Philippe Wolosko "la cure analytique guérit. La guérison en psychanalyse"
Il est aujourd’hui étonnant de parler de guérison par la psychanalyse.
Ce qui me paraît le plus surprenant dans cette affaire, c’est justement que cela soit étonnant d’en parler; comme s’il s’agissait d’un gros mot. A-t-on oublié que la psychanalyse est née de la médecine? Freud était neurologue pour soigner des gens malades. Ce mot de « malade », il a continué à l’utiliser jusqu’à la fin de son oeuvre. Cela a toujours été une question polémique. Freud s’est même fendu d’un livre pour en parler: « La question de l’analyse profane» en 1926, pour débattre de la question de savoir si un psychanalyste doit ou ne doit pas être médecin; cela se voit également quand un analyste se présente: on entend souvent dire: psychiatre-psychanalyste, ou psychologue-psychanalyste. L’institution analytique dont je suis membre et où je travaille, (Analyse freudienne) ne reconnaît qu’une seule catégorie de membres, qui ne se présentent que sous l’étiquette de psychanalystes, et en ne précisant jamais d’autres titres, universitaires par exemple. Quand un analyste prend la parole, il le fait en tant qu’analyste, rien de plus, rien de moins. Comme s’il était nécessaire de justifier d’une qualification parallèle pour être soignant. Cela a été aussi un élément majeur du débat, en France, sur les psychothérapies, où finalement, sans rentrer ici dans les détails, ont été reconnu comme soignants, comme thérapeutes, sans avoir besoin de justifier d’une formation spécifique particulière, les médecins, les psychologues et les psychanalystes.
Alors qu’en est-il de la guérison en psychanalyse? De quoi parle-t-on?
La guérison est-elle un concept psychanalytique? S’agit-il d’accéder au bonheur? S’agit-il de retrouver un état antérieur, comme au bon vieux temps? La psychanalyse peut-elle nous amener à ne plus souffrir? Peut-elle nous permettre de vivre mieux? Peut-elle me faire aimer mon conjoint? Ou faire que mes enfants soient comme je les aurais voulus? Va-t-elle me permettre de supporter mon travail? C’est ce que je vais tenter de déplier aujourd’hui.
La question de la guérison en psychanalyse interroge l’analyste sur son désir d’analyste; on peut distinguer le désir de l’analyste comme étant quelque chose qui le regarde, par exemple son rapport à l’analyse ou ce qu’il trouve dans l’exercice de cette profession, et le désir d’analyste, qui est le désir à l’oeuvre dans sa fonction d’analyste qui est de maintenir un écart le plus grand entre lui, comme analyste, et le sujet analysant; ou pour le dire autrement d’être là sans raison d’être (il n’est pas là avec son ego et n’a rien à défendre le concernant). Ainsi, ce qu’on attend d’un analyste, c’est une analyse; c’est à dire qu’une psychanalyse puisse se produire. La question du désir d’analyste lui permet d’occuper une place dans le transfert qui n’est que celle d’un semblant, et qui n’a que faire des désirs du sujet analyste: de guérir ou de transmettre. Ainsi, un désir de guérir, va être conforté par les succès de la cure et de ce fait induire dans la cure un désir qui n’appartient pas au sujet analysant. Ce qui a pour le moins comme effet de provoquer une résistance, et donc d’empêcher la cure de se dérouler. Cela amène les analystes à beaucoup de prudence, voire de pruderie à s’affirmer comme (psycho)thérapeutes. Ainsi, la guérison ne peut être l’objet (l’objectif) de la psychanalyse.
Dans cette époque, où les attaques contre la psychanalyse sont légions (dans tous les sens du mot), cela apparaît comme un point faible des psychanalystes. Dans le contexte politique actuel, il me semble important d’affirmer que la cure cure, en Espagnol cela sonne mieux: la cura cura.
En effet, quand un sujet fait la démarche d’aller consulter un psychothérapeute, l’objet de cette démarche semble être la guérison. La question qui mérite alors d’être posée, de ce qu’est cette guérison comme objet. Est-ce l’objet de la demande? Ce n’est pas nécessairement le cas. Par exemple: les demandes sont souvent une demande de ne rien changer, et la cure apparaît alors comme une justification pour continuer à jouir en paix. Il y a aussi, des sujets qui viennent afin de pouvoir parler librement à un autre sujet qui ne juge pas, le cabinet de l’analyste est le seul lieu, aujourd’hui, où cela est possible, comme cela se passait en Argentine au temps de la dictature. Cela n’empêche pas que de parler à un analyste puisse avoir des effets thérapeutiques pour un sujet, par la distance prise entre l’énoncé et l’énonciation.
