Robert Lévy 6-"Incidence du sexuel dans la famille dite moderne"
Réponse à l’article du monde du 21 Mars 2015 LE GRAND DIVAN MEDIATIQUE Marion Rousset
L’article du monde du 21 Mars ‘Le grand divan Médiatique ‘ me semble poser un certain nombre de questions au plus vif de ce que nous essayons de cerner cette année sur les avatars du sexuel.
En effet Marion Rousset, la journaliste auteur de cet article tente de poser un certain nombre de questions à la Psychanalyse Actuelle.
Ce sont à la fois des questions liées aux prises de position des différents Psychanalystes dits ‘médiatiques ‘ sur certains problèmes de société mais aussi, au-delà, sur des problèmes qui concernent le pourquoi et le comment la théorie psychanalytique n’a pas su évoluer et représenter aujourd’hui un allié contre la GPA et un soutien de la manif pour tous.
Autant dire que ce que reproche l’auteur de cet article, c’est la propension de certains psychanalystes à tenir des discours prescriptifs : « on assiste à la montée en légitimité d’une parole psychanalytique qui manie la thématique de la boîte de Pandore et fournit de l’argumentaire à certaines parties de la société comme cette frange catholique qui s’inspire aujourd’hui plus de Freud que des écrits du Vatican… »
La critique est claire, ce qui est reproché à la psychanalyse c’est donc « l’obsession pour ce qui risque de remettre en cause la famille traditionnelle et la complémentarité entre hommes et femmes ».
Nous sommes donc taxés, les psychanalystes, de communiquer seulement sur des valeurs « minimales et souvent très conservatrices » dans une posture par conséquent très défensive.
L’âge, pour ne pas dire le grand âge des psychanalystes y serait pour quelque chose, et le vieillissement de la profession, pour beaucoup dans « les crispations que suscitent les soubresauts d’un monde contemporain en proie à des recompositions du couple et de la famille »…
Pour conclure l’auteur de cet article nous donne le conseil suivant : « la psychanalyse devrait se réformer de l’intérieur pour se réinscrire dans son temps, se recentrer sur les tremblements des repères familiers, écouter ce trouble ou cette inquiétante étrangeté ».
C’est pourquoi Marion Rousset nous invite à opposer le discours prescriptif à l’expérience clinique, seule à même de « penser le mouvement de la société et éclairer des situations qui nous sont révélées sous un nouveau jour ».
On ne peut pas rester silencieux face à cette critique que je considère, par bien des égards très juste. Mais il faut alors reprendre son argumentation pour en extraire les éléments à discuter …
Tout d’abord, convenons déjà que nous sommes pris à notre propre discours puisque cela fait un certain temps que dans notre association AF nous considérons que la psychanalyse est politique. D’ailleurs l’auteur nous rappelle que « le lacanisme a eu ce rôle particulier d’intégrer à la psychanalyse du politique, du moral , et du religieux, ce qui a fondé l’autorité publique de cette discipline qui ne possédait pas de département universitaire » . Mais soutenir que la psychanalyse est politique est-ce équivalent à « intégrer à la psychanalyse du politique ? »
Quoi qu’il en soit, il nous faut donc accueillir ce que cette journaliste nous transmet des effets produits dans la société de cette assertion. D’autre part nous avons asséné en long en large et en travers que la psychanalyse était à bien des égards le dernier soutien du sujet face à la mondialisation et au discours capitaliste qui la fonde. Cela nous donne-t-il pour autant le droit d’avoir une conception du monde ? Je crois avoir souvent évoqué qu’il y avait une différence très grande entre avoir une conception du monde à prescrire et soutenir le sujet partout là où il est en voie de disparition ; n’est-ce pas là la différence entre intégrer à la psychanalyse du politique et soutenir que la psychanalyse est politique ?
Aurions-nous déjà échoué, ou encore, sommes-nous en dette d’expliciter un certain nombre de nos points théoriques qui, s’ils ne le sont pas, finiront par donner en effet un appui à certains pour défendre des points de vue ou, mieux encore, des prescriptions parfaitement rétrogrades, du ressort habituel de ce à quoi on peut s’attendre de la part de la famille bourgeoise et de la sexualité du même nom….
Je pense que ceux des psychanalystes qui se prononcent sur les ondes avec des arguments prescriptifs sont en fait des psychanalystes croyants qui font passer leur conception du monde morale et religieuse pour des principes relevant de la psychanalyse … D’ailleurs l’un d’entre eux ne se prive pas par ailleurs d’interpréter à qui veut bien l’entendre les lapsus, actes manqués ou encore désirs inconscients de nos hommes politiques ; c’est dire si s’offusquer de la bonne santé psychique des enfants de couples homosexuels ne rime pas forcément avec le manque d’éthique d’une interprétation hors transfert.
Il nous faut maintenant examiner minutieusement les points théoriques qui amènent notre journaliste, très renseignée, à soutenir la thèse qu’elle défend.
Elle évoque tout d’abord que si les psychanalystes n’ont pas été d’un grand soutien aux transformations des lois récentes sur la famille c’est qu’ils en sont restés à des positions prescriptives et prédictives au nom de l’interdiction de l’inceste qui amènent plus tôt à « l’art de définir les contours d’une famille digne de ce nom et de prédire le destin des générations futures ».
Ce que critique ainsi la journaliste c’est le fait que, pour elle, « prêcher la bonne parole ou délivrer des remèdes sont donc des tentations qui ont existé bien avant les débats sur l’homosexualité. »
Elle vise ici très précisément le moment où la parole des psychanalystes a quitté le divan pour rejoindre la télé-réalité de Serge Leclaire et les émissions de Françoise Dolto à la radio…
Selon elle, ce passage au public a eu pour effets de transformer les demandes de consultation aux « Psys» pour des grosses pathologies aux nouvelles demandes du ressort du malaise existentiel. Au fond, la question posée est bien celle que nous avons résolu par avance en soutenant les bornes nécessaires à ce que la psychanalyse ne se transforme pas en prescription d’une conception du monde à savoir : il n’y a pas d’interprétation hors transfert. C’est-à-dire qu’en aucun cas le psychanalyste peut dispenser un savoir à visée universelle donc, sauf au risque de s’engager dans le discours du maitre ou de l’universitaire. Il ne s’agit plus dès lors de discours analytique.
