Robert Lévy 5-"sexualité féminine : attention danger"
On va continuer ce séminaire des avatars du sexuel avec évidemment une actualité qui ne permet pas d’éviter de s’interroger sur un certain nombre de questions, et qui à mon sens nous obligent à nous demander quels sont ou quel est, au-delà du choc, des chocs et des événements en eux-mêmes, le véritable enjeu de ces questions communautaristes.
Donc il m’a semblé qu’en réfléchissant à cela, ce n’était finalement pas tellement éloigné de nos questions de cette année et en particulier de la question du sexuel ou des sexualités.
Donc les communautarismes et la radicalisation de certains de ses contributeurs ne sont pas sans poser des questions qui concernent le sexuel au plus près. Et c’est bien d’un de ses avatars, avatar du sexuel donc dont il est question toujours en filigrane, et ce, même si ce qui est revendiqué semble se dire avec d’autres mots …
La différence des sexes fonde toute différence et en ce sens elle est forcément génératrice d’une certaine violence …Dans cette approche, la femme ou les femmes en paient le lourd tribut et je me propose de développer une réflexion sur les raisons d’un tel prix. La psychanalyse nous apprend en effet que ce que l’on établit de relations entre deux êtres parlants et plus spécialement entre un homme et une femme ne peut tenir que par la grâce d’un tiers, celui que la psychanalyse désigne sous le nom de Phallus. Que le sujet soit d’un sexe ou de l’autre, c’est par le lien qu’il entretient avec ce signifiant privilégié et un peu énigmatique il faut bien le dire que l’on appelle Phallus qu’il va trouver sa place dans la sexualité et la sexuation qui déterminera également la relation que le sujet entretiendra avec son partenaire. Et quel que soit le nombre des partenaires, le ménage ne sera jamais qu’à trois. La position sexuelle suppose donc cette reconnaissance Phallique et va en sceller les conditions sexuées. Dans l’identité sexuelle et le choix sexué une définition structurale de l’identité sexuée comme sexuelle qui n’est pas réglée par les conduites du sujet ni par son image corporelle, mais par l’articulation que, pour chacun, le langage doit réaliser avec le corps, articulation, dont le Phallus est par conséquent l’ordonnateur.
Et face aux tentatives d’uniformisations actuelles Il faut aujourd’hui prendre très au sérieux ce passage assez énigmatique de Freud dans la question de l’analyse profane : « La vie sexuée de la femme adulte n’est-elle pas un dark continent pour la psychologie ? » Ce continent noir ne ressort-il pas de ce qui se révèle indicible de la différence des sexes et dont curieusement les féministes sont à l’origine de son explicitation en voulant remplacer en fait différence des sexes par théorie des genres ?
Ce sont les féministes qui ont introduit cette nécessité d’ailleurs dans le contexte du moment c’était tout à fait juste, mais on va voir que cela amène à d’autres difficultés. C’est en effet la pensée féministe américaine qui a inventé le concept de « gender » faute d’avoir les outils nécessaires pour dire la pensée sur les sexes. Il s’agit donc de distinguer le sexe biologique du sexe social développé en 1968 par Richard Stoller sous le titre Sexe and gender dans lequel nature et culture se trouvent dessiner une opposition ou plus exactement une tension dans le rapport entre les sexes ou la différence des sexes. Ce qui introduit alors trois termes : sexe, genre, et différence des sexes …
On prend acte au XXe siècle que les termes homme et femme comportent, outre leur réalité anatomique, un support d’identifications liées de façon individuelle et collective. Par conséquent la critique des assignations sexuelles impose une terminologie nouvelle.
Voila ce que nous dit Geneviève Fraisse qui est quelqu’un qui a beaucoup travaillé sur ces questions de différence des sexes, en qui je trouve des avis assez éclairés de philosophe et d’historienne, dont je voudrais évoquer quelques moments. Elle nous dit ceci : « La pensée féministe conceptualise la critique de la dualité sexuelle. Genre ou gender est le mot porteur de la chose : il faut l’entendre comme une proposition philosophique. On décide de symboliser par le concept de genre, la nécessité de penser la différence des sexes. Ainsi la mise en relief de cette notion de genre est-elle un événement philosophique contemporain. » Et Geneviève Fraisse nous fait d’ailleurs remarquer que « sexe » vient de la racine latine secare, « couper » alors que gender du latin genus gignere signifie « engendrer ». C’est assez intéressant de voir cet espèce de passage entre sexe et genre, entre couper et engendrer. La difficulté vient aussi de ce que la traduction dans différentes langues ne comporte pas le même sens sexuel puisque sexual difference en Anglais renvoie à l’espèce humaine alors que différence des sexes coexiste en Français avec différence sexuelle et inclut donc une partition abstraite et conceptuelle de l’espèce. Notons également qu’à la différence du Français , le terme Allemand Geschlecht désigne à la fois « sexe » et « genre » et ainsi doit avoir recours au terme Anglais gender pour doubler Geschlecht, alors que l’on utilise geschlechterdifferenz ou differenz der geschlichter pour dire « différence des sexes » ou « différence de sexe »… Curieusement le terme gender a très vite donné lieu à une traduction au pluriel : « les genres », incluant de ce fait le neutre au sens grammatical alors, et c’est le point essentiel, qu’il gomme le sexe comme sexualité ……… C’est je crois un point très important parce que gender ne renvoie plus à sexualité.
