Réminiscences, réminisciences, un état des Mémoires de Freud. R. Lévy Paris 18/10/17
SOUFFRONS-NOUS ENCORE DE NOS REMINISCENCES ?
Robert Lévy
18/10/17
Séminaire I
« Réminiscences /réminisciences, un état des mémoires de Freud. »
Je voulais essayer de vous dire ce soir que l’on ne peut pas reprendre les questions inhérentes à la mémoire au refoulement, retour du refoulé, comme si depuis Freud et Lacan il ne s’était rien passé d’autre et en particulier du coté de nos camarades neuroscientifiques. Nous sommes à une époque où la psychanalyse est très largement décriée, questionnée, critiquée ou des thérapies de toutes sortes voient le jour appuyées (soit-disant..) sur les grandes découvertes des neurosciences. Je crois pas que l’on ne peux pas seulement dire que Freud c’est formidable et Lacan c’est encore mieux ni dire que les neurosciences ou le cognitivo-comportementalisme n’est rien du tout et nous , nous sommes formidables… Je ne suis pas pour ce genre de propos, je crois qu’ être psychanalyste c’est être chercheur et que de se fait, on se doit aussi de tenir compte des autres chercheurs et de ce qu’il pensent avoir découvert. Après quoi on peut critiquer acquiescer penser que l’on est proche ou lointain mais en tous cas, il me semble que la moindre des choses pour un chercheur comme un psychanalyste est de s’intéresser d’un peu plus près aux neurosciences ; ne serait-ce que pour pouvoir dire que l’on est ou pas d’accord sur tel ou tel sujet.
C’est ce que je vais essayer de faire ce soir à travers la question des réminiscences.
Le séminaire de cette année et son thème nous force à reprendre des questions fondamentales qui concernent notre post modernité et sans doute la façon dont la novlangue du scientisme prépare l’opinion à une nouvelle civilisation ‘médico économique’[1] déjà décrite par Foucault ; conception « médico économique » positiviste de la relation entre le fait scientifique et la réalité qu’il prétend décrire et qui accroit la performativité de cette idéologie.[2]
Bien évidemment c’est la psychanalyse qui trinque face à la souveraineté de la psychologie cognitivo comportementale qui s’impose avec ses critères de validité institutionnelle face aux sciences de la vie.
Nous sommes plus que jamais, avec le thème de cette année, face à un choix qui consiste à se demander à nouveau si « ce que je pense » a un sens fussent les pensées qui me reviennent sous forme de réminiscences ou bien si « le cerveau secrète la pensée comme le foie secrète la bile » ?[3] Comme l’évoquait offroy de la Metrie dans son ouvrage « l’homme machine ».
Pourtant C’est un fait, nous souffrons.
Nous avons pu mesurer au cours de l’année passée combien le concept de symptôme et de guérison pouvait donner lieu à diverses interprétations suivant le sens que l’on pouvait attribuer à la notion de symptôme.
Mais l’idée même que l’on pourrait souffrir de ‘réminiscences’ est une idée totalement nouvelle liée à la découverte Freudienne puisqu’il s’agit dès lors de concevoir la mémoire comme un symptôme autant dire comme un nœud de signifiants.
C’est d’ailleurs maintenant sur ce versant que les détracteurs de la psychanalyse se battent également et proposent d’en finir avec non seulement la psychanalyse mais surtout avec ce qui l’a fondée : la mémoire et ce, même si paradoxalement comme nous allons le voir les chercheurs actuels des neurosciences ne cessent de s’y intéresser.
En effet nous ne pouvons, quant à nous, supposer la mémoire sans l’oubli, c’est-à-dire sans le refoulement. C’est pourquoi on peut dire qu’en ce qui nous concerne : la mémoire c’est le refoulement.
C’est toute la thèse Freudienne de « psychopathologie de la vie quotidienne » qui en témoigne. Nous avons sur ce point une certaine forme de communauté avec les neuro scientifiques pourtant la notion de refoulement ne semble pas avoir attiré spécialement leur attention.
Voici donc le paradoxe sur lequel repose la psychanalyse : « Il n’y a pas de mémoire sans oubli » et par conséquent la notion même d’inconscient comme tel.
