Robert Levy Guérison Séminaire 3
La cura la cura
Le concept de guérison en psychanalyse
Robert Levy
Séminaire 3
01/03/2017
« Freud écrit que La jouissance est masochiste en son fond » Peut –on, doit-on en guérir ?
Je voudrais vous parler de quelque chose qui m’est venu à la suite de différentes prises de paroles et de ce que Philippe nous a dit lors de la journée d’Analyse Freudienne du mois de janvier… C’est un séminaire peut-être un peu ambitieux que je vous propose ce soir puisque je voudrais reprendre quelques éléments qui ont été énoncés par Jacquemine et Radjou puis revenir sur la conclusion du dernier séminaire au cours duquel j’avais évoqué le fait que le bonheur et d’une certaine façon la notion de guérison étaient pour le sujet une donnée très subjective.
Ce constat nous amène alors à repenser à la question du masochisme d’une façon très nouvelle puisqu’on ne peut l’envisager en psychanalyse que comme une donnée particulièrement compliquée car elle touche à l’économie propre du sujet d’une part et à l’économie capitaliste d’autre part dans ce qui est toujours à l’ordre du jour si on se réfère au discours de la servitude volontaire.
Je commencerai par ce dernier point car il me semble que ce que Jacquemine nous a apporté la dernière fois nous conduit très directement à réinterroger les discours et en particulier celui du capitaliste dans la perspective des effets produits sur le sujet en termes d’aliénation mais aussi, et c’est sans doute le plus important, dans le rapport du sujet à l’esclave.
En d’autres termes plus précis : comment un discours comme celui du capitaliste peut permettre d’explorer la nature du paradoxe de la servitude volontaire et comment un régime politique n’est pas « La conséquence d’une violence étrangère mais le fruit de la complaisance de citoyens, de leur vulnérabilité à l’égard de la corruption et de la médiocrité de leurs dirigeants serviles. » ?
Dans cette perspective, « La tyrannie alors désirée comme un bien souverain, fait basculer la raison en déraison et décrète la liquidation de l’intérêt général au nom de l’ambition et de l’avarice, c’est-à-dire la destruction de la république des lois et du droit ». [1]
Nicolas Chaignot repère dans le discours de La Boétie, qui se pose très exactement à l’identique dans notre modernité, ce fait que des personnes pourtant libres et égales en droit puissent ardemment désirer leur propre servitude et il propose une définition que nous pouvons facilement faire notre :
« Cet oxymoron (servitude volontaire) désigne un état pathologique résultant d’un désir paradoxal d’asservissement de soi. Il est le fondement et l’aboutissement d’un lien tyrannique et se traduit par un rapport d’autodestruction de la subjectivité et du principe éthique d’humanité ».[2]
Les conséquences en sont que le sujet, l’individu plus exactement, mu par l’intérêt que lui suggère le discours du capitaliste, se laisse entrainer vers une forme particulière d’individualisme dans un univers de réseaux et de projets et l’individu est ainsi présenté comme indépendant de tout lien social et n’a d’autre loi que lui-même et celle du marché ; mu par la rationalité et l’appât du gain.
Cette promotion de l’individualisme contemporain voue donc le sujet au narcissisme et à des liens non durables, et par conséquent fragilise toute notion de valeur commune.
La responsabilité collective disparait et l’individu devient alors responsable, soi-disant, de son propre sort ; responsabilité dans laquelle se profile forcément une forme de toute puissance dans laquelle prime la volonté individuelle. Ainsi le sujet devient la source même de ce à quoi il se soumet. C’est le point important… Pour résumer, quand il n’y a plus les quelques autres, alors on devient la source de ce à quoi on ce soumet : auto engendrement, auto destruction, la subjectivité disparaît etc.
Comme le remarque encore aussi bien Chaignot : « La faille de l’individualisme contemporain et du projet moderne si il tendrait à s’y résoudre, serait le miroir de sa propre duperie, ou, en d’autres termes, ce serait tomber dans le piège de la servitude volontaire. »[3]. Donc quoi de plus contemporain que ce concept et ce magnifique écrit de La Boétie que la servitude volontaire…
Ces nouvelles formes de consentement liées à la subordination impliquent également des formes de résistance que l’on peut repérer à travers l’apparition des pathologies mentales et psychosomatiques en rapport avec le travail ; dont la plus connue est le « burn out ».