Ainsi à suivre la langue Française, « genre » désigne parfois l’universel – le genre humain – et parfois le particulier, le genre masculin ou le genre féminin, donc un genre asexué ou deux genres sexués. Et Geneviève Fraisse(1) nous fait encore remarquer à juste titre que cette difficulté c’est précisément celle qui ressort de la difficulté rencontrée également dans la tradition de la représentation du sexe féminin. C’est-à-dire que en fait, toutes ces nécessités de changer de mots avec des sens qui finalement ne recouvrent plus la dimension du sexuel ne sont ni plus ni moins que la représentation des difficultés de dire un mot qui représenterait le sexe fémnin. Faisons remarquer ici que ce qui semble faire également problème dans les deux religions sémites , ce soit justement l’interdit de la représentation de Dieu ou de Mahomet – ne perdez pas le fil de la difficulté de la représentation du sexe féminin -, l’image donc que l’on pourrait donner à ce qui se veut demeurer l’énigmatique et le mystérieux qui ordonne le monde des humains . « Je suis celui qui est », que l’on pourrait requalifier au regard des événements récents « je suis celui qui hait » .
Pas de mot donc pour représenter le sexe de la femme …
Ce glissement du général au particulier est un mécanisme essentiel au discours sur la différence des sexes et le suffrage universel désigne au XIXème siècle le vote des hommes, mais pas celui des femmes puisqu’elle est renvoyée au particulier quand également dans la littérature il s’agit du sexe, du beau sexe.(2)
On peut alors se demander en ce point si, au fond, Lacan échappe à cet écueil en introduisant la question de la différence des sexes à partir d’un « pas tout » et non plus donc d’une opposition binaire ? Je crois que c’est ça le point vraiment important. C’est-à-dire que ce pas tout introduit quelque chose qui va être déterminant dans cette question de la différence des sexes, déterminant au point où il ne s’agira plus de réfléchir en termes d’opposition binaire.
Il nous dit ceci (3): « Ce dont il s’agit et ce dont je suis parti, est ce qui est fait pour vous suggérer l’utilité de ce qu’il y ait de l’un, pour que vo
us sachiez entendre ce qu’il en est de cette bipartition à chaque instant fuyante , de cette bipartition de l‘homme et de la femme : tout ce qui n’est pas homme est-il femme , on tendrait à l’admettre. Mais puisque la femme n’est pas toute, pourquoi tout ce qui n’est pas femme serait-il homme ? Cette bipartition, cette impossibilité d’appliquer, en cette matière du genre, quelque chose qui soit le principe de contradiction […] c’est cela que je vous indique comme étant ce qui doit permettre à ‘analyste d’entendre un peu plus loin … »
Alors en effet nous sommes invités à entendre un peu plus loin c’est-à-dire à entendre un peu plus loin que le yin et le yang, le passif et l’actif, tout ce qui n’est pas homme est femme et tout ce qui n’est pas femme est homme à savoir un peu plus loin que la binarité habituelle que l’on pose en termes de différence des sexes. Et dit comme cela, ça n’a l’air de rien, mais Lacan, en introduisant l’idée qu’à ses yeux les deux sexes ne partagent pas le genre de telle sorte que tout ce qui n’est pas à ranger d’un côté n’est pas forcément à ranger de l’autre et vice versa a des conséquences fondamentales pour notre penser du genre puisqu’il sort ainsi de la fameuse question de la différence des sexes et de tous les couples d’opposition qui prétendent régler dans les différentes cultures le nombre des sexes …
« La femme n’est pas toute » permet de sortir de tous les couples si je puis dire et en particulier de l’opposition Freudienne actif/ Passif pour définir la différence des sexes et également du « continent noir » qui renvoie implicitement au partenaire de la clarté de la sexualité masculine.
Cette sortie du couple d’opposition se réalise par l’introduction du terme « jouissance Phallique », point de référence obligé des deux sexes ; mais qu’ils ne partagent pas de la même façon. En effet si tout homme se réfère à la jouissance Phallique, la femme n’est pas toute quant à elle du coté de cette référence puisqu’elle possède cette jouissance qu’il faut bien qualifier d’altérité qui est la jouissance autre, jouissance féminine donc.
Cette jouissance autre suppose que seule la femme accède à cette jouissance et qu’elle soit, cette jouissance féminine une expérience de l’altérité dans ce qu’elle peut avoir de plus radical ; elle n’est pas cette jouissance, comme le fait remarquer Jean-Luc Nancy « de possession , ni appropriation de quelque chose , mais plus tôt ouverture à une altérité , la femme étant dans la position de ce que Lacan appelle ‘l’Autre ‘ , le grand Autre . La jouissance ferait donc de la femme ce grand Autre, c’est-à-dire ce qui se tient hors du langage et du sens, et qui de ce fait échappe à toute prise par un sujet. (4) » Par conséquent la jouissance masculine, jouissance Phallique par excellence n’aurait à voir, quant à elle, qu’avec le désir d’une satisfaction, elle-même illusoire, de suppléer au manque de la castration….
Remarquons également que Lacan donne au terme Phallus le sens d’un qualificatif de fonction (phallique) ou encore de jouissance (phallique).
Le phallus et la jouissance qui s’y attache lient le corps et la parole en articulant définitivement le plaisir sexuel au jeu des signifiants , phonation et audition, en fonction de ce que Freud avait qualifié de libido et que Lacan renomme désormais dans cette universalité de la jouissance Phallique ..(5) Cette jouissance-là « Phallique » vaut pour tout être parlant. Mais Lacan ne s’en tient pas à cet universel puisqu’il fait l’hypothèse qu’il y aurait deux « au-delà du principe de plaisir », par conséquent une autre jouissance que la Phallique et qu’elle serait inconcevable et refoulée.
