Paula Fontana Fonseca"La psychanalyse comme expérience politique et sa rencontre avec l’éducation"

Le présent travail s’insère dans le champ de discussion de la psychanalyse avec l’éducation et prétend partir de la tension entre le singulier et le collectif qui s’annonce au sein de ce champ. Le monde est ce qui est là, ce qui nous précède et qui nous dépasse. Et pour y participer, à ce qui s’articule comme un discours, l’enfant devra prendre la parole, se déclarer partie de ce monde.

Jorge Alemán (2010) prend le commun comme ce qui «ne s’oppose pas au singulier, commun comme radicalement différent de l’homogénéisation, commun comme ce qui réunit plusieurs sans que se repousse la singularité» (p.43) et il conclut sa pensée en reprenant une formulation de Lacan quand il affirme que prendre le commun à partir de cette perspective est faire «l’expérience de l’inconscient une expérience politique» (p. 43).
Alemán explique ce qu’il comprend pour ‘expérience’. En premier il marque qu’il y a l’expérience dans le domaine de la langue et le savoir de l’expérience seulement survient rétroactivement. En deuxième lieu il affirme qu’il n’y a pas d’expérience si il n’y a pas un sujet qui l’a soutienne, en faisant référence ici à l’implication subjective. Pour finir, il soutient la proposition de que l’inconscient est une expérience politique dans la mesure où il n’y a pas “un signifiant qui épuise la représentation du sujet” (p.47), c’est-à-dire, le sujet n’est pas complètement saisi dans un signifiant.
Pour Miller (2011) cette définition de l’inconscient par la politique a des racines profondes dans l’enseignement de Lacan. «‘L’inconscient est la politique’ est un développement de ‘l’inconscient est le discours de l’Autre’. Cette relation avec l’Autre, intrinsèque à l’inconscient, est ce qui anime depuis le début l’enseignement de Lacan. C’est la même chose quand il établit que l’Autre est divisé et qu’il n’existe pas comme Un».
Initialement, il vaut reprendre la définition donnée par Miller (2002) de l’inconscient comme «une relation, ou quelque chose qui se produit dans une relation» (p.112). Il prend le mot d’esprit pour nous rappeler qu’il est une formation de l’inconscient qui n’existe pas si il n’y a pas de public. C’est fonction de l’Autre de le valider en tant que mot d’esprit. Celui serait un principe commun à toutes les formations de l’inconscient, elles impliquent l’Autre» (Checchia, 2012, p.345).
Miller souligne encore qu’en affirmant que l’inconscient est la politique’ Lacan n’aurait fait autre chose qu’annoncer son discours du Maître. Ce discours a été postulé comme étant ce qui instaure le sujet, il est le discours a partir duquel s’obtient les autres. Askofaré (2005) propose l’équivalence de la ‘politique comme discours’ avec le ‘discours du maître’, elle n’est pas un savoir, mais un discours ou un « lien qui assure la coexistence synchronique du corps de parlants » (p.98). Concernant ce sujet il vaut observer le commentaire de Checchia (2012) «le discours du maître est ainsi, simultanément le discours de la politique et le discours fondateur de la subjectivité, ce qui nous montre la relation intime entre l’inconscient et la politique» (p.344). La politique de la psychanalyse est dans la formation du lien social. Nous pourrions très simplement dire qu’elle fait référence à une pétition de principe : le sujet se constitue dans la relation avec l’autre. Mais elle a une qualité intrinsèque une fois « qu’en outre d’être constitué du pouvoir de l’Un, l’inconscient est aussi une partie de l’homme qui résiste à la servitude de ce pouvoir» (Checchia, p.345).
Considérer que le sujet est constitué par le pouvoir de l’Un, mais qu’il n’existe pas en tant que l’Un ou encore qu’il n’y a pas un signifiant qui épuise la représentation du sujet, permet la reprise de la formulation de Lajonquière (1999) sur la (psycho)pédagogisation de l’éducation et de lire une critique du fait de l’éducation dans l’actualité croire à la méprise du sujet en tant que l’Un.