Ce terme est apparu dans les années 1970 en Amérique du nord comme la métaphore aérospatiale d’une fusée qui indique que lorsque celle-ci a brulé tout son carburant elle retombe immanquablement au sol.
Trois éléments déterminants définissent ce syndrome
1° L’épuisement émotionnel, sentiment de ne plus rien ressentir et de manquer d’énergie dans son travail
2° La déshumanisation de la relation à autrui et l’expression d’un cynisme avec les collègues, les patients, les clients.
3° Enfin un sentiment de non accomplissement de soi dans son travail et d’échecs répétés.
Ce qu’il faut donc retenir c’est que le travail est une activité sociale de production qui relève essentiellement de la subjectivité dans la mesure où « Travailler c’est un certain mode d’engagement de la personnalité pour faire face à une tache encadrée par des contraintes [4] ». Supprimez cela et vous supprimez quelque chose du développement et de la construction d’un sujet.
Le travail moderne n’est pas réductible à une aliénation passive ; aussi l’ambivalence humaine y est impliquée et les moments d’annulation ou plus exactement de suspension de la subjectivité nous permettent d’évoquer que la problématique de la servitude volontaire prend ici tout son sens et le rapport contemporain entre travail et capitalisme peut être mieux compris …
C’est pourquoi le fait que le capitalisme ne puisse se développer qu’en tablant sur les penchants des hommes à accumuler les gains, le pouvoir, les inventions, les expériences différentes nous amène à poser la question de savoir si « Cette insatiabilité du capitalisme, qui équivaut à une recherche de pouvoirs pour toujours plus de pouvoirs, n’indique-t-elle pas une inclination tyrannique intrinsèque au système ? »[5]
Une inclination tyrannique intrinsèque au système associée à l’idée de désirer sa propre servitude ou l’asservissement de soi qui ont pour conséquence l’autodestruction de notre subjectivité jusqu’à ne plus avoir de loi que celle dictée par soi-même ; n’est pas sans nous faire penser que cette réduction de la subjectivité est le résultat de l’asservissement à la jouissance de l’autre que l’on rencontre très souvent en analyse chez des patients qui viennent pourtant avec une demande de s’en débarrasser .
Je pense que c’est un des moments les plus compliqués d’une cure, moment au cours duquel il apparait clairement que ce symptôme d’asservissement qui voue le sujet à une éternelle répétition, le sujet le désire profondément. Que faire donc, au nom de quoi voudrions nous l’en délivrer pour autant d’ailleurs que cela soit possible ? Et si la guérison en analyse est subjective ainsi que le bonheur d’ailleurs ; qui sommes-nous pour décider qu’il y a une normalité qui consisterait à supposer que le désir masochiste n’est pas correct ?
Autant de questions et de buttées surtout dont nous ne pouvons faire l’économie si on considère que : « la cura cura » mais de quoi « cura-t-elle » dans le cas du masochisme ?
C’est pourquoi je vous propose d’avancer pas à pas dans ce que Lacan à l’aide de l’éclairage Freudien nous indique à ce sujet et tout d’abord je reprendrai la première partie du titre de ce séminaire, écrit par Lacan : « Freud écrit que la jouissance est masochiste en son fond ».
Tout d’abord cette citation est partielle, restituons là intégralement puisque Lacan ajoute à sa suite :
« Il n’y a là que métaphore, c’est bien claire, puisqu’aussi bien le masochisme est d’un niveau autrement organisé que la tendance radicale dont il s’agit ici. » [6]
Donc que la jouissance soit masochiste en son fond n’est qu’une métaphore, celle de Freud, qui ne peut, selon Lacan, qu’articuler tout d’abord que métaphoriquement la jouissance en termes de ce qui n’a pour fonction, écrit Freud que de : « rabaisser le seuil nécessaire au maintien de la vie ». Le principe de plaisir représente pour sa part comme « le plus bas des hauts, la plus basse tension nécessaire à ce maintien » Mais, nous dit Lacan, on peut encore tomber en dessous et c’est là que « commence et ne peut que s’exhaler, la douleur ».
