Quid de la Perversion : discours ou/et structure ? C. Cazzadori, Amiens, Mars 2017

Quid de la Perversion : discours ou/et structure ?
Ce sujet, je l’ ai déjà traité de différentes manières de 2013 à ce jour.
« Le pervers ou l’initié du jouir », texte sorti le 10 juin 2013, destiné aux futurs coachs en formation d’un DU (diplôme universitaire), mis en ligne ensuite.
« Quelques aspects de la perversion » sorti 3 ans après, le 7 avril 2016 lors d’un cycle de conférences sur les avatars du sexuel, donné ici-même.
Puis, dans mon association, Analyse Freudienne de Paris, ma collègue, Françoise FABRE, psychanalyste, psychiatre, nous a présenté son travail ainsi titré :
« A propos de ce l’on dénomme perversion », c’était le 16 février 2015, exposé mis également sur mon site.
Une autre collègue espagnole, membre de l’A.F., Maria Cruz Estrada, sortait un texte « C’est là que ça se joue : dans mon corps », inspiré du film d’Almodovar :
« Parle avec Elle », qu’elle a mis à notre disposition pour cette étude sur la perversion, également mis en ligne sur mon site.
Autrement dit, à partir de ces quatre textes adressés à des publics différents et présentés par trois psychanalystes, je vais essayer d’en refonder un autre, enrichi des précédents et de quelques autres.
Comment le mot pervers est-il arrivé dans le langage courant ?
Dans le grand public, la notion de pervers narcissique est maintenant acquise par les ouvrages de Marie-France Hirigoyen, notion devenue incontournable pour décrire le « harcèlement moral », terme qu’elle a inventé .Son premier livre paru en 1998, parle de la violence perverse au quotidien. A travers de nombreux témoignages, l’auteure analyse la spécificité de la relation perverse, tout en nous mettant en garde contre une tentative de banalisation. Elle montre qu’un même processus mortifère est à l’oeuvre, qu’il s’agisse d’un couple, d’une famille ou d’une entreprise, entraînant les victimes dans une spirale dépressive, voire suicidaire. Le propre du pervers est d’avancer masqué. Il éprouve de la haine du lien, en psychanalyse, on dirait de la haine de l’amour et pas dans l’amour qui marquerait plutôt l’ambivalence propre à chacun. Il va même jusqu’à récuser ce lien d’amour, ce qu’il cherche avant tout c’est la jouissance. Il utilise autrui pour cela, l’instrumentalise et se donne cette jouissance par l’emprise, du coup le lien devient une ligature, comme s’il voulait la peau de l’autre. Il s’agira pour lui d’ingérer autrui, de réussir à le phagocyter, pour mieux le vampiriser. Le pervers vise la destruction de l’assise psychique d’autrui et de ses conditions fondamentales. Accédant ainsi à la jouissance totale qui lui permet de garantir un être sans faille, se reconnaissant lui-même ni manquant, ni perdant. Pour arriver à la plénitude de l’Etre, sur le mode de la toute puissance infantile, le pervers va se transvaser sur son double, sa proie, son objet, en le harcelant, dans le but de lui faire traverser l’angoisse d’anéantissement.
Un retour à Freud pour nous éclairer davantage sur cette structure ;
reportons-nous alors à son livre « Trois essais sur la théorie sexuelle », paru en 1905, où l’on découvre sa formule : « l’enfant est un pervers polymorphe ». Cela signifie que l’enfant a la capacité, tout comme l’adulte, d’obtenir une satisfaction pulsionnelle à partir de zones érogènes non exclusivement génitales. En effet, de façon amorale, l’enfant jouit de tout son corps, orifices compris. Pris dans les interdits de l’éducation, il va instituer son instance morale vers cinq ans et va intégrer les trois interdits majeurs : l’inceste, le cannibalisme, le meurtre. La découverte par Freud de la sexualité infantile doit beaucoup aux perversions.
