Pas tout est permis. Mercedes Baudes de Moresco
Pendant les dernières époques de Freud (« Analyse terminable et interminable »), les résultats de l’analyse étaient dépendants de quelques facteurs tels que par exemple l’intensité pulsionnelle, les altérations du moi et l’influence des traumas.
Si l’on ajoute les carences structurelles qu’aucun type de domination du moi n’a réussi à dompter, « l’adaptation à la réalité » comme la fin de la cure est devenue un objectif insoutenable (même si dans certaines périodes il a été considéré comme valable, en particulier par l’école américaine).
Les effets de l’insatisfaction pulsionnelle étaient toujours présents.
Et si on ajoute à cela la répétition comme fait de structure, il n’y aurait alors pas de cure, si l’on considère qu’elle se répète sans cesse, quoiqu’avec des différences.
Aussi bien Freud que Lacan parlaient de « rectification », Freud du « processus de refoulement originaire » et Lacan des relations du sujet au réel (dans « Variantes de la cure type »).
Il est très intéressant de nous demander si l’originaire ou seuls les bourgeons peuvent être « rectifiés ». Ceci aura des conséquences pour ce que nous appelons structure et pour ce que nous considérons comme répétition.
Lacan nous rappelle que l’origine est logique, parce que le refoulé « ne se supporte, n’est écrit qu’au niveau de son retour » (Lacan 1966. « La logique du fantasme »).
Et la direction de la cure ne peut oublier que la structure du sujet comme sujet de la parole se constitue à partir et seulement à partir de ses carences, de ses manques. Donc, aucune « cure » ne saurait envisager de combler ce manque, mais de trouver ces manifestations et faire peut-être quelque chose avec cela.
C’est-à-dire un PAS TOUT.
QUELQUES PRÉCISIONS
Il est possible que le manque de responsabilité face à ce qu’on fait dans le processus de la cure, ou à ce que signifie « cure », s’il s’agit d’une thérapie, d’une psychothérapie, d’une psychanalyse ou d’un traitement pharmacologique ou psychiatrique, n’est pas clairement distingué entre les uns et les autres.
Je ne sais pas s’il l’a été auparavant, mais je sais qu’il ne l’est pas maintenant.
La cure suppose qu’on est malade, dans la médecine, et suppose aussi les moyens, les méthodes et les statistiques et constatations qui sont effectuées en quête d’une réponse permettant de soulager la douleur, la souffrance.
Mais dans la psychanalyse, nous ne qualifions pas les analysants de malades.
Par ailleurs, nous nous considérons névrotiques comme eux, comme tous, au mieux, mais nous ne pouvons jamais nous placer du côté des idéaux à copier et à répéter.
Une autre différence importante c’est que nous sommes censés avoir appris à perdre et à nous perdre, dans le passage obligé et nécessaire par une analyse préalable (avant d’exercer notre fonction analytique) et qu’on suppose que nous poursuivrons notre quête et interrogation par tous les moyens possibles.
Initialement, toute thérapie ou intention de cure était de nature religieuse et les médecins qui soignaient étaient des « sorciers » ou des prêtres.
Dans les cérémonies du N’Döep en Afrique et du vaudou haïtien on réalise des rituels religieux qui impliquent le culte des esprits. Il s’agit de rites d’initiation qui amènent à la guérison par un processus de mort et renaissance visant à réintégrer le malade dans son milieu habituel. Et ils réparent le manque en nommant l’esprit qui a possédé le malade (tentative de symbolisation et de nomination) et le corps devient le personnage principal de cette agonie. Il est important que le rituel soit effectué en présence de témoins et en groupe, où les assistants participent avec des chants ou paroles rituelles.
Les pratiques primitives demeurent encore aujourd’hui ; outre celles qu’on vient de mentionner, on peut citer l’umbanda et les exorcismes, les « constellations familiales » qui sont à la mode, même si cette méthode ne se ferait pas appeler « primitive » parce qu’elle est pratiquée par des psychiatres et des psychologues, en plus de personnes qui n’ont aucun diplôme universitaire, mais je la place ici en raison de son mode opératoire.
Les constellations familiales impliquent les ancêtres de chaque participant, qui constituent un ensemble silencieux du groupe familial, et chacun adopte des gestes ou des postures lui permettant de se réconcilier avec les morts, de dire ce qui n’a pu être dit au moment opportun, de modifier une relation difficile ou se libérer des pressions.
Tout en un. La cure serait faite. Et s’il en reste encore quelque chose, il y aurait une date proche pour effectuer la constellation de membres de la famille en présence de témoins.
Il semble que…. TOUT PEUT SE FAIRE ou tout guérit.
La méthode de Hellinger, systémique et transpersonnelle, le rêve éveillé dirigé de Desoille, les mélanges de Jung et ses archétypes, l’abréaction, la catharsis du psychodrame et le spiritisme, sont-elles des opérations qui purifient ou « guérifient » grâce à l’efficacité d’exposer le drame devant les autres ?