Le principe de plaisir est par conséquent une sorte « (…) de pouvoir de rectification, de tempérament de moindre tensions (…) »[7].
Il faut remarquer qu’à ce sujet Lacan ne cesse de se référer au capitalisme pour ce qui concerne le renoncement aux plaisirs il nous dit ceci : « Pour vous le faire entendre, je ferai quelque rappel de ce qu’il en est effectivement de ce que l’on appelle l’entreprise, en tant qu’elle tient au réinvestissement, comme on dit, des bénéfices. L’entreprise capitaliste, pour la désigner en ses propres termes, ne met pas le moyen de production au service du plaisir. »[8] Et à cette occasion il amalgame « bien être », que j’ai appelle moi-même « bonheur » à « plaisir »… Ce sont finalement les mêmes signifiants…
La définition que donne Freud du masochisme est très liée tout d’abord à la question de la passivité que l’on trouve dans les trois essais[9] : « Le terme de masochisme englobe toutes les attitudes passives face à la vie sexuelle et à l’objet sexuel, dont la plus extrême parait être la liaison de la satisfaction à la souffrance physique ou psychique endurée de la part de l’objet sexuel. Le masochisme (…) semble s’éloigner davantage du but sexuel normal que sa contrepartie. »
Il y a d’ailleurs une hésitation chez Freud qui semble contredire dans un premier temps ce que Lacan évoque concernant l’idée que la jouissance soit masochiste en son fond puisqu’il pense qu’il n’y a pas de masochisme primaire et que « jouir de la douleur serait donc un but originellement masochiste, mais qui ne peut devenir un but pulsionnel que chez celui qui relève originellement du sadisme »[10]
Vous voyez que cela se complique un peu puisque l’oscillation est entre masochisme et sadisme, qu’est-ce qui est premier, qu’est-ce qui est second… On va essayer de se repérer un peu plus précisément dans ces notions.
A ce moment de la théorisation freudienne, le masochisme n’est donc considéré que comme un retournement du sadisme sur la personne propre ; renversement donc de l’activité en passivité et qu’est ce qui opère cette transformation : la culpabilité. Culpabilité dont la fonction précisément est de refouler le sadisme. La partie visible est le masochisme, ce qui ne veut pas dire que le sadisme ne soit pas à l’œuvre, il est refoulé.
Et puis c’est la rencontre avec la pulsion de mort qui va faire admettre à Freud qu’il existe bien en effet un masochisme primaire : « j’ai été conduit à admettre un masochisme primaire érogène à partir duquel se développent deux formes plus tardives, le masochisme féminin et le masochisme moral. Du retournement contre la personne propre du sadisme inemployé dans l’existence nait un masochisme secondaire qui s’additionne au primaire »[11]. Je crois pouvoir dire que le masochisme primaire érogène serait ce que Lacan appelle la jouissance de corps : il n’y a de jouissance qu’en son corps et du coup elle est masochiste
Donc « il y a trois sortes de masochisme : un masochisme érogène dont le fondement est biologique et constitutionnel, un féminin, et un masochisme moral (basé sur un sentiment de culpabilité généralement inconscient) ; le premier sert de fondement aux deux autres »[12]
Ce masochisme primaire érogène semble au demeurant être ce à quoi se réfère Lacan lorsqu’il évoque que la jouissance est masochiste en son fond ; ce que Freud précise également comme étant « Cette Co excitation libidinale lors de la tension de la douleur et le déplaisir serait un mécanisme infantile qui plus tard se tarit. Elle connaitrait dans les diverses constitutions sexuelles une extension diversement grande, en tout cas le fournirait le fondement physiologique, qui ensuite est pourvu de cette superstructure psychique, le masochisme érogène »[13]
On comprendra alors pourquoi c’est la pulsion de mort qui ordonne la question dans la mesure où « La partie de la pulsion de mort ou de destruction qui n’est pas dirigée vers l’extérieur est à l’origine du masochisme originaire érogène (…) une part de cette pulsion de mort est directement placée au service de la fonction sexuelle où elle a une fonction importante à remplir. C’est le sadisme proprement dit. Une autre part ne participe pas à ce report vers l’extérieur, elle demeure dans l’organisme et là elle est liée libidinalement, à l’aide de la Co excitation sexuelle déjà mentionnée : en elle nous avons à reconnaitre le masochisme érogène originel. »[14]