Dès le séminaire 1, séances des 2 et 9 juin 1954, Lacan mit les pendules à l’heure. Contrairement à Balint, qui, dans un premier temps, faisait de la relation d’objet une relation complémentaire du sujet avec son objet inanimé, Lacan affirma qu’il n’y a pas une seule manifestation perverse qui ne soit intersubjective. C’est évident dans le voyeurisme-exhibitionnisme, ça l’est aussi dans le sadisme. Le partenaire doit y rester consentant, partie prenante, jusqu’à une limite ambiguë au delà de laquelle le sadique ne rencontrerait que le vide d’une béance de chair, d’une viande, d’une barbaque sans conscience. L’enfant est livré à ses pulsions partielles, prégénitales, elles sont hors sexe, mais pas sans autre. Pour Lacan, ses pulsions sont hétéroérotiques et non pas auto-érotiques comme le pensait Freud. L’expérience perverse, dit Lacan est « tissée à l’intérieur du registre de l’imaginaire » ,mais ce registre appelle la reconnaissance symbolique qui constitue les barrières de la honte, de la pudeur, voire du prestige. Dans l’acquisition de son langage enfantin, l’enfant va verbaliser de façon irruptive ce qu’il va appeler ultérieurement lalangue, pour parler et user de sa capacité langagière donc symbolique en faisant participer l’adulte à ses découvertes et ses théories sexuelles, ses fictions sur la sexualité, s’il n’est pas débilité par une éducation obscurantiste, il nous paraîtra à ce moment là, assez surdoué, voire philosophe !
Que veut dire le mot « perversion » ?
D’abord, elle a eu le sens simple d’une sexualité qui ne répond pas aux lois de la nature, c’est-à-dire ni à la génitalité, ni à la reproduction. Si la sexualité de l’adulte se construit sur celle de l’ enfant, de quel « sexuel » parlons-nous alors ? Ce qu’il y eut de « sexuel », ce furent pour lui les pulsions étayées sur les besoins qui poussent le corps à s’identifier à ce qui manque à la mère, au phallus. Cet élan premier, l’érotise du dehors et instruit tout de suite une sexualité —hors-nature, en effet – qui mérite l’étiquette de perversion : si l’érotisation dépend d’abord du destin pulsionnel, elle perd tout rapport avec la génitalité et la reproduction. Gérard Pommier nous précisera que « c’est du moins ce que démontre la multitude de perversions qui, en usant d’objets pulsionnels comme le regard, la voix, les excréments, les fétiches, etc, arrivent à une décharge sexuelle complète sans souci de la génitalité et encore moins de la reproduction. Ces pulsions ont toutes le même but : identifier le corps au phallus. Mais comme ce phallus n’a aucune consistance par lui-même, ce but se rabat sur la pulsion, de sorte que cette dernière reprend à son seul compte, la valeur copulatrice du phallus, sans autre soutien qu’elle-même – et, en ce sens, autoérotique. Qu’il existe une telle « perversion polymorphe » de l’enfant dédramatise la perversion. Loin de relever de pathologie, cette perversion est un passage obligé, outre qu’elle garde ses prérogatives la vie durant. Et loin d’entériner les classifications morbides des perversions, des faits considérés comme anormaux sont intégrés dans le régime de croisière de l’érotisme normal, qui se construit avec ou contre eux. Cependant, et jusqu’à aujourd’hui, la perversion garde un sens péjoratif, sinon criminel, alors que la plupart des perversions sont inoffensives. » (1)
De nos jours, une connotation morale et péjorative persiste bien que Freud a donné à ce mot de « perversion », son statut de sexuel qui produira une rupture épistémologique avec ce qu’il en serait du pathologique.
 Dans son livre : « la perversion ordinaire : vivre ensemble sans autrui », Jean-Pierre Lebrun se demande si nous ne sommes pas en train de devenir pervers. Des changements majeurs, accélérés par divers progrès techniques, ont mis à l’épreuve tous les repères jusqu’ici les plus stables dans la vie en société : mariage, procréation, rapport entre les générations, différence sexuelle, passage à l’âge adulte, etc. Le lien social est en pleine mutation, les figures d’autorité disparaissent, bref l’équilibre psychique des individus s’en trouve modifié d’une manière inédite dans l’histoire de l’humanité. Cette « perversion ordinaire » propre à notre époque viendrait-elle se substituer en partie à la « névrose ordinaire » d’hier ?