L’auteur critique l’idée de qu’éduquer est développer des capacités, car une fois dans cette logique, «la clé même sera toujours dans les mains de ceux qui possèdent une certaine connaissance de plus sur le développement psychonaturel». (p.162). Autrement dit, l’école recourt au savoir des spécialistes pour croire à la thèse de «l’individualité psychologique comme résultante du développement ajusté de capacités organiques qui mûrissent grâce à une stimulation correcte selon le temps» (p.32). Il n’y a pas de place pour le non-savoir, sauf si il est pris en tant que circonstanciel, un déficit qui peut être rectifié au futur, on ne sait pas quelque chose aujourd’hui, mais avec le développement scientifique bientôt cela sera corrigé.
Le cadre pédagogique actuel est marqué par une reproduction de savoirs scientifiques préétablit sur l’enfance qui formulent prescriptions, interdictions et restrictions qui justifient ce qu’il faut faire avec les petits (Lajonquière, 2002). Dans notre travail avec les institutions éducatives n’est pas rare que les professionnels de l’école nous demande quoi faire avec certain élève, plusieurs fois en affirmant la nécessité d’un diagnostic pour guider sa conduite. Les élèves diagnostiqués comme partie du groupe des autistes, en particulier, ont produit beaucoup de malaise.
Un professeur qui s’implique beaucoup dans son travail dans une Salle de Soutenance et Accompagnement pour l’Inclusion (SSAI), en racontant du projet qui développait avec certain élève, parle de l’importance de la substitution de quelques comportements autistiques pour d’autres. Dans sa parole, cette substitution semblait être impérative, même si elle nous demandait plusieurs fois si ce n’était pas correct et justifiait son axe de travail par des cours qui composaient son parcours professionnel de professeur spécialisée en éducation spéciale.
Le diagnostique se configure, ainsi, comme un besoin car une fois qu’on connaît le cadre, c’est possible de faire une prévision de comment travailler et à quels savoirs s’adresser. La demande de désignation apparaît ici. Si d’un côté le nom apaise l’angoisse, mon élève est autiste, de l’autre il sert comme un point de capiton dans la rélation que le professeur établit avec l’élève de façon que le professeur prend cet élève à partir d’une certaine signification. Notre hypothèse ici est que le diagnostique peut pétrifier les relations établis avec l’élève en se constituant comme un élément explicatif: il fait comme ça parce qu’il est autiste, ou encore c’est comme ça qu’on fait avec un autiste. Comme prévient Mannoni (1976), il est possible de créer une situation dans laquelle on kidnappe chaque mot de l’enfant.
Il s’ensuit, par exemple, que nous puissions parler d’enfants hyperactives, autistes… On prend le sujet de cette perspective étant lui-même représenté par un signifiant, et pour effet de cette méprise on a la déficience comme métonymie du sujet (Lerner, 2013) et comme objet de savoirs, en composant un champ fertile pour la prolifération du discours de la technique.
La technique n’admet l’impossible que de façon conjecturelle, une chose peut être impossible maintenant, mais dans un peu de temps ne sera plus.
Cifali (2009) souligne que:
Le seul moyen de ne pas céder à l’incompréhension violente que suscite le projet déjoué, est peut-être d’être en mesure de reconnaître qu’au départ il y a de l’inconnaissable dans la rencontre qui se tisse entre l’enfant et ceux qui l’ont engendré, et d’accepter qu’un savoir se construise au jour le jour avec, comme seul repère, la reconnaissance chaque fois éprouvée de cet enfant-là comme sujet, et non comme objet de mesures rationalisées, fût-ce au nom de la psychanalyse.