Si on se place dans le cadre d’une demande de guérison, est-ce que la guérison est l’objet de la demande? La réception d’une telle demande par un analyste l’amène à s’interroger sur la nature de cette demande, et bien entendu à ne pas répondre à cette demande.
Chaque demande est singulière, particulière. En se référant au graphe de Lacan,
on constate que la demande est la correspondance dans l’inconscient de l’énonciation consciente. Il ne peut être question, ainsi, de prendre cette demande au pied de la lettre. Comme le montre ce graphe repris dans le séminaire XVI, d’un Autre à l’autre, ce qui va s’élaborer dans le transfert, et qui n’est possible que si l’analyste occupe
Reprenons ceci autrement. Je vais m’appuyer sur un texte de Lucien Israël: « Traversée de la dépression ».1 Il y décrit la dépression névrotique, qui peut se manifester par l’ennui, comme le moment de passage du faire quelque chose à la demande d’un autre (les parents) à la réalisation, à la reconnaissance de son propre désir; c’est à dire finalement d’accéder à sa demande propre. Prenons une demande des plus banales: « je vais mal, je voudrais aller mieux » apparaît ainsi beaucoup plus complexe, qu’y-a-t-il derrière cette énonciation? (Pour autant que l’on admette que cela soit une énonciation). On peut supposer une multiplicité de possibilités de demandes à entendre par l’analyste ou le thérapeute. Par exemple, un sujet amène un objet qui est un harcèlement dans le travail: il peut demander des choses très différentes qui vont de comment ne plus me laisser détruire, à pourquoi s’en prend(nent) il(s) à moi, ou je suis une victime qui ne peut rien faire d’autre que démissionner (de mon travail ou de mon statut de sujet?), ou bien de quelle façon je me satisfais de la souffrance (jouissance) que j’obtiens de cette situation, ou même comment détruire cet autre qui veut me détruire etc.
La demande va donc être entendue par celui qui la reçoit en fonction de sa position face à un énoncé, ou s’agit-il de l’énonciation d’un sujet? Un comportementalisme va recevoir cette demande en rapport avec la réponse qu’il propose c’est à dire un modèle réduit à la phobie. Là où le sujet est empêché, il lui procure des solutions, à cet empêchement. Il s’agit là d’une réduction de la demande à des symptômes. La guérison consiste alors à faire disparaître les symptômes proposés par le sujet. Cela est facile à évaluer, on peut quantifier les symptômes phobiques ou dépressifs à partir d’échelles élaborées en fonction de l’efficacité des traitement proposés. Le modèle parfait de cette méthode est la dépression, évaluée à partir des effets des drogues antidépressives, en ne tenant pas compte des autres effets de ces traitements sur l’économie psychique du sujet. Pour reprendre la question du harcèlement, les psychiatres proposent aujourd’hui une double solution: un traitement antidépresseur pour remonter le moral du sujet (ou du psychiatre?) et une inaptitude à l’emploi occupé, avec un reclassement ou un licenciement. Le problème est réglé, le sujet est guéri. Un sujet a ainsi traversé un accident de la vie (la confrontation à du réel) avec
le moins de casse possible et la page est tournée. « Circulez il n’y a rien à voir » comme disait Ferré. On peut ainsi avancer que si les psychothérapies répondent à la demande manifeste et que la guérison s’effectue en rapport à ces signifiés de la demande, ce qui veut dire que la guérison peut s’évaluer à partir d’une échelle constituée à partir de signifiés et donc de significations, la psychanalyse répond à la demande latente et par analogie la guérison s’effectue en rapport avec les signifiants de la demande, là demande latente.
Alors qu’est-ce que la guérison en psychanalyse? Le séminaire de l’année dernière a montré que finalement ce que la psychanalyse soutient c’est le sujet, sujet de l’inconscient. Ainsi, compte tenu de ce qui a été avancé, que si la guérison s’effectue à partir des signifiants de la demande, la guérison serait alors guérison du sujet.
