Le symptôme 2 – Construction et déconstruction – R. Lévy
LE SYMPTÔME – Construction et déconstruction, Séminaire II, Robert Lévy, 02/12/2009
Peut-être pourrions-nous reprendre notre propos à partir de l’idée que le symptôme et sa construction font partie de l’analyste ou bien, en d’autres termes que l’analyste est une formation de l’inconscient c’est-à-dire fait symptôme pour son analysant. On peut s’appuyer sur ce que Françoise Fabre a évoqué la dernière fois et suivre un peu le cheminement de son intervention qui tient lieu de construction ou plus exactement de nomination pour sa patiente. En effet l’analyste a dû oublier véritablement les éléments de l’histoire de son analysante pour pouvoir produire une construction, elle oublie, nous dirons qu’elle refoule le fait qu’elle s’était enfoncée un couteau dans le ventre pour se suicider, puis que son discours pour le moins mélancolique tournait autour de l’idée que « je souhaite rentrer dans le ventre de ma mère et que le fait que les enfants en sortent n’avait aucun sens ». Ventre donc signifiant particulièrement surdéterminé ; mais sans métaphore puisque ce que son analyste disait c’est bien que ses propos étaient pris au pied de la lettre jusqu’à en effet faire rentrer ce couteau dans son ventre pour y introduire une coupure réelle, dans le réel.
C’est donc après avoir entendu tout cela et l’avoir oublié que sa psychanalyste, alors que sa patiente revenait là-dessus en montrant son ventre tout en disant que ça n’avait pas de sens qu’elle lui dit : « oui c’est là, maintenant c’est localisé ». Nommant ainsi un bord, un lieu de délimitation pour elle.
Ce qui est particulièrement intéressant, c’est que le refoulement s’opère chez l’analyste là où chez cette patiente il est impossible de métaphoriser quelque chose de ce signifiant qui, manifestement fait retour dans le réel au point qu’elle puisse essayer dans le réel, avec un couteau donc d’y introduire une coupure, un bord . Ces éléments sont suffisants pour que l’on puisse parler ici de psychose. Si le transfert permet de faire signe de sens pour un sujet, il n’est pas question de cette occurrence ici puisque cette patiente se trouve dans un non sens dû au fait que ce signifiant ventre est hors sens, n’est pas intégré à la chaine signifiante, c’est une sorte d’énoncé en souffrance. Par conséquent, dans ce cas, l’analyste ne revient pas sur l’histoire de sa patiente pour lui proposer une construction sur ce qui aurait été oublié mais supplée au manque de refoulement pour pouvoir produire une nomination suppléante pour l’analysante. Cette suppléance fait (construit) d’une certaine façon un sinthome, c’est-à-dire relais (peut être symbolique, mais ça reste à préciser) là où aucune construction métaphorique n’est possible puisqu’il n’y a pas refoulement en raison de la forclusion.
Rappelons à cet égard que le terme de construction est issu de cet article de Freud, ‘ construction dans l’analyse ‘ au cours duquel il évoque ces pans d’histoire de l’analysant que l’analyste (re)construit au cours de l’analyse , comme ces ruines avec lesquelles on peut reconstruire l’histoire antique et qu’il interroge comme pouvant être de l’ordre du délire de l’analyste . Donc dans ce cas l’analyste s’appuie sur l’oubli du patient, sur son refoulement donc pour lui restituer cette part oubliée qu’il reconstruit. La construction se trouve du coté de l’analyste et le refoulement du coté de l’analysant. Mais dans le cas de Françoise, il ne s’agit pas de déconstruire le symptôme ou de construire quelque chose à partir de l’histoire de sa patiente, d’ailleurs il ne s’agit surtout pas de remplir ce vide de sens comme c’est le cas chez le névrosé en raison du refoulement mais au contraire de faire sinthome et on entend bien que c’est aussi du coté de l’analyste que se fabrique quelque chose, mais à son insu.
Il n’y a pas construction mais un refoulement côté analyste qui va permettre cette opération sinthomatique, cette opération de suppléance à la métaphore là où elle se révèle impossible à fonctionner. Un sujet a peut être été produit à cette occasion dans cette intersection S1…S2 où l’on est passé du signifiant S1 d’un énoncé qui fait retour dans le réel ‘ventre’ au lieu S2 du ‘c’est localisé’ qui borde et localise en effet une possibilité d’énonciation?
Mais Ce qui est vrai du champ des psychoses ne l’est il pas également de toute analyse, avec les différences bien sure, propres à chacun, c’est à dire au cas par cas ? Au fond dire que l’analyste est une formation de l’inconscient est une façon d’évoquer le statut particulier du symptôme dans l’analyse. C’est un an après le congrès de l’EFP de Rome où Lacan évoquait que la psychanalyse était un symptôme qu’il modifie les choses en évoquant maintenant que c’était le psychanalyste qui était un symptôme.
