2-Robert Levy "le psychanalyste : interprète?"
Nous allons essayer d’introduire un vaste sujet, celui de l’interprétation dans le champ de la psychanalyse, qui se trouve au cœur de la pratique analytique et soulève la question suivante : le psychanalyste est-il interprète ? L’interprétation est donc un mot renvoyant à de nombreuses pistes de réflexion et je vais commencer par donner des indications se trouvant dans le Littré. Cela va nous permettre de cheminer peu à peu dans les méandres de la structure de l’interprétation, dans les différentes orientations possibles, et surtout sur ce que l’on peut dire concernant la langue qui renvoie directement à la question de l’interprétation.
Dans le Littré le mot interprétation nous renvoie à la traduction d’une langue dans une autre, à l’explication de ce qui se révèle d’obscur ou d’ambigu dans un texte, à l’action de prendre en bonne ou mauvaise part les paroles de quelqu’un, de ses actes etc…. Quant à l’interprète, toujours dans le Littré, il est celui qui explique les mots d’une langue par les mots d’une autre langue, celui qui servant d’intermédiaire entre deux personnes ignorant leur langue respective se met en position de la leur transmettre tour à tour. C’est aussi celui qui explique et traduit le sens d’un livre, d’une loi, d’un texte, enfin celui qui fait connaitre les volontés, les sentiments d’un autre et qui sert à mettre au jour ce qui est caché. Ces explications du Littré, n’ont évidemment rien de psychanalytique, mais peuvent nous servir dans notre travail sur l’interprétation.
L’interprétation nous renvoie à l’effet que l’on peut qualifier de thérapeutique, question centrale, mais l’effet thérapeutique d’une analyse proviendrait-il uniquement de l’interprétation ou serait-il le résultat d’une nouvelle expérience ? Question fondamentale : expérience qui pourrait permettre par exemple, la compensation des déficits, ou l’arrêt d’un développement, ou bien encore chez certains patients, au moyen d’une nouvelle expérience émotionnelle, la facilitation de la reprise d’un point sur lequel il s’était arrêté. Ce dernier point semble plus spécialement lié à la question de la psychanalyse avec les enfants dont j’essaierais de dire rapidement quelques mots, car Radjou Soundaramourty et Serge Granier de Cassagnac ont très bien introduit le sujet dans leur séminaire sur la psychanalyse avec les enfants.
Pour commencer notre séminaire de cette année voilà quelques questions cruciales concernant l’interprétation d’une langue. Il ne faut pas oublier que nous sommes une association bilingue et si l’inconscient est structuré comme un langage cela ne signifie pas, pour autant qu’il soit structuré comme une langue. Qu’il soit structuré comme un langage implique forcément que l’interprétation porte de façon plus spécifique sur la langue mais pas les langues. Les langues portent la question de leur traduction, aussi l’analyste serait-il un simple traducteur lorsqu’il interprète ? Un interprète qui permettrait de passer d’une langue à une autre ? C’est ici que les difficultés commencent, et nous devons rendre hommage à celui qui s’est beaucoup occupé de la science de la traduction, Walter Benjamin, dans un livre remarquable qui s’intitule « The task of the translator », dans lequel il nous fait remarquer une chose importante pour les traducteurs et tout aussi importante pour les psychanalystes, à savoir, deux langues différentes peuvent en principe viser le même objet mais d’une façon totalement différente. Un exemple simple est celui du mot « langue », langue qui en français tout comme le mot « langage » renvoie au latin « lingua », c’est à dire un organe dont on dispose dans la bouche pour pouvoir parler. En revanche en allemand le « Sprache » ne renvoie pas à la « lingua » du français (plutôt à la « langue » du français) et renvoie à un autre objet, tout comme le « language » en Anglais qui ne renvoie pas à ce terme, et encore plus le « speaking » ou le « talking » car en anglais la langue en tant qu’organe se dit « tong ».
D’où la difficulté à traduire en anglais, dans le cadre de la psychanalyse, le terme de jouissance. Il n’y a pas de mot à proprement parler équivalent, si ce n’est le mot « enjoyment », mais ce terme en anglais moderne a perdu sa connotation sexuelle qu’il détient encore en français. Dans cette perspective le verbe jouir en anglais pour ne pas perdre cette connotation sexuelle devrait se traduire par « to come », mais dans ce cas il perd la polysémie que recouvre le verbe jouir et n’offrirait qu’un versant exclusivement sexuel dans un usage un peu « slang » de la langue anglaise. Le mot « pleasure » quant à lui est préempté par le mot français « plaisir ». Lacan, pour sa part utilise les termes « jouissance » et « plaisir » d’une façon très différente. « Pleasure » obéit aux lois de l’homéostasie que Freud évoque dans « Au-delà du principe de plaisir », qu’il sert ?? à baisser l’état de tension de l’appareil psychique en le déchargeant de telle sorte qu’il soit le plus bas possible. Le terme « jouissance » transgresse cette loi et dans ce sens va bien au-delà du principe de plaisir.
