Robert Lévy 2- "Différence des sexes, sexualité, encoprésie"

Notre modernité nous a habitués à rendre le sexe, pour ne pas dire les sexualités comme de petits arrangements sans contrainte entre les corps, les plaisirs des corps et les têtes. Un peu comme si la tête, au fond n’avait que très peu à voir avec cette machinerie dite dès lors technique qui concerne les plaisirs. D’où le succès sans précédent des sexologues qui, spécialistes de cette machinerie qu’est le sexe sont sensés remédier à ses disfonctionnements.
Mais comme on l’a déjà vu la dernière fois le sexe ou plus exactement la sexualité est un miroir social significatif de nos transformations et de nos modes de vie. Certains prônent même l’idée que notre actuel est « la révolution anthropologique du genre à laquelle nous assistons, la transformation sans précédent historique des relations entre les hommes et les femmes » .

Sommes-nous d’accord avec l’idée que la lutte des LGBT (lesbiennes, gaies, bisexuelles, transgenres) est susceptible d’avoir « désacralisé » le sexe comme le prétendent bon nombre des spécialistes du genre ?
Le sexe admis est dès lors en effet homosexuel, bisexuel, Trans et queer, est-ce pour autant que les sexes hétéro en est contesté ?
En tout cas c’est certainement ainsi que ses avatars tels que les relations extraconjugales, la pédophilie, l’homosexualité , la contraception et l’avortement font l’objet de politiques publiques qui en règlementent ou proscrivent ou encore encouragent leurs pratiques. Et cette nouvelle politique publique du sexe fait l’objet de mobilisations sans précédent ainsi que l’ont rappelé en France le mouvement de la manif pour tous, en réponse à la législation du mariage pour tous en 2013; ou encore la campagne des rumeurs, lancée en janvier 2014 par un réseau d’extrême droite, contre le prétendu enseignement de la théorie du genre et le non moins fantasmatique apprentissage de la masturbation que dispenserait l’école publique ( comme si les enfants avaient eu besoin de leurs instituteurs pour découvrir l’onanisme )…
Force est donc de constater l’osmose entre l’imaginaire sexuelle et l’imaginaire politique qui vise quoi qu’on en dise, toujours le même objectif : la différence des sexes.
S’agit-il d’être pour ou contre voire même en avons-nous le choix ? Je crois que c’est ici que la Psychanalyse a un certain discours à tenir puisqu’au fond la politique et les politiques présentent toujours leur option comme un rapport de forces dans lequel le sujet aurait le choix de sa sexualité ou, pour le moins, de son orientation… C’est ici que les problèmes commencent car nous nous heurtons très vite à des pétitions de principe tels que : « L’hétérosexualité n’existe pas. L’expression, un brin provocatrice, est néanmoins juste au sens où, comme le rappelle Louis Georges Tin, la culture hétérosexuelle a été inventée entre le XII° et Le XVI° siècle dans l’occident Chrétien. Elle est juste aussi car, comme Michel Foucault et plus récemment Judith Butler le soulignent, l’ensemble des catégories par lesquelles nous nous pensons et nous vivons comme êtres sexués et genres, homo, bi, Trans ou autres, sont des créations culturelles sociales et humaines. »
Voilà donc, c’est exactement sur ce point que commence en se heurtant très fort la Psychanalyse et ce, même si nous pouvons assumer par ailleurs qu’on ne nait pas homme ou femme mais qu’on le devient. Evidemment cette dernière assertion nous convie à préciser tout de suite que ce n’est pas en raison de notre culture mais du fait que cet « être homme ou femme » passe forcément par le fait que quelqu’un ait pu nous reconnaitre comme tel.
N’y a-t-il pas erreur sur la personne, ou en d’autres termes la conception banalisée de l’égalité des sexes ou encore des luttes féministes ne nous ont pas pour autant libérés de l’infernale question de la différence dans la commune appartenance au genre humain qui sera l’occasion pour Freud de mettre une sorte de tronc commun au garçon et à la fille déjà présent dans les trois essais sur la théorie du sexuel de 1903 et repris en 1923.
Je vous propose de suivre cette construction freudienne parce qu’elle me paraît vraiment fondamentale pour situer notre façon de poser la question du sexuel.