En effet dès les premiers écrits Freudiens la question de la mémoire est liée au refoulement, tout d’abord conscient, volontaire, une sorte de refoulé actif.[4] Très vite Freud mettra en évidence dans les études sur l’hystérie un mécanisme de défense contre une représentation inconciliable.[5]
Puis toujours dans ce même texte il en arrive à remarquer un type de défense différent du simple refoulement qui « ayant beaucoup plus d’énergie et de succès, qui consiste en ceci que le moi rejette la représentation insupportable en même temps que son affect et se comporte comme si la représentation n’avait jamais abordé le moi[6] ». Ainsi deux notions importantes constituent la mémoire, c’est-à-dire l’oubli : l’affect et la représentation.
En première approche nous soutiendrons déjà qu’il n’y a pas de mémoire sans refoulement comme nous venons de l’évoquer et que le refoulement c’est l’inconscient.
Comment se pose alors la question de la souffrance ?
En effet comment peut-on souffrir de sa mémoire ou en d’autres termes en quoi consistent ces « représentations insupportables »?
Et, par conséquent, pourquoi le refoulement s’il existe ne suffit-il pas à inhiber la douleur si elle se présente, c’est-à-dire l’affect lié à la représentation insupportable ?
Ce n’est évidemment pas le hasard si les neurosciences s’intéressent tellement à ces concepts de mémoire et d’oubli. Nous ne pouvons pas d’un revers de manche faire comme si depuis Freud il ne s’était rien passé du côté des sciences de la mémoire et de la critique que nous pouvons en faire depuis notre propre champ.
Le journal LE MONDE science et médecine du 23 Aout dernier titrait « mémoire et oubli, plongée au cœur d’un duo paradoxal » … Présentation somme toute très Freudienne.
Je ferai volontiers mienne cette définition proposée dans ce même journal : « c’est parce que les détails de nos souvenirs s’effacent que nous pouvons agir, nous adapter au quotidien, acquérir de nouvelles connaissances. Immersion dans le processus de l’oubli qui, lorsqu’il est massif, peut être le symptôme d’une maladie ou d’une lésion cérébrale. »
Quoi donc de plus actuel comme question que celle de savoir si nous souffrons encore de nos réminiscences ? ….Nous sommes donc parfaitement d’accord sur l’idée que mémoire et oubli ne sont pas deux fonctions antagonistes mais que ces deux fonctions répondent aux memes objectifs et pourquoi pas les deux faces d’une même médaille.
L’oubli est la condition même de l’action et rend notre mémoire performante ; nous rend par conséquent plus intelligents.
Une petite parenthèse talmudique pour rappeler également que l’enfant à sa naissance est considéré comme un « sachant » qui aurait tout oublié. En effet un ange viendrait mettre son doigt sur sa lèvre supérieur, ce qui rendrait compte également de la raison d’être anatomique de cette petite fossette.
Ainsi l’oubli n’est pas une maladie de la mémoire mais une condition de sa santé.
Il faut ici citer Jorge Luis Borges [7] « (.) Le présent ainsi que les souvenirs les plus anciens et les plus banals lui étaient devenus intolérables à force de richesse et de netteté. (..) Sa perception et sa mémoire étaient maintenant infaillibles ». On souffre donc de la mémoire si celle-ci n’opère plus d’oubli.
Quelle drôle de formule que celle qui consiste à dire que le sujet « souffre de sa mémoire » alors que certains s’entrainent pendant des années à exercer leur mémoire. Y aurait-il plusieurs mémoires ?
Nous savons combien certaines formes d’Autisme se manifestent par une sorte d’hypermnésie qui rend impossible l’oubli et mène ces sujets par le bout de leur nécessité à engranger le plus de mémoire possible sur tel ou tel sujet. A cet égard les troubles sont liés à la difficulté de pouvoir penser car mémoriser n’est pas penser ; « penser c’est au contraire oublier des différences, généraliser abstraire. »[8]
Les mnémonistes donc, du style de Rain Man, sont capables de retenir une masse d’informations impersonnelles à la suite d’un entrainement intense comme de retenir des dizaines de milliers de décimales mais sont en revanche bien piètres spécialistes de tout ce qui concernerait une mémoire investie affectivement c’est-à-dire celle qui se manifeste par ce qu’on appelle le souvenir… Il faut donc bien concevoir qu’il existe une mémoire sans souvenirs et en dehors de l’affect.