En effet instituer cette offre d’écoute au nom du sujet supposé savoir c’est offrir l’occurrence déjà d’un sujet supposé savoir la cause de la souffrance dont le sujet se plaint et de ce fait , faire entrer dans le circuit de la demande le caractère autiste de la jouissance en l’introduisant dans le champ de l’Autre d’une façon tout à fait nouvelle . En effet la jouissance du symptôme et ce qu’il permet de satisfaction substitutive est transférée au lieu de l’Autre comme jouissance supposée.
Disons que le sujet rencontre une nouvelle jouissance du fait même de parler. Ainsi ce qu’il en était avant l’entrée en analyse de la disjonction entre jouissance et sens, et de celle du malaise et du non sens, devient grâce à l’opération du transfert une possibilité d’intersection sur laquelle l’analyste interviendra. Mais pour que le symptôme sorte de son statut d’énigme il faut que le sujet puisse entendre que ce symptôme, son symptôme a une cause. ; En d’autres termes que quelque chose se produise pour qu’il puisse l’entendre. Peut-être pouvons-nous introduire ici l’idée que si l’analyste est une formation de l’inconscient, il ne s’autorise pas à cette place seulement de son propre inconscient, mais du fait qu’il ne se soutient pas dans l’Autre. Ce que j’ai pu déjà formuler S barré poinçon parenthèse vide pourrait tout à fait encore en être l’illustration puisque cette parenthèse vide est vide de toute identification donc il n’y a pas de grand Autre qui puisse en être le référent , c’est sans doute ce qui contribue à ce que l’on appelle la solitude de l’analyste qui ne peut s’autoriser d’aucun grand Autre sauf bien sûr à transformer l’analyse en psychothérapie . Cette position de l’analyste aura évidemment des conséquences puisque l’on peut dire que cette façon de considérer le symptôme sans Autre définit une nouvelle relation du sujet avec le langage lui-même et surtout détermine une fin d’analyse où le sujet s’aperçoit que le grand Autre n’existe pas et n’est au fond qu’un lieu de transfert de sens.
C’est déterminant d’un nouveau rapport de la jouissance et du sens du symptôme dans lequel le sujet ne ressent plus les effets nocifs de la jouissance que condensait le symptôme , ce qui ne signifie pas qu’il n’a plus de symptôme ; mais que le symptôme a perdu son sens de message et recouvre un nouvel usage de satisfaction substitutive cette fois décidée par le sujet et non plus à son insu. Bien entendu cette fin d’analyse est tout autre chez le psychotique puisque l’analyste
est pour lui une façon de rejouer la question du grand Autre qui chez lui, n’existait pas, où en tout cas était la source principale de ses difficultés. Quoi qu’il en soit, dans un cas comme dans l’autre c’est bien ce rapport très particulier entre l’Autre et le symptôme qui produit, chez les personnes analysées cette si singulière façon de ne plus s’y retrouver dans le monde des non analysés dans lequel se développe la croyance dans le règne incontournable du grand Autre.
C’est à dire que l’analyste comme formation de l’inconscient propose dans la cure, de par la situation de son désir d’analyste, une construction symptomatique d’un sujet barré dont le désir de l’objet est mis en suspens dans le transfert le temps de la cure ; c’est ce qui est productif , et qui a des effets chez l’autre analysant dans la mesure où l’analyste a pu réduire dans sa propre expérience analytique son propre symptôme à un artifice de langage, un sinthome donc .
Mais avant de nous engager dans le sinthome poursuivons plus tôt cette idée de préciser en quoi le symptôme dans l’analyse change de statut ou plus prosaïquement se transforme
Donc pour que le symptôme pour l’analysant sorte de son statut d‘énigme il faut qu’il puisse entendre que son symptôme a une cause. Cette cause est ce sur quoi toute analyse tourne du fait même du transfert, c’est à dire l’objet a. C’est un point très important car il ne suffit pas dans une analyse d’avoir atteint l’irréductibilité de la névrose de transfert encore faut il s’occuper de cet objet cause du désir ‘a’ qui fonde ce fait que le sujet se constitue comme sujet barré en raison même qu’il parle et qu’il se constitue au lieu de l’Autre ainsi que nous l’indique Lacan[1] « Le sujet apparaît d’abord dans l’Autre, en tant que premier signifiant, le signifiant unaire , surgit au champ de l’Autre, et qu’il représente le sujet, pour un autre signifiant, lequel autre signifiant a pour effet l’aphanisis du sujet .D’ou division du sujet- lorsque le sujet apparaît quelque part comme sens , ailleurs il se manifeste comme fading, comme disparition. Il y a si l’on peut dire, affaire de vie et de mort entre le signifiant unaire, et le sujet en tant que signifiant binaire, cause de sa disparition. Le vorstellungsreprasentanz, c’est le signifiant binaire ».