N’est-ce pas là l’épreuve que nous faisons sans cesse dans toute interprétation ? Il nous faut admettre la distance, toujours grande, entre l’objet désigné et le mot qu’on utilise. Nous devons admettre que cette distance est grande et la ressemblance limitée entre le mot et l’objet qu’il représente. Cette distance n’est pas une affaire de langue ou de traduction, elle est crée par l’objet lui-même. C’est l’objet qui crée la distance avec le mot qui le représente et non pas le mot qui crée la distance avec l’objet. C’est un point fondamental que relève Walter Benjamin dans un domaine autre que la psychanalyse, qui concerne la traduction. Je trouve que c’est là un apport dont nous allons pouvoir nous servir sur la question de l’interprétation. Donc la distance n’est pas une affaire de langue ou de traduction mais elle est crée par l’objet lui-même et non par l’inverse. Vous entendez la façon dont Lacan va interpréter le mot inconscient par « une bévue », en créant non pas une traduction équivalente de l’allemand au français, mais en créant à partir de l’allemand «Unbewust » une traduction qui sera plus proche de cet obscur objet, que l’on nomme en français l’inconscient, tout en créant un mot qui puisse tenir compte, à la fois, de la dimension que l’allemand recouvre dans «Unbewust », et de celle de l’acte manqué dans ses rapports avec l’inconscient.
Nous voilà au cœur de la difficulté de notre langue de l’inconscient, difficulté inhérente à la représentabilité de ce qui n’a pas été encore représenté. Pourrait-on considérer qu’il existe une langue de l’inconscient à laquelle nous pourrions accéder en utilisant un glossaire de traduction pour interpréter ? Evidemment ce n’est pas cela dont il est question, et pourtant le terme de « traduction » nous renvoie à quelque chose qui nous intéresse, car la traduction, en allemand, du terme « traduction » vient aussi de la racine du mot transfert, « trague, tradung, ubertragung », qui détient la notion de passer de l’un à l’autre, porter au-delà. Transfert à partir duquel il convient, sans doute, de s’arrêter un instant et d’éclairer en quoi l’analyste serait un interprète.
Freud a qualifié d’essentiel l’interprétation comme l’outil par excellence du traitement psychanalytique, en insistant sur le point fondamental que seule une cure, où l’interprétation du transfert est utilisée contre les résistances, peut s’appeler psychanalyse. D’emblée Freud ne dissocie pas la
question de l’interprétation de celle du transfert.
C’est exactement le point sur lequel nous étions restés lors du dernier séminaire sur le transfert, à savoir comment l’analyste est à la fois embarrassé dans le transfert avec l’objet « a », et en même temps comment il y fait barre. Nous avions longuement discuté sur cette question puisque cela nous apparaissait comme une sorte de trouvaille au cours du séminaire de l’an passé. Il ne suffisait pas d’écrire (S barré poinçon a) du côté de l’analysant, mais aussi (S barré poinçon parenthèse vide du côté de l’analyste), encore fallait-il que tout cela produise du (S barré poinçon « a » barré). Si l’Idéal du moi avait été touché au détour d’une cure alors la question n’était plus celle de l’Idéal, mais celle de l’objet petit a barré. C’est une écriture différente de (S poinçon A barré) dont on a l’habitude et qui renvoie à pas de garantie du côté de la vérité, c’est-à-dire à la chute de l’idéal du Moi. Cette nouvelle écriture porte sur l’objet qui persiste de façon permanente dans une cure, en le « dépiautant » peu à peu de toutes ses différentes peaux. La question sur laquelle nous étions arrivés l’année dernière était, donc, la suivante : à quoi sert de faire chuter l’Idéal du moi si on maintenait un objet non barré ?
Barrer l’objet « a », c’est une drôle de fonction,( en précisant pour ceux qui ne sont pas familiarisés avec le langage lacanien, c’est l’objet cause du désir), car nous sommes plutôt accoutumés à entendre parler ou de sujet barré ou bien de A barré, petit « a » barré serait davantage une nouveauté.
Pourtant on ne peut pas entrer dans ces distinctions sans également revenir sur la question de l’Idéal du moi dans le transfert. Je crois que la dernière fois j’étais resté sur cette idée : Lacan nous amène à formuler cette question importante selon laquelle le transfert n’est pas le contre transfert ou l’inanalysé de l’analyste mais, et c’est sur ce point que nous allons insister, le positionnement de l’analyste par rapport à l’objet petit a.
C’est également une façon de rappeler que l’on peut tout à fait finir une analyse sur un certain type de confort de l’idéal du moi, et même sur une destitution de cet idéal, tout en gardant par ailleurs un objet bien investi, comme par exemple la psychanalyse. C’est ce qui amène Lacan à penser qu’une analyse peut être menée au-delà du complexe de castration, et que ce point de la limite freudienne peut être dépassé en se plaçant différemment de Freud par rapport à l’objet, car « nous ne pouvons pas du tout nous servir de l’amour (dans le transfert) comme premier ni comme dernier terme », puisque « l’amour est la sublimation du désir ». Toute la question du transfert comme amour ne suffit pas à résoudre la question de l’objet, étant donné que cet amour dont on parle, qui fonde l’amour de transfert, n’est qu’une figure de sublimation du désir. Ce qui nous intéresse dans une analyse c’est la question du désir, forcément, pour tout ce qui est exégèse de l’amour. D’où la supposition qu’il y a un au-delà de l’angoisse de castration, et l’analyse peut y avoir accès pour autant que l’analyste s’appuie dans le transfert sur le désir et non plus sur l’amour, c’est à dire avec le désir d’analyste comme fonction ; reste à savoir comment.