Pourtant, pour tous ceux qui travaillent avec des enfants la question est vive bien sûr. En effet lorsque nous sommes en situation de travail avec eux, nous sommes forcément en position de travail également avec les parents. Or, ce qui est visé dans ces critiques envers la psychanalyse, c’est non seulement la question de l’interprétation hors transfert, mais de plus – et c’est sans doute le plus important -, la position surmoïque du psychanalyste ou de sa théorie psychanalytique transmise énoncée sous forme prescriptive par certains. Etait-ce l’objectif de Françoise Dolto : mettre les parents au pas de la théorie analytique, prescrire de la psychanalyse comme on prescrit un médicament ?
Assurément non et pourtant nous fûmes un bon nombre au sein de sa propre école, l’EFP à être stupéfaits par cette parole nouvelle sur les ondes, parole sans aucun précédent, qui se gardait bien de donner des interprétations, mais pourtant soutenait quelque chose de l’enfant comme sujet, sujet de l’inconscient assurément, ou sujet plus prosaïquement, puisqu’elle conseillait d’écouter ce que disent les enfants. L’enfant suj
et de leur parole avait, avant elle, peu de sens. En effet c’était une grande nouveauté qui eut pour conséquences très vite de donner un statut à l’enfant dans la société des années 1976-1978.
Je crois que Françoise Dolto était portée à cette époque par une croyance, la même que Freud, c’est-à-dire celle qui consiste à penser que l’éducation psychanalytique pourrait soulager les névroses et en particulier celles des enfants.
C’est sans doute cette même croyance qui l’a certainement conduite quelques années plus tard à envisager l’invention des « Maisons Vertes » dans lesquelles le projet a été alors de faire de la prophylaxie, ou plus exactement encore, de la prévention psychanalytique auprès des enfants et de leurs parents. Mais la critique de Marion Rousset porte sur des points plus délicats, car à l’époque de la parole d’une psychanalyste sur les ondes, les rôles maternels et paternels n’avaient pas encore subi les transformations auxquelles on assiste à l’heure actuelle. En effet 1968 était passé par-là sans que, et il faut bien le souligner, le rôle de la femme n’ait été tellement abordé pendant cette période puisqu’il a fallu un mouvement féministe indépendant des mouvements politiques soit disant révolutionnaires pour que cela se fasse …
Donc, jusqu’alors, rien n’avait clairement changé dans la famille bourgeoise même si la pilule avait transformé la question de la sexualité entre hommes et femmes. Mais la famille bourgeoise n’avait pas encore été remise en question dans ses fondements et les psychanalystes ne se prononçaient pas encore sur ces questions.
C’est donc à juste titre que notre journaliste fait remarquer qu’il a fallu attendre la bataille du PACS pour que l’on entende petit à petit de la part des psychanalystes que « aux revendications d’égalité certains opposent alors la vision transcendante d’un ordre symbolique qui échappe à l’histoire et à la politique, et qui serait donc au-dessus de la démocratie .»
Deux points essentiels dans ce débat : la question des femmes et de la sexualité féminine et bien entendu celle du père ou encore du tiers nécessaire à faire coupure entre la mère et l’enfant.
Évidemment jusqu’alors l’autre sexe, le père – l’homme donc – était supposé apporter cette spécificité dans l’escarcelle du couple du point de vue symbolique …
C’est ce que remet clairement en question notre journaliste en précisant que la Bible des psychanalystes avec le complexe d’œdipe et sa triade symbolique a « été élaboré à une époque où la famille patriarcale était la référence unique, ce concept présuppose l’existence de deux figures d’identification autour desquelles s’ordonne la différence des sexes. »
On ne peut que rappeler comme je l’avais déjà fait lors du dernier séminaire que pour la fille, Freud définit en effet deux points de complication et de différence qui sont le changement d’objet de la mère au père et aussi le renoncement au clitoris comme zone érogène masculine et le vagin comme zone érogène féminine. Je n’entrerai pas dans les polémiques qui, me semble-t-il à juste titre, font ici de Freud un personnage machiste ou qui, pour le moins, ne peut s’extraire du référentiel masculin – anatomiquement masculin -, même pour définir les ingrédients de la sexualité féminine. Il ne peut s’extraire de cette dualité actif/passif pour définir la différence en laissant dans ce « continent noir » le soin à d’autre d’y découvrir quelque mystère.
C’est très précisément ce à quoi Lacan s’est employé en demandant aux psychanalystes de « voir plus loin », entendons : plus loin que la différence des sexes anatomiques ou référencée à l’homme : « Ce dont il s’agit et ce dont je suis parti, est ce qui est fait pour vous suggérer l’utilité de ce qu’il y ait de l’un, pour que vous sachiez entendre ce qu’il en est de cette bipartition à chaque instant fuyante, de cette bipartition de l’homme et de la femme : tout ce qui n’est pas homme est-il femme ? On tendrait à l’admettre. Mais puisque la femme n’est pas toute, pourquoi tout ce qui n’est pas femme serait-il homme ? Cette bipartition, cette impossibilité d’appliquer, en cette matière du genre, quelque chose qui soit le principe de contradiction […] c’est cela que je vous indique comme étant ce qui doit permettre à l’analyste d’entendre un peu plus loin (1) »
C’est donc une invitation à ne pas en rester à ce que notre journaliste appelle la Bible psychanalytique à savoir : « le noyau fondateur en termes de paternité et de maternité, c’est l’idée que la mère serait ombilicalement liée à l’enfant qui ne pourrait s’en sortir que si la séparation est assurée par un tiers : l’autre sexe, qui est aussi la loi. »
En effet si le psychanalyste se doit d’entendre un peu plus loin, c’est entendre que tout ce qui n’est pas homme n’est pas femme pour autant et que la femme n’est pas toute ; ce qui signifie que dans la différence dite des sexes c’est la question des jouissances qui devrait nous intéresser beaucoup plus que celle de l’anatomie.
Par conséquent si on suit cette indication quand on parle de tiers, le tiers est-il celui de la jouissance différente ou celui de la différence anatomique ?
