Séminaire des enfants – Nouveau symptôme du social : l’enfance – R. Lévy

10/12/2010

Ce que je voulais évoquer ce soir, est finalement d’inverser ce nouveau symptôme de l’enfant ou de l’enfance parce que je pense , et je ne suis pas seul, nous sommes quelques-uns maintenant à remarquer que cette question de la nouveauté dans le symptôme est au fond quelque chose qui est beaucoup plus une invention du social que véritablement un nouveau symptôme au sens psychopathologique du terme. Nouvelle psychopathologie qui d’ailleurs trouve tout à fait sa réduction dans la façon dont ces soi-disant nouveaux symptômes sont soutenus. Je ne vais pas rentrer dans le détail mais je voudrais dire que je pense qu’il n’y a pas de nouveaux symptômes de l’enfance mais une société qui a peur de ses enfants. C’est quand même une grande nouveauté. C’est-à-dire que après que nous soyons passés à une aire, je dirai pré-Dolto, pour laquelle l’enfant n’existait pas, il ne faisait ni peur, ni pas peur, il n’existait tout simplement pas avant un certain âge, déjà avancé, on est passé, grâce à Françoise Dolto, il faut bien le reconnaître, à l’idée que l’enfant est un sujet qui a une parole. Et puis enfin, depuis quelques années maintenant, disons entre dix et quinze ans, l’enfant est devenu une entité qui fait peur. En d’autres termes la société est depuis quelques temps malade de ses enfants et par conséquent cherche à s’en soigner, voire même à s’en guérir ; comme si l’enfant était devenu, non pas un sujet avec une parole, mais véritablement un danger. Ce qui, vous le voyez déjà, change tout à fait la perspective et l’approche de la notion même d’infantile, la notion même d’enfance. Je crois que l’on a pas fini remarquer combien cette transformation du regard de l’idée même du symptôme chez l’enfant, a déjà et aura des conséquences sur la notion même d’enfance, bien au-delà de la question symptomatique de l’enfant.

En effet, tout se passe comme si nous avions assisté petit à petit à un glissement de l’approche du symptôme vers une nouvelle notion qui est celle de l’appréciation du risque que le social encourt par rapport aux symptômes. C’est déjà une première transformation, un premier glissement.

Ce risque est étroitement lié au refus social d’assumer une incertitude dans laquelle l’éducation des enfants devrait maintenant être certaine. On voit bien, au niveau des écoles, combien cette notion d’incertitude est sujette à une sorte d’intolérance.

J’ai connu, je ne suis pas le seul ici, une époque au cours de laquelle nous pouvions, praticiens que nous étions des problèmes de l’enfance, confier à des maîtresses, à des écoles, des enfants très mal en point avec tolérance, acceptation. Ceux qui s’écartaient n’étaient pas systématiquement orientés, rejetés, catalogués comme maintenant. Voilà quelque chose qui s’est transformé dans notre société.

Donc, plus d’incertitude et la généralisation de ce que l’on a vu apparaître petit à petit, souvenez vous de l’arrivée en France de cette école anglaise sur les observations précoces de la relation des Bébés avec leurs mères, sous couvert du dépistage des troubles des interactions précoces a engendré l’établissement de grilles de facteurs de risques. L’observation précoce a eu tout de suite son efficacité dans le dépistage précoce. C’est-à-dire que, pendant longtemps, j’ai vu cela dans les lieux de soin dans lesquels nous travaillions avec des collègues, pour la plupart de l’international. Faire des observations… J’avoue que n’ai jamais rien compris, ni pourquoi ce qu’elles venaient faire chez les parents, à se mettre dans un coin et à regarder comment les mères s’occupaient des enfants ; cela m’a toujours paru extrêmement absurde, sous couvert de la psychanalyse, alors que cela n’avait rien à voir avec la psychanalyse. D’ailleurs cela n’avait tellement rien à voir qu’on a tout de suite trouvé l’emploi de cette observation précoce avec son efficacité au sens du dépistage des troubles des interactions précoces. Du reste ceci a assez rapidement engendré l’établissement de grilles de ce que l’on va appeler les « facteurs de risques ». C’est-à-dire que l’on observait plus seulement la relation parents-bébé mais il était question de lister les facteurs précoces qui étaient des facteurs de risques. Voilà comment on s’écarte petit à petit de l’idée même de psychopathologie.