Lacan va marquer un tournant important dans le séminaire « le désir et son interprétation », avec l’objet petit a qui ne sera plus l’objet du désir mais l’objet pour le désir désignant, cette fois très clairement, l’objet du fantasme. C’est un moment important, car ce passage d’objet du désir à objet pour le désir nous renvoie à la question du rapport du désir au fantasme. La conséquence sera de rompre avec la relation d’objet, dès lors, il s’agira de la question du signifiant comme être de l’objet. Le signifiant c’est l’être de l’objet.
L’apport clinique de cette interprétation de l’interprétation est essentiel, il signifie que le désir n’est plus le simple objet de l’interprétation mais son ressort fondamental. Désormais La clinique du symptôme s’en trouvera réorientée. C’est donc, à partir du désir qu’opèrera la psychanalyse, dont on verra en 1960 avec Lacan, les conséquences portant sur l’introduction du désir d’analyste. Le désir est le ressort fondamental de l’analyse : ce qui est impliqué, c’est l’analyste comme désir et bien évidemment il ne s’agit pas des désirs de l’analyste mais du désir d’analyste comme fonction.
Peut-être y a-t-il dans cette perspective une différenciation à introduire quant à la place de l’analyste dans la cure. Ce n’est pas sans produire quelques effets sur le traitement du symptôme. Comme nous venons de le voir, la façon dont l’analyste se place par rapport à l’objet a a une incidence directe dans la direction de la cure. La direction de la cure c’est la façon dont l’analyste se place par rapport à l’objet.
Cure qui suppose que l’analyste ait au moins à entrevoir qu’au niveau de l’objet petit a, c’est-à-dire du semblable à qui s’adresse l’amour, et je cite Lacan : « L’analyste, lui, ne peut que penser que n’importe quel objet peut le remplir » puisque « il n’y a pas d’objet qui ait plus de prix qu’un autre – c’est ici le deuil autour de quoi est centré le désir de l’analyste ».Vous voyez pourquoi cela rend logique , pour Lacan, que du côté de l’analyste le désir d’analyste soit centré par rapport à l’objet petit a , plus précisément le sujet barré dans le désir de l’objet. Cette structure va maintenir cet « aucun objet », c’est-à-dire le deuil de l’objet qui permet au patient de pouvoir mettre, successivement en batterie, tous ses objets pour parvenir aux deux questions suivantes: il n’y a pas de garantie de la vérité, mais cela n’est pas suffisant car je pense que cela ne touche que la question de l’idéal du moi, encore faut-il que la désubjectivation, soit elle, du côté de la barre sur l’objet.
Par conséquent la question est tout autre que l’accès à un idéal, du fait que l’objet est tout à fait indifférent. Cela peut être n’importe quel objet et si l’on veut chercher un différentiel, quelque chose qui permettrait d’accrocher un peu de consistance, il faut le chercher du côté du signifiant et non pas des objets. Voilà de précieuses indications quant à la place de l’analyste par rapport à l’objet petit a, mais aussi de la place à partir de laquelle il peut interpréter dans le transfert.
Première conséquence, il ne peut pas y avoir d’interprétation hors transfert, toute autre tentative ne peut être entendue que comme un abus ou plus simplement comme une sorte de psychologie des comportements reposant sur une grille préétablie. Dans cette perspective l’analyste ne serait plus que l’interprète d’une langue dont il connaitrait par avance le chiffrage. Un exemple courant c’est l’expression, « c’est ton fantasme » et toutes les interprétations faites à la cantonade qui sont des interprétations le plus souvent assez sauvages, ne revêtant aucune légitimité en tant que proférées hors transfert.
C’est la critique que Freud apporte dans son article, dit (??) de la psychanalyse sauvage, où il démontre à partir d’un cas intéressant, qu’une interprétation énoncée hors transfert méconnait les conflits sous-jacents. Elle ne peut aborder les résistances qui ne peuvent être dépassées que par le travail du transfert. C’est cela la nécessité de l’interprétation dans le transfert, et interpréter hors transfert n’aboutit qu’à renforcer la résistance. Pouvoir traiter l’interprétation de façon non sauvage implique que l’analyste doit tenir compte de la résistance pour se situer dans le transfert. On entend bien que dans la perspective d’une interprétation hors transfert le sujet ne peut que se diluer, il est massifié d
ans une sorte de langue universelle dont il ne serait qu’un élément parmi d’autres, et surtout il n’en résulte aucun reste non interprétable, la grille de lecture étant connue d’avance, donc codée.