Cela ne nous permet-il pas de considérer le complexe d’Oedipe dans le cas d’un enfant qui vit avec deux hommes ou deux femmes autrement ? Et ce, surtout si l’on peut admettre que dans certains cas de névrose obsessionnelle on peut parler d’ Oedipe inversé ? De même la question de la coupure de l’ombilic n’est-elle pas liée plus à l’idée de pouvoir désirer ailleurs, c’est-à-dire que l’enfant ne soit pas le seul objet du désir de la mère ou du père et, par conséquent, que ce qui est le véritable enjeux c’est encore le rapport du désir aux jouissances. J’ajouterai à cela que les mathèmes de la sexuation sortent également le sujet de sa binarité anatomique pour l’interroger dans ses jouissances qui là encire ne le réduisent pas à ce que tous les hommes soient du côté masculin , ni à ce que toutes les femmes soient du côté féminin …
Deux cas me font penser cette façon d’envisager les choses. Le premier c’est celui d’une jeune fille amenée en consultation par deux femmes et élevée par elles bien sûr depuis sa naissance. Sa conception a eue lieu par les circuits d’insémination marginaux de l’époque, ce qui lui avait été révélé très tôt.
Cette jeune fille était parfaitement repérée sur le plan des identifications sexuées. Elle redoutait plus l’une de ses deux ‘mamans’ et entretenait à l’égard de celle-ci toutes les restrictions habituelles que l’on rencontre chez des enfants vivant dans une famille hétérosexuelle.
L’autre vignette clinique c’est celle d’un homme homosexuel dont le désir d’enfant est sans aucun doute aussi fort que celui que l’on peut entendre chez certains hommes et qui cherchent une mère pour pouvoir réaliser ce désir. Il est d’ailleurs sur le point de passer à l’acte après avoir longuement mûri ce projet avec cette femme chez qui, dit-il, il ne peut entendre aucun élément qui pourrait a priori l’inquiéter pour l’avenir de son enfant. Il a mis en place avec elle un contrat de vie avec le futur enfant qui suppose une sorte de garde partagée un peu comme un couple déjà divorcé avant même d’avoir vécu avec l’enfant. Mais la seule petite restriction, en cherchant bien, serait celle que je lui ai fait remarquer à savoir que cette femme a choisi ce type de procréation, alors qu’elle est encore jeune, car elle ne fréquente aucun homme du fait que ses différents essais ne l’ont pas conduite à envisager une relation suivie …
Mais pour notre patient c’est bien aussi ce qui lui donne envie de faire ce projet avec elle, à savoir la signifiante
mère dont elle présente tous les caractères et qui le renvoient directement à sa propre mère. Il fera d’ailleurs un rêve de désir sexuel envers cette femme, exception dira-t-il par rapport à tous ses autres rêves érotiques qui jusqu’alors se produisaient plus tôt avec des hommes
Mais après tout nous sommes dès lors au seuil du fantasme de chacun, du fantasme d’enfant bien sûr mais aussi de ce qui fait que pour chacun l’autre entre dans son désir d’enfant. Entendons cela littéralement et dans tous les sens : pour elle, un enfant d’un homme avec lequel elle n’a, ni n’aura, de rapports sexuels bien protégés donc par l’interdit de l’inceste ; pour lui, un enfant de sa mère, enfant incestueux restant cantonné dans son fantasme. Sont-ce des fantasmes tellement inhabituels ?
Peut-on sur ces critères dresser une quelconque prospective de la bonne santé mentale de cet enfant à venir ?
Alors maintenant nous devons répondre au point les plus dures développées dans cet article.
« Les prophéties contemporaines s’inspirent de l’autorité imprégnée de Catholicisme de la pensée Lacanienne : celle-ci a parfois assimilé le psychanalyste à une sorte de saint et la fin de l’analyse à un état proche de l’extase mystique, tandis que le père est présenté comme l’élément central de l’organisation du psychisme. »
Oui en effet, le père, mythe central d’Oedipe semble, une figure incontournable. Mais peut-on dire pour autant que nous y tenions tellement comme père au sens de la famille Bourgeoise ? En d’autres termes, s’agit-il de sauver pour les psychanalystes le pater familias ?
Marion Rousset reconnaît quand même que ‘c’est un lacanisme vidé de ses ambivalences et privé de son côté énigmatique qui est livré au grand public et s’il est un psychanalyste qui n’a pas voulu prendre la place de l’expert, c’est pourtant bien Lacan même si par la suite, celui qui voulait déroger aux normes a fini par devenir un outil de propagation de la norme ».
Voilà donc le reproche qui nous est attribué, d’être : « un outil de propagation de la norme »!
Examinons cet appel à examiner un point clinique fondamental cité par notre journaliste : « dans un couple lesbien, par exemple, la femme qui n’est pas la mère de corps n’est pas non plus un père, c’est une mère autrement. »
Voilà matière à préciser ce qu’est un père.
Tout d’abord je dirai qu’un père est une fonction avant tout : celle qui constitue la capacité pour un sujet de pouvoir dire non en prenant le risque de rompre tout pacte imaginaire avec son enfant pour être aimé. C’est-à-dire que c’est celui, ou celle, qui peut assumer de courir le risque de perdre l’amour auprès de son enfant et de sa compagne, ou de son compagnon, pour mettre la seule limite symbolique qui compte pour un enfant : celle qu’on énonce à partir de sa propre castration. Car un père n’est pas un surmoi mais cette fonction énonciative qui permet à un enfant d’entrer dans le symbolique à partir de la castration qui lui a été avant tout transmise par celui ou celle qui est en fonction de dire que non…
Par conséquent toute position surmoïque est un échec au symbolique, et sert plus de résistance à l’enfant pour y entrer que d’aide.
C’est pourquoi si les psychanalystes n’ont pas compris cela et que face au grand public ils ne se servent pas de ce que la clinique leur apprend ils iront à la catastrophe et entraineront la psychanalyse avec eux. C’est aussi pour cela que la position de l’analyste ne peut jamais être prescriptive, même dans les cas où il a à se prononcer, comme par exemple dans les cas où les enfants dorment dans le même lit que leurs parents .
Dans ces cas il y a de la fonction paternelle à produire puisque si les enfants dorment dans le lit conjugal, c’est justement parce qu’il en manque. Donc ce sera toujours une recommandation de cesser de dormir là en invitant celui qui est en position paternelle à aider l’autre du couple à pouvoir s’en passer. La clinique nous apprend cela en effet et aussi que le père est un signifiant ; c’est pourquoi on peut s’en passer pour autant qu’on sache s’en servir. La clinique des enfants nous y invite encore puisque lorsqu’une mère de famille monoparentale ne parvient pas à énoncer ce fameux dire que non, l’analyste peut de façon transitoire assumer cette place au nom de son nom.