De ce fait la prévention des pathologies est récupérée dès la petite enfance par les approches sécuritaires et naturalistes de l’enfant.

Alors, évidemment, l’un ne va pas sans l’autre puisque parallèlement les neurosciences et la neurobiologie font des recherches sur le cerveau et la génétique qui servent peu à peu d’argumentaire pour lutter contre la délinquance et la violence, c’est le plus étonnant. Il ne s’agit pas de lutter contre des maladies génétiques, de certaines localisations du cerveau dans une logique qui n’est plus utile qu’au dépistage, non pas des symptômes, mais des troubles du comportement chez des enfants de plus en plus jeunes en essayant en même temps de repérer ce que l’on va appeler « des populations à risque ». Il s’agit donc maintenant de repérer de véritables classes sociales dangereuses associées à l’idée, par conséquent, qu’il existe bel et bien une hérédité, une prédisposition héréditaire à la violence des comportements. Et c’est cela que l’on se propose de dépister, de la façon la plus précoce qui soit.

Comme vous le savez, l’enfer est pavé de bonnes intentions et les efforts épidémiologiques sont le résultat de cette idée selon laquelle plus on dépiste les enfants tôt, plus on les aide avec efficacité. Ainsi, si il n’y a pas de nouveaux symptômes, en revanche il y a de nouveaux « comportements à risque » qui sont au nombre de trois.

  1. Le trouble des conduites
  2. Le trouble déficit de l’attention
  3. Le trouble opposition avec provocation

Alors si j’essayais de situer tout à l’heure l’arrivée de ce glissement, la façon dont le social s’est mis à avoir peur, non pas pour ses enfants, mais de ses enfants, cela date de façon extrêmement précise de la classification américaine du DSM, Manuel diagnostic et statistique des Désordres Mentaux, qui sert aujourd’hui de base à la classification internationale de l’OMS.

Le plus important n’est pas tant l’élaboration d’une nouvelle nomenclature mais le fait qu’elle soit en plus un outil de vérité, pour « suivre » et maintenant « poursuivre » dès les premiers mois de la vie de l’enfant, les signes prédictifs d’un comportement qui évoluerait ultérieurement et naturellement vers la violence et la délinquance si on ne les traitait pas très tôt.

Glissement donc évident et amalgame entre d’un coté la prévention psychologique, la santé publique et l’ordre public et de l’autre entre la prévention de la violence et la prévention de la souffrance. Puisque avant cette époque, on était plutôt dans une perspective de prévenir la souffrance psychique. Maintenant, on prévient les risques de violence, ce qui n’est pas du tout du même tabac…

Mais tout ceci ne serait peut être pas si grave si ce soi-disant « trouble des conduites » n’étai
t pas associé à la nouvelle mode : l’hyperactivité qui inclut, tantôt « le trouble oppositionnel avec provocation », tantôt ne l’inclue pas, très souvent superposé avec les « troubles de l’attention » ou les « états dépressifs ou anxieux ». C’est-à-dire une forme tout à fait générale dans laquelle les structures n’ont plus aucune espèce d’intérêt ni d’importance, seuls les comportements comptent. Mais surtout l’évaluation du risque supérieur d’une délinquance supposée.