Avec cette idée d’interprétation hors transfert il faudrait revisiter un texte très intéressant de Freud à propos du président Wilson. Il s’agit du seul livre dans lequel Freud propose une interprétation hors transfert. C’est à propos de la vie de ce président américain qui n’a jamais été son patient, texte qu’il écrit avec Bulitt qui a été l’ambassadeur de ce président et a été, également, pendant quelque temps le patient de Freud. C’est un travail dans lequel il tente de glisser un regard psychanalytique à l’intérieur de l’objet politique et historique. J’ouvre, ici, un certain nombre de piste, nous y reviendrons au cours de l’année.
Autant dire que le désir comme irréductible singularité, et c’est cela qui nous intéresse dans la question de l’interprétation, revient à dire que c’est la façon dont un analyste prend place par rapport à l’objet. Cette question du désir dans l’irréductible singularité et celle du sujet de l’inconscient se trouvent, de fait, exclues dans l’interprétation sauvage, le sujet ne pouvant exister que dans l’intervalle entre deux signifiants. Cette idée est intéressante, celle de l’hypothèse d’une interprétation hors transfert car elle exclut un point important, l’écueil lié à l’interprétation d’une langue à l’autre. Dans la traduction de l’interprétation d’une langue à l’autre il y a toujours un reste, une sorte de résidu irréductible, ininterprétable, intraduisible, et qui est lié à la spécificité non pas de chaque langue, comme nous l’avons vu, mais lié à l’objet lui-même. Un mot dans une langue ne représente jamais exactement la même chose dans un vocable d’une autre langue. Il y a toujours un reste que j’appellerais réel de la langue et en ce qui concerne les langues il s’agit, pour chacune, d’un réel spécifique dans son rapport à l’objet. Ce réel est beaucoup plus lié et induit par l’objet lui-même par rapport à sa représentabilité. Donc, il n’y a pas d’interprétation hors transfert, moment le plus aigu de la cure, dans la mesure où ce temps précipite ce que l’on peut nommer, chez l’analyste, l’irréductible singularité de l’acte.
Nous n’en sommes pas quitte pour autant. En effet, qu’est-ce qui nous garantit dans ce moment d’interprétation qu’il s’agisse bien d’une interprétation, et non pas d’une intervention qui marche, car qu’est-ce qui marche le mieux que ce qui est pris dans l’amour ? On peut dire n’importe quoi, pour autant que l’on aime et que l’on est aimé…. Et ça marche ! La question de l’interprétation est irréductible à la question du transfert mais dans ce transfert on est pris également dans une sorte d’amour aveugle. En résumé, une interprétation hors transfert ne vaudrait-elle pas mieux qu’une interprétation qui n’aurait son efficace que pour des raisons de transfert au sens d’amour de transfert ? Nous Voici, donc, dans la nécessité d’interroger le statut même de l’interprétation.
Faisons un détour dans le travail de Ferenczi, nous allons y trouver un écho à l’irréductible singularité qu’il appelle, lui, le « tact ». Je le cite : « J’ai acquis la conviction que c’est avant tout une question de tact psychologique, de savoir quand et comment on communique quelque chose à l’analysé, quand on peut déclarer que le matériel fourni est suffisant pour en tirer des conclusions, dans quelle forme la communication doit être le cas échéant habillée , comment on peut réagir à une réaction inattendue ou déconcertante du patient , quand on doit se taire et attendre d’autres associations , et à quel moment le silence est une torture inutile pour le patient, etc. Vous voyez avec le mot de « tact », j’ai seulement réussi à exprimer l’indétermination en une formule simple et plaisante. Mais qu’est ce que le tact ? La réponse à cette question n’est pas difficile. Le tact c’est la faculté « de sentir avec », si nous réussissons, à l’aide de notre savoir tiré de la dissection de nombreux psychiques humains, mais surtout de la dissection de notre soi, à nous présentifier les associations possibles ou probables du patient, qu’il ne perçoit pas encore, nous pouvons (n’ayant pas comme lui à lutter contre les résistances) deviner non seulement ses pensées retenues mais aussi les tendances qui lui sont inconscientes. En restant en même temps, à tout moment, attentif à la force de la résistance, il ne nous sera pas difficile de prendre la décision de l’opportunité d’une communication et de la forme qu’elle doit revêtir. Ce sentiment nous gardera de stimuler la résistance du patient inutilement ou intempestivement ; certes il n’est pas donné à la psychanalyse d’épargner toute souffrance au patient ; en effet, apprendre, à supporter une souffrance est l’un des résultats principaux de la psychanalyse. » J’insiste sur ce point, apprendre à supporter une souffrance. « Cependant une pression à cet égard, si elle est dénuée de tact, fournirait simplement au patient l’opportunité, ardemment désirée dans l’inconscient, de se soustraire à notre influence. » Et un peu plus loin, et j’en termine là, avec cette citation : « Avant que le médecin ne se décide à faire une communication, il doit d’abord retirer pour un moment sa libido du patient. »Je trouve ce texte à la fois désuet et vieillot et en même temps d’une grande actualité que je vais essayer maintenant de développer un peu.