Je veux dire par là qu’il n’y a pas à réfuter qu’une mère en difficulté dans une situation monoparentale, si le signifiant du nom-du-père ne fonctionne pas pour elle, puisse se prévaloir auprès de son enfant du nom du consultant pour tisser des repères à son enfant.
En effet Lacan fut le premier à dire, et surtout à écrire, dans les Écrits , que le père pour une femme enceinte ça peut être n’importe quel signifiant et il donne l’exemple d’un rocher devant lequel la femme, future mère, serait passée pendant sa grossesse.
Voilà aussi comment j’entends aujourd’hui ce qui était resté très énigmatique pour moi à l’époque à savoir comment Lacan pouvait énoncer que son nom puisse faire quatrième nœud. Par conséquent des pères, il y en a de toutes sortes : des réels, des symboliques et des imaginaires et le mérite de Lacan, c’est d’avoir eu la volonté délibérée de sortir toute représentation du père liée à un sexe pour en faire une fonction et un nouage tel que ça puisse faire tenir pour un sujet les trois autres …..
Par conséquent, bien malin celui qui pourrait aujourd’hui, en tant que psychanalyste, faire du père un dogme sur lequel pourrait s’appuyer une quelconque prospective. La seule prospective que nous pouvons cliniquement faire pour un enfant c’est celle de rappeler sans cesse que, quel que soit le cas de figure, rien n’est encore joué et que toute évaluation d’un avenir, quel qu’il soit, au nom d’un état actuel ne peut être qu’une escroquerie et du charlatanisme de surcroît et ce, que ce soit au nom de la science ou de la psychanalyse ….
Je finirai sur cette idée d’un élève de Freud qui soutenait qu’il fallait se remanier ou mourir, ce que les enfants savent si bien faire quand on leur en donne l’occasion ; principe que les psychanalystes devraient s’appliquer à eux-mêmes d’urgence.
Discussion :
Après un long silence Robert Levy :
« J’espère que ça ne va pas vous laisser dans un tel état de stupeur! ».
Jean Jacques Leconte : « Au contraire ça nous met aussi le pied à l’étrier..
R.Levy : « C’est vrai qu’on peut toujours jusqu’à demain développer nos théories sur la sexualité, la différence des sexes et tout ce qu’on voudra et que ça n’ait effectivement aucune incidence au-delà, c’est-à-dire dans la clinique actuelle pour dire les choses comme elles sont.. ».
J.J.Leconte : « Le groupe de contact n’a donc pas été foutu de produire quelque chose ?
R. Levy : « Non seulement ,on n’a pas été foutu de produire quelque chose, mais on est resté dans le silence radio, c’est le cas de le dire… En tout cas jusqu’à aujourd’hui.. voilà.. ».
Serge Garnier : « Est-ce qu’on peut imaginer qui pourrait produire quelque chose ? ».
R. Levy : « Il y a des choses à dire.. ».
Serge Sabinus : « Est-ce que c’est légitime d’entrer dans cet espèce de combat que la dénommée Marion bien dénommée (rires dans la salle), vers lequel elle nous entraîne, un peu à la manière d’Onfray, pourquoi dans la psychanalyse on disait : « alors dans la psychanalyse il y a des bons et des mauvais? C’est ça que vous êtes entrain de dire qu’il y en a qui sont analystes et d’autres qui ne le sont pas et font n’importe quoi ? Est-ce qu’on peut rentrer dans ce genre débat ? Ce que tu nous démontres là, avec beaucoup de justesse et de pertinence, c’est que ses argumen
ts à elle, c’est à hurler de rire. Onfray dit la même chose. Le problème c’est qu’il y a des analystes ou supposés tels qui prennent la parole publiquement, alors que la vraie question n’est pas de dire Lacan n’a jamais dit ça, mais on pourrait dire : « Commencez déjà par lire Lacan et puis après on pourra discuter. En fait elle nous amène à dire : « alors il y en a qui prennent la parole pour dire autre chose, si vous êtes d’accord dites le! ». Il y a quelque chose que je perçois comme une sorte de mascarade dans laquelle on risque de rentrer, qui serait de dire, d’une manière ou d’une autre , il y a un certain nombre d’analystes que l’on doit absolument discréditer, alors à ce moment là au nom de quoi ? Est-ce que nous on a le savoir pour faire ça ! Quelle est notre légitimité pour dire, il y a un certain nombre de gens, évidemment tout le monde connaît des noms, mais on ne les dira pas , ceux -là, …».
Serge Garnier : « Il me semble que la seule chose qu’on pourrait dire médiatiquement, car là il s’agit de l’univers médiatique, c’est-à-dire de l’univers de l’idéologie, ce débat autour du mariage, on ne peut pas le tenir nous. Tout ce que l’on pourrait dire, c’est quand on va parler à la télé ou ailleurs, on n’est plus psychanalyste, on parle d’autre chose, d’une autre position. Il y en a un qui avait dit ça, c’est Gérard Miller, qui avait dit à la télé, je ne suis pas psychanalyste. Dans mon cabinet je suis psychanalyste, peut-être. Je pensais en t’écoutant à la position de Lacan, par rapport aux médias. Il n’a pas fait grand chose… ».
Robert Levy : « Quelques interwievs, radiophonie, télévision ».
Serge Garnier : « Ca été très peu commenté, ça a eu très peu d’influence médiatique ».
Robert Levy : « Je ne suis pas d’accord avec toi ».
Serge Sabinus : « Il faut voir la tête de Benoit Jacquot quand il lui pose beaucoup de questions ».
Serge Garnier : « Non c’est Gérard Miller qui lui posait des questions écrites par Lacan ».
Robert Levy : « Je pense qu’à l’époque de Lacan, le séminaire, son séminaire, était devenu tellement publique, il était forcément médiatique ».
Serge Garnier : « En passant par une sphère très intello. ».
Robert Levy : « Des intellos, des artistes, bon d’accord, mais qu’est-ce-qui fait actuellement la transmission au public c’est Finkielkraut, bref les intellectuels reconnus par le public, qui transmettent un certain nombre de données; ça n’a rien de différent du temps de Lacan. Je pense qu’il avait une position, sans aller parler à la radio, tout à fait publique, médiatique. Effectivement t’as raison, il y a ce qui est l’habitude, les quelques personnes soit disant représentatives de la pensée au moment où un sujet a une audience ».
