Robert Lévy "Il n’y a pas d’inconscient contemporain"

Journées de Valparaiseau 2012

Il est peut-être temps de nous demander quels sont les effets de cet accueil de l’inconscient que l’on appelle l’écoute puisque cela a des effets au-delà du divan. En d’autres termes, l’inconscient, pour autant qu’on s’y attache, aurait-il quelque vertu politique ? La question était de savoir si notre position d’analyste, nos institutions analytiques pouvaient être pensées ou envisagées comme étant de nature à produire quelques effets politiques.

La temporalité ou plus exactement l’inactualité de l’inconscient telle que Freud la présente « Le souvenir, même non abréagi, s’intègre dans le grand complexe des associations, y prend place à côté d’autres incidents pouvant même être en contradiction avec lui, et se trouve corrigé par d’autres représentations ». Donc Freud nous indique que quel que soit l’opération que l’on puisse effectuer sur la mémoire, le souvenir reste là en tant qu’il est porté par la lalangue. C’est à dire que ce n’est pas la peine d’aller chercher le souvenir, il est présent là où ça parle et dans ce qui se parle. Pourtant une philosophie diffuse qui explique les impressionnantes levées de boucliers qui ont accueilli au fil des années les tentatives d’acclimater en France les thérapies cognitivo-comportementales n’est plus de mise, et aujourd’hui les neurosciences ou la psychiatrie biologique tente de nous faire enfin comprendre que le souvenir n’a que trop duré et que nul besoin est de lui attribuer une quelconque place dans la dynamique du sujet puisqu’il est plus tôt inconvénient qu’avantage à toute option thérapeutique.
Mais au lieu que les bénéfices et les défauts de ces approches soient évalués de façon différenciée et pragmatique, elles servent à lancer un assaut contre les droits de la subjectivité et les valeurs humanistes des Lumières en réduisant l’homme à un comportement animal ou à une machine neuronale. La psychanalyse, inversement, a été présentée comme le dernier rempart contre le matérialisme et le «scientisme» anglo-saxons.
La psychanalyse échappe à toute évaluation objective de ses résultats car une telle quantification «réduit toujours l’âme à une chose». Mais la Psychanalyse et sa raison d’être en tant qu’inconscient seront perdants face à ces coups de boutoir si ils ne peuvent pas transmettre à la fois ce qui est de l’ordre de leur spécificité mais aussi ce qui est du ressort de ce que l’on pourrait appeler leur acte politique.
En effet c’est parce que « l’inconscient c’est la politique », comme l’affirmait Lacan le 10 mai 1967 dans son séminaire sur “La logique du fantasme” (inédit) que nous pouvons nous interroger sur ce que permet encore aujourd’hui la psychanalyse de préserver du côté du sujet.
Je crois qu’il y a là matière à considérer cette façon d’envisager le sujet, déjà, comme un véritable acte politique.
Au-delà de cette question, il est tout aussi impératif de nous interroger sur celle de savoir si nos institutions psychanalytiques dans leur mode de fonctionnement auraient elles aussi quelque vertu politique ou plutôt quel qu’effet sur le lien social.
Pour ce qui concerne le sujet, il faut différencier la responsabilité du sujet d’une part au sens de l’inconscient, et d’autre part celle qu’il assume au sens ontologique, c’est-à-dire du sujet en tant qu’il aurait un choix philosophique sur son environnement. Ce sont deux conceptions du sujet tout à fait différentes et on peut se poser la question de la responsabilité en sachant qu’il ne s’agit pas de la même.
Bien évidemment, les associations psychanalytiques n’échappent pas à cette différenciation et conjuguent forcément ces deux occurrences puisqu’elles sont à la fois aux prises avec la nécessité qu’elles ne soient pas fondées contre l’inconscient et en même temps elles ont forcément affaire avec les quelques autres du socius ou de la Polis puisqu’elles relèvent d’organisations du type de la loi 1901.
En d’autres termes cela revient à interroger la dichotomie entre l’irréductible singularité de l’acte du sujet de l’inconscient et les quelques autres de l’organisation sociale qui peut être de type démocratique ou autre.
Cette dichotomie entraine une tension qu’il n’est pas question de vouloir résoudre au risque de précipiter la psychanalyse ou bien du côté exclusivement démocratique, si on supprime l’irréductible singularité de l’acte, ou bien du côté de l’individualité si on supprime le rapport aux quelques autres. Je dirai donc que ce qui fonde l’occurrence possible de l’analytique dans une institution est cette tension.
Notre association s’est fondée sur l’idée que « si l’institution existe elle ne peut être autre que la cure elle-même », ce qui implique forcément un certain type, à la fois de responsabilité de l’acte du sujet de l’inconscient au un par un, et une responsabilité également partagée quant à la conception de l’institution :’ pas sans l’inconscient.’