Déjà, ce concept s’oppose en psychanalyse, à la médecine. Partons de la notion de soins. Jean Oury, qui avec Tosquelles, pour parler des figures les plus connues, a développé la psychothérapie institutionnelle, disait que le soin est une manière d’être humain. Il reprend à Kronfeld et Birnbaum le concept de « pathie » qu’il différencie de l’empathie qui est pour lui une confusion affective. Le sens pathique c’est ce qui est éprouvé dans la relation, c’est à dire la possibilité d’être affecté par la présence de l’autre. N’est-ce pas finalement une conception de la guérison qui est opposée à la médecine objective et son rejeton du DSM? Etre affecté par la présence de l’autre, n’est-ce pas une façon d’évoquer la question du transfert? Je vais imager cette affaire en disant qu’écouter un patient, c’est accepter d’être traversé par ses paroles, son discours, ses signifiants. Là où le dire d’un analysant ne me traverse pas ou mal sont des lieus de résistance. C’est ainsi que j’entends ce que dit Lacan quand il dit que la résistance est chez l’analyste, là où le discours de l’analysant ne traverse pas, là où il m’affecte d’une telle façon que je vais produire une résistance à ce passage et ainsi empêcher ce discours de se poursuivre et donc l’analyse de continuer. Pour faire une analogie avec l’électricité: là où ça résiste, ça chauffe (chez l’analyste). Il y a d’autres formes de résistances, nous y reviendrons plus tard.
Alors, qu’est-ce que la guérison par la psychanalyse? Le Littré (fin XIXème siècle) donne la définition suivante: « 1: recouvrement de la santé, chez la personne. La guérison d’un fiévreux. Et 2: Fig.:Action de faire disparaître ce qui est comparé aux maladies du corps. » Je ne souhaite pas maintenant ouvrir la question de la santé, ce qui sera possible lors du débat, mais plutôt reprendre le sens figuré: faire disparaître ce qui ressemble aux maladies du corps.
Ainsi, parler de guérison impliquerait que le sujet manifeste quelque chose de comparable aux maladies du corps. Il serait possible de développer longuement cette question de ce qui est comparable aux maladies du corps en passant de la conversion hystérique au délire hypochondriaque, des explications biologiques aux anciennes conceptions héréditaires de la maladie mentale. Il suffit de rappeler que l’angoisse se manifeste toujours et nécessairement par des sensations et modifications corporelles: accélération cardiaque, mal au ventre etc.
Si on s’en tient à cette définition de la guérison, dire que la psychanalyse guérit, c’est dire que la psychanalyse a des effets de réduction des symptômes et/ou de l’angoisse. Il est indéniable qu’elle produit ces effets sur nombre de sujets. Mais cela n’est-il pas chercher la disparition des symptômes? Et n’est-ce pas ce qui caractérise la démarche médicale? C’est pourquoi Freud a affirmé que si la psychanalyse guérit c’est un « gain marginal »(2), ou alors «effet secondaire du travail analysant». Cela amènera Lacan à parler de « guérison de (ou par) surcroît »(3). On peut d’ailleurs souligner ici que d’après le Robert «de surcroît» ne désigne pas, comme on le pense parfois «un supplément accessoire et secondaire» mais bien «un apport supplémentaire, naturel et nécessaire». Ce qui devrait aplanir beaucoup les difficultés suscitées par cet aphorisme. Ce n’est pas en cherchant à guérir (guérir quoi ou qui?) que la psychanalyse est thérapeutique, mais c’est l’analyse elle-même, de par son processus qui guérit. Ainsi, la guérison ne se peut que parce que une analyse s’est produite. Si les symptômes disparaissent c’est parce que, pour parler comme Freud, « la substitution de satisfaction » n’est plus nécessaire.
Qu’ont dit Freud et Lacan sur ce qu’est la guérison par la psychanalyse? Pour commencer, et de façon chronologique: Freud.