1923, où il situe cette affaire un peu étrange d’une phase phallique dans laquelle il met ainsi en place une sorte de tronc commun entre le garçon et la fille mais conception d’une libido qui n’aurait trait qu’à un sexe, le masculin …
« Si on savait donner un contenu plus précis aux concepts de masculin et féminin, il serait alors possible de soutenir l’affirmation que la libido serait, régulièrement et conformément à des lois, de nature masculine, qu’elle se trouve chez l’homme ou chez la femme, et indépendante de son objet, que celui-ci soit l’homme ou la femme »
Jusque-là tout va bien puisque la petite fille se masturbe avec son clitoris comme le petit garçon avec son pénis; mais tout se complique quand une petite différence, première petite différence apparait avec la vision réciproque que chacun obtient du sexe de l’autre et que Freud prétend que le petit garçon fait mine de n’avoir rien vu pour ne pas donner de poids à la menace de castration déjà perçue, alors que la petite fille : « d’emblée elle a jugé et décidé. Elle a vu cela, sait qu’elle ne l’a pas, et veut l’avoir »
D’où les conséquences qui ont attirées la ire des féministes jusqu’à aujourd’hui. Ainsi pour Freud la petite fille entre donc dans le complexe d’œdipe par le complexe de castration en voulant un enfant du père comme substitut de ce pénis absent.
Le petit garçon quant à lui sortira de ce complexe d’œdipe par le complexe de castration puisque cette menace fera barre à ses aspirations incestueuses envers sa mère et sauvera de ce fait son précieux pénis en laissant tomber sa mère.
Vous voyez bien que cette conception date, historiquement pour une raison assez simple, Freud ne se départit pas de la question de l’équivalence entre phallus et pénis. C’est une partition qu’il n’arrive pas à faire… Il va falloir attendre Lacan pour pouvoir élaborer la question du phallus autrement que comme une équivalence du pénis, même si je ne crois pas que Lacan ait jamais sous-estimé la question de l’anatomie.
Mais je voudrais continuer un peu à suivre le parcours de Freud que Guy Le Gaufey nous propose dans son livre en citant à nouveau Freud :
« il est indispensable de se rendre compte que les concepts de masculin et féminin, dont le contenu semble tellement non équivoque à l’opinion commune, appartiennent dans la science à ceux des plus connus et sont à décomposer dans au moins trois directions différentes. On utilise masculin et féminin tantôt dans le sens d’activité et de passivité, tantôt dans le sens biologique, et puis aussi sociologique. La première de ces trois significations est celle qui est essentielle et utilisable le plus souvent dans la Psychanalyse. » La référence dont il s’agit est celle d’activité-passivité. « C’est de celle-ci qu’i s’agit lorsque la libido est désignée comme masculine, car la pulsion est toujours active, même là où elle s’est donné un but passif. La deuxième signification, biologique, de masculin et féminin est celle qui permet la différenciation la plus claire. Masculin et féminin sont ici caractérisés par la présence du spermatozoïde et de l’ovule, et par les fonctions qui en découle […] La troisième signification, sociologique, reçoit son contenu de l’observation des individus masculins et féminins effectivement existants. Il s’en suit pour l’être humain que, ni dans le sens psychologique, ni dans le sens biologique, on ne trouve une pure masculinité ou une pure féminité. » . On voit bien que Freud ess
aie de rebondir sur cette définition du masculin et que même dans la passivité, il y a quelque chose de pulsionnel actif. C’est pas mal car cela doit nous aider pour introduire la question masochiste et l’histoire de la perversion. Nous en reparlerons une prochaine fois.
Freud persistera et signera enfin 22 ans plus tard dans l’article « Quelques conséquences psychiques de la différence anatomique entre les sexes », que les individus ont bien une constitution bisexuelle puisque la libido est de nature masculine mais se retrouve chez l’homme ou la femme de façon indépendante de son objet par hérédité croisée qui dispense de croire qu’il y ait une masculinité ou féminité pure sauf à considérer le plan biologique qui se différencie sur le mode spermatozoïde/Ovule …
Le concept de Bisexualité est donc tout à fait central chez Freud qui, somme toute tenait à la bisexualité comme loi biologique naturelle « La psychanalyse a une base commune avec la biologie en ce qu’elle présuppose une bisexualité originelle chez l’être humain »
D’où la question : les sexes n’existent-t-ils que relativement à l’autre ?