On peut donc faire déjà la distinction entre deux types de mémoires, celle qui permet d’accéder à des connaissances antérieures que l’on peut qualifier de mémoire sémantique et celle sur sa propre vie qui permet d’accéder à des souvenirs personnels, mémoire épisodique.
De même les enfants qui naissent avec une lésion de l’hippocampe alors qu’ils acquièrent très peu de souvenirs, acquièrent le langage et des connaissances mais sont incapables de raconter des anecdotes de leur journée. D’où l’hypothèse que des connaissances peuvent être formées sans accéder au statut de souvenirs.[9]
Par conséquent il semblerait admis maintenant que les mécanismes neuronaux à l’origine de l’effacement des souvenirs sont distincts de ceux qui en assurent le stockage.[10]
Une conséquence directe de cette « découverte » est celle que soutient Stanislas Dehaene, Professeur au Collège de France, chaire de psychologie cognitive expérimentale cité dans ce remarquable article de André Giordan
« On comprend notamment pourquoi la « méthode globale » d’apprentissage de la lecture est condamnée à ne pas bien fonctionner. En effet cette dernière attend de l’enfant qu’il reconnaisse un mot entier – « chaise », « vache », « lapin » – et non ses composantes autonomes, associations de graphèmes et de phonèmes, que l’enfant devra décomposer en lettres et en sons. Or ce sont bien sur ces segments, à commencer par les lettres, que travaille le cerveau, quand il mobilise ses algorithmes de reconnaissance des visages. Le « b a ba » dont on s’est tant moqué est ce qui permet le mieux d’activer et de recycler les zones cérébrales adéquates (6). »
Pour ce chercheur, il suffirait d’attirer « l’attention (7) de l’élève » vers l’aire cérébrale appropriée pour que disparaisse toute difficulté et même soit éludé tout contexte scolaire, social, familial, culturel… Difficile en l’état des recherches de neurobiologie d’avancer « une aire de la lecture », cela serait en plus en contradiction avec les autres travaux sur le fonctionnement du cerveau qui se concentrent sur des réseaux neuroniques !
Pourtant si on reprend l’idée que les mécanismes neuronaux à l’origine de l’effacement des souvenirs sont distincts de ceux qui en assurent le stockage. Sommes-nous si éloignés de ces remarques si on relit ce fameux texte des études sur l’hystérie [11] dont je vais devoir vous citer de larges extraits.
Les matériaux psychiques pathogènes comportent au moins trois strates « il y a d’abord un noyau de souvenirs (souvenirs d’évènements ou de suites d’idées) où le facteur traumatisant a culminé ou bien où l’idée pathogène s’est plus nettement formée. Autour de ce noyau se trouve une quantité souvent étonnamment abondante de matériaux mnémoniques. (..) . En premier lieu on reconnait une évidente disposition chronologique linéaire, réalisée à l’intérieur des thèmes en question (..). Ces ensembles rendent plus mal aisé le travail analytique du fait que l’ordre chronologique d’apparition des incidents s’y trouve inversé (..). C’est l’impression originelle (..) produite du début de la série, qui met le point final. Ces thèmes sont autrement regroupés encore, (..) ils sont concentriquement disposés autour du noyau pathogène. ( ..). Les strates les plus extérieures comprennent les souvenirs (ou faisceaux de souvenirs) qui peuvent le plus facilement revenir à la mémoire et sont toujours clairement conscients. A mesure que l’on pénètre plus profondément (..) la reconnaissance des souvenirs qui émergent se fait plus difficile jusqu’au moment où ‘on se heurte au noyau central dont le patient persiste à nier l’existence lors de leur apparition. (..) Citons encore maintenant une troisième sorte de d’agencement, la plus essentielle (..) je veux parler de (..) l’enchainement par les liens logiques se prolongeant jusqu’au noyau (..) pour nous figurer l’enchaînement logique, nous nous représenterons une baguette pénétrant par les voies les plus sinueuses depuis la périphérie jusqu’aux coches les plus profondes et inversement (..) en s’arrêtant à toutes les stations. L’enchainement logique ne rappelle pas seulement une ligne en zig zag, mais plutôt un système de lignes ramifiées et surtout convergentes. Ce système présente des nœuds où se rencontrent deux ou plusieurs lignes. Une fois réunies ces lignes poursuivent ensemble leur route. En règle générale, plusieurs lignes, indépendantes les unes de l’autre sont parfois reliées, débouchent ensemble dans le noyau central. Autrement dit, il convient de noter avec quelle fréquence un symptôme est multi ou surdéterminé. ».
