Philippe Wolosko "La fiction dans la cure, cure.

Le mot fiction vient du latin fingere qui signifie feindre, imaginer ; le

sens propre de fingere est façonner. La première idée qui m’est venue, à

propos de feindre, est celle de la position de l’analyste dans le transfert, où il

feint d’être un sujet sachant, sans jamais se mettre en position de savoir, d’où

il est un sujet supposé savoir, et ceci par l’analysant.

Bien sur, l’analyste possède un savoir, mais pas celui de l’objet de la demande du sujet venu le

trouver. C’est-à-dire d’un savoir sur la vérité du sujet, d’un savoir sur le réel.

Ainsi, la première fiction dans la cure est le transfert. Comme il n’y a qu’un

seul transfert entre l’analysant et l’analyste, et pas un transfert du côté de

l’analysant et un autre du côté de l’analyste ( nommé contre-transfert ), il y a

donc une fiction commune dans le transfert, à laquelle les deux protagonistes

de l’affaire feignent de croire, chacun à partir de sa position. Comme si un

analyste pouvait dire:  » vous imaginez ( vous fictionnez ) que je sais et alors

je le feins ( je le fictionne ). Ainsi il n’y a là qu’une seule fiction permettant au

transfert analytique de prendre sa fonction. Cela pose la question des

rapports entre fiction et réel: Philippe Julien conçoit le transfert en

questionnant le rapport du savoir et de la vérité ayant affaire avec le réel, il

écrit : » La psychanalyse instaure sa finitude, non par le silence, mais selon sa

pratique même, c’est-à-dire en répondant à cette question : à quoi ce savoir

nous mène-t-il ? Où nous conduit-il ? C’est pour y répondre que Lacan a

nommé ce ‘lieu’ du nom d’une dimension : le réel. […] La seule façon de

situer la psychanalyse au regard de la science et non de la religion, est de

poser par le symbolique la limite du symbolique : le réel  » (1)

Ainsi, la fiction a une fonction d’appréhension du réel. C’est en ce sens que la fiction se révèle avoir un rôle curatif. Rappelons que le réel n’est pas la réalité; le réel est ce qui nous tombe sur la tête, comme disait Astérix, ce qu’on ne peut d’aucune façon anticiper, comprendre, formuler, imaginer etc. Ce qu’on peut en dire ne concerne que les effets produits par le réel pour un sujet singulier, un pot de fleur qui tombe sur la tête, une maladie, la transmission transgénérationnelle, le désir inconscient, la vérité du sujet, le fait que l’Autre n’est pas consistant : S(Ⱥ): ce que précise Philippe Julien en évoquant la religion, qui n’est qu’une forme d’hypnose collective sensée protéger du réel: dont Lacan a pu dire:  » la religion est faite pour guérir les hommes, c’est-à-dire qu’ils ne s’aperçoivent pas de ce qui ne va pas  » . C’est le réel qui est traumatisant. Le fantasme, qui est une fiction, est l’interface entre un sujet et le réel, comme une grille de lecture du réel. Le sujet se positionne face au réel en fonction de son fantasme, c’est cela la position subjective. Quand il se produit une irruption du réel pour un sujet, il y a traumatisme. C’est-à-dire que le fantasme ne peut plus jouer son rôle de filtre, il y a effraction du fantasme, et cela conduit le sujet à répéter sans cesse la scène traumatique. En ce sens le réel se manifeste par la répétition; c’est dire que la répétition signifie l’incapacité du fantasme à accomplir sa fonction. Alors, mon hypothèse sur le thème de cette année de la guérison psychanalytique, en tant que guérison du sujet, peut s’entendre, comme je l’ai amené la dernière fois, comme la possibilité pour un sujet de changer de position, en particulier face au réel. Pour ce faire ( changer la position du sujet ), la fiction a un rôle tout à fait important, spécifiquement analytique, que je vais tenter de montrer aujourd’hui. J’ai déjà évoqué la première fiction de la cure: le transfert, ainsi qu’une autre fiction: le fantasme.