***L’irréductible singularité de l’acte, ce que Ferenczi nomme le « tact », et Lacan le style de l’analyste, n’ont-ils pas en commun un certain rapport au réel qui ne se justifie que pris dans un transfert, certes, mais qui ne s’y réduit pas pour autant ? L’interprétation c’est aussi le moment ou le risque est le plus grand. En effet il y a un risque pour le symptôme, risque d’un dénouement, mais également risque pour l’analyste d’y aller de son délire, raison pour laquelle Freud insiste tout particulièrement sur ce point dans cet article que nous allons reprendre dans le détail cette année, et qui s’intitule « Constructions dans l’analyse ». Nous pouvons nous contenter pour l’instant d’indiquer, à propos de cet article, que Freud pose la question de savoir si, dans cet exercice particulier de l’analyste qui consiste à interpréter en reconstruisant les éléments des souvenirs effacés du patient à partir de vestiges dont il peut se souvenir tel l’archéologue, il ne s’agirait pas d’un pur délire du côté de l’analyste ? C’est intéressant car Ferenczi, lui aussi, parle de délire à propos de l’interprétation, et il étend cette notion de délire de l’analyste aux théorisations de l’analyste. En effet il soutient qu’un analyste peut se tromper et il dit ceci : « la très vieille coutume des commerçants qui consiste à ajouter à la fin de chaque facture la marque « S E » (salvo errore), c’est-à-dire « sauf erreur », serait aussi à mentionner à propos de chaque interprétation analytique. De même, la confiance dans nos théories ne doit être qu’une confiance conditionnelle, car pour le cas donné il s’agirait peut-être de la fameuse exception à la règle, ou même de la nécessité de modifier quelque chose à la théorie en vigueur jusque là (…)la modestie de l’analyste n’est
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donc pas une attitude apprise, mais elle est l’expression de l’acceptation des limites de notre savoir » . En conséquence méfions-nous de toute certitude quant à nos théories, et surtout adoptons le conseil de Ferenczi, quand il écrit : « Chaque nouvelle compréhension des significations exige la révision de tout le matériel précédent. » Il n’hésite pas à remettre au travail la question de l’origine même des théories po
ur autant qu’au cours de l’exercice de l’expérience nous pouvons rencontrer une nouvelle compréhension, ce qui remet en question les points à partir desquels nous étions partis. Reprenons l’expérience du chercheur qui pourrait remettre en question ses avancées théoriques en fonction de celles de l’expérience, quitte, et les chercheurs savent cela, à invalider ses propres hypothèses de départ. Sinon le délire de certitude nous guette et l’interprétation peut se transformer en violence et en machine de guerre, comme on peut parfois le constater dans certaines institutions dont la certitude dans la vérité portée par certains peut se révéler ne plus être qu’au service de la pulsion de mort.
Donc, risque des deux côtés dans un seul et même transfert. Ferenczi y fait allusion quand il parle de la souffrance du patient, car nous savons bien que nous pouvons entendre ce que le patient n’entend pas encore et qui se révèle comme l’annonce d’une nouvelle que, jusqu’alors, son désir inconscient a soigneusement évacué. Je veux évoquer certaines cures dans lesquelles la question tourne autour d’un amour aux prises avec des histoires relationnelles répétitives, et au cours de laquelle l’analyse va forcément révéler, à plus ou moins long terme que la personne aimée, soit disant aimée, n’est pas celle à laquelle le sujet croit. Il
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faudra bien qu’il accepte de se résoudre à devoir perdre de l’Idéal du moi pour gagner un amour différent. Nous savons que cela coûte et fait souffrir et que bien des patients ne sont pas prêts à l’entendre ni même à en faire l’expérience et arrêtent leur analyse au seuil même de la perte de cet Idéal du moi, dont Lacan signalait que c’était une fin très habituelle de nombreuses analyses, de nombreuses cures. Responsabilité de l’interprétation qui, dans tous les sens du terme, peut délier. N’est-ce pas là, justement, le sens des mots de Ferenczi que je viens d’évoquer ? : « Il n’est pas donné à la psychanalyse d’épargner toute souffrance au patient, en effet, apprendre à supporter une souffrance est l’un des résultats principaux de la psychanalyse. »
Revenons un peu sur cette métaphore de l’analyste interprète pour examiner, maintenant, la question du sens car un interprète est supposé donner le sens d’une langue dans une autre.
C’est là le contexte culturel de la fin du XIXème siècle dans lequel la philologie prend, avec la notion de sous-texte, une importance grandissante puisqu’il s’agit de retrouver, à cette époque, des significations perdues et un sens caché. C’est le contexte culturel dans lequel Freud évolue à Vienne, auquel succède une rupture herméneutique qui introduit une modernité dans la mesure où il ne s’agit plus du sens mais du signe, et de la manière dont il peut être interprété. On passe, alors, du sens à la question du signe.