Donc ces précisions sur la question du masochisme montrent, me semble-t-il, qu’il ne s’agit pas pour autant de perversion masochiste qui pour sa part a d’autres coordonnées ; mais d’une structuration, si l’on peut dire, qui marque le sujet dès son origine. D’ailleurs Lacan amalgame la structure du sujet avec celle de la jouissance « La topologie de la jouissance est la topologie du sujet »[15] Pour repérer le rapport du sujet à la jouissance il faut donc se référer à la topologie du sujet : « Est-il dans sa dépendance, est-il esclave ? C’est une question qui a son intérêt mais pour s’y avancer, il faut partir de ceci, que tout notre accès à la jouissance est en tout cas commandé par la topologie du sujet. »[16]
Je voudrais en profiter pour faire une petite digression dans le domaine de la neuro imagerie fonctionnelle pour constater qu’une équipe de chercheurs d’Albuquerque a pu constater dans une expérience de neuro imagerie fonctionnelle les éléments suivants.
Ils ont comparé des agresseurs sexuels sadiques à des agresseurs sexuels non sadiques… Je savais que cela allait vous faire réagir… Je crois que dans l’esprit de ces chercheurs, c’est comparer des agresseurs notoirement repérés comme pervers à ceux qui ne sont pas repérés comme tels mais qui, pour autant, ne sont pas dénués d’une certaine forme d’agressivité. Ils ont donc constaté que chez les sadiques l’amygdale gauche s’activait de façon plus importante lors de la projection d’images où la douleur était représentée même si pour les deux populations cette zone est considérée comme celle qui s’active chez des personnes sans problèmes cliniques puisque cette région du cerveau est considérée comme un élément essentiel de la composante émotionnelle de l’excitation sexuelle.[17] Mais les personnes sadiques, notoirement pervers, imaginaient des douleurs plus violentes que celles représentées et de ce fait, on trouve une corrélation entre l’intensité supposée de la douleur d’autrui et l’activation de l’insula gauche chez les sadiques, corrélation qu’on ne retrouve pas chez la population témoins.
Je voudrais poursuivre un peu cet approfondissement pour faire remarquer également que dans les cas d’agression sexuelle subie, toutes les personnes ne vont pas forcément souffrir de troubles sexuels ou du désir en revanche une étude récente montre que chez les femmes ayant subi des agressions sexuelles dans l’enfance, la partie du cortex sensitif qui permet de ressentir les sensations génitales est d’autant moins développé que l’agression sexuelle avait été grave[18].
Ce qui signifie que la faible épaisseur de cette région corticale résulte de son moindre développement chez les fillettes ayant subi des agressions sexuelles qui laissent penser que cela soit une façon de se défendre d’une reviviscence des souvenirs sexuels traumatiques du passé. Cette étude souligne également que des anomalies du développement des tissus corticaux sont la conséquence de ces mauvais traitements permettant donc une moindre capacité de ressentir ces souffrances.
Ces éléments sont d’une grande importance puisqu’ils tendent à accréditer la thèse selon laquelle la disparition ou l’augmentation de l’épaisseur de certaines zones du cerveau sont le résultat et non la cause de facteurs exogènes comme le traumatisme précoce par exemple et que notre cerveau refoule ces souvenirs traumatiques en réduisant les zones impliquées dans l’éventualité d’une reviviscence ; disons d’un retour du refoulé …
Ces études sont intéressantes parce que d’une part elles accréditent la thèse freudienne et d’autre part, cela montre que les recherches génétiques, à contrario, ne donne pas satisfaction. En revanche, il est clairement établit que l’épaississement de ces zones corticales est plus ou moins important selon les rencontres avec le réel. On ne peut pas passer à coté de cela ou le refouler d’un revers de manche car se sont des éléments importants qui contribuent à accréditer notre travail.