Alors voici ce qu’il nous dit dans le séminaire Encore : « On la refoule la dite jouissance parce qu’il ne convient pas qu’elle soit dite, et ceci pour la raison justement que le dire n’en peut être que ceci – comme jouissance, elle ne convient pas »(6) . Ce n’est pas une jouissance convenable. Le point très intéressant concerne en fait la « non existence » de cette jouissance autre puisqu’elle n’a pas d’existence telle qu’elle pourrait être refoulée : elle n’est pas du domaine de ce que le refoulement secondaire nous permet habituellement de considérer comme existence. Il n’y a d’existence en fait de l’objet que pour autant qu’il est l’objet du refoulement. C’est ça qui lui donne son existence sinon il n’y a pas d’objet. Puisque la castration, de par le refoulement qu’elle met en place, détermine un manque qu’aucun objet ne saurait dès lors combler. C’est en ceci que la castration permet l’accès du sujet au désir et à la trame des métaphores, qui dans sa parole tenteront sans cesse d’articuler ce désir …
Mais La jouissance autre est donc sans lieu et accompagne la jouissance Phallique comme son ombre sans jamais trouver de sens : elle est hors sens et échappe à ce que la castration peut produire habituellement comme refoulement.
D’où l’idée que « la femme – en plus je dirais de n’être pas toute – n’est pas toute sujet de la castration ». C’est quand même ça le deuxième point que Lacan introduit pour desceller la différence des sexes de cette bipartition. La femme n’est pas toute, mais elle n’est également pas toute sujet de la castration puisqu’elle y échappe en partie du fait de cet accès à une jouissance autre .. …Il n’y a donc pas qu’une jouissance mais il est exclu qu’il y en ait deux. C’est comme cela que l’on peut essayer de camper un peu cette jouissance qui est quand même assez énigmatique, que je serais tenté quand même de rapprocher de certaines conceptions de Dieu.
C’est l’hypothèse que je vous propose et on trouve ici encore un point crucial de la question de l’image au corps car le corps réel s’impose plus tôt sur le mode d’excitations diverses ou d’exigences plus ou moins contraignantes que le sujet ne reconnaît pas du tout comme siennes. Il n’y a donc pas de jouissance de propriétaire de son propre corps mais plus tôt quelque chose qui a plus trait à une sorte d‘étrange voire de franchement étranger qui lui vient toujours de l’autre …
Le sujet se réduit donc le plus souvent à n’être que le porte-parole soit de ce déchet encombrant de son corps soit de l’enveloppe obscure d’un objet énigmatique dont il se trouve la plupart du temps déconnecté …L’Autre est ici ce qui détermine le sujet et sa parole à travers ce qu’il reçoit d’un corps supposé être le sien mais qu’il éprouve tout autrement comme étant un étranger à lui-même …C’est également à cette place que Lacan situe ce que la jouissance fait de la femme , c’est-à-dire un Grand Autre , ce qui se tient hors du langage et du sens et échappe à toute prise pour un sujet …
Mais comme vous le savez la jouissance n’est pas le plaisir mais plutôt ce dont le sujet éprouve l’insistance et la répétition et peut devenir difficilement tolérable pour le sujet lorsqu’il est confronté à son étrangeté et qu’il n’est plus en mesure d’élaborer. C’est alors que survient l’angoisse que l’on rencontre notamment dans les syndromes post-traumatiques. C’est quand même de cet excès de jouissance dont il s’agit- là, qui n’est plus élaborable dont j’ai appris hier qu’il ne fallait plus ni psychothérapie ni parole pour les soigner mais une psycho-éducation et évidemment une remise en situation maîtrisée du trauma par les voies, non pas du seigneur, mais virtuelles .. Donc se remettre dans la situation traumatique pour s’éduquer à supporter la situation traumatique. Je vous livre ainsi le nec plus ultra de la dernière thérapie en cours, c’est le comportementalisme… Il se trouve que j’attendais l’autobus hier soir, j’écoutais France Inter et il y avait les deux représentants du SAMU pour les traumatismes qui expliquaient de façon extrêmement
scientifique que maintenant il ne s’agissait plus de parler parce que parler après le traumatisme cela inscrivait le trauma ; une psychothérapie, alors là, encore moins ; mais en revanche éduquer la psyché à se faire à l’ambiance rencontrée dans le trauma, ça c’était quand même ce que l’on pouvait faire de mieux habituellement pour soigner les gens traumatisés.
Philippe Wolosko . – Donc une femme violée il faut la violer régulièrement !
Robert Lévy . – Non, alors effectivement on peut entendre ça comme ça. Une femme violée tu vas lui faire passer des films avec des scènes virtuelles, parce que le virtuel va t’aider à pouvoir remettre cette femme en situation de viol et donc lui permettre d’accepter en quelque sorte!! Enfin, bref, de quoi s’agit-il dans cette idée totalement « folle-dingue » qui consisterait à s’adapter à l’inquiétante étrangeté de la jouissance …..C’est de cela dont il s’agit si on veut le traduire dans nos mots, comme si il y avait une adaptation possible à cette affaire-là.
Ce qu’il ressort de tout cela c’est quand même que la jouissance n’est supportable que pour autant qu’elle est refoulée c’est ce que Freud nous apprend concernant la mise en place de l’image spéculaire à savoir que c’est parce que la jouissance est régulièrement refoulée et donc demeure dans la méconnaissance du sujet que l’image spéculaire peut se mettre en place ..