– En 1904: «le but à atteindre dans le traitement sera toujours la guérison pratique du malade, la récupération de ses facultés d’agir et de jouir de l’existence. Dans un traitement inachevé, ou n’ayant donné qu’un succès incomplet, l’on obtient, malgré tout, une amélioration notable de l’état psychique général, alors que les symptômes, moins graves maintenant pour le patient, peuvent continuer à exister sans pour autant marquer ce dernier du sceau de la maladie. »(4) Il nous dit donc: la guérison pratique comme ce qui peut apparaître directement perceptible par la récupération de ses facultés d’agir et de jouir de l’existence. Ce n’est pas une promesse de bonheur, bien entendu, mais de récupérer de la jouissance et de pouvoir agir, en effet, il s’agit de jouir de l’existence plus que des symptômes, les symptômes entravant l’agir ayant de ce fait disparus. Ce qui ressemble à ce que peut demander un sujet.- En 1912: « La psychanalyse nous a permis de reconnaître que les destins de la libido sont ce qui décide de la santé ou de la maladie nerveuse. … Plus facilement qu’au médecin, la guérison revient au destin, qui peut offrir un substitut de la possibilité de satisfaction perdue. »(5) Il effleure, dans cet article, les questions relatives aux résistances (réaction thérapeutique négative et celle liée à la culpabilité satisfaite par la punition).
– En 1919: Dans un article intitulé : «Les voies de la thérapie analytique»(6), il aborde la question des résistances sur trois points: la nécessité de conserver pendant la cure un certain niveau de souffrance chez le patient: « Aussi cruel que cela paraisse, il nous faut veiller à ce que la souffrance du malade, à un plus ou moins grand degré d’efficience, ne trouve pas une fin prématurée »(7); le danger de trouver des satisfactions substitutives aux symptômes, comme un mariage qui se trouvera être une punition car malheureux; et dans le transfert qui pourrait apporter une forme de confort dans lequel le sujet pourrait y avoir : « (une) existence aussi agréable que possible, afin qu’il s’y sente bien et qu’il aime à revenir s’y réfugier pour se soustraire aux difficultés de la vie »(8). Nous voyons ainsi, que Freud encourage vigoureusement l’analyste à éviter au sujet de s’engager dans des formes de jouissances, qui sont des obstacles à la guérison; ce sont des résistances qui retiennent le sujet sur la voie de son désir. Continuons.
– En 1923, dans « Rêve et télépathie », il nous met en garde devant des issues trop rapide à la cure : « Des guérisons spontanées de névroses laissent en règle générale des cicatrices et celle-ci redeviennent de temps en temps douloureuses. Nous sommes très fiers de notre art lorsque nous avons effectué une guérison par la psychanalyse, mais nous ne pouvons pas non plus toujours écarter une issue qui consiste en la formation d’une cicatrice douloureuse. »(9) Ainsi, la guérison ne peut provenir que de la cure, abo
utie, et tant les satisfactions substitutives que le destin n’amènent que des guérisons partielles, même si celles-ci sont parfois inévitables.
– Dans cette période particulièrement féconde, où Freud construit la seconde topique, nous avons retenu deux autres textes de cette année 1923. Le premier: « Psychanalyse et théorie de la libido ». Freud est très précis concernant les modes de jouissance du sujet pendant la cure, qui sont des freins, des résistances à la guérison. Il aborde la question de la jouissance du symptôme: « Ce qui apparaît ainsi, c’est un symptôme et donc au fond une satisfaction substitutive sexuelle ».(10) Puis, la question du transfert, qui apparaît comme étant à la fois la principale résistance et en même temps : «devient dans les mains du médecin le plus puissant moyen adjuvant du traitement et joue dans la dynamique du processus de guérison un rôle qu’on ne saurait surestimer(11)». Cela lui permet d’affirmer que: «La psychanalyse ne s’est jamais donnée pour une panacée ni ne prétend faire des miracles. Dans un des domaines les plus difficiles de l’activité médicale, elle est pour telle ou telle souffrance la seule méthode possible, pour d’autres celle qui fournit les résultats les meilleurs ou les plus durables, jamais sans dépense correspondante en temps et en travail»(12). Si la psychanalyse est la seule méthode qui permet d’aboutir à la guérison, il avance quant à la définition de cette guérison. Il ne s’agit pas de permettre au sujet de jouir sans entrave de sa sexualité, comme le disait un slogan de mai 68, ou d’avoir une sexualité débridée comme on peut l’observer aujourd’hui ou comme le prétendait un Wilhelm Reich, mais d’en savoir plus sur son désir: « C’est un fâcheux contresens, et justifié par la seule ignorance, de penser que la psychanalyse attend la guérison des maux névrotiques de la sexualité «vivant en liberté». Le fait de rendre conscient dans l’analyse les désirs sexuels refoulés rend bien plutôt possible une maîtrise qui ne pouvait être atteinte de par le refoulement antécédent. On est mieux en droit de dire que l’analyse libère le névrosé des chaînes de sa sexualité »(13).