Je vous rappelle qu’Analyse Freudienne s’est spécialement fondée sur cette gageure de fonder en même temps au un par un et avec quelques autres dans un « nous » qui fondons « un par un ».
Je trouve que dans l’après coup de cette fondation et avec le travail que nous y avons produit depuis déjà une vingtaine d’années, il y a cette dimension de maintenir présente l’idée que ce qui est important pour la psychanalyse est cette tension entre ce qu’il en est du ‘un par un’ dans son acte irréductible et ce qu’il en est des ‘quelques autres’.
Cette conception de l’acte a entrainé la nécessité de s’appuyer sur un tripode constituant une certaine forme d’interrogation permanente du désir d’analyste qui n’est pas à confondre non plus avec le désir au sens de celui de chacun aux prises avec ses pulsions et la dimension volontaire qui en ressort.
Désir aveugle donc au sens Freudien marqué par le caractère de la fatalité Grecque.
Reste à déterminer en quoi et de quoi le sujet de l’inconscient serait responsable puisque nous savons que Lacan l’a maintenu contre vents et marées tout au long de son enseignement.
Ce sujet dépendant des lois du langage relève, dans la responsabilité qui lui incombe, d’une autre éthique.
Cette éthique a pour conséquence directe que le sujet de l’inconscient ne consiste pas à s’offrir à l’Autre comme sacrifice, ce que le sujet ontologique réalise très souvent ; il ne s’offre pas non plus comme idéal mais il doit répondre, et c’est là sans doute sa responsabilité envers l’inconscient, aux effets du signifiant voire même répondre de la structure.
Ainsi le désir d’analyste et le sujet de l’inconscient nous entrainent à concevoir une éthique, et par conséquent une responsabilité qui ne peut pas se fonder sur un quelconque idéal fut il celui supposé de la Psychanalyse
La première conséquence de cette conception c’est celle de la théorie, ou des théories du transfert et de la fin de cure sur lesquelles se fondent en général et à leur insu les institutions Psychanalytiques. C’est également une question politique car, quel type de lien social pourrait produire l’amour de transfert ?
En effet, la servitude volontaire est souvent le modèle qui implicitement se présente comme idéal institutionnel. Le maitre et son discours ne sont jamais loin et servent à la fois la cause de l’idéal et celle de l’esclave.
D’un autre côté une conception strictement égalitaire entre tous entraine une dynamique certes fraternelle mais dont la conséquence est la jalousie, la frérocité des égaux ne peut que faire rage et régner en maitre.
Une autre position serait-elle possible, une autre position de lien social entre anal
ystes donc ?
Nous avons fait ce pari à Analyse Freudienne en retirant notamment toute nomination à l‘issue du dispositif de la passe et en invitant les membres à travailler dans des dispositifs cliniques, qui eux-mêmes ne présentent aucune espèce de gradus quel qu’il soit, ce que l’on retrouve également dans la logique qui consiste à n’envisager qu’une seule catégorie de membre…
Il se peut donc que le transfert de travail soit d’actualité quant à induire un certain type de lien social entre analystes mais peut-être même au-delà…Pourtant il ne faut pas que ce lien se réduise au strict déplacement du transfert sur l’analyste au transfert sur la théorie.
Ce positionnement d’Analyse Freudienne, dans une éthique liée plus spécialement au sujet de l’inconscient qu’au sujet ontologique, a-t-il des effets par rapport au champ social ? Pour répondre, nous ne pouvons-nous appuyer ni sur la sociologie ni sur l’histoire mais sur la prise en considération de certains points vifs et critiques des analyses de chacun, et nous ne pouvons pas non plus penser les choses comme si rien n’avait changé depuis que Freud a écrit son Malaise dans la Culture.
La question serait donc la suivante : « en quoi la conception et le fonctionnement institutionnel d’une association psychanalytique on-t-ils des conséquences politiques?» Pouvons-nous à partir des différents modes sur lesquels s’est fondée notre association concevoir une politique de la psychanalyse face à la conception de la visée de la cure et donc à la visée du politique ?
Pour ce qui concerne la visée de la cure nous pouvons dire qu’avec cet aphorisme fondateur : « l’institution si elle existe n’est autre que la cure elle-même », l’institution ne peut être que ce qui résulte d’une cure ; institution ayant une seule catégorie de membres puisqu’il faut assumer les conséquences qu’il n’y a pas de nomination à la clef du dispositif de la passe. C’est un Principe auquel il nous faut ajouter que si l’analyste ne s’autorise que de lui-même et de quelques autres, par extension, l’institution ne peut pas non plus échapper au fait que l’institution ne peut également que s’autoriser d’elle-même et de quelques autres, à savoir celles que l’on rencontre dans l’Inter Associatif Européen de Psychanalyse et Convergencia mouvement pour la psychanalyse freudienne et Lacanienne sans oublier bien sûr le Lacano americana . Cette assertion nous indique que l’intention et l’extension sont les deux faces d’une même bande de Moebius sur laquelle circule de façon continue l’instituant et l’institué. Autrement comment pourrait-on envisager différemment cette aphorisme fondateur que « l’institution si elle existe ne soit autre que la cure elle-même » ?