Freud dans son œuvre met en place un nombre remarquable de fictions, de ce qu’on appelle les mythes freudien, avec :  » Totem et Tabou » et  » Moïse et la religion monothéiste », à l’importance accordée aux rêves, qui sont des fictions lorsqu’ils sont relatés, jusqu’aux constructions. En effet, en relisant le texte de Freud : « Constructions dans l’analyse » j’ai été frappé, surpris par ce qu’il écrit à propos des constructions. Tout d’abord, il est notable que Freud insiste sur le fait que les constructions se font dans le cadre du transfert ; c’est-à-dire que les constructions n’ont d‘effet sur le sujet que dans ce cadre, ainsi les constructions intègrent le transfert. Ces constructions se font dans la cadre de la reconstitution des souvenirs du patient, essentiellement ceux refoulés lors de l’amnésie infantile qui se produit au sortir de l’oedipe. Les souvenirs ne reviennent pas entièrement après la levée du refoulement, ce qui me semble plutôt relever d’une levée incomplète du refoulement. Ainsi, ces constructions, ces fictions, viennent se substituer au refoulé, à la sexualité pré-oedipienne. Elles prennent ainsi la place d’un signifiant manquant, car refoulé. Rappelez-vous que lors du séminaire du 24 novembre dernier, j’avais indiqué que dans le transfert, le désir d’analyste désigne la place du signifiant du symptôme analytique; c’est-à-dire du symptôme de la névrose de transfert. Il m’est maintenant possible de préciser que c’est la fiction du transfert qui se substitue au signifiant refoulé du symptôme de la névrose de transfert et permet ainsi à la cure de se dérouler.

Pour en revenir à Freud et la question, là, des constructions, différente de la névrose de transfert , il précise bien que les constructions sont données à l‘analysant par l’analyste et même plus, que c’est la tâche de l’analyste : « Quelle est donc sa tâche ? Il a à deviner l’oublié à partir des indices que celui-ci a laissé derrière lui ou, pour s’exprimer plus exactement, à le reconstruire 2». Pour Freud, l’analyste injecte dans la cure, dans le transfert une fiction. Ce n’est pas une fiction sortie de l’imagination de l’analyste, mais d’une fiction élaborée dans le transfert unique, façonnée à partir des signifiants du sujet.

Ensuite, concernant ce texte de Freud, et ceci a été la principale surprise pour moi, de lire que la construction est un terme  » de beaucoup plus approprié3  » que celui d’interprétation. Car, ajoute-t-il : « » Interprétation  » se rapporte à la façon dont on s’occupe d’un élément isolé du matériel, d’une idée incidente, d’une opération manquée etc. Mais, il y a construction quand on expose à l’analysé un fragment de sa préhistoire oubliée 4″. La construction est ainsi un concept qui recouvre l’interprétation, de sorte qu’une fiction fait interprétation ; dont dit-il : « du point de vue thérapeutique (elle) a le même effet qu’un souvenir recouvré »5. C’est-à-dire le même effet que celui produit par le retour du signifiant substitué à sa place dans la chaîne signifiante.

Ainsi, à ce qui est inatteignable pour le sujet, c’est-à-dire du réel, Freud propose de lui substituer une fiction; avec dit-il le même effet que le souvenir recouvré. On peut remarquer que de toutes façons, le souvenir change avec l’évolution d’un sujet, ce que tout le monde a pu expérimenter. De même que les visions de l’histoire, celle de l’humanité, changent avec l’évolution de la pensée, sans que cela soit, évidemment, du révisionnisme. Les souvenirs qui ne changent pas sont des « souvenirs écran ». Les souvenirs sont ainsi des fictions qui évoluent avec les changements de position du sujet; et ces fictions ont également un effet sur la position du sujet.

Il apparaît, alors, que les
fictions se caractérisent par un aspect imaginaire associé à un aspect symbolique rappelant la fonction du mythe qui révèle pour le sujet quelque chose de la vérité et permet d’imager le réel. Ce qui est résumé par la formule : « la vérité a structure de fiction à déchiffrer en savoir textuel ». Tout ceci m’amène à reconsidérer la fonction de la fiction. Si, par exemple, j’ai pu penser que le mythe freudien de la horde primitive était une fiction, un mythe, dans le sens permettant à Freud de parler du père symbolique avec le père mort, étant donné qu’il n’avait pas les outils conceptuels, comme l’a fait Lacan, avec le réel, le symbolique et l’imaginaire ; il me faut alors penser que la fiction a d’autres intérêts. La fiction, d’un point de vue psychanalytique, permet de dire ce qui ne peut être su, ni compris et surtout énoncé autrement. Ainsi, l’énonciation d’une fiction dans la cure, qu’elle provienne de l’analysant, ou de l’analyste comme le propose Freud, produit dans l’après-coup, nachträglich, un effet d’interprétation; qui révèle au sujet un savoir sur la vérité. La fiction prend ainsi valeur d’un savoir sur la vérité du sujet, d’un savoir inconscient, ou pour le dire précisément la fiction prend la valeur, la fonction du savoir sur le réel, sur le non-rapport sexuel.