N’oublions pas que le terme perversion est issu du verbe « pervertir » qui signifie littéralement « détourner », d’après l’étymologie latine pervertere : « mettre sans dessus-dessous » et globalement « action de détourner quelque chose de sa vraie nature ». Faire le bien au lieu de faire le mal, signifie là aussi un détournement de but de ce qui était recherché. Ce sens moral du verbe « pervertir » (convertir au vice) date du XVIIe siècle et a longtemps eu une connotation religieuse. Mais allons au-delà de ces considérations pour retrouver ce qu’il en est de la causalité de la perversion, au coeur du problème. 
Comment se traduit le concept de Déni propre à la castration ?
Mais s’agit-il bien de cette dérive dans le concept analytique déjà forgé par Freud, dans le complexe de castration lorsqu’il parle du déni ? Refus ? Désaveu ? Démenti du sujet ? Comme par ailleurs du meurtre du père ? Autant, les auteurs ont produit beaucoup de travaux sur les processus du refoulement, de la dénégation ou de la forclusion, autant le concept de démenti propre au déni de la castration n’a suscité qu’un intérêt ponctuel dans la communauté analytique, nous précisera Brigitte Lemérer. (2)
Rappelons-nous que l’origine du déni, c’est la manifestation d’un rejet radical portant sur la réalité de la castration.
Freud, en 1923, dans « L’organisation génitale infantile », va élaborer le démenti en constatant combien le manque de pénis sur le corps de la fille est démenti par les jeunes enfants :
« Ils jettent un voile sur la contradiction entre observation et préjugé, en allant chercher qu’il est encore petit et qu’il grandira sous peu, et ils en arrivent lentement à cette conclusion d’une grande portée affective : auparavant en tout cas, il a bien été là et par la suite il a été enlevé. Le manque de pénis est conçu comme le résultat d’une castration et l’enfant se trouve maintenant en devoir de s’affronter à la relation de la castration avec sa propre personne ».
Le concept de Verleugnung est donc l’un des processus nécessaires à la mise en jeu pour le sujet de la problématique de la castration.
Plus qu’une négation, le mot dé-ni exprime bien le refus de reconnaître ce que les sens montrent.
Le sujet va nier la réalité par ce mécanisme de défense, terme de déni avancé par Freud en 1923. Comme le rappelle Françoise Fabre (3) :
« l’origine du déni, c’est la manifestation d’un rejet radical portant sur la réalité de la castration. Le jeune enfant, qui vit suivant le principe de plaisir, réagit en face de l’absence de pénis chez la fille en niant ce manque pour conserver la croyance en l’existence d’un phallus maternel.
Comment distinguer le déni de la dénégation ?
Le sujet dit : « Je sais que c’est presque impossible, mais j’y crois » – la croyance indubitable se traduit d’ailleurs par l’ajout dans la phrase du mot « presque », alors que la réalité de la situation est justement impossible. C’est sur ce principe que l’on peut différencier déni (Verleugnung) et dénégation (Verneinung).
Freud parlera de déni, de désaveu.
Lacan en parlera en terme de démenti, voire ce qui est encore plus juste : le « louche refus ».(3)
La nouveauté de la psychanalyse est de supprimer la frontière entre perversion et normalité. Avec la découverte analytique, Freud fait scandale et rupture.
Il parlera donc de l’enfant « polymorphiquement pervers », quand au but et quant à l’objet, puisque la sexualité enfantine est d’origine une libido des pulsions partielles avec ses objets pré-génitaux « le sein, le déchet, le regard et la voix ». Nous avons tous été des enfants, « notre prédisposition aux perversions était la prédisposition originelle et universelle de la pulsion sexuelle humaine » Freud . (4)
Quel est rôle du fétiche propre au déni de la castration ? (5)
En psychanalyse, le fétichisme désigne une organisation particulière du désir sexuel (ou libido), telle que la satisfaction complète ne peut être atteinte sans la présence et l’usage d’un objet déterminé, le fétiche. Ce dernier serait reconnu par la psychanalyse comme substitut du pénis manquant de la mère, ou encore comme signifiant phallique.