Après cette lecture Freudienne des origines de la psychanalyse Je voudrais poursuivre la remarque selon laquelle « les mécanismes neuronaux à l’origine de l’effacement des souvenirs sont distincts de ceux qui en assurent le stockage ».
C’est donc à la suite de différents encodages neuronaux, à une mise en réseaux de neurones activés ensemble par les données à mémoriser ou par un apprentissage que se forme un souvenir dans le cerveau. Le problème c’est l’instabilité de son encodage car pour laisser une trace mnésique ces réseaux doivent être consolidés.
Nous remarquerons à cet égard que cette hypothèse justifierait les techniques actuelles de thérapie de reprogrammation ou de consolidation de la mémoire.
Les mécanismes d’effacement quant à eux sont de deux types, le premier est logique, c’est l’effacement synaptique à long terme, sorte de dépression de la synapse. « Le second mécanisme est contre intuitif : il vient de la formation de nouveaux neurones, à partir de cellules souches du cerveau ».
En fait la formation de nouveaux neurones précise robert Jaffard[12]entraine des effets opposés selon le moment où elle se produit.
« Lors de l’encodage d’un souvenir, elle facilite grandement sa mémorisation » mais après c’est le contraire : « après un apprentissage, quand on provoque artificiellement la formation de nouveaux neurones, on entraine son oubli ». Ceci expliquerait pourquoi les enfants qui produisent beaucoup de nouveaux neurones oublient si facilement.
Mais la conclusion la plus intéressante de cette recherche est bien que notre cerveau consacre tant d’énergie à créer des neurones aux seules fins d’affaiblir nos souvenirs..
Par conséquent On peut dire que le refoulement est notre mécanisme de régulation par excellence.
D’ailleurs c’est bien ce que suggère encore robert Jaffard avec le processus dit de sémantisation
« Une fois le souvenir encodé, sa trace mnésique va migrer de l’hippocampe et cette migration s’accompagne d’une forme d’oubli : les informations stockées dans le cortex sont moins précises plus schématiques » ; et donc, et ce n’est pas un des moindres effets du processus de sémantisation : indépendantes du contexte.
C’est ce processus qui nous permet grâce à l’oubli donc de généraliser et conceptualiser. « Ainsi une bonne mémoire est une mémoire qui hiérarchise et sélectionne » et le sommeil lent est ce qui joue un rôle dans cette sélection puisqu’il permet le tri entre ce qui sera archivé et ce qui sera effacé.
Nous savons quant à nous que le souvenir « hors contexte » est la définition même de la réminiscence.
Serge Laroche [13]quant à lui précise encore les choses : « une partie de l’oubli serait un déficit du rappel des détails, dont la trace pourrait rester présente dans le cerveau. Il faut alors trouver les éléments contextuels permettant de les réactiver ».
N’est-ce pas cela même que nous suscitons dans ce que l’on appelle l’association libre qui, grâce au déroulement de nombreuses chaines signifiantes « contextualise » en s’associant ?
Enfin Antoine Lejeune et Michel Delage [14] indiquent que « face à une mémoire explicite (consciente) toujours fragile, laborieuse, couteuse en énergie, la mémoire implicite (inconsciente), solide, robuste s’impose souvent »
C’est donc cette mémoire implicite qui peut bloquer ou au contraire ouvrir l’accès à certains éléments de notre passé. En d’autres termes c’est notre inconscient qui est à la manœuvre pour ce qui concerne la gestion de notre mémoire.
Le plus intéressant quant aux dernières recherches de nos collègues neuroscientifiques c’est de s’accorder sur le fait qu’il existe ce qu’ils appellent de nombreux « faux oublis »[15] ce que nous appelons sans doute « souvenir écran ».