Le manque de co
nnaissance serait exactement ce que la technique viserait à supprimer, bien que pas maintenant mais sûrement dans le futur, dans la mesure où nous pouvons chaque fois produire plus et connaître plus. Pour Cifali il ne s’agit pas de réduire, dans le futur, cet impossible, mais de le prendre «comme constitutive de notre relation avec le autre-sujet»(p. 162). Aléman (2010) renforce cette thèse en affirmant que l’impossible n’est pas quelque chose que sera corrigé dans le cours du temps, et advert que si la technique tenir la politique, cela impliquera «que l’existence du politique disparaît et la politique se transforme dans un procédé de gestion »(p.48).
Aléman, dans sa lecture du malaise, affirme que le pacte social est construit «sans prendre en compte la singularité, par conséquent le lien social implique toujours un problème politique»(p. 49). Il conclut en affirmant que l’enjeu est de penser, avec la psychanalyse, «si il est possible de sortir de la domination d’une façon pas totalisante» (p.50). Comment assurer l’hétérogène face à l’homogénéisation présente dans le discours de la technique?
Il y a une torsion dans cette proposition. Face au autisme codifié ou au malaise diffuse de ne pas savoir de quoi il s’agit, la diagnostique psychanalytique ne se propose pas à être une explication qui contient tout ce qui se passe dans la vie psychique . Ici il est déjà annoncé une chose qui attire notre intérêt particulier, ce de chercher l’articulation de la psychanalyse avec l’éducation dans une perspective qui ne soit pas prescriptive. Cifali (2009) dit à propos de cela en indiquant que «la psychanalyse n’est pas là pour leur énoncer sa vérité ou théoriser son geste, mais pour les guider et que ne soient pas niées les parts d’ombre et de pouvoir qui les animent».
Dans une autre situation vécue à l’école, une psychologue parlait de la conduite nécessaire que la professeur devrait suivre avec certain élève. L’accent était mis sur l’importance d’anticiper ce que l’élève vivrait, une fois qu’elle avait identifié que sa désorganisation était dans quelques moments un signe de qu’il ne disposait pas d’un cadre de références dans lequel il pourrait s’appuyer pour se débrouiller avec des situations pas prévues ou insupportables pour lui. L’éducatrice essayait de dialoguer en suivant cette conduite, y compris en apportant des exemples dans lesquels elle démontrait utiliser ce recours, mais aussi en soulignant que c’était impossible, voire indésirable, tout anticiper. L’école, et dans ce sens le monde, est un terrain pas-tout prévisible.
Si nous abordons l’enfant à partir de son diagnostique et nous le traitons en conséquence, il restera capturé en tant qu’objet du discours technico-prescriptif.
Cet enfant, qui participe du travail en groupe du Centre d’Education Thérapeutique, qui nous offrons au sein de l’Institute de Psychologie de l’USP, a vécu une scène surprenante. Le groupe faisait une activité de peinture à l’argile. Il prend donc sa production, une balançoire, et montre qu’elle était cassée. Il dit incessamment qu’il ne la voulait pas comme ça, cassée. Une petite conversation sur ça se passe : quelques choses peuvent être réparé et d’autres pas… Il se lève, prend une craie et marche jusqu’au tableau noir pour dessiner une balançoire et un parc d’attractions. Les coordinatrices du groupe se sont surprises lors de la façon de l’enfant de résoudre le problème, qui a utilisé un autre recours pour réaliser son parc, ou encore, une autre représentation possible de la balançoire qui ne substitue pas celle cassé, mais se met à côté, en créant une série de jeux dans un parc d’attractions.
Anticiper l’attente, lui dire que son tour arriverait, ou même proposer qu’ils mesurent le temps passer dans l’horloge, seraient des alternatives possibles d’intervention. Mais sûrement ne sont pas les seules stratégies dans le champ du traitement.
Selon Dunker (2015), la logique totémique, considérée comme naturelle, parle d’une proportionnalité des relations. Dans ce sens, les relations de parenté et une localisation linéaire dans le temps sont possibles à partir d’une loi totémique qui situe une opposition entre humains/animaux, hier/aujourd’hui, père/fils.