– Le troisième texte de cette année 1923 est « Le moi et le ça ». Propulsé par la découverte de la pulsion de mort, il y affirme que celle-ci est la résistance principale et la plus difficile à surmonter pour arriver à la guérison: « On dit que chez ces personnes, ce n’est pas la volonté de guérison mais le besoin de maladie qui a le dessus(14)». Il va définir ce besoin d’être malade ainsi: « On en arrive finalement à l’idée qu’il s’agit d’un facteur pour ainsi dire « moral », d’un sentiment de culpabilité qui trouve sa satisfaction dans l’être-malade et ne veut pas renoncer à la punition qu’est la souffrance »(15). Ce qui me semble notable, ici, est que le concept de jouissance apporté par Lacan, permet de lier sous un même concept la « satisfaction substitutive » et la question de la pulsion de mort, et ainsi d’entrevoir ce en quoi la jouissance vient s’opposer au désir.
– En 1926, dans « Inhibition, symptômes et angoisse » Freud synthétise les cinq formes de résistances. Trois s’originent du moi: la résistance de refoulement, la résistance de transfert et le bénéfice de la maladie. Une du ça: celle responsable de la nécessité de la perlaboration; et celle du surmoi: « c’est la plus obscure, mais non pas toujours la plus faible; elle semble prendre racine dans le sentiment de culpabilité ou le besoin de punition s’opposant à tout succès, et par conséquent aussi à la guérison par l’analyse » (16).
– Pour terminer cette rapide revue de textes freudien, en 1937, dans « L’analyse finie et l’analyse infinie », Freud décrit ce que peut être une analyse ayant menée à la guérison: « C’est seulement dans le cas à prépondérance traumatique que l’analyse réalisera ce dont elle est magistralement capable: remplacer, grâce au renforcement du moi, une décision inadéquate remontant aux tout premiers temps par une liquidation correcte. C’est seulement en pareil cas qu’on peut parler d’une analyse définitivement terminée « (17).
Ainsi, Freud parle de guérison comme de la possibilité pour un sujet de travailler, de jouir de l’existence et de désirer. Finalement la guérison consiste en l’analyse des résistances, à entendre non pas des résistances du côté de l’analyste, ce qui est son affaire, mais des résistances à la guérison. Il n’y a pas de psychanalyse sans analyse des résistances, ce qui constitue l’objet même de la cure. Freud nous ouvre à une nouvelle conception de la guérison, bien loin de celle de la médecine, puisqu’il pose la résistance à la guérison comme le principal écueil à celle-ci. L’objet de la cure est l’analyse des résistances à la guérison, la guérison n’apparaissant que comme un bénéfice marginal ou secondaire de la cure. Ce qui surgit également comme conception de la guérison chez Freud, c’est que la guérison a à voir avec le désir: «Le fait de rendre conscient dans l’analyse les désirs sexuels refoulés »; ou comme l’a dit Lacan autrement, donc en disant aussi autre chose: « Ne pas céder sur son désir ».
Allons maintenant voir un peu ce que Lacan en a dit.
– En 1955, dans « Variantes de la cure-type », Lacan écrit: « Bien averti par Freud de regarder de près aux effets dans son expérience de ce dont le terme de furor sanandi annonce assez le danger, il ne tient pas tellement au bout du compte à en donner les apparences. S’il admet donc la guérison comme bénéfice de surcroît de la cure psychanalytique, il se garde de tout abus du désir de guérir, et ceci si habituellement qu’au seul fait qu’une innovation s’y motive, il s’inquiète en son for intérieur, voire réagit au for du groupe par la question automatique à s’ériger d’un: si l’on est encore là dans la psychanalyse. »(18) Il reprend là, ce qui a été énoncé plus tôt, mettant en garde contre la « furor sanandi » ou désir de guérir en précisant que pour l’analyste ce qui doit être l’objet de sa rigueur est de rester un psychanalyste dans sa fonction de psychanalyste, sans se laisser prendre à un quelconque désir de guérir.