« Dans le double inversé que lui renvoie le miroir, l’enfant saisit l’image anticipée d’une maîtrise virtuelle de son propre corps, et c’est cette image qui va polariser un narcissisme fondamental : autrement dit, une charge libidinale suffisante pour pouvoir tempérer ce qui du corps se manifeste, insiste et se répète au titre de la jouissance. Cette charge libidinale tient principalement à ce que l’image substitue à l’épreuve d’un corps réel – c’est-à-dire traversé et morcelé par toutes sortes d’excitations endogènes et exogènes …. »(7)
Vous l’aurez compris, la jouissance est sans limite et elle ne peut en rencontrer une que sous l’effet d’un interdit, autrement dit une loi.
Le fantasme est ce qui permet d’organiser la jouissance, de la cantonner donc à une ou à des représentations psychiques toujours inconscientes comme la définition Freudienne nous le laisse entendre dans « on bat un enfant ».
Mais cette loi qui limite la jouissance c’est celle classiquement qui porte sur la mère en tant qu’objet de jouissance interdite : renoncement pour l’enfant à être ce qui satisferait sa mère, renoncement donc à une situation de privilège. Mais, et c’est là que l’on rencontre la fonction phallique, cette loi indique dans le corps même un point de manque qui est le point d’incidence que l’enfant suppose au père comme susceptible de satisfaire sa mère …
Je voudrais insister sur le fait qu’il s’agit de choses très fortement, non seulement sexuées, mais sexuelles : je veux dire que le corps est par essence sexuel dans son ensemble. Par exemple quand on parle d’enfant battu, on a l’habitude de faire la différence entre des abus violents et des abus sexuels, mais pour moi il n’y en a pas : un enfant battu, quand on touche au corps, c’est de sexuel dont il s’agit. Je crois que c’est un élément quand même important, et il y a quelque chose donc de ce point d’incidence que l’enfant suppose au père comme susceptible de satisfaire sa mère, c’est à cela qu’il est confronté comme castration.
Pour la fille, Freud définit deux points de complication et de différence qui sont : le changement d’objet de la mère au père et aussi le renoncement au clitoris comme zone érogène masculine pour le vagin comme zone érogène féminine. Je n’entrerai pas dans les polémiques qui, me semble-t-il à juste titre, font ici de Freud un personnage machiste ou qui, pour le moins, ne peut s’extraire du référentiel masculin, anatomiquement masculin, même pour définir les ingrédients de la sexualité féminine.
Quoi qu’il en soit, c’est à la fois ce qui est le plus sexuel du sexuel et en même temps ce qui définit la fonction Phallique que le père incarne ou qui est incarnée par ce qui fait fonction de père …
C’est ici que je voudrais formuler mon hypothèse : ce qui constitue tout communautarisme c’est la nécessité de se refermer sur l’identique à soi-même de peur qu’une quelconque altérité puisse venir remettre en question cette nécessité de l’identique. La femme, et plus spécialement la femme en tant que jouissance féminine, représente de façon paradigmatique cette altérité à laquelle je n’accède pas. Par conséquent elle est en place du danger potentiel pour tout communautarisme et en particulier celui qui ressort du religieux. Un de ces communautarismes a déjà pour règle l’interdit de la représentation et ce qui s’associe directement à cet interdit : le voile des femmes qui n’est autre qu’une des formes de cet interdit. Il y a par conséquent danger à laisser toute référence s’exprimer visuellement à la jouissance autre de la femme. Vous l’aurez compris, l’interdit de la représentation de dieu – ou de Mahomet – a quelque chose à voir au plus près avec la jouissance Autre, c’est-à-dire ce trop de jouissance qui m’échappe et que je ne peux pas collectiviser puisque, contrairement à la jouissance phallique cette jouissance Autre ne peut s’entendre qu’au une-par-une, contrairement à la jouissance phallique qui est plutôt un référentiel universel. Sexualiser la jouissance serait pourtant un mode de protection contre le trop de jouissance et ce n’est pas du tout une jouissance assurée que de sexualiser la jouissance, mais au contraire un jouissance très précaire et qui ne comporte aucune garantie naturelle comme on le sait : évidemment on peut être impuissant, frigide, enfin bref du côté de la sexualisation de la jouissance il y a quand même tous ces aléas. De plus la jouissance Phallique suppose le refoulement. Or la jouissance Autre échappe justement au refoulement. Autant dire que si on ne peut ni la refouler, ni se l’approprier, il ne reste plus qu’à organiser sa disparition. C’est bien ce à quoi on assiste sous toutes ses formes, dans les guerres tout d’abord, puisque les femmes sont toujours celles qui payent la note en viols, Lebensborn ou autres tentatives de modification de leur descendance en leur sein. Mais également en tentant de les empêcher d’aller à l’école, de se soigner également, de les faire disparaitre en les voilant ; la réduction à l’esclavage ou encore, pensant ainsi venger le prophète en éliminant ceux qui l’ont représenté ….
Il y a dans notre contemporanéité une fragilisation du dispositif censé tempérer le rapport du sujet à la jouissance. Ce dispositif c’est celui qui permet de méconnaître la jouissance réelle , en lui substituant l’investissement libidinale de l’image spéculaire , en une forme unitaire et organisée des corps. Mais cette substitution ne se révèle possible que sous les conditions qui déterminent le refoulement .