Par conséquent le lien social entre analyste qui en résulte est promu par la dimension du manque à être et non pas par la promesse de la jouissance d’une nomination enfin obtenue. C’est une position de lien social plus tôt inconfortable puisque au fond, rien n’est jamais acquis, si ce n’est dans l’éphémère de l’émergence du désir d’analyste à renouveler sans cesse dans chaque cure versus patient quand le désir s’annonce, mais également à entendre dans les différents moments institutionnels qui fondent l’institution, à commencer par la cure bien sûr …
Chaque membre de cette association pour la psychanalyse ne peut donc s’appuyer que sur sa propre parole qui peut émerger à divers moments des dispositifs utilisés pour ce faire et y compris dans les séminaires, groupes de lecture ou tout autre moment où des « quelques autres » peuvent entendre et à ce moment reconnaitre qu’il s’agit bien de quelque chose d’une émergence du désir d’analyste. Je crois que si notre protocole institutionnel a bien une fonction alors, c’est celle de recueillir ces éléments là où ils se produisent, sans exclusive, et surtout sans faire de hiérarchie du dispositif. Parce dans ce cas, cela serait à nouveau de promouvoir un idéal dans l’institution dont découlerait une reconnaissance qui, même si elle est imaginaire, aurait des conséquences tout à fait fâcheuse.
Peut-on exporter dans le social ce type de lien ? Je crois que la réponse est oui ; mais c’est un oui qui suppose une vraie laïcité.
Nous entendons par laïcité celle que confère une cure menée à son terme, c’est à dire une cure ayant assuré au sujet dans sa dé subjectivation de s’affranchir de toute croyance fût-ce celle en la psychanalyse. Ce qui ne veut pas dire que l’on mette la psychanalyse au rebus… Cela veut dire que si la croyance à la fin d’une cure, se déplace uniquement sur la psychanalyse comme telle, alors ce n’est pas fini puisque alors La psychanalyse vient à en position d’idéal par conséquent on n’a pas gagné grand-chose.
Voilà une conception bien radicale pourtant il n’y a pas d’autre issue possible à ce qu’on appelle « politique de la Psychanalyse », si ce n’est être sans cesse à la place d’un « dire que non » à toute tentative d’instaurer de nouvelles croyances c’est-à-dire de ce que Freud appelle des nouvelles weltanschauung, nouvelle conception du monde. Qu’est-ce que c’est qu’une croyance, si ce n’est une forme de conception idéale du monde.
Nous voyons bien que ce XXI° siècle s’engage délibérément vers le retour d’un certain nombre de weltanschauung et en particulier du religieux et du communautarisme ; c’est peut être sur ces manifestations que la psychanalyse peut encore avoir quelques effets politiques puisqu’elle est la seule à pouvoir rendre compte du réel autrement que par une croyance en la divinité. Ainsi nous avons répondu par avance sur la question de l’analyse laïque puisqu’ il n’y a de laïcité que celle que nous pouvons admettre lors d’une analyse menée à son terme ; par conséquent la question de l’analyste Laïque ne peut être réduite à la celle de savoir si le psychanalyste est médecin, psychologue ou autre chose. Puisque le véritable enjeu c’est plus tôt de savoir quelle laïcité il a pu acquérir dans sa propre analyse, seule garantie pour que son désir d’analyste ne soit plus un désir comme tout autre, au sens de la pulsion, mais une fonction…
La question est bien compliquée car nous ne devons pas « passer le Rubicon » c’est-à-dire que nous ne pouvons pas avoir de Weltanschauung, de conception du monde, en tant qu’analyste. En revanche, nous pouvons avoir une conception du sujet de l’inconscient, celle que nous venons de développer, qui nous porte par exemple à soutenir que l’on doit se débarrasser du DSM puisqu’il est une machine à éradiquer le sujet de l’inconscient dans sa façon de ne plus envisager l’individu que dans ses comportements
Pour terminer, je voudrais dire que notre pratique de l’inconscient ne peut que nous engager à transmettre en quoi l’acte analytique est toujours politique ou bien c’est la psychanalyse comme telle qui disparaitra ; non pas parce qu’elle aura été éradiquée de l’extérieur mais parce qu’elle aura succombée aux résistances des psychanalystes eux-mêmes à son égard….

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