Autant de pistes nouvelles que l’on retrouve également dans certaines recherches du même type concernant l’autisme qui également vont dans le sens d’une disparition ou d’une augmentation des neurones corticaux de zones précises en fonction de l’expérience de la relation à l’autre…. Là encore, les questions génétiques par rapport à cela semblent moins intéressantes
Autant dire si besoin était que les hypothèses Freudiennes se trouvent dès lors validées par l’imagerie du cerveau…
Mais alors la question reste entière de savoir ce qui fait qu’un sujet traumatisé va n’avoir de cesse que de revenir à un nouveau traumatisme, qu’un sujet pris dans une relation amoureuse où il est sadisé va maintenir sa présence avec une aliénation amoureuse parfois encore plus forte ou que les femmes battues ont tant de mal à renoncer à leur tortionnaire ?
Si on écoute tous ces sujets, on constate bien que l’apparent masochisme dont ils témoignent n’est en fait que la face visible dont la partie cachée de l’iceberg est en fait un fond très sadique retourné sur eux-mêmes. En tout cas, si on ne part pas de cette hypothèse on n’entendra rien au discours masochiste. J’ai surement comme nombre d’entre vous expérimenté des cures au cours desquelles la teneur de la répétition du masochisme subi était telle que j’ai à certains moments fait remarquer cet élément dont la conséquence avait été pour le sujet en question de se sentir le « devoir » de quitter ou de ne plus revoir le partenaire sadique. Instantanément le patient se retourne dans ce cas contre son analyste, voir le quitte lui, pour ne pas se passer de son partenaire sadique avec qui il continue d’entretenir cette relation apparemment masochiste… C’est un moment du retournement du masochisme en sadisme contre l’analyste pour ne pas dire que c’est un moment de réaction thérapeutique négative.
« Si l’on considère dans son ensemble le tableau dans lequel se rassemblent les manifestations du masochisme immanent de tant de personnes, celle de la réaction thérapeutique négative et de la conscience de culpabilité des névrosés, on ne pourra plus rester attaché à la croyance que le cours des évènements psychiques est exclusivement dominé par l’aspiration au plaisir. »[19]
En revanche, si en d’autres occasions chez ces mêmes patients, un lien signifiant peut s’établir entre la situation présente de masochisme amoureux avec une situation antérieur d’abus infantile, comme c’est souvent le cas, quelque chose alors peut se décrocher de cette aliénation actuelle au désir de l’autre pour analyser plus profondément la scène infantile originaire d’abus dans laquelle la question de la jouissance peut enfin être envisagée de façon nouvelle.
En d’autres termes si la topologie de la jouissance est la topologie du sujet alors le signifiant de l’amour masochiste actuel représente le sujet pour un autre signifiant d’une scène d’abus originaire où la jouissance est totalement refoulée…
D’ailleurs ce qui fait souvent lien entre les scènes originaires et actuelles c’est la culpabilité dont Freud nous indique qu’elle est à l’origine d’un retournement ; moment où le masochisme n’est donc considéré que comme un retournement du sadisme sur la personne propre ; renversement donc de l’activité en passivité et qu’est ce qui opère cette transformation : la culpabilité qui refoule le sadisme. Il faut donc y entendre que plus le sujet se sentira coupable plus il aura été fantasmatiquement sadique … Selon ce fameux principe que l’on ne peut être coupable que de son désir.
Alors la question est toujours la même : devons-nous, avons-nous quelque chose à dire sur ce point ? Il me semble que la question est mal posée. En effet, ce qui est remarquable dans ces situations ce sont, non seulement la répétition qui se met en route, mais surtout l’annihilation de la subjectivité. Le sujet est réduit au désir et/ou à la jouissance de l’autre et dans ce cas n’est plus en mesure de se repérer quant à son désir puisqu’il est alors entièrement dépendant non plus de son désir mais de sa propre jouissance.