Mais surtout que les souvenirs que l’on croit oubliés resurgissent à notre insu dans le présent et que le souvenir n’est en fait qu’une « reconstruction » car lors de sa reconsolidation le souvenir est malléable.
Comment ne pas traduire dans notre langage analytique : « retour du refoulé » et « construction » par le fantasme ou tout simplement « construction dans l’analyse » ?
Ils (nos collègues neuroscientifiques) s’engagent donc peu à peu dans la justification neuro scientifique de la théorie Freudienne en concluant que dans une même famille, chacun ayant vécu le même évènement, « en stocke et en remodèle le souvenir suivant ses humeurs du moment, ses connaissances nouvelles, son évolution, son système de valeurs ». Entendons ici traduit de façon Lacanienne combien le réel de chacun implique une construction de souvenir différent pour un même évènement avec, bien sûr, l’aide du fantasme… Mais il faut temporiser ces « découvertes » neuroscientifiques par le fait que le cerveau n’est pas la pensée et qu’il existe indéniablement une rupture épistémologique entre le monde des neurones et celui des idées. Il y a pourtant une limite qui est celle qui consiste à soutenir que notre pensée et nos actes se trouveraient subordonnés à l’ordre de notre nature qui serait celle que cette éthique de la nature impose.
La pensée, véhiculée par les mots, les concepts et les émotions, a certes un support biologique objectif, qui met en jeu également des circuits et des connections neuronales.
Cependant l’activité métabolique des différents centres ou des circuits cérébraux est modifiée par les situations vécues par la personne. On a constaté une interaction semblable entre l’environnement et les gènes, ce qui a donné lieu à une nouvelle approche, l’épigénétique dont nous parlerons tout à l’heure[16].
Il y a tout de même une certaine forme de haine de la parole et du langage la part des scientistes, haine qui a pour fonction de dénier son efficacité symbolique.
Evidemment la conséquence ou encore le projet est toujours le même : une conception positiviste de la relation entre le fit scientifique et la réalité qu’il prétend décrire .L’autre difficulté quant à ces résultats c’est la différence entre vérité et certitude puisque comme le fait encore remarquer Giordan : « Il est important de comprendre que chaque fois les images obtenues ne sont jamais une image directe de l’activité du cerveau, mais une image reconstruite. Par exemple, l’IRMf repère l’afflux de sang oxygéné dans les différentes zones du cerveau ; celui-ci varie en fonction des situations présentées. Par cette approche, le chercheur suppose repérer les régions du cerveau spécialement actives lors d’une tâche donnée. De même, la TEP mesure les modifications du débit sanguin au moyen d’un traceur radioactif préalablement injecté par voie intraveineuse. L’image finale présentée dans les articles scientifiques, et souvent reprise par les médias, est ainsi une modélisation ; elle peut même intégrer des résultats statistiques. Dès lors, les paramètres de cette reconstruction, notamment le choix des « fausses couleurs » employées, surdéterminent à la fois l’image obtenue et l’interprétation proposée. »
La forclusion du pouvoir du signifiant est donc de mise dans le discours scientiste. Ainsi nous dérivons tranquillement entre une éthique du sujet de la science qui tire sa légitimité de la responsabilité de la nature à une éthique du sujet de la psychanalyse qui n’est autre que l’éthique de la responsabilité du sujet..
Là encore on ne peut pas manquer de rappeler que comme l’évoque très justement Christian Hoffmann[17]en citant le fameux Deheane : « La nouvelle psychologie du développement s’est inspirée de l’éthologie afin d’évaluer, sans recourir au langage, les compétences du bébé de quelques mois seulement »[18].Et Dehaene de conclure « il existerait donc une étroite homologie entre les primates humains et non humains »[19]
Nous voici donc happés par ce courant naturaliste des sciences qui suppose alors que les faits mentaux ne seraient plus distincts des faits physiques.
Mais pour en revenir à la question du souvenir, évidemment la question arrive très vite de savoir comment distinguer l’oubli positif de l’oubli pathologique, en d’autres termes comment distinguer l’oubli qui soulage de celui qui fait retour par la réminiscence qui fait souffrir ?