C’est une question à laquelle Lacan se gardera bien de répondre ou en tout cas qu’il modifiera dans le sens de fonder l’idée que les sexes n’existent qu’en fonction de leur rapport à la jouissance et de ce point de vue le coté homme et le coté femme est différent non pas en terme de différence des sexes mais d’une dissymétrie quant au rapport de chacun à la jouissance … En sachant que ce n’est pas parce qu’on est un homme anatomiquement que l’on jouit du coté masculin. Et ce n’est pas parce qu’on est une femme biologiquement qu’on peut accéder uniquement à la jouissance autre, seulement du coté féminin. Alors c’est un débat car justement, ce n’est peut-être pas aussi simple que cela. En tout cas, c’est la thèse lacanienne. Nous aurons l’occasion d’y revenir cette année.
Mais au fond, si veut en arriver à ce point la c’est parce qu’il me semble que les jouissances, c’est précisément ce dont il est très souvent question en analyse et la sexualité peut ainsi paraitre désuète au regard du rapport à la jouissance de chaque sujet qui se différencie précisément de ne pas toujours, ou de ne jamais trouver partenaire à partager cette jouissance qui, par définition lui échappe sauf à la mettre en scène dans une univocité théâtrale comme chez le pervers.
Il n’y a donc de jouissance fut-elle sexuelle que pour autant qu’elle ait trait au fantasme qui la conditionne.
Il me semble qu’à cet égard bon nombre de symptômes sont le lieu de nos jouissances et s’il en est un particulièrement difficile à traiter et pourtant assez commun dans la clinique de l’enfant c’est l’encoprésie.
Les parents viennent en général nous consulter après avoir rencontré le généraliste, le pédiatre voire le gastro entérologue qui, chacun y vont de leurs tentatives d’éradiquer les manifestations sales et nauséabondes de ce symptôme handicapant voire dangereux pour l’enfant qui en souffre.

Il ne s’agira pas ici d’un enfant mais d’un adulte qui, au décours de son analyse vient éclairer son passé d’enfant encoprétique au détour de quelque chose qui, a priori n’avait rien avoir avec ce souvenir puisqu’il s’agissait pendant de nombreuses séances de son incapacité à aller demander une augmentation à son patron …
Il avait fait le tour de toutes les associations qui le ramenaient à l’impossibilité de s’adresser à son patron comme équivalent d’un père surmoïque et violent, père qu’il avait eu et qui lui avait interdit un premier mode de jouissance dans une orientation artistique refusée à l’époque de l’orientation qu’il avait voulu choisir à l’âge de 15 ans. Ce patron était donc inaccessible puisque forcément pris dans cette figure paternelle du refus de sa jouissance.
Mais son parcours l’avait amené au même moment à être chassé par un chasseur de tête et donc à postuler auprès d’un autre employeur qui avait tout de suite accepté son embauche au prix que lui-même souhaitait mais il avait refusé prétextant des questions d’éloignement de son domicile. Il avait pourtant été reconnu à la hauteur de ses espérances et n’avait pas voulu en profiter alors que cela semblait être ce qu’il avait toujours attendu ; ce qui avait beaucoup attiré mon attention au point que je lui avais souligné que, ne demandant pas cette augmentation il maintenait assurément une tension apparemment nécessaire pour sa pensée dont il ne souhaitait décidément pas encore se priver.
Le second temps fut celui d’une élaboration de sa demande d’augmentation comme demande d’amour puis enfin le passage en acte de la demande effective d’une augmentation auprès de son patron qui lui procura un étrange vide.
Les souvenirs de ce vide furent très vite associés à son encoprésie d’enfant au cours de laquelle il décrivait le plaisir qu’il avait à fermer les jambes très fort pour empêcher les poussées péristaltiques et le grand vide qui s’en suivait. Il se retenait pour mieux jouer disait-il avec les fèces qu’il maitrisait alors pleinement. Un sentiment de toute puissance l’envahissait puis venait le vide, j’allais dire après l’orgasme…
Il associe sur les massages qu’il prodiguait aux pieds de sa mère qui en redemandait encore, son père était pourtant là dans la pièce à coté et cependant elle en redemandait et lui acquiesçait comme si de rien n’était.