A noter qu’il y a une fiction qui ne manque dans pratiquement aucune analyse, c’est le roman familial. Cette fiction permet au sujet d’énoncer sa place, sa position dans la famille et l’histoire de la famille. C’est un élément important dont Freud a pu dire :  » Le roman familial est à la base de toutes les névroses 6″. Ainsi, la dimension sexuelle est présente dans le roman familial, qui est construit pour contourner cette question sexuelle, celle des origines, en particulier le désir oedipien.

Le roman de Thierry Hesse, qui a bien voulu venir discuter avec nous ce soir, :  » Le roman impossible  » est sorti, le 5 janvier dernier, aux Editions de l’Olivier. Il me semble pouvoir illustrer la place de la fiction dans la cure analytique. Le narrateur façonne autour d’un symptôme de son corps, de sa peau, un certain nombre de fictions qui lui permettent de dire ce qu’il en est de sa place de sujet. L’ensemble est un roman magnifique, d’une écriture remarquable, qui m’a tenu en haleine tout au long. Dans l’après-coup de sa lecture, je me suis rendu compte qu’il a décrit sous la forme d’une fiction un fragment de cure analytique. Il avance dans les méandres de ces histoires, qui, si au début ne semblent pas le concerner vont petit à petit le cerner. On le voit, dans la première partie du roman, abandonner une posture imaginaire incarnée par un homme : Sabreuil, obsédé par le nom qu’il porte et rendu malade quand ce nom se trouve souillé. Thierry Hesse perçoit bien que l’enjeu est la transmission, et ici une transmission transgénérationnelle, c’est- à-dire la prégnance d’un désir maternel et grand-maternel dont Sabreuil ne peut se défaire; transmission pour laquelle l’humour a valeur d’insulte, il montre ainsi à quel point ce sujet est aliéné à un signifiant, signifiant du nom propre.

A tout moment, dans son texte, il mêle réalité et fiction, dans un ordonnancement où la position de sujet du narrateur règle le jeu. Il en arrive finalement à la question, ressort de toute cure analytique, de savoir ce qu’il en est de son désir. Ce que je retiens, concernant mon propos de la fiction dans la cure, est la place des fictions dans ce roman, ayant valeur d’interprétation, ceci se passant dans le cadre d’une fiction romanesque. Je fais, ici, une analogie entre la fiction romanesque et la fiction du transfert. En effet, lors de l’écriture d’un roman ou d’un exposé comme celui-ci, l’auteur s’adresse à un lecteur ou un auditeur imaginaire dont il attend une réponse aux questions au moins implicites. Je m’appuie sur Lacan disant, lorsqu’il faisait son séminaire, qu’il parlait en tant qu’analysant. C’est-à-dire d’une parole issue d’un sujet en questionnement (discours de l’hystérique), où la place de la vérité est occupée par a, plus-de-jouir; s’opposant à celle du savoir, du discours de l’universitaire, chez qui la place de la vérité est occupée par le signifiant maître S1. Je pense que ce livre peut être lu en tant que discours d’un analysant, défini par le discours de l’hystérique, s’adressant à l’Autre. Ce qui différencie un roman d’une cure analytique, c’est l’absence de discursivité entre deux sujets propre à l’analyse, où l’analysant reçoit la réponse sous une forme inversée de son énonciation.