Nous constatons donc qu’à vouloir envisager de nouveaux troubles, on ne fait que décrire des comportements et par conséquent on se trouve dans la situation non seulement d’évacuer les structures psychopathologiques mais de surcroit on revient vers une évaluation, si ce n’est morale, en tout cas moralisante du comportement des enfants. Bien évidemment ces idées s’adossent sur la supposition qu’il y aurait des milieux plus pathogènes que d’autres. Il ne s’agit même plus du dépistage, mais du tri sur des critères normatifs très précis dans lesquels on trouve pèle mêle des éléments tels que : « la dangerosité de voler le doudou du voisin », extrêmement dangereux ! Ou bien encore, autre critère très important des évaluations, « la cruauté envers les animaux » et évidemment l’absence de culpabilité, de timidité ou de fatigabilité. Comme vous le savez, les enfants sont fatigable, ne sont pas timides et sont coupables. Je reprends les choses à l’envers puisque si on connaît un petit peu ce milieu là, comment est-ce que l’on peut évaluer des comportements à risque avec l’idée de faire un tri et un dépistage sur des critères aussi absurdes que ceux que je viens de citer ?

On a vu récemment en France des enfants très petits sanctionnés pour agression sexuelle, qui est un des critères définissant « le trouble des conduites » parce qu’à l’école maternelle ou en primaire ils avaient essayé de soulever la jupe des filles ou bien encore tenter de leur faire un baiser sur la bouche …

Mais on constate également une inquiétude généralisée qui se déploie sur de critères aussi banaux que celui d’avoir du mal à se séparer d’un objet familier. On dépiste donc dans notre société malade de ses enfants, non pas tant le problème, mais les « critères de risque » pour cibler le problème de la délinquance en établissant une liste des populations à risque (milieu défavorisé, immigré, mères jeunes, parents isolés) avec l’élaboration de facteurs qui soient susceptibles de nous indiquer aujourd’hui la probabilité de son apparition dans le futur. En amalgamant ainsi les facteurs héréditaires, biologiques, sociaux, culturels et éducatifs qui ont quand même pour but de définir de nouvelles maladies mentales.

Mais pourtant nous ne touchons véritablement cette collusion qu’avec le développement sans précédent dans les annales de la psychopathologie de ce qu’on appelle aujourd’hui l’hyperactivité. C’est quand même le point central autour duquel s’organise toute cette affaire. 20 :43

Il faut dire que pour des cliniciens de ma génération ce constat fait réfléchir.

En effet est ce à dire que ce trouble n’existait pas il y a trente ans, que nous sommes passés à coté ? Ou bien s’agit-il véritablement d’un nouveau symptôme ? La vérité est que ce que l’on appelait dans le temps « instabilité psycho motrice » est maintenant associé, depuis l’invention du DSM IV, à des troubles des conduites chez l’enfant et l’adolescent dans lesquels l’enfant est « perturbateur » ou bien encore « viole les règles établies » ou présente un « trouble avec opposition et provocation ». Autant de nouvelles définitions qui supposent comme vous l’entendez des « déviations comportementales » comme l’hyperactivité, l’impulsivité et l’inattention qui sont regroupées sous l’appellation : « troubles déficitaires de l’attention avec hyperactivité » ou TDAH. Voilà le mot est lancé. Si cela vous intéresse, il y a un premier congrès à Bordeaux au mois de janvier.

Autant dire que selon les critères de comportement que je viens d’évoquer, c’est toute la génération 1968 qui devrait être mise sous Ritaline…

Quoi qu’il en soit, c’est avec cette nouvelle entité le TDAH que l’on touche à la proximité la plus grande entre les soi-disant nouveaux symptômes et l’inquiétude sociale, qui tend, dans cette occurrence à vouloir se prémunir non plus contre les symptômes mais contre ses enfants. En effet certaines enquêtes laissent penser qu’un enfant non traité risque à l’adolescence de sombrer dans la délinquance et la criminalité ; donc nous sommes au seuil de ce que l’on appelait à d’autre époques des « déviants » envers lesquels nous disposons, fort heureusement d’un médicament : la Ritaline.