Ces massages de pieds des femmes furent répétés avec ses sœurs jusqu’à ce qu’il se marie, jour où sa femme le pria de cesser… Il se rendit compte que son encoprésie avait cessé le jour où sa mère est morte.

La mort de sa mère l’amène à penser qu’un jour, ses parents l’avaient laissé entre 6 et 8 ans chez des amis, ils étaient partis sans lui Pour enterrer sa grand-mère. « Il y a un fond de sensation d’abandon » dit-il, et c’est à ce moment que la première fuite s’est produite, il se souvient d’avoir voulu dissimuler, mais la femme qui le gardait pendant que ses parents étaient partis s’en était aperçue, elle l’avait nettoyé alors qu’il était pris en flagrant délit : une grande honte s’en suivit !
Quoi qu’il en soit, le problème était lié à sa mère dit-il puisque l’encoprésie disparut exactement le jour de sa mort. L’encoprésie et tous ses aléas de dissimulation des culottes maculées et de leur nettoyage. C’était pour lui une façon de garder une relation privilégiée avec sa mère qu’aucun de ses autres frères et sœurs n’avaient, un secret entre elle et lui.
« Entre nous deux il y avait cet accord tacite dont personne ne parlait ». Pourtant une fois elle lui avait posé la question ; « pourquoi tu le fais ? »
« J’ai l’impression de décrire », dit-il, « à ce moment mon fonctionnement actuel : garder, garder, pousser et laisser partir ».
La plupart du temps je gardais ça en moi, puis succédait une sorte de crise, une jouissance très intime. Il se souvient qu’à 8 ans il était parti se promener et la crise survint alors qu’il était à la plage, il pensait que personne ne l’avait vu alors qu’au retour son cousin lui demandait : « qu’est-ce que tu faisais planté là ? ». « C’était quelque chose d’interdit, de pas correct, comme masser les pieds de ma mère, la masturbation… »
« Pourtant jamais mon père ni ma mère ne m’ont parlé de masturbation, alors que je commençais à me masturber grâce à des revues pornos découvertes dans le bureau de mon père. ». Il avait découvert toutes ses cachettes.
Au lycée quelques années plus tard, il s’inscrit à un stage d’éducation sexuelle.
A la mort de sa mère l’encoprésie s’est donc arrêtée et a été remplacée instantanément par une masturbation annale,
« Une façon de continuer le lien avec ma mère? », se demande-t-il.
Il se souvient alors des suppositoires que sa mère lui mettait quand il était malade, «Mais alors, c’est ma mère qui m’encule » se demande-t-il ; « C’était un moment pendant la maladie où j’avais un rapport bien particulier avec elle, où je l’avais pour moi seul également comme pour l’encoprésie ».
« Alors », pensa-t-il, « L’encoprésie était-elle une façon d’éprouver ce que j’éprouvais avec ma mère quand elle me mettait des suppos ? ». Mais, c’est selon lui une hypothèse trop tordue qu’il voudrait réfuter bien qu’il doive se rendre à l’idée qu’il y a un fond de vérité dans tout cela. « Retrouver de ce déplaisir et plaisir en même temps que j’avais quand ma mère était là pour moi ; c’est-à-dire que c’est exactement identique à ce qui se produit quand je veux assouvir mes désirs : je désire quelque chose et que je n’y vais pas, je me retiens de le faire.
Avec sa femme il entretient autour de l’argent ce même scénario à savoir que lorsqu’il veut acheter quelque chose, qu’il a envie de dépenser une somme importante, acheter un objet qui lui ferait très plaisir, il doit demander l’autorisation à sa femme qui lui donne la permission et dès lors c’est possible …
Il conclura cette séance en me disant au moment de payer : « C’est le moment que je redoute le plus : lâcher le fric … ». Je crois que cela se passe d’interprétation…
Il ne s’agit pas ici de faire la théorie du cas mais d’entendre que si la sexualité concerne la psychanalyse, c’est en tant qu’avatars des pulsions et par là même de la question de la jouissance du symptôme.