Considéré généralement comme appartenant à la sphère de la perversion, le fétichiste élit un objet (par exemple, une chaussure), qui devient son unique objet sexuel et lui donnera une valeur tout à fait exceptionnelle et comme le dit Freud, « Ce n’est pas sans raison que l’on compare ce substitut au fétiche dans lequel le sauvage voit son dieu incarné ».
Des traits fétichistes sont souvent présents dans l’érotisme de la vie amoureuse. Tirer une plus grande jouissance, si sa partenaire consent à revêtir une tenue particulière, lui est souvent demandé ou suggéré. Le désir va dépendre d’une partie du corps surestimée (fétichisme du pied, de la chevelure, sous-vêtements,etc).
Pour la psychanalyse, le fétichisme a une importance très au-delà de la considération d’une entité pathologique particulière. Ainsi, selon Freud, « un certain degré de fétichisme » se retrouve dans « la vie sexuelle normale ». Si le fétichiste élit une catégorie particulière d’objets, il n’est pas pour autant fixé à l’un d’entre eux. Le fétichisme comporte cette part d’insatisfaction, constitutive de tout désir. En 1910, Freud, écrit à propos du fétichisme du pied, que celui-ci représente « le pénis de la femme, dont l’absence est si lourdement ressentie ».
Dans son article, Françoise Fabre nous fait remarquer ceci en évoquant les chaussures de femme du créateur Louboutin : « une autre possibilité défensive pour le sujet, c’est la mise en place d’un fétiche, c’est-à-dire, cet objet inerte pris sur la femme ou pris ailleurs, détaché, inanimé qui va être la condition de la jouissance du pervers. Souvent, il s’agit de chaussures, pas toujours mais souvent, dont on voit bien l’emblème phallique que ça représente. J’ai entendu un interview passionnant du créateur de chaussures Louboutin, qui vient bien illustrer finalement pourquoi la chaussure peut-être fétiche, il dit : « Je ne faisais que des chaussures pour femmes, parce qu’une femme a des chaussures, ça fait partie de son corps, comme prolongement. Il a refusé de faire des chaussures pour hommes à un chanteur en précisant bien que les chaussures ça se portent…Oui, il le disait bien !
C’est en effet, de la question de la castration qu’il faut partir ici, ou plus précisément, de la « terreur de la castration » activée par la perception de l’absence de pénis chez la femme, chez la mère.
Si la femme est châtrée, une menace pèse sur le jeune garçon, concernant la possession de son propre pénis à lui. C’est donc, pour ce prémunir contre cette menace qu’il dénie l’absence de pénis chez la mère, et le fétiche n’est autre que le substitut du pénis manquant.
Si l’on imagine le regard de l’enfant venant à l’encontre de ce qui pour lui sera traumatisant, remontant par exemple, à partir du sol, le fétiche sera constitué par l’objet de la dernière perception avant la vision traumatique elle-même ; une paire de bottine, le bord d’une jupe, etc.
Ainsi pour Freud, « l’élection si fréquente des pièces de lingerie comme fétiche est due à ce qu’est retenu au dernier moment du déshabillage pendant lequel on a pu encore penser que la femme est phallique ». Quant à la fourrure, elle symbolise la pilosité féminine, dernier voile derrière lequel on pouvait encore supposer l’existence d’un pénis chez la femme. Il y a ainsi dans le fétichisme une sorte d’arrêt sur image, un reste figé, séparé de ce qui peut se produire dans l’histoire de l’individu. C’est en ce sens que le fétichisme est éclairant ,en ce qui concerne le choix d’objet pervers. La théorie freudienne du déni s’accompagne d’une théorie du clivage psychique. Le fétichiste ne scotomise pas totalement une partie de la réalité, ici l’absence de pénis chez la femme. Il tente de maintenir dans l’inconscient à la fois deux idées, celle de l’absence du phallus et celle de sa présence. Le fétichisme comme l’ensemble des perversions ne se définit pas comme survivance des stades prégénitaux mais bien à la suite de Freud, dans la problématique phallique.