Françoise Fabre : « Je remarque que les questions qu’on pouvait lui poser, pour entendre la réponse, il fallait y mettre du nôtre.Tandis que là, dans les médias il faut être compréhensible, être du côté du sens, Lacan parlait comme il avait à parler. Alors qu’il ait été médiatique au sens où beaucoup de gens allaient le voir, c’est une chose, mais il n’a jamais succombé à aller donner des petits interviews, à Paris Match ou au journal Le Monde ».
Robert Levy : « C’est vrai, mais je pense qu’il était préoccupé, que sa pensée, soit transmise d’une façon ou d’une autre, à sa façon à lui bien évidemment, qui n’a rien à voir avec celle de Françoise Dolto. Je ne pense pas qu’on puisse dire de Lacan, vraiment, qu’il n’était pas préoccupé par ces questions et qu’il n’a pas à sa façon, répondu à un certain nombre de questions de cette époque, dans laquelle il vivait ».
Françoise Fabre : « Il avait un souci de transmission mais pas de communiquer. Là actuellement on communique, on ne transmet pas ».
Robert Levy : « Quand même la question est un peu plus compliquée que cela, la psychanalyse est battue en brèche de toute part, tous les jours, par vraiment un certain nombre et de fausses transmissions et de fausses communications, et au sein même de sa profession par des personnes qui confondent leur propre médiatisation avec la transmission. Quand même ils ont fait ce qu’il fallait pour être médiatisées. Est-ce-que l’on peut se contenter dans nos associations de rester comme ça face à cela, témoin muet de ce qui se passe, en vieillissant d’ailleurs entre nous, en assistant à la destruction de l’Empire Romain, et en disant bon, restons dans notre silence, après tout, parce que si l’on parle on sera forcément happé par la communication et pas par la transmission. C’est quand même une vraie question ? ».
Jean Jacques Valentin : « Dans quelle mesure ça peut nourrir tout cela insidieusement, les résistances des analysants ? Qu’est-ce-qui peut nourrir ce climat autour de la psychanalyse qui est délétère, et comment dans la position des psychanalystes, répondre à cela ? Samedi quelqu’un parlait d’une conception du transfert, des analysants venaient avec une certaine conception du transfert, quelle implication ça peut avoir dans une cure ? ».
Robert Levy : « Depuis que le monde de la psychanalyse existe tous les analysants ont une conception du transfert, c’est comme ça. Il ne semble pas que ce soit cela le point de difficulté. En revanche en effet, la question de la résistance, bon une fois qu’on a dit que toute résistance est celle du psychanalyste, moi je veux bien, c’est sans doute vrai, un certain nombre de fois, dans la cure, d’accord ! Mais quand même actuellement la psychanalyse est discréditée, purement et simplement. Elle est discréditée comme pratique, comme théorie et comme politique. C’est ce que dit cette journaliste. Il me semble qu’elle pose un certain nombre de questions, en effet on peut ne pas y répondre, ne pas écouter, rester silencieux, mais pour moi tous ces arguments là me semblent insuffisants. Je ne crois pas et encore moins par ce que l’on pense que finalement il nous reste encore quelques bonnes années à vivre, pas tant que ça, et après nous le déluge. Je crois qu’on peut penser un peu plus loin, qu’est-ce-qu’on va laisser, c’est un souci pour moi, de ce que nous avons connu et qu’on connaît encore comme aventure absolument extraordinaire de ce qu’est une psychanalyse et pour soi-même et pour les autres? Qu’est-ce qu’on va transmettre de ça ? En ce moment …Zéro ! ».
Serge Sabinus : c’est aussi pas seulement par le fait que l’on ne prend pas la parole publiquement, c’est aussi le fait de la manière dont la psychanalyse est reçue par le corps social en général, et la manière dont elle ne peut être reçue par le corps social, c’est-à-dire en aucun cas comme un scandale. Elle ne peut être reçue que sous des notes de plus en plus dévoyées comme on voit la plupart des psychothérapies maintenant, des machins choso-analytico, qui font que les gens continuent à demander des conseils, des soins rapides et dès que ça commence à prendre du temps, ça va pas. Et, il y a surtout une offre qui est gigantesque et qui est infiniment plus profiteuse, excitante, que ce que nous proposons… De venir deux à trois fois par semaine, pendant des années et des années sans la moindre garantie. Là, nous passons pour des givrés.
Alors comment on peut promouvoir ce discours là alors qu’on est absolument envahi, pas seulement par rapport à la psychanalyse mais par rapport à la vie en général, par tout un autre mode qui est celui de la consommation, de la réponse directe par exemple à Mme Marion Rousset. Ce qu’elle dit est tout à fait juste, à la limite on pourrait lui dire oui, oui, on est d’accord , aurevoir Madame. Elle avance des choses qui sont assez exactes, mais comment faire ? Pour passer devant un public qui passe par la médiatisation, doit-on lui refaire un di
gest de Lacan, ou de la psychanalyse telle que nous on la conçoit, s’opposant à tels que d’autres la conçoivent. Là, on entre à mon avis dans un débat, qui est mort d’avance, car on se monte les uns contre les autres et au nom de quoi on aurait une parole meilleure ? Je pense qu’on a une parole meilleure, mais je le dis qu’à toi et à quelques autres. Qu’est-ce que ça veut dire que x n’est pas analyste ?
On n’en sait rien. Qu’est-ce-qu’on peut répondre d’autre en tant que psychanalyste si ce n’est d’écouter la parole de l’Un, du singulier, qu’il soit homosexuel, voleur, anarchiste, terroriste, pédophile … on s’en fout ».
Robert Levy : « On s’en fout, mais quand la personne dont vous parlez est invitée au Sénat pour enrichir le débat préalable au vote sur je ne sais pas quoi, il est invité en tant que représentant de la psychanalyse, et pas ».
Serge Garnier : « Le Sénat a besoin d’experts ».
Robert Levy : « Eh bien oui. La responsabilité c’est de ne pas en prendre ».
Serge Sabinus : « Non, non, non. Si, par rapport à cet engagement, prenez la responsabilité au nom de tous les autres, c’est non ! ».
Françoise Fabre : « S’il a été convié c’est lui au sénat, Mr Winter comme Mme Roudinesco, c’est pas au nom de la psychanalyse ! ».