Par conséquent je dirai que, plus que l’aliénation au désir de l’Autre, qui me semble un effet secondaire, c’est surtout à sa propre jouissance à laquelle le sujet est aliéné. C’est presqu’un paravent…
De ce fait la cure, sa direction, va consister à permettre de retrouver de la subjectivité, c’est-à-dire un repère du désir propre du sujet, car la jouissance dé subjective.
Je crois qu’il apparait assez clairement qu’à aucun moment ni Freud ni Lacan ne parlent de désir masochiste mais de jouissance masochiste ce qui est très différent.
Je me souviens d’une femme battue, très battue au point de s’être retrouvée à plusieurs reprises aux urgences avec la mâchoire, des côtes ou encore un bras cassé. Elle revenait à chaque fois chez elle en croyant ou en pensant que son mari reviendrait enfin à de meilleurs traitements. Elle ne pouvait pas s’en séparer, replongeait à chaque fois jusqu’à ce que son mari s’en soit pris aux enfants, ce n’est qu’à ce moment qu’elle avait pu s’en séparer. C’était pour moi très énigmatique.
Que faut-il conclure de cet évènement si ce n’est que dans les mauvais traitements qu’elle subissait elle pouvait trouver à satisfaire son fantasme en termes masochistes mais que le sadisme exercé tout à coup sur ses enfants, dont elle devenait témoin, ne pouvait pas s’y intégrer ; autrement dit la partie sadique de son fantasme devait rester inconsciente et donc elle ne pouvait plus accepter sa réalisation dans le réel.
Pour rappel je vous renvoie au texte de Freud :
« Le masochisme masculin adulte coïncide avec une position féminine, et dans ses fantasmes ou ses mises en scène c’est une femme qui sévit ; le fantasme conscient du jeune garçon, être battu par la mère, est précédé du fantasme inconscient, je suis battu par le père, qui est le second stade du fantasme de la fille, qui ne se fantasme battue par la mère qu’au troisième stade »[20]
Donc « je suis battue par le père » doit rester inconscient et il y a de fortes présomptions pour penser que dans ce dernier cas notre patiente pouvait être battue par son mari sans mettre en danger la révélation du deuxième stade inconscient de son fantasme « je suis battue par mon père » et en jouir alors que être le témoin de ses enfants battus par leur père mettait en danger de rendre conscient le deuxième stade du fantasme… C’est-à-dire son stade sadique à elle en quelque sorte… Inconsciemment, elle est partie pour de mauvaises raisons, pour ne rien savoir de son sadisme. Cela lui a cependant permis de partir ce qui est intéressant…
Évidemment, la question de savoir que faire face au masochisme ou plus exactement à la jouissance masochiste devient celle de savoir comment faire avec le fantasme ? S’agit-il d’en guérir, de l’adapter, de le traverser ou encore de faire avec ? La cure a-t-elle une incidence sur le fantasme ; c’est me semble-t-il la seule question que l’on puisse valablement poser avec des personnes qui présentent un rapport tellement masochiste dans la jouissance ; et là, il ne s’agit donc pas de se prononcer sur le fait de savoir si cela est bon ou pas mais comment y accéder…
Cela fera l’objet d’un autre séminaire…
DEBAT
Granier De Cassagnac : Dans tout ce que tu nous as dit concernant les expériences américaines, je me disais : « et le signifiant dans tout cela ? »
Lévy : Je suis tout à fait d’accord avec toi ; l’écueil, tu le sais bien, c’est la question de la pulsion de mort. C’est cela qui fait l’idée. A la fois l’idée presque organiciste de la pulsion, et la pulsion de mort de surcroit, est quelque chose de très énigmatique qui est clairement définie par Freud comme étant quelque chose de la personne au sens du corps que Lacan reprend sous la forme de la jouissance ou la jouissance est une jouissance de corps. Ce sont un peu mes repères dans ce travail. Qu’il y ait quelque chose de constitutif chez le sujet humain, pas du sujet de l’inconscient, du coté de la servitude volontaire via la pulsion de mort, c’est une hypothèse que l’on peut faire. Rien ne nous contre-indique qu’il s’agisse de ça ; À la fois dans le discours capitaliste, les effets de ce discours et puis le sujet au un par un… Il y a quand même quelque chose qui, à un moment ou à un autre, va dans ce sens là. Le signifiant là dedans c’est une façon d’organiser, si je puis dire, pour un sujet donné, dans la langue quelque chose qui tiens au corps. Ce n’est pas indépendant mais il y a quand même quelque chose qui est un incontournable de la question corps et qui a trait à la question de la pulsion de mort entre autre.