Mais avant de m’engager sur ce terrain, je ne résisterai pas à vous transmettre le point sur les différentes mémoires aujourd’hui en recherche par nos amis neuroscientifiques [20]
La mémoire EPISODIQUE
Celle des souvenirs, à long terme des évènements vécu personnellement dans un contexte spatial et temporel précis. Elle n’apparaitrait qu’après 5 ans
La mémoire SEMANTIQUE
Mémoire des connaissances, à long terme des concepts, des mots et savoirs généraux sur le monde et nous même
La mémoire AUTOBIOGRAPHQUE
Mixte de la mémoire épisodique et sémantique
La mémoire DECLARATIVE
Celle du stockage et de la récupération des données que nous pouvons faire émerger consciemment et exprimer
La mémoire PROCEDURALE
Celle des savoir-faire et habiletés motrices, verbales, cognitives, quand elles sont devenues automatiques
La mémoire IMPLICITE
C’est la mémoire par excellence inconscient, émotionnelle. Celle qui, à notre insu peut contrôler des souvenirs en établissant, par exemple un lien entre les affects du présent et ceux de la période d’acquisition du souvenir.
La mémoire PERCEPTIVE
C’est celle qui s’appuie sur diverses modalités sensorielles (ouïe, vue etc..) pour reconnaitre un parcours familier sans que nous ayons consciemment à y prêter une grande attention
La mémoire de TRAVAIL
Celle du court terme qui permet de stocker et manipuler des infos pendant plusieurs secondes qui permet ainsi de raisonner, de réaliser une tache , comprendre ce qu’on lit et suivre le fil d’un discours ..
Alors pour en revenir maintenant à la question, de quoi souffrons-nous ? Freud répond en 1892 :
« C’est de réminiscence surtout que souffre l’hystérique »[21] puis quelques pages plus loin il s’en explique :[22]« si les représentations devenues pathogènes se maintiennent ainsi dans toute leur fraicheur et toujours aussi chargées d’émotions, c’est parce que l’usure normale due à une abréaction et à une reproduction dans des états où les associations ne seraient pas gênées, leur est interdites »
Il s’agit donc essentiellement du retour du refoulé qui fait souffrir donc par manque de refoulement …
Ainsi ce qu’on appelle représentations pathogènes ce sont celles qui, pénibles, sont proches à « figurer des affects de honte, de remords, de souffrance morale »[23]
D’où la thèse fondamentale de Freud que la souffrance psychique est la preuve de l’échec du refoulement ou encore de l’incomplétude du refoulement. Comme on dit qui aime bien châtie bien, on dira également : ce qui est correctement refoulé évite la souffrance.
Ou encore en d’autres termes si la représentation insupportable et l’affect qui lui est lié ne sont pas rejetés « comme s’il n’avait jamais existé », alors la souffrance viendra en raison de la réminiscence. La Réminiscence est à entendre ici comme ce qui n’a pas pu être intégralement refoulé et qui fait retour.
Pourtant c’est là où souvenir et réminiscence se différencient car c’est justement cette réminiscence qui exclue le souvenir tout en le maintenant présent et actif, inconsciemment.
Les collègues neuroscientifiques font la différence entre réminiscence et reviviscence et ce point nous semble très intéressant.
En effet, ils considèrent que la reviviscence correspond plutôt à des souvenirs ou des fragments de souvenirs intuitifs menaçants et envahissants qu’ils imposent à la conscience [24]
La reviviscence est donc plutôt de l’ordre de l’envahissement et donc du traumatisme, le vécu passé est revécu comme présent. C’est pourquoi le syndrome post traumatique se caractérise justement par un travail de mémoire impossible, même pas de réminiscence donc puisque c’est le passé dans son intégralité qui envahit le présent et s’impose à la conscience.
On pourrait ici faire une petite remarque importante puisque cette distinction réminiscence–reviviscence nous amène à considérer, à juste titre que dans un cas, celui de la réminiscence, il y a eu une forme de construction du souvenir via le réel et le fantasme alors que dans l’autre, la reviviscence, ce processus n’a pas pu se construire en raison de l’effraction du fantasme.
Mais réminiscence et reviviscence se mêlent tout autant assez souvent …
Quoi qu’il en soit et autour des questions traumatiques, en particulier précoces ; on ne peut plus traiter de ces questions sans réfléchir à ce que nous apportent les dernières recherches sur ces questions.