Robert Levy : « Oui mais enfin il a été convié comme quoi ? Comme pêcheur à la ligne ? non comme représentant de la psychanalyse. Françoise je suis désolée. ».
Françoise Fabre : « Non, il n’était pas avec une affichette comme représentant du lacanisme, il y avait Jean Pierre Winter, psychanalyste ».
Serge Sabinus : « C’est bien que vous posiez la question : comment se fait-il qu’on n’en trouve pas au moins un qui nous représenterait, c’est effectivement compliqué. On pourrait imaginer qu’il y aurait un discours, donc un écrit qui paraîtrait dans le journal le Monde, à titre de réponse. S’il y avait de la réponse et de la responsabilité, ce serait à titre et seulement à titre individuel. C’est-à-dire moi, Mr Machin, qui me prend pour un analyste, voilà ce que j’ai à répondre à Mme Rousset ».
Radjou : « Je ne sais pas s’il s’agit de donner meilleure parole, t’as raison,si on veut le combat des meilleures paroles, on est dans l’idéologie, dans la croyance, dans la foi. En revanche la question du discours, celle-là sans doute est différente. Quand J.J. Valentin, disait tout à l’heure à propos de la question du transfert, les analysants ont une idée du transfert, cette idée entre autre c’est qu’il y a un supposé savoir, qui va leur apporter quelque chose, qui va répondre à leur manque, qui va résoudre tous leurs problèmes. Précisément, si les analystes commencent à rentrer dans ce rapport là, avec cette journaliste et dans cet article, elle site abondamment un certain nombre de sociologues entre autre, qui sont justement dans un certain type de paroles, tout à fait disqualifiantes, assez simplistes, surtout dans les propos qui ne sont pas portées dans cet article, c’est pas le cas, mais elle utilise les propos des sociologues pour sortir des choses assez caricaturales. La grande question que tu sortais Robert tout à l’heure, à savoir, qu’est-ce-que un analyste bien sûr, dans son cabinet, mais aussi ailleurs, à quel endroit, là à défendre partout où la question du sujet est menacée et y compris dans les institutions où l’on peut parler, dans un certain type de discours, dans le discours de la consommation, partout, là où il y a quelque chose de la division subjective,là où il y a la question de l’inconscient, là où il y a une éthique des biens qui écrase toute possibilité d’une éthique du désir, c’est-à-dire qu’ il n’y aurait pas quelque chose qui viendrait à la place, c’est la question des discours analytiques. En tout cas qu’il y ait la possibilité que dans tous ces types de discours il y ait quelque chose qui puisse opérer parfois d’un quart de tour, c’est-à-dire qu’il y ait la possibilité pour qu’il y ait du sujet qui s’entende. A partir du moment où tout cela est écrasé, en effet, ce serait une grande erreur que pourrait faire la psychanalyse du un par un, qui de venir répondre dans une parole, d’une bonne parole idéologique à une autre parole sociologique, de discours…c’est vraiment au sens beaucoup plus modeste que ça, mais toujours à ramener à cette division, de cette question du pas-tout, de ces éléments là qui ne viennent pas boucher et qui viennent pas remplir mais qui viennent toujours ouvrir cette possibilité du sujet d’advenir. Là, peut-être les analystes ont à faire entendre quelque chose ».
Serge Garnier : « Oui, mais les exemples que tu donnes, les institutions dans lesquelles on a travaillé les uns et les autres, étaient tous embauchés en tant qu’autre chose, pas en tant que psychanalystes, éventuellement en tant que psychologues ayant une formation analytique. Mais là on pouvait faire passer un discours analytique dans ce sens là. Par rapport aux institutions analytiques au Sénat, il y a une audition, qui date d’il y a deux ans à peu près, du psychiatre de La Borde, Jean Oury, qui est intervenu à l’assemblée nationale, dans une commission il y a deux ans, c’est à écouter, vraiment, il y a quelque chose de l’analyse qui passe, et il est invité en tant que psychiatre ».
Robert Levy : « Il s’est prononcé, et il a pris la responsabilité. »
Françoise Fabre et Serge Garnier : « en tant que psychiatre ! ».
Serge Garnier : « On sent bien qu’il y a quelque chose de l’analyse qui passe ! Quand Dolto intervenait à la radio, elle intervenait à la radio, comme toujours ce qu’elle avait voulu être, comme médecin de l’éducation, ce qu’elle revendiquait déjà enfant, de devenir médecin de l’éducation. Les maisons vertes, le travail qu’elle faisait à la radio de répondre aux interventions, aux courriers des gens qui lui écrivaient, c’était en tant que médecin de l’éducation, c’était vraiment en tant qu’elle préconisait quelque chose, pour l’éducation des enfants qui avait à voir avec des concepts psychanalytiques, mais elle n’était pas en tant que tel psychanalyste ».
Serge Sabinus : « Est-ce qu’on peut pas.. enfin on peut toujours le faire.. et ça vaut la peine de se poser la question : qu’est-ce-que ça voudrait dire que de tenir uniquement ce type de langage commun qui est réclamé par les média, qui serait un discours de l’analyste et pas le discours de l’analyse ? Quelque chose du discours de l’analyste est commandé par petit a, il est commandé par quelque chose qui est profondément et présent et insaisissable, c’est ce qui fait la particularité de sa fonction, et à l’expérience, c’est ce qui permet à l’analysant, d’aller beaucoup plus loin dans sa parole et d’entendre un peu mieux ce qu’il est en train de dire. Mais lorsque l’on est convoqué sur la place publique, est-ce que l’on peut tenir en tant cette fois ci que psychanalyste, est-ce qu’on peut tenir un discours d’analyste au sens où je vais parler au nom de la psychanalyse ? Est-ce que ça veut dire quelque chose ou plus exactement, est-ce que ça ne représente pas d’emblée par le fait de tenir cette place, quelque chose qui nous met en porte à faux avec ce à quoi on adhère avec le discours de l’analyste ? ».
Radjou : « C’est toute la question de l’analyse en intension et en extension. Je vais te dire, c’est même quelque chose que l’on retrouve dans les associations, au groupe de contact, à l’inter-associatif, à Convergencia, où il y a des discussions y compris sur des points de détails, d’organisation, sur la question de l’argent par exemple. On entend quand même là, ce qu’il en a été même de l’analyse de chacun, et de même comment certains analystes soutiennent cette fonction d’analyste ou pas ! ça s
’entend ces affaires là et ça s’entend par exemple à l’inter-associatif, ça peut s’entendre ou pas s’entendre. Alors Je pense que oui, il y a quelque chose à soutenir. Jacquemine, quand elle nous a parlé mercredi, elle disait comment dans les institutions, apparament très modestement, on pouvait comment on pouvait faire entendre, en déplaçant un tout petit peu une phrase, sur : croire l’enfant ou pas le croire..