Au fond la différence des sexes ne nous intéresse que pour autant qu’elle instaure une différence dans les jouissances qui nous permet d’être un outil pour nous repérer dans notre pratique. Cette pratique des avatars du sexuel qui nous amène à faire le passage du repérage des jouissances à savoir y faire avec le symptôme. C’est donc un savoir y faire avec la jouissance dont le psychanalyste seul, ne peut qu’être l’éclaireur …
Voilà, c’est de tout cela dont je voulais vous parler et d’essayer de décentrer cette fameuse actualité de la différence des sexes, de la sexualité… Il me semble quand même que notre pratique nous amène à envisager les choses un peu autrement. A cet égard, cette observation est, je crois, très parlante du sexuel dont il est question dans ce qu’on amène dans le symptôme.
Alors, ayant reçu pas mal d’enfants, l’encoprésie est courante, mais ce qui n’est pas courant est que cela revienne, comme cela au cours d’une analyse, que le refoulement se lève pour pouvoir témoigner… Nous avons là toute la théorie freudienne des pulsions, authentifiée par le discours de cet homme, aux prises avec quelque chose d’assez handicapant dans sa vie actuelle où il a été longtemps, moins maintenant, dans l’incapacité de faire en fonction de son désir, et non pas faire en fonction de son symptôme.

Notes

1- Daniel Welzer Lang, Propos sur le Sexe PAYOT P.9
2- IBIDEM P. 12
3- S Freud Trois essais traduction L Transa, 1985 T III P.37 cité par Guy le Gaufey dans la logique du pas tout EPEL P.32
4- S. Freud Quelques conséquences psychiques de la différence anatomique entre les sexes, La vie sexuelle PUF 1969 P. 127 2galement cité par G LeGaufey ibidem P.32
5- Freud Trois essais opus cité P. 39-43
6- S Freud The psychogenesis of a case of homosexuality in a woman S.E 18 London hogart press 1955 P. 171

Discussion
S. Sabinus : Est-ce qu’il y a un lien entre cette encoprésie infantile et les effets plus tardifs imposés par l’interdiction du père…
R. Lévy : Pour répondre à ta question, cette interdiction est venue alors qu’il avait 15 ans, son encoprésie avait déjà cessé donc d’un instant à l’autre lors de la mort de sa mère et à cette époque, il avait une douzaine d’années…Donc quelques années avant l’interdiction du père.
S. Sabinus : Cela donnait l’impression que tout cela était déjà parcouru et re-parcouru mais que venait répéter cette interdiction…Je ne sais pas très bien comment faire le lien en dehors de ce que tu nous montres bien c’est-à-dire que ce à quoi nous avons à faire, nous, c’est au symptôme. Comme souvent dans le symptôme, il faut un petit peu de temps de travail pour y retrouver la question sexuelle proprement dite..
R. Lévy : Et qui est constitué tout à fait autrement que la façon dont on a l’habitude de l’envisager…
S. Sabinus : Il n’en reste pas moins que là où tu nous emmenais en rappelant les formulations de Freud restent quand même des choses assez compliquées, entremêlées, un peu confuses. C’est comme si je notais pour la première fois qu’il y avait autant de formulations pour dire la différence. Il y a mâle/femelle, les hommes/les femmes, garçon/fille. Actif/passif…
R. Lévy : Alors c’est cette dernière qui est retenue par Freud.
S. Sabinus : On entend bien dans cette enchainement, la façon aussi dont Lacan s’est bien démarqué de la question, a fait cet écart, ce pas de coté pour montrer que la question de l’appartenance ou de la reconnaissance d’une appartenance sexuelle était aussi une question de la jouissance. « dis –moi comment tu jouis, je te dirai de quel coté tu te trouves de la barre». Et par rapport à ce que tu nous disais, me vient l’image du bébé lorsqu’il sort du ventre de sa mère et que la première remarque après son cri venant signaler qu’il est vivant est : « c’est un garçon ! » ou « c’est une fille ! ». Il s’inscrit tout de suite dans cette première déclaration qui s’adresse à lui ainsi qu’à la mère. On voit bien que des le départ, la question de la fille ou du garçon n’est pas qu’une question anatomique même si elle repose sur la visualisation ou non de l’organe génital masculin, repose directement sur cette déclaration et la manière dont cela fait effet, écho pour la mère. Donc l’enfant est pris dans un morceau de discours.