Anna Konrad : Est-ce que c’est finalement le désir que vous réactualisez en situant le sujet dans un rapport sadique à lui-même et dans ce qui peut apparaître dans une aliénation à l’Autre
Levy : Oui… Je me suis aperçu dans ce travail que la jouissance désubjective. C’est-à-dire qu’elle met à distance toute possibilité pour le sujet d’avoir accès à son désir inconscient. C’est cela qui a pour fonction ou pour résultat de désubjectiver le sujet. Quand on est dans la jouissance, on est hors subjectivité. L’idée est qu’au fond, restituer une possibilité pour un sujet de pouvoir penser, quand on est dans la jouissance on ne pense plus, c’est d’avoir la possibilité de travailler, non plus autour de la jouissance car je pense que personne ne renonce à sa jouissance, mais autour du désir qui est là hors d’accès du sujet dans le moment masochiste. Pour continuer cette idée, ce qui est intéressant dans le nouvel accès possible au désir, c’est d’essayer de trouver, retrouver, entendre, quelle a été, via la culpabilité, le retournement du sadisme en masochisme. Je crois, dans ces situations masochistes, si l’on n’arrive pas avec le patient à essayer de refaire ce parcours signifiant…
Latham Koenig : C’est en ce sens là cela que c’est un parcours signifiant… A condition que ce soit S1 et S2…
Granier De Cassagnac : cela se présente comme une construction à postériori…
Lévy : Oui c’est forcément une construction à postériori.
Granier De Cassagnac : C’est en opposition par rapport à la théorie lacanienne du signifiant qui serait structurant dès le départ… Son débat avec Laplanche, c’est le signifiant qui crée l’inconscient et non l’inverse.
Lévy : Tout à fait, c’est vrai. Je suis sensible à cette critique dans le bon sens du terme. Je ne sais pas comment répondre… Je ne prétends évidemment pas faire une critique de la théorie lacanienne. Mais si on remet dans le circuit la question de savoir comment repasser, avec les signifiants, par ce qui a fait ce passage entre sadisme initial, culpabilité et masochisme, je crois qu’il y a là quelque chose qui n’est pas contradictoire avec la théorie lacanienne du signifiant..
Latham Koenig: Surtout si tu le prends par le bord du fantasme, c’est-à dire cette chute de l’objet au départ qui fait du signifiant…
Lévy : Tout à fait. Effectivement, je réintroduis le signifiant. Mais je ne sais pas si je l’ai exclu… Je crois qu’il y a une vraie difficulté dans l’analyse autour de la question du masochisme.
Hagué : Mais est-ce que ce n’est pas parce que c’est encré dans le réel ? La masochisme a un rapport avec le réel quand même… c’est ça cette histoire de signifiant.. Comment attraper ce bout de réel… Parce que la jouissance est du coté du réel…
Lévy : Oui. C’est-à-dire que c’est ce qui fait que l’on ne pense plus…
Latham Koenig : Cette idée de retournement ce n’est pas un acte sadisme qui se retournement en acte masochiste. C’est un fantasme de sadisme même dans une situation masochiste qui fait que…C’est ça ?
Lévy : Absolument. Il me semble que le dernier cas dont j’ai parlé le montre. Cette femme ne peut se défaire de son aliénation à la jouissance que lorsqu’elle peut entendre que l’atteinte que le père fait à ses enfants c’est ce sadisme primaire qui serait mis en danger pour elle c’est-à-dire qu’elle y aurait accès en quelque sorte…
Latham Koenig : Oui mais du coup elle l’évite !