Il y avait toute une série de petites choses comme ça ».
Françoise Fabre : « prendre au sérieux »…
Radjou : « voilà, dans ce petit déplacement là, il ne s’agit pas de croire ou de ne pas croire, mais de prendre au sérieux la parole de l’enfant, c’est-à-dire, écouter quoi ! Eh bien, ces petits déplacements ça fait entendre quelque chose précisément de l’analyse mais y compris dans la cité. Là aussi c’est une autre question dont on a parlé l’année dernière, voilà. La psychanalyse dans la cité c’est quoi ? C’est pas simplement ouvrir des consultations, dans le quartier, non ! voire même dans des mouvements, comme l’appel des 39, ou le CEPE. Comment ne pas virer à l’idéologie, c’est-à-dire, qu’il n’y ait pas quelque chose qui vienne boucher par une parole, mais c’est plutôt à chaque fois pouvoir opérer des petits quarts de tours dans le discours qui est là, si tant est que ça ne commencerait pas dans le discours capitaliste où là c’est plus compliqué sans doute »
Françoise Fabre : « on est en plein dedans.. »
Serge Sabinus : « et d’ailleurs c’est le tord du discours capitaliste, si l’on peut le dire comme ça, de provoquer l’analyste à tenir un discours public et idéologique ».
Anna Konrad : « C’est pas possible…Ce serait un discours capitaliste qui ferait que les analystes essaieraient de répondre ? Parce que l’analyse c’est aussi une profession, parce que c’est une discipline, parce que c’est une théorie, parce que c’est en connexion avec la culture de la cité, l’analyste essaierait de répondre publiquement en essayant de transmettre, quelque chose de la complexité de l’analyse, de la psychanalyse, ce qui fait qu’effectivement des positions très différentes peuvent être prises et qui peuvent être très attaquées, à juste titre attaquées, ça ne veut pas dire que les autres psychanalystes sont des mauvais psychanalystes. Je trouve qu’ essayer de parler de la complexité des choses en essayant d’en transmettre quelque chose c’est de la responsabilité des analystes, effectivement de répondre quelque chose à cette réflexion, qui est cohérente et qui se tient et qui attaque et contribue à disqualifier la psychanalyse. Robert Levy pose une vraie question ».
Françoise Fabre : « Dire quelque chose de la psychanalyse dans les médias, c’est un dire… c’est pas une réponse… est-ce qu’on a à répondre ? Par contre, dans quelque temps, dire quelque chose, on voit bien que c’est autre chose.. ».
Robert Levy : «Je ne dis pas qu’il fallait dire ceci ou cela, je pose un certain nombre de questions, qui me semblent en effet de notre responsabilité et ça je n’en démordrais pas.. Si on considère qu’on n’a pas de responsabilité là-dedans, alors nous serons engloutis corps et biens et la psychanalyse avec. Et ça je n’y tiens pas..Je crois que le monde a changé, qu’il faut absolument qu’on s’en aperçoive, que lorsque tu disais que nous étions engagés comme psychologues ou comme psychiatres dans les institutions, certes, comme ayant une formation analytique, certes, sauf que à cette époque, on pouvait s’adosser sur le crédit que les psychanalystes avaient et qu’elle n’a plus ».
Serge Garnier : « Pas partout, pas dans toutes les institutions tout de même ».
Robert Levy : « Et qu’elle n’a plus quasiment partout maintenant, et sûrement encore moins dans les lieux de soin que où que ce soit ailleurs, et que ça c’est un changement absolument radical, qu’il y a, vis à vis d’un certain nombre de pratiques, il y a des interdits qui ont été énoncés, par l’Etat, des interdits de pratique, ce sont des recommandations, en fait ce sont des interdits, puisque si ces recommandations ne sont pas suivies, il n’y a pas d’argent pour que l’on puisse être engagé, quand même. Voilà, donc le monde a changé, on ne peut pas rester sur les idées qui sont les nôtres parce que nous avons connu « les trente glorieuses de la psychanalyse », ça n’est plus le cas, et dès lors que la psychanalyse n’est plus inscrite dans la culture, je crois que c’est ce à quoi nous assistons, il y a une espèce de défection et de discrédit de la psychanalyse telle que dans la culture, française notamment.. dans d’autres pays c’est comme cela depuis longtemps, où ça ne s’est jamais inscrit dans la culture locale par exemple en Espagne, et bien alors il se passe des choses tout à fait nouvelles.. On ne peut pas simplement dire qu’ on va continuer comme on doit faire .. c’est-à-dire, on va fermer sa g.. et on va faire sur nos divans et dans nos bureaux ce qu’on a toujours fait, comme d’habitude.. ça d’abord ça ne marche pas..ça ne marche plus.. Nous sommes les premiers, on en a discuté un certain nombre de fois, on a constaté que les demandes il y en a de moins en moins, que les gens qui viennent nous voir, il y en a de moins en moins, alors bien malin celui qui va continuer à penser qu’il va faire comme avant. Non le comme avant c’est fini, c’est déjà fini, il n’y a plus de comme avant ».
Philippe Woloszko : « Alors écoute, moi je pense effectivement qu’il faut répondre ».
Robert Levy : « Je sais pas si il faut répondre ».
Philippe Woloszko : « En tout cas il faut être présent, de quelle façon un analyste peut parler en public ? ».
Réponses unanimes de la salle : « En son nom ».
Philippe Woloszko : « Ce qui m’est venu, c’est qu’un analyste en public ne peut s’autoriser à parler que de sa propre cure, bon , et c’est finalement ce qu’a fait Lacan ! Quand Lacan a parlé en public, il a toujours fait référence à sa propre cure puisqu’il disait : « c’est mon analyse que je fais devant vous.. ».
Robert Levy : « C’est en tant qu’analysant que je parle, c’est pas tout à fait la même chose ».