Mais celle-là n’est pas la seule forme logique d’accéder au monde. Cela peut être exemplifié dans la parole d’un patient qui disait être ‘un loup caché sous une peau de mouton’, et s’asseyait dans le muret de la maison et hurlait à la lune. Un homme pas-tout-humain.
Il surgit ici une rencontre de deux logiques, une phallique totémique qui prévaut dans l’œuvre freudienne, et une autre qui peut être exprimée dans la déjà très connue formulation lacanienne du pas-tout soumet à la logique phallique.
Dans cette perspective, la psychopathologie psychanalytique n’est pas-toute, bien que la raison binaire ne comprend pas la totalité de l’expérience humaine. Cela permet que l’on progresse dans le sens de penser quelles sont les conséquences de ces contributions en prenant la tension singulier-collectif annoncé comme inhérent au cadre éducatif. L’opposition de termes, ou singulier ou collectif, ne serait pas la seule relation possible.
Penser avec la psychanalyse est, à notre avis, le même que traiter la politique du discours analytique dans sa articulation avec son envers, le discours de maître, qui fonde le lien du sujet avec l’Autre, ainsi institue la culture.
Comme développé jusqu’à ici il semble plausible affirmer que l’expérience politique, contextualisée dans ce texte, est plus près d’une subversion de la relation psychanalyse et éducation que d’une affirmation ou dominance d’un discours sur l’autre.
Dans notre parcours nous avons construit l’idée d’une non opposition entre singulier et collectif. La forme ‘singulier’ qui chacun va accéder et subjectiver le «pour tous» peut être pensé à partir de la figure topologique de la bande de Möbius. Si l’on écrit dans une face le ‘pour tous’ et dans l’autre ‘singulier’ nous aurions comme effet cette évanescence de l’un et de l’autre, dans la mesure où la garantie de chaque terme n’est pas seulement dans l’opposition mais aussi dans la transition de l’un à l’autre. Nous ne sommes pas prises en otage de la logique binaire comme la seule manière d’aborder les relations humaines.
Dans cette perspective l’articulation de la psychanalyse avec l’éducation peut être prise comme une expérience politique, comme propose Alemán (2010), dans laquelle le sujet peut “inventer autre manière de lire et d’interpréter le ‘pour tous’ qui soutient le monde” (p.21).
Cifali (2009) souligne que:
Si l’éducation est le lieu exemplaire du pouvoir et de la puissance, son succès insuffisant attesterait aussi que ce pouvoir est néanmoins limité : l’humain échappe aux prédéterminations ; il résiste aux tentatives normatives comme à l’entreprise totalisante. Si ce pouvoir s’actualise à ses dépens, rarement il atteint ce qui est voulu : l’autre se sauve comme sujet, jusque dans sa propre destruction, jusqu’à la violence, jusqu’à la folie.

La politique de la psychanalyse, développée dans ce travail comme politique du pas-tout, dans sa rencontre avec l’éducation témoigne, au moins, que si le sujet se sauve, même en payant un élevé prix subjectif comme la folie ou l’échec, ce qui se perd dans les réalisations totalisantes est la propre humanité de l’homme.
De la perspective psychanalytique, éduquer peut être compris comme la forme singulière du sujet s’enlacer avec le monde, et cela rompre avec la prévision linéaire du développement et ouvre la possibilité de l’inattendu que le singulier du sujet nous lance.

Références bibliographiques

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Dunker C. I. L. Mal-estar, sofrimento e sintoma: uma psicopatologia do Brasil entre muros. São Paulo: Boitempo, 2015. (no prelo).
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Lerner A. B. C. Consequências éticas da leitura psicanalítica dos quatro discursos para a educação inclusiva. 2013. Thèse de doctorat – Faculdade de Educação, Universidade de São Paulo, São Paulo.
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