C’est en 2009 que Gustavo Tureki publie avec Michael Meaney dans la revue Nature neuroscience le résultat d’une étude qui fera date.
« [25]Les auteurs ont comparé le cerveau de 36 adultes décédés : 12 suicidés non maltraités durant l’enfance ; 12 suicidés non maltraités, et 12 morts de maladie ou d’accidents, sans histoire de maltraitance. « Les suicidés qui avaient été maltraités précocement présentaient, dans les cellules de leur hippocampe, plus de ‘méthylation’ (marques épigénétiques) sur un gène codant le récepteur des hormones du stress ». Comme si les mauvais traitements subis très jeunes rendaient (l’axe du stress) hyperactif atténuant la résistance au stress. Ce serait « une adaptation de l’enfant à un environnement insécure, imprévisible, nécessitant une hypervigilence ».
Avec donc d’une part l’idée que l’épigénétique nous donne, à savoir la modification acquise de certains caractères génétiques en raison de l’environnement et des interactions ; et d’autre part la preuve de la modification de certains réseaux corticaux pour les memes raisons, nous avons la preuve de l’inscription somatique acquise et non génétique d’un certain nombre de syndrome liés très directement aux aléas des questions qui concernent l’oubli, la capacité au refoulement et à ses conséquences traumatiques pouvant aller jusqu’au passage à l’acte suicidaire ..
La fragilité du symbolique a donc bien une conséquence épigénétique et ce n’est pas la génétique qui détermine la construction du symbolique. Et ces travaux de biologie nous disent donc que quelque chose reste inscrit dans le corps chez ces personnes meurtries dans l’enfance.
Les axones chez ces enfants sont moins recouverts de myéline dans une région cérébrale impliquée dans les émotions et la dépression ; cette moindre myélinisation semble donc liée à des processus épigénétiques.
Evidemment ce qui intéresse nos collègues c’est comment ces marqueurs seraient en mesure de proposer des traitements pour anticiper par exemple les suicides. Mais également ce fait que chez des femmes ayant subi d’agression sexuelle dans l’enfance, la partie du cortex sensitif qui permet de ressentir les sensations génitales était d’autant moins développée que les agressions étaient plus graves [26]
Et par conséquent l’idée vient tout de suites que ce serait une manière de se protéger contre la reviviscence des expériences sexuelles traumatiques vécues dans le passé… Une manière par conséquent de se protéger dont le prix est la fréquence des troubles de la sexualité à l’Age adulte.[27]
Il nous faut préciser un peu cela en rappelant ce qu’André Giraud évoque encore :
« La pensée, véhiculée par les mots, les concepts et les émotions, a un support biologique objectif, qui met en jeu également des circuits et des connections neuronales. Cependant l’activité métabolique des différents centres ou des circuits cérébraux est modifiée par les situations vécues par la personne. On a constaté une interaction semblable entre l’environnement et les gènes, ce qui a donné lieu à une nouvelle approche, l’épigénétique. Celle-ci montre comment le contexte peut modifier l’expression des gènes sans modifier leur structure en agissant sur des facteurs de régulation génétique. »
En ce sens il s’agit bien de la dernière version de la question Freudienne du trauma sexuel infantil chez l’hystérique en termes neuro scientifiques.
Est-ce pour autant aussi éloigner des thèses Freudiennes de 1895 ?