Avec Lacan, le statut du fétiche lui-même peut être considéré comme un signifiant.Cette identification du fétiche à un signifiant, nous pouvons nous y trouver conduits si nous remarquons avec lui que le fétiche représente non pas le pénis réel, mais le pénis en tant qu’il peut manquer, en tant qu’on peut certes l’attribuer à la mère, mais en même temps en tant qu’on en reconnaît l’absence. C’est là, la dimension de clivage mise en évidence par Freud. Or cette alternance de la présence et de l’absence est un système fondé sur l’opposition du plus ou du moins qui caractérise les systèmes symboliques comme tels. Le fétichisme déploie devant la réalité un voile qui la dissimule, et c’est ce voile que l’individu finalement surestime. Il y a là une illusion, mais une illusion qui se retrouve sans doute dans tout désir. (5)
Pourquoi le choix de la Perversion selon Gérard Pommier ?
« Dans n’importe quelle structure le désir a un côté diabolique, toujours prêt à faire des siennes, alors autant le savoir, nous n’avons pas à l’innocenter. Les bizarreries sexuels de ces innocents bambins qui méritent l’appellation de « pervers polymorphes » demande des explications.
Nous ne sommes pas d’un côté des « sujets », et de l’autre « sexués ». Nous sommes tous uniment des « sujets sexués », et notre intelligence ne va pas plus loin que nos modes de jouissance. Une fois faits certains choix, ils se rivent si bien à notre identité que nous croyons être nés comme ça, avec un genre, des sentiments et des goûts qui seraient notre nature, ce qui d’ailleurs devient vrai une fois ces choix faits. Or, nous pouvons souffrir- et parfois gravement – de l’oubli de ce qui nous fait devenir ce que nous croyons être. Nous avons bel et bien fait un choix, et nous avons ensuite agi comme si nous n’y étions pour rien, rêvant d’une innocence – bien perverse en effet. Qu’y a-t-il donc de si résistant à la compréhension, que des psychanalystes eux-mêmes
 ne cessent de remettre en question ?
Comment comprendre le « primat du phallus » tout d’abord ?
Pourquoi n’existerait-il que ce seul symbole ? C’est que les enfants sont d’abord le phallus de leurs mères, qui ont désiré avoir un enfant selon l’envie du Penisneid. Leur mère possède un phallus, puisqu’ils le sont ! Cette croyance, qui dénie la castration – perverse, donc -, s’enracine ainsi profondément et laisse de beaux restes tout au long de la vie. C’est une croyance clivée, et la reconnaissance de la réalité anatomique n’y change presque rien, sinon qu’elle accroît la perplexité. Le déni de la castration maternelle (c’est-à-dire l’axiome de la perversion) est en quelque sorte une nécessité de l’existence, qui pousse en même temps vers la jouissance d’organe : c’est qu’il s’agit d’Avoir le phallus plutôt que de l’Etre. Toutes les formes de masturbation active cherchent à démontrer cet « avoir » et libèrent de l’aliénation passive à l’Autre maternel. De son propre mouvement, la jouissance de l’Autre va trop loin. A la deuxième bouchée qu’avale un nourrisson, c’est déjà presqu’assez. L’excès voudrait se décharger, mais sa propre passivité devant le plaisir le bloque, de sorte que le problème se translate : comment devenir l’acteur de cet inévitable excès ? Devenir un tel acteur, peut se faire en se prenant soi-même de haut, par exemple, dans la prise onaniste d’une partie du corps. Cette masturbation active commence par le jeu avec les pulsions, ainsi destinées dès le départ au plaisir pervers. Mais cette libération engendre une culpabilité intense, puisqu’elle revient à priver la mère du phallus. Fini, l’angélisme du nourrisson !
Comment le petit diable pourrait-il retrouver le paradis ? Une punition soulagerait cette culpabilité, et l’enfant pourrait à nouveau prétendre à l’amour. De sorte que, très vite, chaque enfant s’efforce de se faire punir, donnant dès le départ son sens sexuel au masochisme.
Etre puni – souffrir- fait jouir ; tant et si bien que le sadomasochisme devient l’enveloppe formelle des perversions, et finalement de l’érotisme tout court. Ce rappel d’ensemble de l’entrée dans la jouissance d’organe phallique expose les points clefs de la perversion.
On définira d’abord l’enveloppe formelle (le sadomasochisme) ;
puis ses moyens d’actualisation (les pulsions) ;
enfin son but, ou encore sa clef de voûte (le fétiche).