On peut déduire de cela un élément précieux qui concerne la construction du symptôme puisque Lacan signale encore que [2] « Tout phénomène qui participe comme tel au champ analytique, de la découverte analytique, de ce à quoi nous avons à faire dans les symptômes et dans la névrose nommément est structuré comme le langage ».
Donc à en suivre ce qui vient d’être dit non seulement le sujet de l’inconscient est dans un mode de construction quasi identique au symptôme lui-même, mais de surcroît puisque le symptôme lui aussi est structuré comme un langage, cela signifie que lorsque le symptôme trouve un sens, ailleurs il se manifeste comme disparition. En d’autres termes : le signifiant s1 représente le symptôme pour un autre signifiant s2 .C’est pourquoi Lacan poursuivra cette idée fondamentale que : [3] « Ce qu’il faut faire pour traiter un symptôme …jouer sur l’équivoque pour ne pas nourrir le symptôme de sens. »
Alors il est précieux, par conséquent de faire la remarque que c’est l’objet petit a cause du désir qui a pour vocation d’arrêter le sujet au bord du trou de la castration ; trou qu’il est toujours aussi essentiel de faire apparaître pour qu’ait lieu le pas essentiel par exemple dans la cure de l’obsessionnel.
C’est ce que l’on rencontre dans la cure de l’homme aux loups : [4]« L’abandon de fèces en faveur (par amour) d’une autre personne devient de son coté le prototype de la castration : c’est la première fois que l’enfant renonce à une partie de son propre corps pour gagner la faveur d’une autre personne qu’il aime. De telle sorte que l’amour, par ailleurs narcissique, que chacun a pour son pénis, n’est pas sans recevoir une contribution de l’érotisme anal. Les fèces, l’enfant, le pénis, constituent ainsi une unité, un concept inconscient – sit venia verbo- Le concept d’une petite chose pouvant être détachée du corps. Par ces voies associatives peuvent se produire des déplacements de l’investissement libidinal ‘, qui sont d’une grande importance pour la pathologie et que révèle l’analyse ». On peut donc voir le maniement du transfert dans la cure de l’homme aux loups à savoir que le désir anal de l’homme aux loups se situe en suppléance de ce qu’il est impossible de suppléer car chez l’obsessionnel à la place même du manque de l’objet entre en jeu un autre désir, le désir anal. L’exemple encore que donne Lacan dans le séminaire sur l’angoisse , exemple d’un symptôme obsessionnel [5] « Fonction de (a) en tant qu’il se dévoile fonctionnant dès les données premières du symptôme en la dimension de la cause –c’est là ce qui fait que le symptôme nous indique , dans son phénomène même que nous sommes au niveau le plus favorable pour lier la position de (a) autant aux rapports d’angoisse qu’aux rapports de désir . »
Cet exemple nous amène donc à considérer que l’amour est une façon déjà de transformer le symptôme entre angoisse et désir , c’est ce que l’on rencontre très communément chez tout un chacun lorsqu’il tombe amoureux, lune de miel qui apporte pour un temps une sorte de résolution à tous les autres symptômes, je dirai que c’est un peu pour prendre une métaphore comme le nourrissage au sein de la mère qui permet une immunité pour le bébé pour un temps .
Mais inversement, et c’est ce que Freud nous montre très bien, l’enfant peut renoncer à une partie de lui-même dans le caca qu’il donne à sa mère en échange de son amour ; on peut dire donc par amour. C’est ce que l’on rencontre également dans le transfert, car le transfert c’est un amour vrai pour paraphraser Lacan et c’est pourquoi souvent dans cette petite lune de miel transférentielle des débuts d’analyse se résolvent également quelques symptômes. Mais comme il ne faut pas perdre de vue que le symptôme est partie prenante dans sa construction de la structure du sujet lui-même ; donc si quelques symptômes disparaissent, le symptôme en tant que structure du sujet demeure un point d’incontournable et se modifie, en revanche au cours de l’analyse, c’est-à-dire au fur et à mesure que l’analysant chemine vers l’objet cause de son désir qu’il ne peut atteindre que dans son rapport au transfert.
C’est pourquoi toute idée d’un travail soi disant personnel qui ne passerait pas par l’analyse en tant que relation à une adresse incarnée dans un transfert me semble tout à fait questionnable. La dimension de l’amour n’est donc pas à évacuer voir même est le moteur essentiel, dans son effet de transaction imaginaire pour la mutation du symptôme. Mais c’est aussi pourquoi, réciproquement la résolution du transfert est toujours très complexe puisque si le sujet tient à son symptôme il tient encore plus à ce qu’il croit être l’objet cause de son désir qu’il situe forcément dans l’amour de transfert, plus communément appelée névrose de transfert. Il trouve en effet chez l’analyste les satisfactions qu’il trouvait auparavant dans le symptôme que l’on appelle aussi érotisation des défenses. C’est sans doute sur ce passage entre l’érotis
ation des défenses et l’érotisation de l’analyste que bon nombre de passages à l’acte des analystes et des analysants se produisent. En effet, comme je viens de le dire l’analyste prend forcément la place du symptôme et donc de ce fait la place d’une érotisation qui peut lui faire croire qu’il est bien l’être aimé.
