Introduction au congrès par Robert Lévy
LA PSYCHANALYSE EST ELLE ENCORE DANS (DE) SON TEMPS ?
Si la psychanalyse a quelque chose à prétendre dans le politique c’est assurément de part sa conception du sujet.
Dans notre post modernité la tendance serait plus tôt à globaliser tout et en particulier ce qu’on appelle les sujets ; au point que l’on puisse s’en passer , Que ce soit dans le cadre du bio pouvoir, des consommateurs ou d’une culture qui se voudrait ‘ de masse ‘. Le sujet, en tout cas c’est comme cela qu’on l’appelle, semble disparaitre dans la globalisation ou bien encore plus simplement ne plus être une nécessité comme dans le discours de la science qui , comme discours se soutient d’une exclusion du sujet désirant, et vise une symbolisation ultime du Réel (la grande théorie de l’unification, par exemple) . La situation actuelle est que le discours de la science, qui se spécifie de mettre à l’écart toute question subjective, a peu à peu envahi l’ensemble des discours sociaux qui règlent le « vivre ensemble » des sociétés modernes. Ce n’est pas la science ni les scientifiques qui sont à remettre en cause, mais cette prolifération d’un type de discours qui vise à éliminer dans les relations sociales la part de subjectivité. Il semble que la société organisée par ce discours de la science, que l’on peut résumer des deux adjectifs, capitaliste et marchande, ait gravement déstabilisé les modes de transmission entre humains, que ce soit dans l’ordre de la filiation, de l’éducation ou de l’apprentissage…
Nous assistons depuis quelques années au spectacle d’un effondrement des figures de l’Autre car la mondialisation n’en assure plus le relai. L’effet produit est la désagrégation de certaines modalités symboliques qui mettent à rude épreuve les référents existants dans le lien social traditionnel. Pour suivre ici Marcel Gauchet , disons que pour la première fois le sujet se trouve pris dans une société où se trouve rompu ce lien fondé sur l’identification de l‘individu au collectif. Si l’individu ne réfère plus son identité à un rapport au collectif alors nous assistons à un véritable renversement anthropologique.
La psychanalyse serait-elle alors le dernier recours au sauvetage du sujet ?
La psychanalyse n’a pas de conception du monde ; elle n’en a pas moins une conception du sujet ;ce qui est une conception éminemment politique.
Lacan développe dans un premier temps l’idée d’une transgression éthique argumentée dans le séminaire VII (L’éthique), avec sa lecture d’Antigone dont la devise pourrait être : ‘’Osez vous confronter à la vérité’’. Par la suite il affirmera sa conception définitive du politique dans cette injonction : ‘‘Faites avec votre symptôme’’. Quelles en sont les conséquences lorsqu’on lui oppose l’impératif actuel qui serait plus tôt :’ jouis le plus vite possible et consomme sans modération des objets qui n’ont plus aucune valeur attribuable ,qui ne sont même plus nommables puisqu’ils sont interchangeables
Le lien social se caractérise par la possibilité pour le sujet d’occuper diverses positions dans le discours. C’est-à-dire occuper tour à tour la position d’agent du discours de l’hystérique, du discours du maître, du discours de l’universitaire, du discours de l’analyste. Dans son enseignement, Lacan envisage toutefois que le monde occidental dominé par l’idéologie capitaliste soit pris dans un nouveau discours, subversion du discours du maître, qu’il nomme discours du capitaliste.
Qu’est-ce qui appartient au Réel dans les différents modes de relations des hommes entre eux (autrement dit ‘’le politique’’) et comment les discerner ?
La force du modèle lacanien est de rechercher des configurations minimales, des combinatoires d’un petit nombre d’éléments pour formaliser, au-delà des apparences protéiformes des relations empiriques, une logique, donc du lien social. Ceci implique une profonde mise en cause de toute prise du sujet dans un modèle idéalisant.
Le discours capitaliste avait pourtant pu mettre en circulation des objets désirables ; il semble que ce ne soit plus le cas. Le discours du capitaliste est centré sur la personne. Le consommateur est le moteur, l’agent de ce discours. Il est sans cesse invité à souscrire à l’idéologie dominante dévoilée : le signifiant maître S1 du Marché. La particularité de ce discours est l’ontologie particulière du sujet. Celui-ci est conçu en tant qu’il serait non-divisé (entièrement définissable par un discours scientifique désubjectivisé/désubjectivisant). La lumière est faite sur son désir, qui ne serait que désir de consommation. Les objets qu’il consomme ont pour but de le parfaire, de le compléter. C’est bien la division subjective (que Lacan note $) qui est visée.
Ce fait qu’ ‘il n’y a pas l’objet ‘ est devenu objet cause du désir dans le réel des flux monétaires puisqu’aucun objet or mis celui non identifiable des marchés boursier ne peut satisfaire le désir. C’est dire que nous devons constater une modification dans le discours du maitre qui fait qu’il n’y a plus de maitre identifiable mais un flux monétaire en position maitre à travers les actionnaires qui eux même n’ont plus de raisonnement sur l’humain des travailleurs mais exclusivement sur la rentabilité de leur investissement. D’ailleurs cet investissement de flux peut être considéré comme non rentable en fonction non plus de la rentabilité mais d’une décision prise du seuil minimal de rentabilité qui, vous l’aurez compris ne peut qu’augmenter.