R. Lévy : On peut parler de « déclaration de sexe »
S. Sabinus : Oui on peut tout à fait dire ça et cela va raisonner dans le désir de la mère et du père… Par rapport à cela, je me le formulerais comme cela, la manière dont il garçon/fille fait résonnance dans le désir des parents, peut en faire, après coup, un homme ou une femme. J’imagine quelque chose comme ça pour essayer de répondre à cette question, à savoir qu’il y a une flopée de terminologies pour faire la différence qui ne sont pas, en tout cas pour moi, équivalentes. D’autant plus que la question de la différence va avec celle de l’inconnu qui est l’autre et que la sexuation est aussi le nom par lequel on nomme la division du sujet, par le fait de l’inconscient.
R. Lévy : Alors moi je crois que là où on peut faire avec Freud c’est sur l’idée que tout cela reste indépendant de l’objet. C’est-à dire que l’on ait été déclaré garçon/fille, qu’on se soit ensuite identifié au désir de quelqu’un ou pas, cela ne dit rien, ce qui est fondamental, de l’objet sexuel avec lequel on va fricoter ou pas plus tard. C’est un point très intéressant/ C’est là-dessus que les choses se compliquent. On pourrait penser, ce qui serait plus simple, que puisqu’on est dans le désir de l’un ou dans le désir de l’autre, ce serait la question de l’homosexualité qui se pose là. Hors il n’en est rien, cela ne fonctionne pas du tout comme cela… On peut très bien avoir été désiré garçon quand on est une fille et avoir des « caractéristiques » de garçon mais désirer des objets sexuel de l’ordre de la différence des sexes et vice et versa. C’est-à-dire que la question du désir de l’autre et év
entuellement de l’identification du désir de l’autre ne dit rien de l’objet sexuel. Et ça je trouve que c’est un élément important chez Freud qui, dans ce « patouillage » qu’il essaie définir en faisant, comme ça, trois points biologique, psychologique et sociologique, il retire au moins cet élément fondamental : ce n’est pas sur l’identification homme ou femme que la question de l’objet va se poser.
S. Sabinus : C’est pratiquement dans le mouvement de ce qui définit la pulsion… C’est-à-dire que la pulsion se fout complètement de l’objet… Elle va prendre n’importe quoi comme objet… Quand on parle d’objet sexuel, ce n’est pas la sexuation de l’objet ! Qu’il soit homme, femme, chien ou autre, c’est exactement pareil !
R. Lévy : Alors il y a un film qui montre cela très bien : « Guillaume et les garçons à table ». Voilà l’exemple qui montre cela.
S. Sabinus : Du reste, c’est au moment de l’adolescence que se pose souvent cette question de la sexuation en fonction du désir qu’il ressent pour l’autre.
R. Lévy : Sauf que là c’est la première fois que se pose la question du désir du sujet. Il a pu être l’objet du désir de l’Autre jusque là, alors que dans « l’opération adolescente » il faut bien qu’il se détermine, lui, comme sujet de son désir. C’est ça qui va créer des choses positives ou des catastrophes et qui souvent révèle, pour d’autres raisons, la psychose chez certains enfants qui, jusqu’au moment de la question du sexuel, avaient pu compenser leur psychose.
S. Sabinus : Si je peux ajouter quelque chose, ce que Lacan apporte de plus justement avec la question de la jouissance et qui est que le sujet, dans son rapport à l’objet ne suffit pas à déterminer ni la sexuation, ni la qualité de l’objet. Il y a quelque chose, lorsqu’il a inventé la question de la jouissance autre, qui fait qu’on est dans un autre registre… C’est Tirésias qui dit : « moi qui ai été une femme, je peux vous dire qu’une femme jouit neuf fois plus ». C’est-à-dire qu’il y a quelque chose d’autre, inaccessible au sujet qui fait qu’il y a une autre jouissance que celle qui se partage et qui fait le partage entre les hommes et les femmes.