C’est important de souligner cette question car on croit souvent que c’est du fait même de sa place dans le transfert que l’analyste prend consistance d’être aimé , or je crois que ce n’est pas du tout suffisant ; il n’a cette place non seulement du fait de l’amour qui lui est attribué , mais surtout parce qu’il prend la place du symptôme. On peut en avoir une petite idée avec l’exemple de Françoise puisque c’est en fabriquant du refoulement là où il n’y en a pas pour sa patiente qu’elle peut nommer, produire de la nomination là où le manque de refoulement coté patiente est impossible. Donc d’une certaine façon l’analyste fabrique un symptôme, le refoulement est l’essence même du symptôme qui va permettre à sa patiente, dans ce cas particulier d’assurer une suppléance, un sinthome.
Mais la plus part du temps dans la névrose le sujet disparaît dans le fantasme. Le symptôme analysable est donc un symptôme avec l’Autre du transfert il a pour fonction le message et la satisfaction substitutive mais ne se déploie vraiment que sous transfert dans le cout circuit que représente la relation à l’Autre de la parole et du langage. Dans cette mesure l’analyste est l’Autre du symptôme, mais pas seulement car il est aussi l’objet avec lequel le sujet devra s’engager à trouver une autre solution à l’exigence de la pulsion et bien sure par là même à modifier sa position à l’endroit des conditions de sa jouissance. .
C’est ainsi que dans une analyse la question de l’Autre se rejoue et c’est sans doute ce qui fait également que dans le champ des psychoses il y a un espoir de pouvoir nommer , voire construire quelque chose là où le trou forclusif s’est installé .Peut être construire du refoulement là où il n’y en avait pas mais alors du refoulement coté analyste c’est à dire une opération sinthomatique .
Alors la question qui se pose maintenant c’est celle de savoir si une fin d’analyse suppose la disparition du symptôme ?
En tout cas ce n’est sûrement pas en terme de guérison du symptôme que l’on peut y répondre ni plus en terme de disparition de sa cause. D’ailleurs ces deux points tiennent à l’intime rapport entre le symptôme et le sujet puisque guérir du symptôme reviendrait à dire que l’on soit guéri du sujet.
Lacan nous oriente plus tôt vers l’idée d’un [6] « savoir y faire avec son symptôme, c’est là la fin de l’analyse, il faut reconnaître que c’est court. » Oui, c’est un peu court en effet mais cohérent avec l’idée que :[7] « L’analyse ne consiste pas à ce qu’on soit libéré de ces sinthome, l’analyse consiste à ce qu’on sache pourquoi on est empêtré ».
Donc il faut bien admettre que dans une analyse on fait la rencontre avec un réel irréductible du symptôme dont le sujet est indéfiniment incurable puisqu’il est de structure. Alors s’agit-il de la modification de sa cause ou bien encore d’une modification du sujet ?
Pourtant si l’analyste n’attend pas de voir disparaître le symptôme c’est qu’il sait que le symptôme constitue un essai de solution voire même de suppléance dans la réalité du sujet. L’analyste tient ce savoir du fait que le symptôme est simultanément un signe du retour du refoulé et une satisfaction substitutive de la pulsion, une satisfaction donc qui se spécifie d’être obtenue sans une décharge libidinale [8] « en privant l’excitation de tout aboutissement ». Une jouissance donc qui tant qu’elle est en fonction efface, opacifie dirons-nous, le sens et la vérité que recèle le symptôme.
Robert Lévy .
[1] Lacan. J Séminaire XI LE SEUIL P. 199
[2] Seminaire XIII. P. 11 14 mars 1956
[3] Lacan Discours de Rome La troisième P.193
[4] Freud « Extraits de l’histoire d’une névrose infantile (l’homme aux loups) » 1918 Cinq Psychanalyse trad. M Bonaparte et Loewenstein Paris PUF 1954 p .389
[5] LACAN J L’Angoisse séminaire du 12 JUIN 1963
[6] Livre XXIV L’insu que sait de l’une bévue s’aile à mourre ORNICAR 12, 13 P. 12 18 Novembre 1976
[7] LIVRE XXV Le moment d conclure 10 Janvier 1978
[8] S Freud Inhibition Symptôme Angoisse PUF 1951 P. 7