« Quand il s’agit d’une hystérie traumatique, nous reconnaissons de façon évidente que c’est l’accident qui a provoqué le syndrome. »[28]
Mais aussi et surtout cette question nous ramène à une relecture de l’entwurf :
« En outre, la théorie des barrières de contact autorise les usages suivants. Une propriété essentielle du tissu nerveux est la mémoire, c’est-à-dire de façon tout à fait générale l’aptitude à être modifié de façon permanente par des processus qui n’ont lieu qu’une fois, ce qui contraste énormément avec d’une matière qui laisserait passer un mouvement ondulatoire, et qui retournerait ensuite à son état antérieur. »[29]
« Il est plus difficile d’expliquer la défense primaire ou refoulement, à savoir le fait qu’une image de souvenir hostile est toujours laissée en plan le plus vite possible par l’investissement. Néanmoins l’explication pourrait résider en ceci qu’il a été mis fin aux évènements primaires de douleur par défense réflexe. Le surgissement d’un autre objet à la place de l’objet hostile a été le signal que l’évènement de douleur était fini et le système PSY, instruit par le biologique, essaie de reproduire en PSY l’état qui marquait l’arrêt de la douleur. Par l’expression INSTRUIT PAR LE BIOLOGIQUE , nous avons introduit une nouvelle base d’explication qui doit avoir sa validité propre bien qu’elle n’exclue pas un retour aux principes mécaniques (facteur quantitatif) mais qu’elle l’exige. Dans le cas présent ce pourrait bien être l’augmentation de Qn se produisant à chaque investissement d’images de souvenirs hostiles qui pousse à une activité augmentée, donc aussi à l’écoulement de souvenirs. »[30]
Je voudrais finir cette brève introduction sur l’idée qu’au fond la souffrance psychique de la réminiscence est avant tout le résultat d’un manque de refoulement, d’un refoulement incomplet ou encore du retour de ce qui n’a pas pu être refoulé. C’est la névrose par définition : « ce qui est propre au mécanisme de la névrose, l’insuccès du refoulement et le retour du refoulé, fait défaut pour le caractère. Dans la formation de celui-ci ou bien le refoulement n’entre pas en action, ou bien il atteint sans encombres son but qui est de substituer au refoulé des formations réactionnelles et des sublimations. »[31]
Comment ne pas entendre ce patient qui ayant enfin pu prendre un nouveau job qui le met cette fois à une place de réussite et de succès, lorsqu’il se plaint de ne plus pouvoir se rendre à son travail car il est l’objet sur le trajet de troubles intestinaux qui, s’il persistait à se rendre à son travail lui ferait se chier dessus. Il rentre donc chez lui et « ne peut plus y aller »
Il serait donc à nouveau « merdeux », ce « petit merdeux » que son père a toujours pensé de lui.
Par conséquent tout cela ne va pas sans un « je pense » même si « ça pense ». C’est là toute la différence qui préside à ce que notre science soit celle du réel, ce que le discours de la science évite soigneusement sauf à vouloir le résoudre …
[1] L’expression est de R Gori
[2] Introduction de R Gori au livre de C. HOFFMANN Des cerveaux et des hommes ERES 2007 P. 1è
[3] Offroy de la Mettrie l’homme machine Flammarion 1999 1
[4] S FREUD Etudes sur l’hystérie P.U.F 3E EDITION P. 8
[5] LES PSYCHONEVROSES DE DEFENSE Dans œuvres complètes P.U.F VOL III P.7
[6] Ibidem P.15
[7] BORGES FICTIONS ‘Funès ou la mémoire ‘ FOLIO 1983 P. 114
[8] BORGES OPUS citéP.118
[9] Le monde sciences et médecine du 23 AOUT 2017
[10] Paul Frankland dans la revue NEURON
[11] Etudes sur l’hystérie P.UF 1971 3E EDIT P. 233 234
[12] MEMOIRE ET OUBLI ED LE POMMIER 2014
[13] Opus cité le monde 23 aout 2017
[14] LA MEMOIRE SANS SOUVENIR ED Odile Jacob 2017
[15] Opus cité Lejeune et Delage
[16] André GIORDAN Les neurosciences, LaGrange illusion en éducation
[17] Opus cité P. 30
[18] Dehaene vers une science de la vie mentale FAYARD 2006 P.33
[19] Ibid. P.44
[20] Antoine Lejeune Michel Delage opus cité P.176
[21] Etudes sur l’hystérie opus cité P.5
[22] Idem P.8
[23] Idem P. 216
[24] Antoine Lejeune, Michel Delage La mémoire sans souvenir ED. Odile Jacob 2017 P.164
[25] Cité également dans le monde du 28/JUIN /2017
[26] Heim C.M et al « decreased cortical representation of genital somatosensory field after childhood sexual abuse » American journal of Psychiatry , 2013 , 170 , P. 616_ 623
[27] Serge Stoleru Un cerveau nommé désir ED Odile Jacob 2016 P.222
[28] Freud les études opus cité P.1
[29] Sigmund Freud Esquisse d’une Psychologie ères 2011 P.19
[30] Idem P.67
[31] S. Freud Névrose psychose et perversion ED P.U.F 1974 2e Edition P.195