Ainsi Je terminerai en remarquant que cette question des jouissances et en particulier de la jouissance féminine est à l‘origine de toute question de l’étrangeté et par conséquent de ce que le terme étranger recouvre c’est-à-dire ce qui échappe aux limites du territoire dans lequel je me reconnais comme identique à l’autre ….
Discussion
Philippe WOLOSKO. – Si je puis me permettre ton hypothèse me fait penser à un petit néologisme que j’ai inventé cette semaine, d’une nouvelle maladie textuellement transmissible qui s’appelle la « blesphamorragie ». Et le nom populaire, pour le plaisir c’est [une chaude-pisse-t-elle pour l’infidèle].
Robert LÉVY . – Une [chaude piste], ça quand même ça vaut son pesant de cacahouètes. Voila, bon alors quand même, il y a du boulot sur ces questions. Je pense qu’on est sans doute dan
s notre propre champ, on est en mesure d’entendre autrement quand même toutes ces questions, sans se précipiter sur des équivalences qui seraient parfois un peu faciles, mais tout de même, il y a quelque chose qui est lié à l’interdit de la représentation, que cet interdit de la représentation a forcément à voir avec l’impossibilité de représenter ou de dire un mot concernant le sexuel [inaudible] ; la jouissance Autre, c’est-à-dire celle qui n’est ni refoulable ni représentable, et quasiment la définition des divers noms de Dieu quand même. Alors avec ça on fait ce qu’on peut mais il y a quand même des choses qui me semblent importantes à relever, dont on doit faire lecture, car au fond c’est une lecture que je propose d’où ce titre : « Sexualité féminine attention danger ! ».
Selma BENCHALAH . – Si je peux me permettre, je ne suis vraiment pas théologienne, je n’ai pas lu le Coran, loin de là, mais dans le Coran on parle de sexualité féminine et on dit qu’il faut dans le cadre du mariage épanouir la femme dans cette sexualité, ce qui n’est pas le cas de ce que je sais dans la Bible et dans le Christianisme. Pour mon héritage chrétien, à part le mot de réceptacle pour les femmes, il n’y a pas vraiment autre chose, donc que cette possibilité pour se représenter la fonction de la femme dans la sexualité. Donc je ne sais pas en fait. Puis la question de la représentation dans l’Islam et dans la religion sémite, c’est la représentation imagée, c’est contre la question des idoles et des fétiches, du fétichisme et cela a à voir avec la jouissance du Dieu, enfin quelque chose dans la spiritualité qui a à voir avec une jouissance Autre mais justement qui est sans représentation et à préserver. Moi je trouve que justement ça ne va pas avec le communautarisme, ce que l’on fait de l’Islam aujourd’hui.
Robert LÉVY . – Non mais il ne s’agit pas spécialement de l’Islam mais de tous les communautarismes. Il se trouve que c’est un communautarisme ou une forme de communautarisme islamiste. D’ailleurs les communautarismes aux Etats-Unis ont commencé avec la religion et même indépendamment de la religion. Le communautarisme gay par exemple aux Etats-Unis qui est très très important, qui a été un lobbying extrêmement important et qui a produit aussi un certain nombre d’effets de modification même des lois à l’égard des petites communautés justement : on voit bien qu’ à chaque fois, ces communautarismes, qu’ils soient religieux ou qu’ils soient d’une autre nature – ce n’est pas spécifique au communautarisme religieux – ait pour objectif de faire plier le réel, le réel des lois, à la mesure des désirs de ces communautés, de ces communautarismes. C’est ça que l’on peut remarquer simplement pour dire qu’il y a là quelque chose qui est toujours dans le même processus. Dans la religion juive également il s’agit de ne pas représenter, pour des raisons qui ont à voir avec ce que vous disiez, sauf que si on relit la thèse de Totem et Tabou freudienne on retrouve ces constantes où Freud évoque évidemment la difficulté pour parler de ces formes que je trouve toujours actuelles dans les petits groupes ou les grands groupes communautaristes.
PARTICIPANTE. – Je vais être assez lapidaire mais je voulais revenir à faire le lien avec votre intervention lorsque Jean-Jacques avait présenté son topo la dernière fois et vous aviez posé la question de la différence entre une association et l’acte… je la pose mal, je vais dire des bêtises… et donc ce qu’il en est effectivement de cette Autre jouissance, de ce qui échappe etc. Le féminin en tant que représentant, ce qui appelle dans l’humain à se réaliser et qui ne peut pas passer par le chas de l’aiguille de tout ce qui est castration. Et donc c’est ce qui m’avait fait parler de puissance de charge parce qu’effectivement, chez tout être humain dans le compte à rebours de ce qu’il y a de plus régressif et donc ce qu’il y a de plus chargé, comme il plus facile de couper un beefsteak que de couper l’atome, plus vous allez dans les faits régressifs d’un processus de l’advenue de l’humanité en chacun, plus vous trouvez ce type de jouissance et qui appelle à se réaliser, c’est pour cela que ça passe toujours par de l’Autre et que c’est immaîtrisable et qu’évidemment toute société tend à vouloir maîtriser, toute communauté aussi.
Robert LÉVY . – Quand vous évoquez que dans ces religions là, y compris juive et catholique, la femme peut jouir, même c’est recommandé de la faire jouir dans le cadre du mariage, bien entendu, il s’agit de maîtriser tout ça quand même. Il n’est pas question qu’elle jouisse autrement que dans le cadre du mariage. C’est bien cela la question, c’est-à-dire qu’elle est d’une certaine façon en position de n’avoir droit à ça que pour autant qu’elle soit maîtrisable.