1- L’entrée dans le phallicisme – on vient de le dire – se fait sous l’égide d’une punition. La culpabilité de l’enfant, régie par l’angoisse de la castration maternelle, le pousse à la rechercher. Pour préserver l’amour maternel, il préférera qu’un père tienne le rôle de fustigateur…, mais – et c’est la différence qu’il faut souligner – le père peut être invalidé dans cette fonction par la mère, formant ainsi la ligne de partage future entre névrose et perversion proprement dit, dans le tableau dans lequel la femme à la cravache, l’ange androgyne, prend une telle importance. La punition est nécessaire. Mais son agent est contingent : le rôle du père fustigateur – mythique – n’est pas toujours tenu par un père. Plus tard, au titre d’une réversion de ce masochisme premier en sadisme, les comptes avec ce fantôme vont se régler sur le dos d’un alter ego, avec lequel la scène initiale sera répétée. Tout ce que le sujet a subi passivement, il va chercher à le lui faire subir activement : cette répétition se fait sur le dos d’un semblable qu’il faut contraindre à changer de place. Elle est donc transgressive (et, à elle seule, une transgression quelconque peut faire jouir). Cette emprise de l’autre procède de l’aliénation pulsionnelle : une violence sourde, même lorsqu’elle est consentie, forme une sorte de préalable de la mise en couple, sinon d’un accouplement, dont le sadomasochisme constitue l’enveloppe formelle, efficace dans toutes les perversions (un voyeur doit exercer cette sorte de violence, de même qu’un exhibitionniste, etc). On la retrouvera même lorsqu’elle reste feutrée, ou garantie par un contrat, voire galante dans l’érotisme tout court (car un excès de prévenance avec la dame les traite comme des empotées).
2- Les moyens d’actualisation des perversions sont les pulsions. Qu’une pulsion partielle, le regard, l’excrément, la voix, etc, puisse faire jouir sexuellement est incompréhensible si l’on oublie que le but de la pulsion est d’identifier le corps au phallus, et que, par conséquent, se servir d’une pulsion pour instrumenter un autre va provoquer une érection. Il s’agit d’un passage de l’Etre à l’Avoir réalisé par le passage du passif à l’actif. Le catalogue des perversions énumère la jouissance des diverses pulsions, dont le but, c’est-à-dire le déni de la castration maternelle, n’apparaît que dans son résultat paradoxal : l’érection.
« Instrumenter » un alter ego signifie qu’il s’agit de prendre un autre soi-même comme support de cette soulageante actualisation. Lorsque la pulsion échoue sur son corps d’origine, elle chercher l’emprise d’un corps qui lui ressemble. Ce n’est pas une pulsion supplémentaire : chaque pulsion cherche à se saisir d’un autre corps, dès qu’elle rate son but sur le sien. Elle se saisit, par exemple, d’un camarade de jeu, sur lequel le polymorphisme pervers exerce ses talents (plutôt innocents). A dire vrai, la perversion n’aurait guère de visibilité et pas beaucoup de sens, si elle ne cherchait à s’assouvir sur un semblable. Toutes les pulsions peuvent se dédoubler en emprise d’un autre corps. Et au même moment, l’excès pulsionnel engendre l’excitation du pénis ou du clitoris. L’emprise d’un autre corps s’accompagne d’une excitation phallique (1) + (2). L’emprise, la violence en général, s’accompagne d’une excitation sexuelle. Comment comprendre autrement que le sadisme et le masochisme, le voyeurisme et l’exhibitionnisme puissent avoir une conséquence érectile ? L’auto-érotisme à deux des perversions stabilise la signification phallique selon une sorte de complémentation : le sadique cherche son souffre-douleur, l’exhibitionniste celui qu’il va surprendre, etc. ce n’est pas un masochiste qui cherche le sadique, ni un voyeur, l’exhibitionniste. Car la pulsion ne transfuse d’un corps à l’autre que grâce à un coup de force. Elle se quitte d’un côté, pour se retrouver de l’autre, mais