R. Lévy : Mais alors, il faut peut-être quand même ajouter que tout ceci ne peut se formuler que si et seulement si, on sort de la perspective freudienne d’une bisexualité partagée. C’est à ce moment-là où Lacan rompt avec l’idée freudienne de la bisexualité, qu’il peut dire en quoi la castration est pour tout le monde, mais du coté féminin, elle ne sont pas toutes sujet de la castration. « Pas toutes » ne veut pas dire que toutes n’y sont pas soumises, cela veut dire que chacune n’est pas entièrement du coté de la castration parce qu’elle n’est pas entièrement du coté du phallus non plus. Et c’est je crois une reformulation absolument nouvelle et, me semble-t-il, pas tellement freudienne de la question, non plus de la différence des sexes, mais de la différence des jouissances. Il y a là un point qui est lié au phallus en tant que Nom-du-père, faisant que du coté femme, contrairement au coté homme elles y croit, certes, mais pas complètement non plus… Alors que les hommes sont quand même accrochés au phallus en tant que Nom-du-père… Et puis il n’y a pas d’autre chose qui peut déterminer leur jouissance que ce rapport au phallus. Chose d’ailleurs que Foucault reprendra sous d’autres formes en essayant de montrer comment il pourrait y avoir u échange entre humain, non phallique. Alors il prend sa perversion comme définition, en disant que là cela pourrait être deux hommes qui rentrent dans un lieu, ne se connaissant pas, mais qui auraient un rapport sexuel et repartiraient chacun de son coté, sans rien de plus que cette rencontre purement sexuelle dans laquelle il n’y aurait pas d’enjeu phallique. Il faut savoir que cette idée de savoir s’il y aurait une relation entre les humains qui ne serait pas de l’ordre de l’échange du phallus ou déterminée par la question phallique, c’est tout de même une question qui a mobilisé beaucoup de monde et plus particulièrement Foucault.
R. Soundaramourty : Il n’y a pas que Foucault, il y a Lacan et vous-même qui le dites. La question des jouissances ne se laisse pas réduire à la question de la jouissance phallique ou la jouissance autre…
R. Levy : Tout à fait
R. Soundaramourty : La jouissance du symptôme, les jouissances de corps… Ce n’est pas nécessairement du coté de la jouissance phallique… Lacan va jusqu’à dire : « s’il n’y a de jouissance sexuelle, ça n’est que phallique » Mais il y en a d’autres. En effet, il me semble que même la question des jouissances et le tableau des sexuations ne viennent pas résoudre une fois pour toute cette question de la nomination, des identifications, de la question de l’objet. Ce sont des histoires très complexes et dans ce sens là, peut-être que Foucault n’a pas tout à fait tord…Il est vrai que tant que la répartition sexuée se faisait sur la question phallique, c’était bien rassurant pour la société, pour un certain ordre établit parce que c’est une référence qui permet de partager ceux qui en sont et ceux qui n’en sont pas un peu comme Freud le faisait…Y compris avec ce qu’apporte Lacan… Les sexes existent dans le rapport à la jouissance et c’est vrai que le trône et l’hôtel sont en danger précisément parce que ce sont des objets phalliques peut-être… C’est-à-dire que, quand même, cette répartition sur la base phallique vacille…
R. Levy : A la fois j’entends tout à fait ce que vous évoquez et en même temps j’ai une petite restriction sur le fait que la question phallique soit tellement en danger. J’ai beaucoup de mal à adhérer et au fait que le père n’est plus…Je ne sais quoi et au fait que la question phallique… C’est un petit peu ça qui me donne un petit écart par rapport à ce que vous dites tout en sachant que ça n’est pas non plus ce que vous soutenez et donc c’est compliqué. Parce que à la fois c’est vrai et en même temps la question du Nom du père est toujours aussi présente dans quelque famille que ce soit, et chez les homo qui veulent avoir des enfants etc.. et la question phallique n’est pas prête d’être détrônée par qui que ce soit…
R. Soudaramourty : On voit bien que la fonction, y compris appelée Nom du père est problématique dans l’appellation de Lacan. En particulier sur la question des familles monoparentales, qui est-ce qui fait fonction du Nom-du-père et qui est-ce qui soutient cette fonction là ? Est-ce que c’est nécessairement un père ? Alors qu’est-ce que c’est que la fonction du père ? Est-ce que le père se laisse réduire à la masculinité ? Ce sont des questions !