C’est avec Marx, Nietzsche et Freud comme le souligne Foucault qu’une nouvelle possibilité d’interprétation voit le jour qui sera à l’origine d’une nouvelle herméneutique. Il ne s’agit plus de donner un sens nouveau à des choses qui n’en avaient pas où de
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multiplier des signes, mais de modifier l’espace de répartition dans lequel des signes peuvent être des signes. Je cite Michel Foucault :
« Dès ce moment là l’interprétation vise à restituer ce qui a été enfoui et recouvert. Quelle est la spécificité de l’interprétation Freudienne ? Le point de vue Freudien est tout d’abord de chercher le sens caché derrière le sens apparent du langage, en cela, il s’inscrit effectivement dans l’herméneutique moderne du XIXème siècle. Mais la position Freudienne va modifier (c’est cela qui nous intéresse) l’histoire de l’interprétation dans la mesure où elle postule qu’il n’existe qu’un seul sens aux symptômes et que ce sens est sexuel. »
C’est cela la grande découverte Freudienne qui modifie l’histoire même de l’interprétation, herméneutique moderne à laquelle Freud va donner une direction différente.
Forcément l’analyste devient l’interprète du désir sexuel caché. Il faut remonter jusqu’au noyau pathogène, lieu de l’évènement traumatique, et à cette époque Freudienne la remémoration est prévalente. Se souvenir serait, semble-t-il, l’équivalent d’une interprétation. Si on se souvient, si on se remémore on peut interpréter le sens caché du symptôme, c’est-à-dire le rapport au désir sexuel. Chez Freud le « wunsh »,( qui encore une fois n’est pas l’exacte traduction du mot désir), reste très emprunt de l’effet de reviviscence de la satisfaction refoulée, oubliée.
Pourtant c’est le passage à la règle fondamentale, quand Freud renonce à l’hypnose, (en disant tout ce qui vient), qui va introduire un nouveau mode d’interprétation. En effet, dès lors, on se préoccupera des idées fortuites, des « einfalle », dont on va extraire, et je reprends cette fameuse phrase si connue, le pur
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métal des idées refoulées. Extraire le sens pour mieux deviner,« deviner, d’après les associations libres du patient ce dont il n’arrivait pas à se souvenir. »
L’analyste est alors un divinateur (erraten) ou plus exactement l’interprète d’une lecture entre les signes, un déchiffreur de discours comme l’indique mon amie Vanina Micheli qui a écrit un livre remarquable, que je vous conseille, traitant en particulier de ces questions et qui s’intitule « Les détracteurs de Freud ».
Interpréter consiste, alors, à communiquer le bon résultat au moment opportun : qu’est-ce que le moment opportun ? C’est le moment où l’analysant est en mesure de le découvrir lui-même, point essentiel concernant l’interprétation. L’analysant, c’est lui, qui fait l’interprétation. On peut se demander, si plus que l’interprétation elle-même, ce n’est pas le moment comme tel qui serait le plus important dans l’acte d’interpréter ?
Il ne s’agit pas tant de révéler un sens que de révéler l’accomplissement d’un désir caché que le rêve, lapsus, et mots d’esprit recèle. Ne perdons pas de vue que l’interprétation Freudienne à cette époque à quelque chose à voir avec l’invisible, avec ce qui est caché, c’est-à-dire avec les signes, ce qui nous rapproche inexorablement du hiéroglyphe au sens de Champollion. C’est le moment où l’analyste va passer de la position d’interprète d’une autre langue à celle de lecteur d’un hiéroglyphe.
L’analyste fait alors parler les signes pour découvrir leur sens. De ce fait le problème se pose dans l’interprétation du rêve non plus au niveau de la langue mais de l’écriture. Troisième temps fort de
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la question de l’interprétation, celle de l’interprétation des rêves, ou nous ne sommes plus au niveau de la langue mais au niveau de l’écriture. En effet il y a du trait non phonétisé, celui d’un déterminatif sémantique censé lever l’indétermination homophonique. Il y a dans le rêve un élément indéterminé qui permet de préciser, par exemple, la présence d’un personnage qui ne pourrait pas être interprété autrement qu’en phonétisant cet indéterminatif.
C’est exactement sur le même mode que l’écriture égyptienne a pu se construire, en effet grâce à ces éléments indéterminatifs, Champollion va découvrir le sens des hiéroglyphes en rendant lisible toute une phrase idéogrammatique. Cet indéterminatif fait partie intégrante de la lettre, il est inscription du signifiant, il n’est pas phonétisé mais participe de la structure. L’indéterminatif dans le rêve peut ne pas être dit, ne pas avoir de vocable, ce n’est qu’en le phonétisant que cela permettra de l’interpréter dans son l’ensemble. On reviendra sur ces notions de façon beaucoup plus précise je voulais, simplement encore une fois, donner quelques éléments de direction dans la suite de notre travail au cours de l’année.
Freud en interprétant les rêves, tel Champollion dans l’étu
de des hiéroglyphes, aborde l’espace typographique et ne se contente pas seulement de préciser ce qui concerne la phonétisation du trait.
Mais n’allons pas trop vite dans cette approche qui spécifie plus spécialement la question de l’interprétation des rêves, prémices à la question de la lettre dans l’inconscient, sur lesquels nous aurons
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de nombreuses occasions de revenir au cours du séminaire de cette année.