La Ritaline fait donc taire et nie par conséquent le langage sous jacent à ce symptôme ; lequel symptôme est lui-même gommé par la notion de troubles, troubles qui ont ceci de particulier qu’ils mettent justement les autres en souffrance ; ce qui caractérise et constitue justement la particularité de ces enfants hyper kinésiques présentant des pathologies de l’agir. A ce moment là, ils dérangent les autres…

Donc aujourd’hui les enfants dérangeants, turbulents et agités paient cher leurs pathologies et il s’agit plus maintenant de faire taire leurs symptômes grâce au médicament où à la rééducation du comportement plus tôt que d’entendre leur souffrance permettant ainsi aux parents, éducateurs, enseignants de n’être plus ni déboussolés, ni bousculés ni même interpelés et ainsi laisser libre cours aux petits arrangements névrotiques ou pervers des adultes et de leurs institutions.

Circulez donc personne n’est coupable et la Ritaline pour tous.

Ceci est d’autant plus stupéfiant, si je puis dire (en effet la Ritaline est une molécule amphétamine comme la cocaïne et l’ecstasy) qu’aucune des études sérieuses pratiquées à ce jour ne permet de prouver que la TDAH soit du ressort d’un manque. Manque de dopamine, d’une origine génétique, d’un défaut d’ADN, d’une localisation du type récepteur D4, de particularité anatomique du cerveau ou bien encore d’un problème lié à la maturation du cerveau ou même, d’une anomalie de ce dernier, au sens de son fonctionnement. Aucunes de ces études sérieuses ne prouvent quoi que ce soit d’un rapport de cause à effet entre l’hyperactivité et ces éléments que l’on pourrait après tout rechercher.

Enfin il faut bien l’annoncer haut et fort : un enfant qui ne répond pas aux attentes scolaires n’a pas pour autant des problèmes d’attention et de concentration. Maintenant, dès qu’un enfant est en difficulté scolaire, par conséquent il a des troubles de l’attention et de la concentration. Ce qui est vrai ou faux, peu importe, le problème n’est pas là et n’a jamais été là.

La seule nouveauté en matière de symptôme c’est que le grand public soit informé maintenant de l’existence de médicaments censés réduire les troubles de l’attention qui entraine une sorte de vulgarisation des pathologies mentales qui banalise et change la donne des frontières entre le normal et le pathologique. On voit bien dans les écoles, l’enfant en échec est forcément pathologique. C’est quand même quelque chose que nous ignorions dans nos pratiques ancestrales. On n’était pas pathologique lorsqu’on était en échec scolaire.

Les parents et les éducateurs disposent maintenant de grilles qu’ils peuvent remplir pour faire le diagnostic eux-mêmes d’un trouble qu’il convient d’ôter, d’une anomalie dont le cerveau est très certainement responsable. Vous savez, je crois l’avoir dit ici ou là, que c’était le but premier de l’établissement du DSM. Pardonnez moi si je me répète pour ceux qui l’on déjà entendu mais c’est important de le rappeler. En effet, à l’époque où chez Pichot, à St Anne on recevait le premier DSM en anglais pour le traduire, j’étais à cette époque très en amitié avec un des chefs de clinique de ce service et il me racontait que son grand espoir étaient effectivement que les malades eux-mêmes puissent faire leur diagnostique en remplissant les cases du DSM. On voit bien qu’à vingt ans, trente ans presque d’écart, on en est là et cela va même au-delà des espoirs du moment puisque les parents eux-mêmes peuvent établir un diagnostic.

Revenons donc à nos bons vieux symptômes et essayons de sauvegarder ce qui est encore possible de l’être avec les outils psychanalytiques dont nous disposons encore.