Selma BENCHALAH . – Je ne suis pas d’accord. Il faut historiciser les choses en matière de sexualité dans le cadre des religions : à l’époque il valait mieux être marié, pour les hommes aussi ; c’est interdit la sexualité en dehors du mariage dans l’Islam, y compris pour les hommes. Cela avait une incidence avant la pilule d’avoir une sexualité hors mariage, surtout en termes de « qui s’occupe des enfants ? », d’un droit d’héritage, « qui travaille ? ». Les femmes ont droit à la jouissance en occident, surtout qu’il y a la pilule quand même. La preuve, on en avait parlé, je n’ai pas osé le dire mais depuis quelques temps, je trouvais qu’on avait oublié la pilule dans l’évolution de la sexualité en Occident quand même.
Anna KONRAD . – En fait tu contestes que la vocation de la religion soit de tenter de réduire la jouissance Autre.
Selma BENCHALAH . – C’est une des dimensions de la religion qui pour moi, je ne suis pas vraiment dans la tradition non plus, mais je crois que la religion, toute spiritualité, toutes les grandes spiritualités, amènent à une jouissance Autre qui est tout à fait accessible pour les hommes aussi à mon avis, mais [inaudible…] dans la spiritualité. Je ne sais pas si on peut faire ces parallèles, mais pour moi ça a à voir avec, pour moi, parce que justement l’on a accédé à la castration, à bien des castrations, que l’on peut accéder à cette jouissance Autre, mais c’est un au-delà de la castration ce n’est pas dans la même dynamique.
PARTICIPANTE. – Il ne faut pas confondre une dérivation avec une fondamentale. Il me semble que ce que vous évoquez est une dérivation de l’énergie et qui peut être prise à plein de niveaux. Ce n’est pas tout à fait la question mise en abîme dans la question de ce que Lacan appelle la jouissance Autre. Et de toute façon, à partir du moment où on met un mot, on met automatiquement un gros mot puisque ça semble décrire la chose alors même que le processus échappe.
Jean-Jacques VALENTIN . – Je voudrais poser une question. Quand Sade veut assurer la jouissance de Dieu, est-ce qu’il s’agit de la même chose que cette jouissance Autre, que ce trop de jouissance qui échappe, qui ne peut s’entendre qu’au une-par-une ? Est-ce que c’est du même ordre ou est-ce que c’est pris dans un tout autre scénario ou dispositif ?
Robert LÉVY . – Alors chez Sade – moi je pense que j’essaierai de dire quelque chose là-dessus la prochaine fois – le lien de cette jouissance il est forcément à la mort, tout le temps. Ce qui d’ailleurs n’est pas en soi étonnant, mais disons que pour lui c’est ce point-là qui est visé, la jouissance comme destruction, comme destruction du phallus, c’est-à-dire de tout représentant phallique, qu’on retrouve assez bien développé dans les thèses de Foucault où dans d’autres moments. Encore une fois je m’en remets au livre dont le titre est L’intelligence de la perversion. Je trouve que dedans il y a un développement extrêmement précis sur ce point-là qui montre comment le lien jouissance/mort finalement vise à déstabiliser, je dirais l’universel de sa référence au phallus, au père en fait. Je trouve que c’est quand même
ça dans la perversion qui est l’objectif ultime. Donc là je trouve qu’avec Sade on sort de cette question de la jouissance Autre, même si il s’agit en effet de Dieu. Mais ce sont des figures de Dieu qui à mon avis ont recours à d’autres éléments qui sont aussi des recours à une loi qui n’est pas la même, qui est la loi de la perversion, c’est-à-dire qui n’est pas dans la loi universelle mais dans la loi où, imposant celle de la perversion à l’autre, l’autre y trouvant sa place, finalement ça fait la démonstration que celui qui ordonne la loi, c’est l’auteur du scénario et ce n’est pas Dieu, il n’y a plus d’universalité. Donc ce sont des points qui, me semble-t-il, recouvrent d’autres éléments que la jouissance Autre. Je ne crois pas du tout que la jouissance ait à voir avec la jouissance Autre en quoi que ce soit. C’est totalement étranger même à cette question.
Serge SABINUS . – Il me semble que tous les montages qu’on trouve dans les romans de Sade tendent à faire accroire qu’il y aurait moyen par un montage suffisant pour arriver à cette jouissance Autre en passant par la jouissance phallique. Des montages qui font qu’il suffit d’augmenter la pression, la disparité et puis on finirait quand même d’une manière ou d’une autre par accéder à cette Autre jouissance, que lui a parfaitement bien perçue et qu’il saisit tout à fait bien. Mais je crois que ce que tu montres bien, et je pense qu’il faut peut-être aussi insister là-dessus, en tout cas la thèse lacanienne est très nette là-dessus, c’est qu’il s’agit absolument de deux chemins parallèles, en quelque sorte, qu’il n’y a pas véritablement de voie de passage, il n’y a pas de pont d’une jouissance à l’autre, qu’il s’agit bien de deux choses complètement différentes. Il me semble tout à fait important d’insister en effet sur le caractère hors-sens de cette jouissance Autre. Et tout ce qui est de l’ordre du sens, même poussé à son acmé, c’est-à-dire le discours religieux, le discours scientifique, n’accèdent pas à cette jouissance Autre. Ils restent tout à fait séparés, il n’y a pas moyen.