Le signe et son interprétation nous renvoie également au patient psychotique. Evoquer le statut de l’interprétation chez le patient psychotique nous amène à préciser, en ce qui le concerne, qu’il est l’interprète par excellence des nombreux signes et voix qu’il peut entendre sans oublier les impressions kinesthésiques qu’il s’empresse d’interpréter. Ceci a pour conséquence, pour lui, d’être envahi par ce monde interprétatif qu’il crée comme une construction véritablement défensive contre un autre envahissement celui du réel auquel il se trouve soumis en permanence. A l’impossible chacun est tenu mais le patient psychotique, lui, ne dispose pas du fantasme pour s’en défendre et filtrer cet envahissement par le réel. C’est pourquoi il tente désespérément d’interpréter pour construire de façon délirante, quelque chose qui puisse lui permettre de ne pas subir cette inquiétante étrangeté de façon permanente.
Donc, nous pouvons nous demander si avec ce type de patient il ne s’agirait pas plutôt de désinterpréter le sens pour retrouver une équivocité signifiante, tout en sachant que justement c’est cette équivocité qui lui manque et qui l’oblige à construire un monde dans lequel, grâce à l’interprétation délirante, un signifiant représente un signifié et un seul.
Le psychotique est dans le sens, il doit donner un sens univoque à tout ce qui l’entoure pour ne pas sombrer dans le réel.
Il nous reste à préciser que le patient psychotique n’est pas le seul à devoir retrouver de l’équivocité, c’est ce que l’on peut espérer du travail d’une interprétation du signifiant chez tout névrosé. Il
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s’agit de lui permettre d’acquérir un peu de hors sens, de l’introduire au domaine qu’il évite en permanence, à savoir de se rapprocher de l’idée qu’il n’y a pas de garantie de la vérité. C’est sans doute ce que l’interprétation introduit sans cesse comme coupure, comme construction, comme intervention, comme équivocité, comme scansion, et par conséquent comme acte. Le silence peut être également une façon d’introduire le sujet au manque et à l’idée qu’il n’y a pas forcément de réponse dans l’Autre.
Mais on peut dire que le rêve, le lapsus, le mot d’esprit sont déjà avec les symptômes des formes d’interprétation, de construction. Aussi l’interprétation de l’analyste ne serait-elle, alors, que l’interprétation d’une interprétation ? C’est pourquoi, Freud, assurément n’interprète pas autrement que dans le langage de ses patients, interprétation donc d’une interprétation dans les termes mêmes où cette interprétation première lui est donnée, restituée, c’est-à-dire dans les signifiants du discours du patient.
Introduisons, ici, une petite parenthèse afin de souligner que l’évolution des modalités d’interprétation sont tout autant des orientations psychanalytiques différentes, que l’on retrouve encore aujourd’hui y compris, dans ce que l’on nomme psychothérapies, et qui reprennent à leur compte l’une ou l’autre d’un des moments de l’interprétation freudienne. J’y inclus la suggestion que l’on connaissait avec l’hypnose et à laquelle s’adjoint, forcément, tout le volet de la nécessité de retrouver le souvenir traumatique.
A travers cette dernière conception on s’interroge sur la dimension de ce qu’li y aurait de premier à interpréter, comme si
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en ce point on pourrait estimer pouvoir clore l’interprétation et l’épuiser. Comme le fait remarquer Foucault tout est déjà interprétation et il n’existe pas de signe qui ne soit déjà une interprétation d’autres signes. Donc, l’interprétation se voit elle-même dans l’obligation de s’interpréter à l’infini. Freud n’interprète pas des signes au sens propre mais des symptômes qui en tant que représentants du fantasme sont déjà en eux-mêmes des interprétations.
Le pas suivant sera celui de l’herméneutique moderne, où l’interprétation ne se préoccupera plus du signifié, mais en tant qu’herméneutique du symptôme, elle s’occupera surtout du sujet du symptôme. En ce sens si l’analysant aime plus que tout au monde son propre symptôme, amour qu’il transfert sur l’analyste, on entend combien l’interprétation ne peut se situer que dans le transfert au sens ou elle vise le sujet de l’inconscient. Pour autant nous n’en sommes pas quitte car toute une série de questions subsistent à commencer par celle-ci : comment peut-on interpréter ou se taire ? Être passif ou actif ? Existe-t-il une métapsychologie de l’interprétation ? Toutes ces questions laissent supposer qu’il existerait un texte inconscient obscure à notre entendement et que des procédures interprétatives appropriées pourraient mettre en lumière. Le langage est alors le lieu à la fois de toute compréhension et de toute incompréhension, ce que nous pouvons mettre en doute. Il n’y a pas de texte inconscient que l’on pourrait traduire ou interpréter, il n’y a que des signifiants et des sujets qui tentent de se situer entre ces signifiants.
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J’espère avoir donné quelques éléments d’orientation des questions qui se posent à propos de l’interprétation.
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Réponses aux questions qui ne sont pas toujours audibles à l’enregistrement.