Alors, comment le sujet du roman se sert-il des fictions pour avancer vers le dévoilement du sujet qu’il est? Je ne vais prendre qu’un seul exemple du livre, afin de ne pas trop le déflorer et ne pas trop atténuer le plaisir de la lecture pour ceux qui le liront. Il s’agit de la figure de Sabreuil, déjà évoqué, représentant le moi du sujet du roman, du narrateur. Il présente un symptôme analogue à celui du sujet du roman, un symptôme écrit sur sa peau, accolé à un signifiant: « rouge », commun à Sabreuil et au narrateur. Pourquoi le moi? On peut avancer que le moi constitue un agglomérat du sujet, sujet de l’énonciation, sujet de l’inconscient, et de toute la consistance imaginaire dénoncée par Lacan au début de ses élaborations publiques concernant le moi. Pour le dire en termes freudiens, le moi est un compromis entre les exigences du « ça » et du « surmoi » tout en étant soumis à la réalité. C’est un des apports de Lacan de nous avoir donné des outils permettant de distinguer le moi du sujet. Freud énonce clairement que le moi est essentiellement inconscient, parler du sujet permet de débarrasser le moi du leurre imaginaire qui induit tant de fourvoiements dans la théorie et la pratique analytiques. Alors, Sabreuil dans cette fiction est une projection, évidemment imaginaire, du moi du sujet du roman, les traits identificatoires en témoignent doublement: d’une part le symptôme et le signifiant « rouge » sont ces traits identificatoires et d’autre part parler d’identification, en soi, détermine la relation comme imaginaire, l’identification étant un mécanisme purement imaginaire.

Ainsi, le narrateur, avec beaucoup d’humour, étudie l’histoire de cette figure moïque du personnage de Sabreuil, et en construit une fiction où la contrainte surmoïque apparaît toute puissante et jouissante. Le symptôme de Sabreuil est causé par une atteinte à l’honneur d’un ancêtre et recouvre, comme cela est parfaitement mis en évidence dans le roman, une faute sexuelle d’une ancêtre. Toute la construction imaginaire du moi de Sabreuil est échafaudée sur sa lignée reposant sur un grand-oncle de lignée royale, alors que celui-ci n’était que le batard d’un fils de roi. Une faute sexuelle

transformée en un honneur absolu par sa propre mère. Que Sabreuil tient-il tant à défendre concernant sa mère et ce qu’elle lui a transmit? Ce n’est pas ce qui m’intéresse dans cette affaire, mais de saisir comment cette fiction peut avoir un effet thérapeutique pour le sujet du roman.

Cela s’effectue en trois temps. Le premier consiste en une dés- identification: le sujet du roman ne se soumet pas au injonctions de Sabreuil, il travaille son histoire, comme cela peut se passer dans une cure, et ensuite prend une distance certaine avec cette histoire en « reprenant sa liberté d’écrivain », ne voulant pas être l’esclave du surmoi. Il n’accepte pas d’être ce que lui ordonne Sabreuil, il est d’abord un écrivain, c’est-à-dire un sujet, un créateur, le discours d’un sujet est nécessairement une création. Ainsi, il apparaît qu’une fiction crée un écart entre ce qu’un sujet croit devoir être, répondant ainsi aux injonctions du surmoi, et ce qu’il est en tant que sujet. Cet écart est manifeste
lors de toute fiction créée dans la cure, donc dans le cadre transférentiel. J’appelle cette étape dés-identification, car elle enlève une des couches du moi, vous le savez: le moi se constitue par des couches successives, comme les couches d’un oignon, couches formées par identifications successives. Donc la création d’une fiction dans la cure permet une dés-identification.

Le second temps est celui d’une interprétation. Le sujet du roman commence à écrire le texte qui lui est demandé en mettant en scène précisément une allégorie de la faute sexuelle. Une part de la vérité refoulée est ainsi mise au jour provoquant la rupture entre Sabreuil et le narrateur; cette interprétation est trop précoce pour être entendue par le sujet, mais permet néanmoins au sujet de rompre, de sortir de l’esclavage imposé par le surmoi, concernant cette question représentée par Sabreuil.

Le troisième temps est plus didactique pour mon exposé, et concerne mon idée sur le thème de l’année: « Le concept de guérison en psychanalyse ». Ce que je tente d’amener est que la psychanalyse guérit le sujet, le sujet étant ce qui est représenté par un signifiant pour un autre signifiant, et ne guérit ni le moi, ni les symptômes. Si une guérison des symptômes et/ou du moi survient, cela ne peut être que par surcroît. Si je pense que le sujet du roman va mieux au sortir de cette histoire avec Sabreuil, c’est que ce sujet se trouve alors, en partie, délivré d’une identification, en miroir, qui l’aliène au regard des autres, à la culpabilité. Il s’agit d’une aliénation du moi. Cela permet à ce sujet d’être confronté à l’Autre, incomplet, ou pour le dire autrement ( l’Autre ment? ) à sa condition humaine. C’est-à-dire que non seulement il intègre que son symptôme participe à ce qui le constitue comme sujet, donc que ce symptôme fait partie de lui, mais aussi qu’il peut poursuivre le questionnement soulevé au départ de son roman. Ce que j’entends comme analogique à la demande du sujet au début d’une cure analytique. On connaît bien tous ces détours, dans une cure, nécessaires à une déconstruction pour aboutir à la reconstruction du sujet, cure dont le fil est déterminé par la demande.