Alors qu’est-ce que cette jouissance Autre ? Elle reste dans son caractère absolument absolument énigmatique. Il y avait une formule que j’ai oubliée mais que je trouvais assez juste, pour dire justement qu’il n’y a pas moyen de s’en saisir, qu’il n’y a pas moyen de la nommer.
Anna KONRAD. – Lacan a dit que « la jouissance Autre suivait la jouissance phallique comme son ombre », quelque chose comme ça.
Serge SABINUS . – Oui il la suit comme son ombre, je ne vois pas comment il en serait autrement, c’est-à-dire qu’elle ne se réfère pas au refoulement, qu’elle ne se réfère pas au sens, ce sont des choses qu’il faut principalement garder en mémoire parce que c’est le point fondamental. Alors par contre, là où je serais un petit peu plus interrogatif, c’est sur le maintien il me semble quand même dans la théorie lacanienne, de quelque chose de binaire : il reste quand même du droit et du gauche ; il reste quand même à droite et à gauche, il reste quand même les hommes et les femmes, mais à l’intérieur de ce schéma-là qui ne correspond plus à un schéma anatomique, il y a des variantes, des variations qui font que, avec telle personne je peux être du côté droit, avec telle autre, du côté gauche, ce qui fait que ça n’arrête pas de changer et que la fixité telle qu’elle est inscrite sur les papiers – Monsieur Machin c’est un garçon et Madame Truc c’est une fille – sur le plan en tout cas de l’analyse ça ne fonctionne pas. Ce n’est pas seulement sur le plan de l’analyse mais sur le plan du rapport amoureux par exemple, du rapport aux autres, du rapport à n’importe quel petit autre qui fait que pour chacun on peut se situer sur la droite, sur la gauche, de façon non volontaire, non consciente. Cela c’est la question du refoulement, mais aussi, parce que je suis vraiment tout à fait en opposition avec toutes ces théories du genre, bien qu’elles soient bien sympathiques ou sournoises, c’est que cela ne dépend pas non plus de ce que fait la société disant « tu seras un garçon ma fille » ou « tu sera une fille mon garçon », ou inversement. Mais ça ne marche pas comme ça, on voit bien qu’il y a cette partie qui est de l’ordre du sens et puis de l’autre côté qui fait qu’on agit différemment et que l’on se trouve, en fonction des situations, d’un côté ou de l’autre, et qu’à l’intérieur de cette classification du petit schéma de la sexuation, on est arrivé à femme, à dame, à homme, parce que ça marche comme ça, à l’intérieur de cette binarité, ça circule en fonction cette fois-ci de la jouissance.
Puis l’autre point que je voulais signaler qui me paraît important – mais ça à propos de Sade on y revient immanquablement – c’est-à-dire alors si c’est hors-sens, si c’est au-delà du principe du plaisir, tu as dit qu’il y avait finalement deux versions de l’au-delà du principe du plaisir…
Robert LÉVY . – Il y a deux au-delà du principe du plaisir…
Serge SABINUS . – Pour ma part je ne vois pas pourquoi il y aurait un deuxième au-delà. Celui que nous a proposé Freud, c’est-à-dire, l’énigmatique, l’insensé, le non-sens de la pulsion de mort et le nom freudien, quelque chose comme ça, et le nom freudien non développé, non pris en compte dans les termes de la jouissance, mais c’est le nom freudien de ce que Lacan appelle jouissance Autre. Enfin c’est comme ça que je l’entends, ça passe beaucoup comme ça. Cela ne veut pas dire, l’empire des sens. L’empire des sens, c’est ça, c’est-à-dire il y aurait des dispositifs qui feraient que en poussant les montages sexuels on va pouvoir arriver à une pulsion de mort jouissante, jouissante consciemment. Et ce n’est pas de ça dont il s’agit, il me semble.
Jean-Jacques VALENTIN . – Mais la jouissance Autre serait du côté de la pulsion de mort ?
Serge SABINUS . – Oui, enfin, ce n’est pas qu’elle est du côté de la pulsion de mort, c’est que pour moi – enfin il faudrait creuser un petit peu – c’est le nom freudien de ce qui n’a pas de nom, de ce que Freud a effectivement perçu comme cet au-delà du plaisir même poussé jusqu’à la jouissance. Le terme jouissance est compliqué par ce qu’à la fois – et Lacan fait exprès évidemment de nous confusionner la tête – c’est-à-dire qu’à la fois ça correspond à la jouissance au sens commun du terme, du plaisir sexuel, et en même temps, ce que Freud montre bien, c’est-à-dire qu’on n’est plus du côté phallique, on est dans un autre extrême – je vais parler en termes économiques, quand même ce n’est pas négligeable aussi – la réduction à zéro d’une tension. Il y a quelque chose là que tu as soulevé que Sade reprend…
Jean-Jacques VALENTIN . – Il me semble que Lacan saisit la jouissance Autre en terme d’infinitude plutôt que de pulsion de mort.
Serge SABINUS . – Oui il y a quelque chose de limite, c’est-à-dire c’est une sorte de point limite au-delà duquel, il me semble que cela ressemble à, entre guillemets, « la maladresse freudienne » puisque Freud était dans le défrichage et puis surtout pris avec des modèles économiques, des modèles physiques de son temps. Cet extrême là, cette pointe-là, c’est celle de réduction à zéro des tensions. Il me semble que cela a à voir avec ça.