Lévy : Oui mais peut s’en aller… C’est pour cela que je dis qu’elle s’en va pour de mauvaises raisons, ce n’est pas pour sauver ses enfants, c’est pour sauver son fantasme.
Philippe Wolosko : Je ne sais pas comment formuler cela mais je m’interroge. Je pense à une patiente qui était engagée dans une puissance masochiste formidable et en deux séances un changement complet… Une autre patiente aussi avec un changement en trois mois…Ce coté extrêmement rapide qui m’inquiète toujours… Que se passe-t-il ? Alors que l’on voit des gens qui sont pris dans une puissance masochiste qui vont travailler pendant des années et on voit que petit à petit les choses qui se mettent.
Latham Koenig : C’est mystérieux quand même..
Granier De Cassagnac : Quand cela arrive, c’est qu’il y a quelque chose qui était prêt à changer…
Dans l’image que tu fais sur l’entrepreneur et le bénéfice réinvestit qui voudrait dire qu’on y renonce… Aujourd’hui c’est de moins en moins vrai… On ne renonce pas à la part de bénéfice. Cela va avec cette désubjectivation d’aujourd’hui.
Wolosko : C’est en grande partie le discours de Trump…
Lévy : Ce que j’ai trouvé intéressant aussi, c’est de voir que cette dimension sadique et masochiste de la pulsion, on la retrouve de façon extrêmement construite en politique également. Dans le sujet du collectif cette dimension est absolument présente et à l’œuvre, particulièrement en ce moment. Et donc la question qui se pose : peut-on le traiter collectivement ?
J Valentin : Je fais une remarque un peu latérale à propos de la servitude volontaire. Vous avez dit que « le sujet devient la source même de ce à quoi il se soumet » et puis vous avez ajouté : « quand il n’y a plus les quelques autres »… Je me suis demandé s’il y avait là une allusion aux associations de psychanalyse…
Lévy : Clairement !
J. Valentin : Alors cela concernerait la pratique solitaire de l’analyse…
Lévy : Pas seulement… Il y a des formes de constitution associatives ou d’écoles dont le point de construction, de fondation est lié à une version du Transfert et de la fin de l’analyse comme servitude volontaire. Au bénéfice de la psychanalyse ou je ne sais pas qui. C’est une des versions de ce qu’on appelle la fin du Transfert. Mais il s’agissait de montrer que dans les institutions quelle qu’elles soient c’est plutôt ça aussi qui fait fureur plus qu’autre chose… On est quand même stupéfait de la propension à accepter toutes les obligations de comptabilité, d’évaluation… Mais comment est-ce possible d’accepter cela ? C’est quand même le discours capitaliste qui fait cette évaluation… C’est un bon exemple de la servitude volontaire… C’est quand même stupéfiant…
Lévy : Prochain séminaire: Catherine Delarue
[1] Nicolas Chaignot LA SERVITUDE VOLONTAIRE AUJOURD’HUI puf 2012 P.128
[2] Opus cité p. 129
[3] Opus cité P.132
[4] Opus p. 158
[5] Opus P.164
[6] Lacan opus déjà cité P.113
[7] Lacan opus déjà cité P. 113
[8] Ibidem P. 109
[9] Freud trois essais sur la théorie de la sexualité ED Gallimard 1991 P.163
[10] Freud METAPSYCHOLOGIE GALLIMARD 19991 P. 28
[11] Trois essais opus cité P.70
[12][12][12][12] FREUD névrose psychose et perversion PUF 1974 P. 290
[13] Ibidem P. 291
[14] ibidem
[15] Lacan séminaire XVI P.1114 opus cité
[16] Idem P.115
[17] Serge Stoleru Un cerveau nommé désir ED ODILE JACOB SEPT 2016 P. 219-221
[18] Ibidem P.222
[19] S FREUD L’analyse avec fin et l’analyse sans fin 1984-1985 VOL 2 P.258
[20] S Freud névrose psychose et perversion, un enfant est battu P.U.F 1974 2E EDI P.237