– Cette même année, dans le séminaire sur le moi, il a dit: « La vie ne veut pas guérir. La réaction thérapeutique négative lui est foncière. La guérison, d’ailleurs, qu’est-ce que c’est? La réalisation du sujet par une parole qui vient d’ailleurs et le traverse. »(19) Il poursuit ce qu’en a dit Freud, mais ce n’est plus au désir à être réalisé, mais au sujet, par l’effet de la parole. Nous voyons bien là, ce que le concept de guérison a de spécifique en psychanalyse. Il ne s’agit pas seulement de l’effet de soulagement du fait de parler, qui consiste essentiellement en une mise à distance de l’énoncé d’avec l’énonciation, qui s’effectue plus avec un psychanalyste qu’avec votre boulangère, et qui est ce qu’il se passe lors de toute psychothérapie; mais d’un quelque chose propre à la psychanalyse, puisqu’en analyse c’est le sujet qui parle, sujet comme étant ce que représente un signifiant pour un autre signifiant. On ne sait pas pour autant ce qu’est la réalisation du sujet.
– Deux ans plus tard, dans le séminaire sur la relation d’objet, il nous donne une autre indication: « … la Verarbeitung de la progression analytique. C’est un élément dynamique et cristallisant dans le progrès symbolique en quoi consiste la guérison analytique comme telle »(20). Dans cette période du « tout symbolique » la guérison est le progrès symbolique. C’est une proposition qu’il ne reprendra plus comme telle, mais que j’entends comme le progrès du symbolique sur l’imaginaire, qui permet au sujet de se défaire des illu
sions imaginaires entravant son désir.
– En 1958, lors de l’intervention sur l’exposé de G. Favez, il poursuit son questionnement sur ce qu’est la guérison en psychanalyse: «La guérison y a tout de même toujours un caractère de bienfait de surcroît, mais le mécanisme, n’est pas orienté vers la guérison comme but. (..) donc que l’analyse a une autre visée. (…) Cette visée de l’analyse, (…) passe-t-elle par cette sorte de dévoilement d’un être réel à un autre être réel dont je considère que c’est en effet à la fin de quelque chose qui doit arriver, qui doit être possible, et dont je ne crois pas que l’on puisse en quelque sorte partir. De là pour le mettre à l’horizon comme le point de mire de l’analyse? Je crois que c’est autre chose »(21). Nous ferons deux commentaires: c’est là la deuxième occurence où Lacan emploie l’expression de guérison de surcroît pour amener l’idée que l’analyse a une autre visée que la guérison; ensuite que la guérison ne s’effectue pas par la confrontation de deux sujets, ce qui est une critique des théories de l’égo, la guérison n’est pas l’identification au moi fort de l’analyste.
– Lors de la séance du 11 mai 1960, du séminaire sur l’éthique de la psychanalyse, il précise que le désir de guérir ne peut que nous fourvoyer et qu’il vaudrait mieux que ce désir soit un: «non-désir de guérir »(22). Alors de quoi s’agit-il de guérir le sujet? C’est dit-il: « Il n’y a pas de doute que ceci est absolument inhérent à notre expérience, à notre voie, à notre inspiration -le guérir des illusions qui le retiennent sur la voie de son désir. Mais jusqu’où pouvons-nous aller dans ce sens? Et, après tout, ces illusions, quand elles ne comporteraient rien de respectable en elles-même, encore faut-il que le sujet veuille les abandonner. La limite de la résistance est-elle ici simplement individuelle?23 » donc il reprend la question évoquée plus haut, à propos de Freud sur le désir, mais en y ajoutant que la jouissance des biens est une résistance, et que cette résistance se manifeste dès la demande et se trouve être une résistance de l’analyste liée à son rapport à la psychanalyse et des théories auxquelles il se réfère: «C’est pourtant la perspective d’un accès aux biens de la terre qui commande d’une certaine façon d’aborder la psychanalyse – celle que j’ai appelée la voie américaine -, et aussi une façon d’arriver chez le psychanalyste et de présenter sa demande »(24).
– En 1965, lors du séminaire: « Problèmes cruciaux pour la psychanalyse », il propose une avancée sur cette question du désir. Notre lecture de ce texte, et nous y reviendrons certainement au cours de l’année, où il parle de guérison, pourrait mériter toute une séance de séminaire. La guérison repose sur un point où sujet et savoir pourraient s’entendre, mais la butée de ce point est « la réalité de la différence sexuelle »(25). Cet impossible de la réalité du sexe s’éprouve dans la cure et, pour le dire vite, sous la forme que le désir c’est le désir de l’Autre. Cela implique de développer les questions du désir de l’analyste et du fantasme, ce que nous ferons peut-être dans une autre séance de ce séminaire.