Radjou : « Ca me paraît très juste, c’est-à- dire que quand il y a quelque part un discours gestionnaire, administratif, où le sujet précisément semble complètement forclos et vient de pouvoir faire entendre quelque chose qui viendrait faire barre là-dessus, montrer quelque chose de l’envers, par la modestie par un petit quelque chose, ça s’entend ces affaires là. Il y a quelque chose d’assez univoque, monocorde, qui se répand. Arriver à faire entendre quelque chose de cette ouverture, en effet en parlant, de là où il y a de l’analysant qui peut parler et quand l’analysant parle ça s’entend pour les autres sujets, c’est-à-dire qu’on fait crédit, il y a du sujet, c’est-à-dire que les gens qui sont dans les assemblées, y compris soporifiques, où en effet on essaie d’y croire à ces blabla qui sont dits, je pense que ça fait écho, évènement, une parole peut faire évènement, un mot d’esprit peut faire coupure dans un discours, et c’est ça… ».
Chantal Cazzadori : « Radjou, je vais essayer de parler en tant qu’analysante. J’ai été confronté à ça.. D’abord je pense que dans la première partie du débat, il y a de l’impossible et du réel. Pourquoi je dis ça ? Quand j’ouvre des bouquins, il n’y en a pas un qui dit pareil, je trouve qu’au niveau des conceptions analytiques c’est très compliqué.. Il y a des différences partout, vraiment c’est très angoissant, ça nous fait travailler d’accord, mais il y a quand même une disparité dans de nombreuses conceptions et on sait plus où on est, comment se raccrocher etc.. Bon, déjà, entre nous, les conc
epts sont différents, les associations sont différentes. Comment .. En plus si on dit qu’on veut faire une unité, c’est pas possible parce que c’est pas ça notre travail.. On va pas unifier, faire de l’universel, dire le transfert c’est ça, le machin c’est… Là déjà il y a un impossible.
Donc on ne peut pas parler au nom de la psychanalyse.. on ne peut pas..
Après, il y a la responsabilité. Un jour on m’a téléphoné, c’était l’année dernière, le responsable du JT (journal télévisé 19/20, de France Picardie où j’exerce (à Amiens), m’invite à venir parler sur le procès qui avait eu lieu le matin même au tribunal, sur le harcèlement moral. « Vous avez écrit un livre sur le travail, est-ce-que vous voulez venir nous en parler ? »
Là j’étais citoyenne, psychanalyste, je n’avais pas le droit de me défosser… C’est formidable qu’on vienne me chercher, j’ai dit Oui. Je vous dis pas la « trouille » que j’ai eu. Pendant quatre heures, qu’est-ce-que je vais dire, comment je vais le dire… et tout et tout. Puis finalement, j’ai dit ce que j’avais à dire, avec mon vécu, à ma façon .. Et bien j’étais fière.. Puis, je me suis dis quand même, il faut un courage fou. On vient me chercher et si je dis non, comment je soutiens mes patients dans mon cabinet qui ont envie de réaliser des projets ? Comment je les soutiens ? Parce qu’on est là aussi pour faire naître le désir du sujet et ça nous renvoie à nous-même ces histoires là ».
Radjou : « C’est une question d’énonciation »..
Chantal Cazzadori : « Voilà, donc je pense qu’il faut parler en son nom, et il faut y aller… ».
Serge Sabinus : « C’est pas la question.. enfin, à partir de ces questions extrêmement sérieuses comment est-ce-qu’on peut en effet réagir à ce qui se passe actuellement, vu que la psychanalyse est depuis quelques années phagocytée par d’autres types de discours. Je dirais quelque chose de plus radical encore à propos de la responsabilité, non seulement nous sommes .. Mais Je ne peux me cacher derrière la responsabilité prise par une institution, personnellement moi qui suis dans cette institution, je ne peux pas adhérer à un discours qui serait un discours commun. Je pense que je suis tenu de répondre moi à cette question. Quand à savoir qu’est-ce que serait le Nous, un discours tenu par une institution, par telle association, ça peut-être.. peu importe, c’est pas du tout la même chose.. C’est une question d’énonciation, c’est à partir de l’être analysant, mais dès qu’on est dans un discours d’ensemble, dès qu’on signe avec les copains, ça disparaît. Là il n’y a plus d’énonciation. Quand tu parlais de la complexité, elle est bien plus complexe que ce que tu dis, c’est pas juste la complexité théorique, c’est la complexité du fait qu’être analyste, c’est être analyste au un par un. Et la réponse institutionnelle si elle existe, elle ne peut pas faire l’impasse sur l’énonciation, si ça vaut la peine. Le discours de Marion, oui pourquoi pas, je vais y réfléchir, car l’intérêt de mettre ça sur le tapis, parce que c’est très important, c’est pas seulement comment on peut tenir une réponse commune, c’est aussi comment on peut solliciter chacun, qui se pose comme analyste dire : quelle réponse toi tu vas donner à ça. Je continue de penser que je ne vais pas dire que Mr Machin n’est pas bon analyste.
Chacun fait comme il peut, comme moi en l’occurrence. Ce que je peux critiquer : qu’est-ce-que c’est de répondre au titre de psychanalyste sur un fait de société par ex ? On serait défenseur de l’idéologie catholique, (comme le sous entend Mme Marion), alors que si le mariage pour tous c’est pas de l’idéologie catholique je voudrais bien savoir ce que c’est ».
Françoise Fabre : « Culturellement nous avons encore le divan de Fogiel, « rires dans la salle ».
Serge Garnier : « Il a pris la peine de dire qu’il avait fait beaucoup d’années d’analyse et ce qu’il faisait là c’était pas du tout de l’analyse ».
Françoise Fabre : « Il y a quand même tout le décorum, le divan ». Brouhaha.. ».
Françoise Gosson : Je suis plus optimiste que vous. Parmi mes analysantes.. hystériques qui sont tellement contentes de leur analyse parce que ça a tellement foiré, en comportemental, les massages, les orteils, l’hypnose. Je leur fais confiance, j’en connais quelques unes qui vont utiliser les réseaux sociaux pour être le porte étendard de la psychanalyse.. Je pense qu’il n’y a que les hystériques capables de passer le message. Freud serait ravi. Je leur fais donc confiance… Carla Bruni a elle aussi porter l’étendard, ça l’a sauvé a-t-elle dit».
Robert Levy : « Restons alors sur cette notre vraiment optimiste.. ».
[1] Lacan OU PIRE séminaire du 10 Mai 1972