La façon dont chacun s’accroche à son symptôme est évidente déjà chez Freud qui s’y heurte très tôt puisqu’il remarque que même sous hypnose, la suggestion n’en vient pas à bout. Si cette résolution du symptôme est si complexe c’est que dans le symptôme réside la particularité de chacun et donc on peut dire que dans le symptôme, se joue, est assuré et présent, une sorte d’irréductible singularité du sujet.

C’est pourquoi, dire que l’on pourrait alors se passer du symptôme serait alors presque équivalent à se passer du sujet.

Le symptôme fait donc partie intime de l’économie psychique de l’enfant et il a un sens qu’il est nécessaire de pouvoir déchiffrer voire même dans certain cas de sauvegarder, c’est là même son mode construction. Je crois que cette idée de sauvegarder le symptôme est particulièrement présente dans la clinique des enfants. Vraiment s’il y a quelque chose à faire valoir c’est cette idée que ce n’est pas parce qu’on nous amène un enfant avec un symptôme que pour autant on est chargé, d’ailleurs on serait bien en difficulté de le faire de toute façon, de le supprimer. De plus, je dirai que c’est important de pouvoir avec les parents, qui sont quand même ceux qui en viennent à avoir mal à leur enfant, introduire cette idée de la valeur du symptôme. Que c’est quelque chose qui a une fonction qui est nécessaire à une certaine économie psychique, qui d’ailleurs chez les enfants ne se réduit pas à une économie psychique de l’enfant lui-même. C’est une économie souvent plus large puisqu’elle associe les parents eux-mêmes, voire d’autres personnes ou institutions.

Donc il s’agit d’entendre que cette parole est en souffrance, mais il nous faut définir deux catégories de symptôme chez l’enfant. Je crois que c’est important car ce n’est pas du tout le même symptôme dont il s’agit. Tout d’abord celui que l’on rencontre dans la définition Freudienne la plus générale : c’est le symptôme au sens du refoulement et produit comme résultat du retour du refoulé ; et le symptôme le plus spécifique à l’enfance précoce c’est le symptôme construit par manque de refoulement.

Donc pour en revenir à Freud la notion de refoulement peut être prise dans ses deux versants. C’est important de garder cette idée lorsqu’on travaille avec les enfants puisque le plus habituel de ces symptômes ou de son mode de construction est celui de[1] « L’échec du refoulement comme condition préalable à la formation du symptôme ». Notons que le symptôme fait plus que de répéter le souvenir refoulé ; il fait retour pour signifier le désir mais aussi, c’est à mon avis le plus important, il change le sens du souvenir pénible. Ceci fait que l’on est souvent perdu face à ces retours du refoulé puisque un fois ce symptôme construit, c’est le souvenir pénible lui-même qui n’a plus le même sens. Il ne s’agit pas seulement de la question du souvenir oublié, refoulé mais de ce que ce refoulement du souvenir pénible a produit avec le retour du refoulé dans le symptôme comme changement de sens.

Alors, jusque là c’est plutôt l’occurrence la plus connue du refoulement chez Freud. L’autre versant un peu moins connu est celui qui concerne les symptômes névrotiques dont Freud nous dit ceci[2] : « ils se ramènent à des matériaux psychiques incomplètement refoulés, et qui, bien que refoulés par le conscient, n’ont pas perdu toute possibilité de se manifester et de s’exprimer »

Vous voyez que ce qui m’arête là c’est le « incomplètement refoulé », point, que très souvent on ne prend pas en compte. Parce que, forcément, comme on est assez bien éduqué « freudiennement » parlant, ce que l’on a retenu est que le symptôme est fabriqué par le refoulement et son retour.

Evidemment, sur ce dernier point qui concerne les matériaux non complètement refoulés, il nous faut ajouter ce qui est l’idée, au fondement même du symptôme pour Freud[3], la sexualité infantile qui « est la force motrice principale de la formation du symptôme »

C’est intéressant justement parce que cette force motrice principale n’est pas celle qui concerne le symptôme au sens habituel du terme causé par le refoulement, mais la part du refoulement qui concerne l’incomplètement refoulé, voire même ce qui ne peut pas être refoulé. Et c’est précisément celle que l’on rencontre, je crois plus largement, dans les symptômes construits chez l’enfant avant cinq ans.