à la condition d’une violence.Habituellement alternés par un même sujet, les deux pôles de la pulsion – qui oscillent entre être et néant – se répartissent entre deux sujets dont l’un contraint l’autre à encaisser à sa place sa propre part de néant. Plus loin dans son article, Gérard Pommier continuera ainsi : cette impersonnalité de la décharge pulsionnelle perverse contraste avec la subjectivité de l’érotisme, qui résulte du manque d’une personne singulière et pas d’une autre. Cette jouissance n’est pas prise grâce à la jouissance du partenaire (comme dans l’orgasme névrotique), mais elle s’exerce à son encontre, en lui faisant violence (ou avec un semblant de violence, lorsque le partenaire y consent). Il existe aussi une dimension de franchissement dans l’orgasme névrotique – mais elle dépend des contradictions internes au fantasme – dans la perversion, il faut au contraire la constituer par rapport à une norme quelconque, souvent sociale. La libération de la jouissance repose avant tout sur le transitivisme de l’emprise, c’est-à-dire sur l’acte de mettre de force l’autre à une place où l’on a soi-même été. Il faut métamorphoser l’objet en ce sujet que l’on a risqué d’être, et pour cela le prendre par surprise, malgré lui, et en ce sens enfreindre la loi, contrairement au consentement dont la névrose se satisfait. A la condition d’une transgression, l’emprise d’un semblable procure, certes, un soulagement de la tension pulsionnelle. Mais – à cause de son impersonnalité – elle ne débarrasse pas son acteur du tourment de son existence, puisqu’elle ne légitime pas son nom, comme l’érotisme peut le faire. Elle ne requiert aucune reconnaissance et une multiplicité de partenaires lui convient,seul leur annulation compte, au moment de l’échange des places. Pendant l’échangisme de cet auto-érotisme à deux, le partenaire est pris comme pur objet de l’actualisation. Cet anéantissement de la subjectivité du partenaire fait partie de la jouissance, ou même à lui seul il en tient lieu.
3- Le fétichisme forme la clef de voûte des perversions :
Chacune d’entre elles cherche une satisfaction sexuelle complète grâce à un objet pulsionnel. Mais comme le but de chaque pulsion est d’identifier le corps au phallus maternel, et comme le fétiche symbolise ce but, il représente toujours une sorte d’objectif au moins virtuel. Il concrétise de manière visible le déni de la castration maternelle, alors que les autres perversions cachent leur jeu : l’excitation sexuelle que peut provoquer une pulsion isolée reste un vrai mystère, puisque son enjeu phallique demeure latent et n’apparaît qu’avec son résultat : l’érection, encore une fois, véritable énigme dénaturalisant le sexe.
Si des pervers usent de fétiches – qui représentent un phallus maternel dont ils dénient l’absence – c’est bien qu’ils l’ont d’abord été eux-mêmes pour leur mère ! L’utilisation d’un fétiche déplace sur lui l’investissement phallique de l’Etre, et du coup, leurs interlocuteurs peuvent l’Avoir. Le recours au fétiche déclenche ainsi une érection. Pourquoi un fétiche excite-t-il ? Il ne tient pas cette vertu de sa valeur d’usage, mais de sa valeur d’échange. Des réminiscences investissent cet objet, surtout, s’il a servi dans le passé à parer la beauté maternelle, et qu’il symbolise ainsi son manque. La mère portait des bijoux, des chapeaux, des gants, etc, pour aguicher les hommes, pour provoquer chez eux, l’érection de ce qu’elle n’avait pas, et du coup, ces symboles imbibés de désir prirent la valeur du phallus – qu’elle n’a pourtant toujours pas. Le fétiche fonctionne comme un Ersatz du phallus maternel et il dénie sa castration : d’un côté, il la masque, alors que de l’autre, il la reconnaît. Un « écran » cache et montre. En réalité, le fétiche en lui-même n’est rien, n’eut été la promesse d’une érection. Entre être et néant, cette dynamique le rend excitant.
