des laboratoires pharmaceutiques, par un DSM qui vise à appliquer de manière systématique et partout une certaine pédagogie, oui mais ça existe partout, dans d’autres systèmes totalitaires aussi… L’inconscient, la psychanalyse, les artistes… Tout cela ne faisait pas bon ménage…Tous les régimes qui brulent des livres quels qu’ils soient, viennent bien dire de quel côté ils sont…
Jean Jacques Leconte : La réflexion qui me vient est que cela manque de sexe tout cela…La notion de sexuel est quand même lointaine dans tout ce que l’on évoque…Le sexuel dans la cure bien-sur…On a bien du mal à élaborer toutes ces questions notamment celles de l’intension et de l’extension. Et je me pose des questions sur la fin de la cure, l’état du transfert dans la cure qui se reporte sur le transfert de travail. Hors ce transfert de travail est complètement inanalysable ! A partir de là, commencent à se poser les problèmes dont on ne voit pas comment on peut se sortir. Parce que j’ai l’impression qu’après avoir fait mon analyse, je me suis donné l’illusion de la poursuivre avec le transfert de travail. Or je me rends compte que c’était une illusion. C’est comme si on perdait un peu le rapport à l’inconscient dans le transfert de la cure…Alors comment y revenir ?…Chacun trouve des solutions…
C.Hagué : Mais quand tu dis que ce n’est pas interprétable, d’un autre côté est ce que ce n’est pas ce qu’on appelle instituant dans une association, quelque chose qui est du côté de l’interprétable justement.
JJ.Leconte : Pour moi non, cela donne l’illusion de l’interprétable.
C.Hagué : C’est le sujet qui interprète…Dans un dispositif clinique, il y a des lapsus, des formations de l’inconscient, il peut y avoir un trait quelquefois et cela sert un peu à interpréter dans d’autres dispositifs de l’association peut-être aussi…Je me demande si ce n’est pas cela que l’on appelle l’instituant…
R.Soundaramourty : J’entends bien ce que dit Jean-Jacques, on s’en rend compte encore récemment dans le dispositif du Trait du cas ou Equinoxe ; il y a deux jours nous en parlions encore, à savoir que le transfert, c’est de l’amour ! Et dans le transfert de travail il y a aussi cette dimension là sauf que même si « l’institution n’est autre que la cure elle-même », ce n’est pas un dispositif de cure. Donc cela à ses limites. Même dans les dispositifs, en extension il y a un certain nombre de choses qui peuvent se rencontrer, cela à ses limites… Et s’il y a quelque chose à emprunter c’est peut-être justement retourner sur un divan.
J.J Leconte : Freud dans Analyse finie et infinie dit des choses extraordinaires que nous savons tous… Il dit que de toute façon, l’analyse, la première analyse, est toujours incomplète, très insatisfaisante et là avec ce bagage rudimentaire, on doit se débrouiller… Il y a des cures qui sont très difficiles… C’est comme si sa conception de l’analyse était du côté de l’analyse infinie… Il dit qu’il faut y retourner tous les cinq ans…C’est un peu simple peut-être mais c’est comme si, dans le fond, cela ne se terminait jamais ! La résolution du transfert, je ne vois pas quand elle a lieu…Et à mon avis, on transfère jusqu’au dernier jour parce qu’il n’y a pas que la cure analytique ! On transfère sur la littérature, sur la musique, sur le théâtre, sur la culture etc. Donc c’est sans fin…
F. Fabre: Quand tu mets le mot transfert dans tous les registres comme équivalence de l’amour, il ne s’agit pas d’éradiquer l’amour ! Si ça se porte sur tous les registres dont tu parles, il se porte ailleurs ! Les capacités d’amour se portent ailleurs…
J.J Leconte : Mais à condition qu’elles puissent déjà se porter déjà dans la cure, ce qui n’est pas toujours évident.
R. Soundaramourty : Il y a une autre question : est-ce qu’on est amoureux de la même façon après une cure analytique ?
R. Lévy : C’est exactement cette question là qui me semble la plus aigüe parce que, en effet, si quelque chose peut chuter justement de la supposition que l’on prête à l’autre, cela veut dire quand même que c’est un point de chute radical pour toute autre forme d’amour. C’est-à-dire que je ne crois pas que l’on puisse envisager de la même façon s’aimer ou être aimé après cette expérience-là. Je crois qu’il y a quelque chose qui a des conséquences sur la question même de l’amour. A la fois le transfert c’est de l’amour mais justement, une cure entraîne des conséquences sur l’amour en tant que tel pour un sujet.