C’est pourquoi je propose de réserver le terme de symptôme chez l’enfant à ceux qui se trouvent construits à partir du retour du refoulé comme dans le sens classique freudien, alors que l’on pourrait appeler plus tôt constructions symptomatiques, les symptômes construits à partir du manque de refoulement dans lesquels, c’st cela le plus important, les parents ont une part importante à jouer. Evidemment parce que s’il y a du manque de refoulement, c’est que les parents ont une part dans ce manque de refoulement et que forcément, pour que l’on puisse y entendre quelque chose, il faut les écouter également.

C’est aussi la raison pour laquelle tous les symptômes de l’infantile sont extrêmement labiles, transformables et surtout transitoires. C’est-à-dire que pour peut que l’on soit un tout petit peu clinicien avec des enfants, tout ce qui concerne des prospectives, quelles qu’elles soient, quant à un devenir qui serait évalué à partir d’un symptôme, quel qu’il soit et bien plus à partir d’un comportement, est complètement « fantoche » ! C’est-à-dire que la spécificité même de la construction du symptôme chez l’enfant est non seulement d’être construit à partir du manque de refoulement mais c’est surtout que ce sont des symptômes transitoires. C’est-à-dire que les symptômes se font, se défont en fonction d’un certain nombre d’éléments dont celui qui concerne la place des parents dans l’économie psychique de l’enfant. En effet, les parents ont une fonction que l’on peut considérer comme symboligène, c’est-à-dire qu’ils disposent de cette fonction très particulière qui permet à l’enfant de construire son rapport au symbolique dans le désir de ses parents.

On rencontre dans ce cadre toute la symptomatologie de ce qu’on appelle maintenant les troubles de l’agir et de la concentration dans lesquels bien évidemment les capacités ou les incapacités de pouvoir dire non de la part des parents ont leurs conséquences dans l’hyperactivité bien-sur. Evidemment, ce n’est pas le non au sens habituel de tous les jours, c’est un non qui suppose, que du coté de celui qui le dit, cela puisse se dire à partir de sa propre castration. C’est-à-dire à partir du fait que celui qui le dit court le risque de perdre l’amour de celui à qui cela s’adresse, cela inclus aussi la maman du petit garçon ou de la petite fille. Cela veut dire que c’est ce risque là qui est à perdre pour que ce soit un non symboligène. D’ailleurs on voit souvent des parents qui viennent en disant : « mais vous voyez bien, je lui dis non… » Petit à petit, on laisse parler les parents et en les écoutant on se rend bien compte qu’ils ne disent pas non, ils disent : « aime-moi quand même ! » Ce qui n’est pas du tout pareil ! « Hein tu ne m’en voudra pas si je te dis non… »

C’est avec Lacan que se clarifie ce dernier point puisqu’il ajoute quand même un élément essentiel en développant le fil de la construction du symptôme dans l’infantile. Je l’avais déjà cité mais je le reprends car cela me paraît tellement central pour notre travail avec les enfants [4] : « Nous savons bien dans l’analyse l’importance qu’a eue pour un sujet, je veux dire ce qui n’était à ce moment là encore que rien du tout, la façon dont il a été désiré. Il y a des gens qui vivent sous le coup, et cela leur durera longtemps dans leur vie, sous le coup du fait que l’un des deux parents-je ne précise pas lequel-ne les a pas désiré. C’est bien ça, le texte de notre expérience de tous les jours. Les parents modèlent le sujet dans cette fonction que j’intitule du symbolisme. Ce qui veut dire strictement, non pas que l’enfant soit de quelque façon le principe d’un symbole, mais que la façon dont lui a été instillé un mode de parler ne peut que porter la marque du mode sous lequel ses parents l’ont accepté. Je sais bien qu’il y a à cela toutes sortes de variations et d’aventures. Même un enfant non désiré peut, au nom de je ne sais quoi qui vient de ses premiers frétillements, être mieux accueillis plus tard. N’empêche que quelque chose gardera la marque de ce que le désir n’existait pas avant une certaine date. »