Ceci ayant forcément des conséquences sur le statut de l’argent par rapport aux objets consommables puisqu’aucun objet n’a de valeur étant donné que la seule valeur attribuable est dès lors la valorisation du flux financier lui-même.
Je crois qu’il faut voir également dans ce disfonctionnement du discours du maitre la conséquence des replis communautaristes .En effet le discours du maitre, a pour fonction la régulation de la jouissance de l’esclave et si il dysfonctionne il n’assure plus cette fonction .C’est pourquoi, notre post modernité voit le repli des églises classiques, institutionnalisées donc par la régulation du discours du maitre au profit de nouvelles formes de fondamentalismes qui déplacent la jouissance au paravent pacifiée de l’esclave vers une jouissance sacrificielle .Il s’agit maintenant au nom d’un dieu qui n’est plus un signifiant maitre de mourir pour lui donner consistance .Le terroriste devient victime héroïque post mortem. Au point qu’on le nomme ainsi maintenant martyr …
Mais alors à quel sujet s’adresse ce nouvel impératif de jouissance ? Question que l’on pourrait compléter par la suivante : le sujet trouve-t-il encore à se représenter par le signifiant et dans ce cas est-il en mesure de poursuivre son mode de représentation par un autre signifiant ? La logique du signifiant, mise en évidence par Lacan, permet de concevoir que ce Malaise n’est pas la conséquence d’une sorte d’imperfection, d’immaturité des hommes, qu’un surcroît de civilisation, d’éducation, de police, pourrait réduire comme Freud pouvait l’imaginer. Au contraire, cette souffrance de l’homme est liée à ce qui le cause comme sujet.
C’est pourquoi, la psychanalyse doit énoncer ce que sa clinique lui permet de connaître. Il ne s’agit pas pour elle de prétendre « réparer » le monde mais de tenter de cerner, avec des concepts fondés en raison à partir de l’expérience clinique, ce qui peut être dit qui aurait trait – autant que faire se peut – avec ce que le langage impose à l’Homme comme condition Et comment il peut espérer y faire face.
En résumé dans une analyse on ne restaure pas le sujet dans une preuve d’amour mais on confronte sa demande à l’incomplétude inhérente
à la structure même de la vérité.
Alors de quelle vérité s’agit-il ? C’est celle que l’on approche de la façon suivante par l’interprétation psychanalytique :
« Non, tu ne sais pas que tu dis la vérité [.] Tu ne la dis si bien que dans la mesure même où tu crois mentir, et quand tu ne veux pas mentir, c’est pour mieux te garder de cette vérité. »
Ce sujet, nouveau sujet se trouve dépossédé de ce minimum de ‘conscience ‘ de savoir ce qu’il fait, il est exclu d’un quelconque savoir s’il ment ou pas et par conséquent de quelque savoir que ce soit quant à la vérité de ce qu’il dit ; d’ailleurs qu’il la dise ou pas il s’en trouve toujours dépossédé.
Nous sommes bien loin déjà de cette voix causative Freudienne :’ cet inconscient qui me fait faire ‘autant d’ailleurs que de la voix réflexive comme on vient de le voir dans cette dépossession du minimum pour un sujet de savoir ce qu’il fait.
C’est pourquoi l’objet de la psychanalyse , comme son dispositif, ne sont pas ceux de la sociologie. La psychanalyse ne se pratique qu’au singulier. Cependant, elle ne considère pas » l’individu » qui se compterait comme partie d’un tout et ses objets ne sont pas le nombre, ni les comportements. Elle s’adresse au sujet qui ne peut se concevoir que » pour un autre sujet » par la médiation du langage. En ce sens, la dimension de l’altérité – donc du lien – est toujours présente. » L’inconscient, c’est la politique « , affirmait Lacan le 10 mai 1967 dans son séminaire sur » La logique du fantasme » (inédit).
C’est dire si nous sommes loin de toute idée humaniste ou encore de liberté que serait ce sujet de l’inconscient que nous voulons tant défendre au nom de la Psychanalyse. comment éviter en effet qu’à se confronter au discours sur la misère on ne rejoigne à nouveau le discours du maitre ?
Lacan adopte une position très politique dans l‘annonce suivante : « Notre avenir de marché commun trouvera sa balance d’une extension de plus en plus dure des procès de ségrégation. » Ainsi ce retour du réel est lié au processus ségrégatif.
Il prend une position Politique donc mais ne tient pas un discours politique : pourquoi ? Parce que la politique fait toujours trou dans le discours .Il y a bien un discours de l’analyste, de l’Université, de la science, de l’hystérique pourtant la politique pour Lacan n’est pas un discours car le politique pour lui c’est un acte.
une petite assertion sur la question du sens comme ce qui est toujours religieux, « la stabilité de la religion vient de ce que le sens est toujours religieux d’où mon obstination dans la voie des mathèmes » pour remarquer que lorsque Lacan fait cette déclaration Là ce n’est pas au titre de discours mais d’un acte puisque c’est dans le moment de la lettre de dissolution dans ou avec laquelle Lacan dissout son école.
Au fond ce qu’il faut retenir de ces derniers éléments c’est que sens et réel sont toujours requis dans la barbarie et le totalitarisme.