Ou une jouissance néfaste parce que le symbolique est effacé et ne donne lieu qu’à l’exaltation et au débordement.
Freud a compris rapidement que la suggestion délibérée et l’hypnose utilisées comme technique thérapeutique ne donnaient pas les résultats attendus sur le long terme (même si au début elles semblaient captivantes, et vraiment l’étaient).
Mais, justement, il est très difficile de se soustraire à la jouissance et tous n’étaient pas et ne sont pas Freud. Quelques pratiques deviennent importantes, mais la psychanalyse reste incomprise dans une sphère éloignée et revêtant des aspects défavorables.
Nous savons déjà quelles sont et nous avons maintes fois signalé les différences avec quelques autres pratiques de guérison et Freud a lui-aussi pris soin durant plusieurs années de travail inlassable de les démontrer.
Il a également assumé la difficulté de la psychanalyse pour chercher cette cure par la parole, qui ne rend pas compte de la souffrance humaine ou n’y donne aucune réponse, bien qu’il y ait la « rectification », les changements, les mouvements et le soulagement de la douleur d’exister.
Alors : PAS TOUT EST PERMIS
La psychanalyse travaille avec des signifiants comprenant l’histoire, le mythe, la construction, l’élaboration et l’intervention, pour n’en citer que quelques différences.
La fin des certitudes que propose la psychanalyse n’est pas un relativisme qui débouche sur le « tout peut se faire ». Au contraire, elle nous rend responsables de ce que nous faisons, de ce que nous ne faisons pas et de ce que nous croyons faire.
Quand Freud demandait à ses patients d’imaginer un voyage en train et de lui raconter tout ce qu’ils voyaient par la fenêtre, en plus d’établir la règle fondamentale (rappelons que nous sommes dans le même train), ceci implique notre intervention sur ce que nous raconte chaque analysant et ses associations.
Je pense donc que la direction de la cure n’est pas la même chose que la CURE, la direction suggère un chemin, une route, un endroit, la tentative d’aller quelque part. Cet endroit où on cherche à aller est peut-être la cure. Mais cela ne veut pas dire qu’on arrive à destination, et ce mot est important aussi : destination.
Je préfère l’idée de mouvement, de passe et d’effectuer un passage de cet état à un autre, de « PASSE » d’un parcours, d’autant plus que nous parlons de positions subjectives, qui sont celles où le moi disparaît pour faire paraître ce qui manquait, ce qui n’y était pas. Du « je suis où je ne pense pas ».
Je vais donner l’exemple d’un analysant qu’un jour oublie de venir à sa séance. Cet oubli est comme un trou qui le montre dans cette formation inconsciente, quelque chose échappe à son soi, qui n’était pas préparé. Selon cette approche, la notion de résistance est insuffisante, du fait que le refoulé cherche toujours à se manifester.
Par conséquent, face à une formation inconsciente (et l’oubli l’EST) nous pouvons dire qu’une possibilité d’analyse s’ouvre au lieu de se fermer, au-delà du fait que cette fois-ci il ne s’est pas présenté à la séance.
Les questions sur les causes de l’absence n’ont pas pour objectif le reproche mais, tenant compte des associations, impliquent le patient dans une responsabilité qui le rapproche de l’analyse.
Pour cette raison, prenons la direction comme un chemin, comme un endroit où aller, comme une passe d’un endroit ou des endroits, comme une connaissance sans savoir (mais je ne sais pas si c’est la CURE, puisque ce mot se rapproche trop du médical et de l’idéalisation).
Le moment de la fin d’analyse n’est pas en lui-même liée à une cure.
La fin d’analyse est le moment où l’analyste et l’analysant ne se rencontrent plus dans leurs séances habituelles (au mieux par l’accord mutuel des deux), mais elle n’empêche pas que l’inconscient cesse de produire tous ses effets et que chacun continue avec sa vie, après avoir vécu l’expérience de l’analyse.
POUR CONCLURE
Lacan nous a rappelé que pour être des analystes nous devons instituer le cadre et autoriser la marche (séminaire sur « L’acte psychanalytique »).
Instituer le cadre, mettre l’accent sur la valeur de la libre association, la fonction du transfert, l’argent en séance, le temps et l’espace de l’analyse, sont des étapes fondamentales.
Et la marche, le mouvement, le vecteur de la direction de la cure, rendront compte auprès d’eux-mêmes et des autres du chemin vers le désir.
Il y aura alors une clinique des nœuds, une équivalence des registres, l’intervention, l’interprétation, la jouissance pulsionnelle morcelée et la coupure à la fin, sans omettre la reconstruction du roman fantasmatique et la variation de ses positionnements. Du symptôme au sinthome.
Même si ces « principes du pouvoir de la cure », tel que nous soutenons, sont paradoxalement basés sur un manque et sur un réel impossible.