Le fétichisme, comme les autres plaisirs pervers, réalise une jouissance sans fantasme grâce à un scénario, celui d’un échange de place forcé. Il réitère l’entrée dans le phallicisme : un sujet a été le phallus de sa mère. Il se saisit du fétiche qui symbolise ce phallus, et il l’impose à quelqu’un : du coup, il ne l’est plus lui-même, mais il l’a. Cette libération engendre un plaisir intense quoique fautif, délicieusement coupable, et la femme sollicitée pour cette mise en scène sera alors bien avisée si elle administre à son compagnon de jeu une petite fessée (ou une correction plus importante). Par exemple, avec une cravache, qui pourrait bien d’ailleurs devenir elle-même un fétiche (ou même, fonctionner comme le seul fétiche de cette saynète). La punition peut variée, aller des insultes aux coups, ou se contenter seulement d’atteintes morales – mais avec elle sonne l’heure d’une deuxième décharge de tension, celle de la culpabilité. Ce bouquet final peut alors se clore sur une éjaculation, un sommet de plaisir qui signifie sa fin.S’il fallait les coter à la bourse d’Eros, les plaisirs pervers seraient, sans conteste, plus pratiques et moins encombrants que ceux de l’amour. Mais, outre qu’il faut être doué pour cela, ils laissent irrésolues des questions cruciales comme celle de la subjectivité, que l’amour sexuel soulage plus aisément – non sans lourdeur et non sans ce pathos qui font du coupable névrosé un ennuyeux encouplé ».
Voici donc comment Gérard Pommier, nous a présenté les Perversions, dans la revue lacanienne n° 16, éditée par Érès en 2009.
Nous terminerons cette réflexion par une note d’humour tirée du « Petit Freud illustré » (6)
« Troisième personne de la Sainte Trinité psychanalytique, (névrose, psychose et perversion).Terme désignant toutes les conduites sexuelles autres que celles désignant la position du missionnaire (sans préservatif ni moyens contraceptifs de surcroît). C’est dire le nombre élevé de pervers dans notre société. Pourtant ça peut redonner un bon petit coup de fouet dans le couple… Le pape est le garant officiel et mondial de la lutte contre la perversion bien qu’il ne s’étende pas beaucoup sur les conditions de certaines conditions divines. Dieu me chatouille. On utilise aussi le mot « paraphilie » (de para « contre », et philie, « tout contre ». Vous en trouverez une liste complète dans tout bon manuel de psychiatrie, (ne comptez pas sur nous pour vous la fournir ! ). Au gré des époques, du temps et des saisons, des régimes politiques et religieux, certaines pratiques sexuelles sont admises, tolérées, ou passibles de traitements définitifs. Si vous voyez ce que je veux dire. Donc soyez prudents. Littéralement « version du père », ce qui signifie que le sujet joue de l’écart du discours du père et de la mère afin de manipuler son entourage ; « Papa a dit que je pouvais me coucher à 2h du mat, boire de la bière et fumer du shit. » C’est en se rappelant son enfance débauchée que Freud en est venue à sa célèbre phrase : « L’enfant est un pervers poli qui morfle. » Certaines pratiques autrefois considérées comme perverses par la bonne morale sont aujourd’hui communément admises : fumer de l’herbe, mettre un string, voter extrémiste, regarder des films X, faire l’internat en psychiatrie, mettre des minijupes, faire du vélo sans selle, sucer une sucette en public, pratiquer un autre « chemin » intime que la voie royale qui mène à l’inconscient rôle de parent… »
Chantal Cazzadori
Psychanalyste à Amiens
Membre d’Analyse Freudienne de Paris
cycle de conférences 2016/17 – Salle Dewailly, Amiens
le 13 mars 2017.
Notes :
1 – Des perversions polymorphes de l’enfant à la perversion proprement dit – Cairn – par Gérard Pommier, la clinique lacanienne des perversions, 2009 n°16, chez Erès, pages 256.
2 – Les Deux Moïses de Freud (1914-1939) Freud et Moïse : écriture du père chez Très, Brigitte Lemérer, chapitre 4, p. 93.
3 – « A propos de ce que l’on dénomme perversion », titre du texte publié le 16 février 2015, par Françoise Fabre actuellement en ligne sur le site d’ Analyse Freudienne et le mien, www.chantalcazzadori.com
4- Trois essais sur la théorie sexuelle, Gallimard, Folia/Essais, 1987, p. 179. Freud
5 – carnet2psycho.net , la définition du fétichisme, quelques extraits.
6 – Le petit Freud illustré, Damien Aupetit &Jean-Jacques Ritz aux éditions de l’Opportun.
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