Précision de Robert Lévy :
La supposition que je voulais introduire ce soir ce n’est pas une affaire de traduction ou de langue différente, c’est une affaire d’objet. C’est l’objet qui détermine cet écart qui existe dans toute langue, quelle que soit l’image à laquelle cela renvoie, c’est l’objet qui renvoie à cet écart. Si on va un peu plus loin, l’objet c’est le fait qu’il n’y a pas d’objet, c’est parce que l’objet est indifférent et qu’il n’y a aucun objet que la difficulté se rencontre de représenter un objet quelconque par un mot. On serait dans l’erreur de considérer que l’analyste est un interprète si on le prend au sens d’interpréter une langue, dans ce cas on tenterait de faire coïncider les représentations d’une langue dans les représentations d’une autre langue, et ce n’est pas cela la question. La question c’est qu’il n’y a pas d’objet qui représente entièrement quelque chose, il n’y a donc pas de mot qui soit dans une étroiteté de la représentation de l’objet, en fait il n’y a pas d’objet.
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Question et commentaire : cette question de pas d’objet est assez compliquée. Qu’est-ce qu’il n’y a pas dans ce « pas d’objet », il y a la nécessité de cet objet du désir et cet objet cause du désir, et en même temps ce ne sont pas tous les objets, il ne s’agit absolument pas de la même chose. Ce que dit Lacan mettant en perspective cette indifférence de l’objet, c’est celui qui n’a plus d’image, celui qui ne se représente pas, c’est l’objet petit a. S’agit-il de l’absence de petit a dans l’Autre dans l’écriture du petit a barré donné au début de ce séminaire et ce petit a dans l’Autre est-ce le petit a de Lacan ? Ce petit a barré dans l’Autre ce serait le petit a de Lacan, il y a un peu quelque chose comme ça !
C’est l’objet qui fait la distance, il ne s’agit pas de savoir comment on va traduire le mot « table », mais le regard porté sur la table qui ferait que cela ne peut pas se traduire. Cela ne se traduit pas mais ça se translitère.
Question : cela ne se traduit pas mais comment poser la question avec des analysants qui aborde leur analyse dans une langue qui n’est pas leur langue maternelle, pas dans les signifiants dans lesquels ils ont été marqués par le discours du grand
Autre ? Et quand l’analyste n’a aucun point de repère par rapport à cette langue ? N’y a-t-il pas là une difficulté ?
Réponse de Robert Lévy : Pour avoir pratiqué longtemps l’analyse dans d’autre langues, pas seulement une, je peux dire, au moins une chose, plus ça va et plus il me manque du vocabulaire pour pouvoir entendre. Cela semble le contraire de ce que l’on vient de dire ….. Mais pas du tout, à la limite, c’est
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pouvoir connaitre le sens pour ne pas en avoir besoin, sinon on est accroché au sens et cela est un grand embarras pour écouter dans une écoute analytique.
Intervention dans la salle : Mais aussi on peut donner du sens à ce que l’on ne comprend pas.
Réponse de Robert Lévy : L’accrochage au sens est un premier niveau, connaitre le sens pour pouvoir s’en passer, mais il y a un deuxième niveau qui est que, même dans le cas d’une connaissance du sens, il manque des expressions locales et culturelles. Si on ne vit pas localement, là, ou se situe le discours du patient, il y a des choses qui nous échappent. Un exemple simple : en espagnol « cojer » veut dire venir chercher quelqu’un et en Argentine cela veut dire « baiser », cela donne lieu à des opportunités très différentes ! L’utilisation d’un terme en fonction du lieu et de l’époque, tout cela manque dans une analyse menée dans une autre langue. On peut renverser la proposition que je faisais, c’est-à-dire moins on est au courant de l’usage local d’une expression et plus on est en mesure d’écouter autrement.
Intervention : Quand on parle d’usage local, on peut parler d’usage local, spécifique à chacun, qui est la langue maternelle et le français peut être autant de langues différentes. S’agit-il de les traduire ? Je ne suis
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pas certain, elles sont à entendre comme telle. Sans passer par les langues étrangères il y a l’étrangeté de la langue de l’Autre.
Oui mais dans l’exemple que tu donnais en Argentine le même terme ouvre à l’équivoque, mais pour entendre l’équivocité d’un mot encore faut-il connaitre quelque chose de l’équivocité de ce signifiant.
-La traduction c’est une métaphore, pour autant que l’objet n’existe pas, il y a de l’intraduisible et pas dans une seule langue. D’une langue à l’autre on se trouve confronté à la même question. L’idée que l’on pourrait traduire intégralement sans reste, est du côté de grand A mais pas du grand A barré. L’effet inverse de cela c’est de dire, comme certains analystes, qui ne connaisse rien à certaines langues et qui peuvent recevoir des patients dans cette langue inconnue en disant que ce qui les intéresse c’est le signifiant …..Et donc le signifiant je l’entends insister, disent-ils ! Cela est l’excès inverse.
Ce que je retiens de tout cela, plus je connais le vocabulaire de l’autre langue et moins je suis accroché à la nécessité de connaitre le sens de ce qui est dit.