Il me semble que Lacan introduit ici un nouveau type de construction du symptôme. A savoir que ce n’est plus seulement le symptôme en tant qu’il serait construit à partir du refoulement du désir, mais le symptôme en tant qu’il se construit chez le sujet à partir du manque de désir de l’Autre ; ce qui introduit une toute nouvelle dimension dans cette question de la construction même du symptôme. Ou bien encore les symptômes, et par conséquent leurs constructions, seront différents en fonction dont l’enfant aura été désiré ; et surtout il ne faut pas oublier la position essentielle du désir des parents comme symboligène pour le sujet.

Il affirme donc clairement que le désir des parents contribue à la construction du symbolique pour le sujet ce qui est quelque chose d’absolument nouveau. Je vous rappelle que ce n’est pas du tout comme cela que Freud nous l’apporte. Cette idée, nous renvoie donc à autant de modes de construction différents, en fonction de la façon dont les parents auront désiré, sous une forme ou sous une autre, ou n’auront pas désiré leur enfant. Donc la suite symptomatique aura des conséquences évidemment très différentes dans les constructions mêmes du symptôme. Cela ouvre tout un nouveau champ de ce que l’on appelle la construction du symptôme…

Autant dire que Lacan nous invite ici à un travail avec les parents et ce, qu’il s’agisse du cadre des névroses, comme tout autant de celui des psychoses, et je dirai même encore plus dans ce cadre là. Puisque le symptôme psychotique est un symptôme également structuré. La psychose dévoile quelque chose du désir de l’autre dans son rapport au symptôme et le psychotique, dans ce sens, est parlé par son symptôme dans une langue que lui-même ignore. Ceci pose la question du symptôme de façon différente, le symptôme dans la langue, hors castration pour ce qui concerne le champ des psychoses.

On ne pourrait pas terminer ces propos d’introduction sur cette idée des symptômes de l’enfant, ou sur l’immaturité des symptômes de l’enfant sans conclure sur le fait qu’il n’y a pas de nouveau symptôme. Puisque si les parents ont une telle importance, c’est bien parce que l’enfant jusqu’à 5 ou 6 ans présente un mode de pensée plutôt métonymique et que cette construction est l’effet produit par le manque de refoulement, normal à cet âge mais qui entraine également un manque de maturation des processus métaphoriques.

Aussi plus l’enfant s’avance vers la réalisation de son refoulement plus il contribue également à mettre en œuvre la maturation de ses processus de métaphorisation .Tant et si bien que l’on peut faire le constat que la construction des symptômes à cet âge est le résultat de ce manque de refoulement ; inversement un symptôme qui disparaît est le résultat d’une production de refoulement et par conséquent permet à la métaphore de se développer.

Enfin tout autre est le mode de construction du symptôme plus tard, après 6 ans puisque l’enfant étant en mesure maintenant de maintenir et d’utiliser un mode de pensée métaphoro-métonymique, a pour conséquence que la construction du symptôme après, soit l’effet produit par le retour du refoulé et donc il ne s’agira plus de produire du refoulement ; mais au contraire de pouvoir lever ce refoulement. Mais je laisse ces questions au débat et vous remercie de votre attention.


[1] Œuvre complètes vol X PUF 1993 P.181 Le trouble de vision psychogène dans la conception psychanalytique

[2] Psychopathologie de la vie quotidienne Trad. Payot 1990 P.317

[3] Un enfant est battu in. Névrose Psychose et Perversion PUF Paris 1974 P 243

[4] LACAN conférence de Genève sur le symptôme

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