En quoi le fait pour le sujet de reconnaître son symptôme comme une partie de qui le constitue est-il un accès vers la guérison? Quelque chose lui apparaissant venir de l’extérieur, de l’Autre lui appartient, c’est un fait de sa production, et c’est une parole de son corps lui permettant de se reconnaître comme fondamentalement divisé. C’est précisément sur ce point que Lacan nous conduit à aller au-delà de « l’égo-psychologie » en différenciant le moi du sujet. En effet, le moi tend à l’unification de ses composants, comme d’unifier les exigences du ça et du surmoi en une forme adéquate à la réalité. Or, la psychanalyse amène l’analysant à la perception que cette unité n’est qu’un fantasme, qu’un leurre imaginaire. Ainsi, si ce qui est proposé au sujet comme but d’une analyse est de s’identifier au « moi-fort » de l’analyste, cela ne peut que le perdre encore plus dans l’imaginaire. Afin de permettre au sujet de retourner à l’usine, d’être adapté, d’être réparé en tant que moi, ou plutôt en tant qu’outil prêt à l’emploi. Parler de sujet divisé met en évidence l’existence de l’inconscient, l’inadaptation du désir inconscient à l’ordre d’un fonctionnement social sans grain de sable. Je vais illustrer ceci par une blague: un petit garçon allemand disons de 8 ou 9 ans est parfaitement adapté, il est sage, a de très bons résultats à l’école et donne toute satisfaction à ses parents si fiers de lui. Sauf qu’il ne parle pas, personne n’a jamais entendu le son de sa voix. Un jour, à table, il jette sa cuillère sur la table et dit:  » la soupe est froide « . Tout le monde est émerveillé de l’entendre et on lui demande pourquoi il n’a pas parlé avant ce jour. Il répond:  » jusqu’à présent tout était dans l’ordre « . ( En Allemand: « Bis jetzt alles war in ordnung « ). Ce witz montre bien la fonction de la parole, qui n’est pas de communiquer, comme on dit aujourd’hui à propos des machines, mais de révéler l’incidence du signifiant, telle que le mot ne correspond pas à la chose. C’est-à-dire qu’il y a du sujet, sujet divisé, tel qu’il ne peut jamais faire unité, un. Ainsi, reconnaître le sujet en tant que sujet, donc divisé, entérine le fait que chacun a une parole, un dire qui lui est propre et singulier.

Ainsi, les fictions dans les cures sont nombreuses. Elles vont du transfert aux rêves, en passant par les constructions données par l’analyste et l’analysant, sans oublier le fantasme, dont Freud montre dans son texte « On bat un enfant » qu’il est une fiction . Elles ont différentes fonctions dans la cure: celle d’interprétation comme l’avance Freud dans son texte, celle de substitution à un signifiant, c’est-à-dire une fonction métaphorique qui déplace le sujet d’une chaîne signifiante à une autre, nouvelle; celle de permettre un écart du sujet par rapport à l’imaginaire ( pas l’imagination ); et celle d’appréhender le réel. En ce sens la fiction est un authentique concept analytique, car la psychanalyse a précisément pour objet le réel et la façon dont chaque être humain dans sa singularité est confronté et réagit au réel. Pour le percevoir, il suffit de considérer la place des répétitions dans la cure, la répétition étant une des manifestations du réel pour un sujet.

Pour conclure, je pose la question de savoir si avoir fait une cure analytique s’aguerrit aux effets du réel?

Notes:

1 Julien, Ph, Le retour à Freud de Jacques Lacan, coll. Littoral, éd. Eres, 1985, P143.

2 Sigmund Freud.Constructions dans l’analyse (1937). Oeuvres complètes. T XX.P.U.F. Paris 2010. P62.

3 Ibid. P64. 4 Ibid.
5 Ibid. P70.

6 Les premiers psychanalystes, Minutes (I) de la société psychanalytique de vienne. P310.

Philippe Woloszko Metz, le 12 janvier 2017

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