– Et pour en terminer avec cette revue des textes, en 1978, Lacan dit: «Alors comment se fait-il que, par l’opération du signifiant, il y ait des gens qui guérissent? Car c’est bien de ça qu’il s’agit. C’est un fait qu’il y a des gens qui guérissent. Freud a bien souligné qu’il ne fallait pas que l’analyste soit possédé du désir de guérir; mais c’est un fait qu’il y a des gens qui guérissent de leur névrose, voire de leur perversion. Comment est-ce que ça est possible? Malgré tout ce que j’en ai dit à l’occasion, je n’en sais rien »(26). Il est bien difficile de théoriser ce qui fait qu’un sujet guérit par la psychanalyse.
Alors qu’entend-on par guérison? Ce n’est pas de faire disparaître les symptômes, même si les symptômes peuvent disparaître. Est-ce le bonheur? Or, Freud et notre pratique nous montrent bien que la guérison ne fait pas le bonheur, puisque ce qui fait souffrir crée de la jouissance (les bénéfices secondaires). Freud nous indique que c’est la guérison pratique du malade; la récupération de ses facultés d’agir et de jouir de l’existence. Lacan ajoute celle de désirer, en précisant que si les névrosés ont une existence difficile et que nous essayons d’alléger leur inconfort, l’analyse n’a pas à être poussée trop loin. Et quand l’analysé pense qu’il est heureux de vivre « c’est assez ». Alors, cette question de jouir de l’existence plutôt que des symptômes, pourrait se formuler comme la possibilité de jouir autrement. Guérir en psychanalyse n’est pas le retour à un état sain antérieur mais plutôt l’acquisition d’un savoir-faire autrement.
Philippe Woloszko Metz le 13 octobre 2016.
Notes
1 Lucien Israël. Traversée de la dépression. In « Boiter n’est pas pêcher.Arcanes, Apertura. 2010. P259.
2 Sigmund Freud. Psychanalyse et théorie de la libido. O.C. TXVI. P201.
3 J. Lacan. Variantes de la cure type,Intervention sur l’exposé de G. Favez, et Séminaire X : L’angoisse. Ce sont les trois occurence trouvées où il emploie cette formule.
4 S. Freud. La méthode psychanalytique de Freud. in La technique psychanalytique. P.U.F. 1977. P6.
5 Sigmund Freud. Sur les types d’entrée dans les névroses. (1912). In Névrose, psychose et perversion.P.U.F. 1978. P175.
6 Sigmund Freud. voies de la thérapie analytique. 1919. Oeuvres Complètes. T XV.
7 Ibid. P103.
8 Ibid. P105.
9 Sigmund Freud. Rêve et télépathie. O.C. TXVI. P139.
10 Sigmund Freud. Psychanalyse et théorie de la libido. O.C. TXVI. P 196. 11 Ibid.
12 Ibid.
13 Ibid.
14 Sigmund Freud. Le moi et le ça. O.C. TXVI. P292.
15 Ibid.
16Sigmund Freud. Inhibition symptômes et angoisse. P.U.F. 1978. P88/9.
17Sigmund Freud. L’analyse finie et l’analyse infinie. O.C. TXX. 1937. P21.
18Jacques Lacan. Variante de la cure-type. in Écrits. P325.
19 Jacques Lacan. Séminaire II. Le moi dans la théorie de Freud et dans la technique de la psychanalyse. P271/2.
20 Jacques Lacan. Séminaire IV. La relation d’objet. P412/3.
21Jacques Lacan. Le rendez-vous chez le psychanalyste. Intervention sur l’exposé de G. Favez. La psychanalyse n°4. 1958.
22 Jacques Lacan. Séminaire VII. L’éthique de la psychanalyse. P258.
23 Ibid.
24 Ibid.
25 Jacques Lacan.Séminaire XII. Problèmes cruciaux pour la psychanalyse. Version Valas. Séance du 19/05/65. P597.
26Jacques Lacan. Conclusions du IXème congrès de l’école freudienne de Paris. (1978). In Petits écrits et conférences. P176