R. Levy : Lacan a été très clair d’emblée ! C’est déjà dans Les Écrits où il évoque que la fonction paternelle ce serait par exemple, pour une femme n’importe quel rocher qu’elle pourrait rencontrer au moment où elle est enceinte et où ce rocher a eu une représentativité.. Je suis d’accord avec vous que le mot « Nom-du-père » a quelque chose de problématique en tant que tel mais ça ne recouvre pas, me semble-t-il ce que Lacan entend par fonction paternelle. La fonction paternelle c’est celle qui est issue du désir de la mère pour… Alors pour quoi, pour qui… Pour…

R. Soundaramourty : C’est ce qui est présent dans le désir de la mère…
R. Levy : Cela peut être pour son mari, ça marche souvent comme ça mais ce n’est pas toujours le cas. Je connais, par exemple, un enfant psychotique dont il est assez clair que la fonction paternelle est une fonction qui a été désignée par sa mère comme étant celle de son propre père, du père de la mère. Le père de la mère étant mort au moment où cet enfant arrivait, il y a eu une espèce de fabrication autour de la psychose de cet
enfant, par le fait que cette fonction -là, à la fois elle était désignée pour quelqu’un d’autre et en même temps que celle pour qui elle était désignée est mort. D’ailleurs, son grand deuil, ce n’est pas tellement que son père soit mort, c’est que son fils n’ait jamais pu profiter de son grand-père. Entendons par profiter de son grand-père, que cette fonction ne puisse pas s’élaborer pour son fils. Du reste le père biologique n’a jamais pu entrer en fonction paternelle pour elle. Donc cela peut être n’importe quoi ou n’importe qui.. Donc on ne peut pas, en tout cas, faire le procès à Lacan d’avoir mis du père au sens bourgeois du terme. Je crois que ce n’était pas du tout cela son objet, son objectif. C’était, vraiment, d’introduire cette idée que, est fonction paternelle, celui qui est dans le désir autre de la mère. C’est-dire dans celui qui permet à la mère de ne pas réduire tout son désir à son enfant. C’est cela la fonction paternelle.
JJ. Valentin : Alors est-ce qu’on pourrait dire, dans une simplification très abusive, quelles que soit les modalités de jouissance, Lacan les feraient passer par les filtres des tabous de la sexuation ? On retrouve quand même le coté homme et le coté femme.
R. Levy : Je crois et c’est même assez pratique !
JJ Valentin : Vous sembliez dire que c’était un peu trop pratique, un peu trop facile
R. Levy : C’est pratique comme schéma ! Maintenant, c’est toujours le même problème qu’avec tous les autres concepts lacaniens, encore faut-il s’en servir ! Je crois que s’il y a quelque chose qui nous incombe à Lacan c’est cela, de s’en servir. Il ne s ‘agit pas de rabâcher éternellement les concepts de façon inutile..
P. Wolosko : Justement, pour se servir de quelque chose de la fonction imaginaire, à t’écouter je me suis demandé si finalement, cette question du « pénis-like » n’était pas justement une vision freudienne de la question du phallus qui ne serait qu’imaginaire. La question de vouloir absolument compenser quelque chose qui est vu chez l’autre comme un manque, par exemple par le désir d’enfant… Alors que je pense que chez une femme, la question de la grossesse est tout à fait autre chose…C’est quand même plus compliqué… Justement à prendre comme une vision imaginaire, quand on va dire à quelqu’un : « et bien oui, vous n’avez pas de sexe », on est complètement en train de cultiver cette dimension imaginaire et cela vient fermer en tout cas tu parlais d’un rocher et là on est en plein roc de la castration
P. Valentin : Cela vient fermer sauf à distinguer la castration imaginaire et la castration symbolique.
P. Wolosko : Si on oublie la castration imaginaire et qu’on prend Freud là où il en est en confondant la question de la castration de la castration imaginaire, on ne peut tomber que sur un roc. Je voulais également parler de la sortie d’un film : « Ma nouvelle amie » qui reprend cette question.
R. Levy : Il y a beaucoup de choses à dire sur la film d’Ozon… Il fait un peu la confusion entre le travestissement et le transsexualisme… Ce qu’il montre est que cet homme avait toujours pensé être une femme ce qui n’est pas de l’ordre de travestissement. Mais bon, ce n’est pas ce qui est le plus important dans le filme. On y voit très bien la question de l’objet et que hétéro ou homo, peu importe pour autant que l’on puisse élaborer sa question sur « qui suis-je ? » et « qu’est-ce-que je désire ? ».

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