Chantal CAZZADORI. – Moi j’ai écouté aujourd’hui en podcast sur Histoire d’O. Donc Histoire d’O, j’ai découvert que cet auteur avait pris trois pseudonymes dont le troisième, est Dominique AURY, et qu’elle avait écrit cette œuvre « littéraire », entre guillemets, au moment où Le deuxième sexe est arrivé. Enfin c’était vraiment l’esclavage de la femme, la soumission de la femme à l’homme et c’était écrit en fait pour Paulhan. Et chaque chapitre qu’elle écrivait elle lui envoyait comme ça en poste restante et c’était comme ça dans une dimension de grande séduction. C’était plus que son maître, c’était son maître, mais en même temps, c’était une façon de l’attir
er et d’être son élu et ça a marché. Alors je me suis demandé de quelle jouissance il s’agissait. Parce qu’il paraît que c’est une très très belle écriture. Ce n’est pas sadien, au contraire, c’est poétique, c’est littéraire, c’est une œuvre. Donc il y avait là, mais je ne sais plus comment elle s’appelle, cette femme qui justement est une grande prêtresse du sado-masochisme qui, elle, trouvait cela remarquable et elle disait qu’elle avait dû mettre un collier, enfin ça reste dans les finesses de la langue, il y a un voile, quelque chose qui fait que…
Serge SABINUS .- Tu veux dire par là que la création artistique elle donnerait une puissance non phallique ?
Chantal CAZZADORI .- Oui, moi je me dis que ce serait peut-être la jouissance Autre quelque part. Par contre le film qui a été fait, on s’est tous précipité à l’époque pour aller le voir parce que c’était odieux pour des féministes, pour des femmes. Il paraît que ce film-là il a été très mal fait, ça n’a rien à voir avec le bouquin. Et le bouquin il a été pendant vingt ans caché, secret. L’éditeur disait qu’il avait réussi à le vendre en 120 exemplaires, pas plus. Et c’est après, parce que des littéraires ont commencé à en parler, qu’il est devenu célèbre. Donc je me suis demandé de quelle jouissance il s’agissait.
Jean-Jacques VALENTIN . – La première hypothèse était que c’était Paulhan qui l’avait écrit.
Chantal CAZZADORI .- Oui mais c’est parce qu’il avait fait une grande dédicace. Et c’est lui qui l’a reçu aussi.
Serge GRANIER .- Il est à peu près acquis qu’elle avait écrit ça pour séduire Paulhan.
Philippe WOLOSKO. – Pour revenir à ta question, moi j’ai bien aimé la formule en disant, il n’y a pas qu’une jouissance mais… [inaudible]…ça renvoie quand même à une question logique. Et que sur cette question logique il y a Le Gaufey qui a écrit un bouquin pas mal : Hiatus sexualis . Et il explique effectivement que pour sortir de cette logique d’Aristophane, il parle à l’époque de la création des nombres imaginaires qui est quelque chose d’impossible. C’était une logique d’impossible au temps d’Aristophane. Et ces nombres imaginaires, c’est comme racine de 2 ou Pi, c’est-à-dire que, et là j’ai pensé en t’entendant parler que ce sont des nombres qui sont dans l’infinitude c’est-à-dire que ce sont des nombres qui ne sont jamais finis : il y a plus d’un mais il n’y a pas deux, enfin tout ce qui peut exister dans cet espace, disons intermédiaire entre le 1 et le 2, qu’il y ait quelque chose qui soit absolument irreprésentable, dont on doit bien se rendre compte qu’il y a quelque chose qui se manifeste et qui finit par exister même si on ne peut pas rendre compte de cette existence, et qui sort de toute logique articulable. C’est comme ça que moi j’entends la question effectivement de l’Autre jouissance.
Serge SABINUS . – Oui c’est la dimension de l’incommensurable au sens propre du terme. Mais je crois que ce qui est important c’est ce que tu disais aussi, c’est-à-dire : pour y avoir de l’existence, il faut que ça passe par le refoulement, ça ne peut exister que si la dimension du refoulement est dans le coup et que ça ait marché ou pas marché, l’arriéré par exemple… Mais il semble bien en effet que pour cette jouissance Autre, on est dans une autre logique mathématique. C’est en effet toutes les géométries non-euclidiennes qui font qu’en effet les parallèles finissent tôt ou tard par se croiser etc. et qui fabriquent l’espace du [ruban de Sartre ?], c’est-à-dire tout de même des réalités, ce n’est pas en l’air, c’est que ça fonctionne.
PARTICIPANTE . – Mais parce que la jouissance Autre est toujours sur le fil du rasoir, c’est pour cela qu’elle ne peut pas se détruire.
Serge SABINUS . – Moi j’aime bien le fil du rasoir pour la castration.
Robert LEVY . – Bon pour que cela ne soit pas trop rasoir on va s’arrêter là.
[1] Geneviève Fraisse Le genre escamote le sexe in revue RAVAGES N° 6 OCTOBRE 2011 ED JBZ &COMPAGNIE
[2] G Fraisse La controverse des sexes PUF 2001 P.25, 26
[3] Lacan OU PIRE séminaire du 10 Mai 1972
[4] Adèle Von Reeth, Jean Luc Nancy LA JOUISSANCE PLON 2014 P. 37 38
[5] CF GUY LE GAUFEY LE PAS TOUT DE LACAN EPEL P. 42
[6] J LACAN Séminaire ENCORE Paris SEUIL P. 56
[7] Stéphane THIBIERGE CLINIQUE DE L’IDENTIT2 PUF 2007 P. 120