Robert Lévy 1-"Introduction au thème de l’année"
Passer des questions politiques au sexuel peut paraître hasardeux. En fait il n’en est rien.
Dès 1920 l’imbrication des valeurs sexuelles et politiques ou plus exactement du pouvoir politique est devenu tout à fait visible. C’est notamment avec Wilhelm Reich que le concept de « politiques sexuelles » est arrivé. Mais ce n’est que depuis les années 60 que cette idée a eu un impact et un écho. Dans les années 1970 à 1980, les acquis de 1968 sur l’évolution des mœurs et de la sexualité se sont heurtés à nouveau aux forces conservatrices de l’ordre moral en occident et aux fondamentalistes religieux, qu’ils soient chrétiens, musulmans, juifs ou encore hindous. On peut dire qu’aujourd’hui le sexuel est une sorte de ligne de front de la politique actuelle, comme si l’avenir de nos sociétés se jouait sur ce terrain.
C’est le rapport entre vie privée et vie sexuelle qui s’est trouvé profondément modifié. En effet, nous assistons depuis les années 1950 à une sorte de révolution critique affectant le mode de relations entre hommes et femmes. Cette relation s’est trouvée profondément déstabilisée en raison de brusques changements sociaux comme la montée du féminisme, et la profonde mise en question des définitions traditionnelles du genre. Tout ceci a contribué à une sorte de transformation de l’ « intimité » dont on peut remarquer les effets dans le déclin de la famille traditionnelle, par l’émergence d’une multiplicité de modes de vies et de nouvelles relations entre les parlêtres. Tous les invariants du passé tels que la morale sur laquelle reposait notre sexualité : religion, famille, hétérosexualité, monogamie sont complètement remis en question. C’est l’idée même que la sexualité soit un facteur de désordre et qu’elle ne puisse être contrôlée que par une moralité bien définie enracinée dans les institutions telles que le mariage, l’hétérosexualité, la vie familiale, la monogamie, qui vient aujourd’hui à être réinterrogée. On aurait intérêt à reprendre cette expression de Jeffrey Weeks quand il parle de « sécularisation de la sexualité », c’est-à-dire cette séparation progressive des valeurs liées à la sexualité de celles liées à la religion, puisque les églises ont cessé d’être des juges privilégiés de la sexualité et ont été remplacées dans cette fonction par les professionnels de la santé mentale, pour la plupart membres du corps médical. Du coup, on peut remarquer que cette révolution n’a pas aboutie puisque les enjeux moraux et médicaux sont restés indissociables. Plus le temps passe et plus les spécialistes laïques : psychologues, médecins, travailleurs sociaux se chargent de distinguer entre ce qui est bien et ce qui ne l’est pas. Du coup les fondamentalistes en réaction à la dissolution qu’engendre ce que j’ai appelé « la sécularisation de la sexualité » réaffirment la valeur de ce qui est menacé par des règles de plus en plus rigides. Enfin, on ne peut pas prôner l’individualisme en matière économique sans que cela ait des effets sur la sexualité dans la mesure où l’individualisation est un processus social qui affranchit l’individu du poids des structures traditionnelles, lesquelles du même coup cessent de le protéger.
Le succès du développement de la pornographie en est un exemple spectaculaire qui vaut des milliards de dollars sans que rien n’ait pu l’endiguer, ni les efforts des traditionnalistes, ni ceux des féministes …
Aujourd’hui la sexualité n’est plus nécessaire à la reproduction tandis que la reproduction n’est plus le seul but de la sexualité. Ce contexte politique et culturel du sexuel est évidemment très important et on ne peut pas faire l’impasse concernant Freud lui-même de ce que la Vienne début du siècle a pu produire sur sa théorisation de la sexualité. J’en veux pour preuve toutes les questions inhérentes au rapport entre masturbation et refoulement chez les hystériques ou encore ce qui ressort de la différence entre séduction réelle et fantasme qu’on aurait tout intérêt à reprendre via les changements actuels.
En effet, nous vivons dans l’empire de l’image : internet, le cybersexe montrent assez nettement qu’il s’agit bien des images et de leurs avatars. C’est pourquoi la pulsion scopique est sans cesse à l’œuvre dans une société où tout semble passer par la démonstration des corps. Démonstration et non pas monstration car il s’agit bien de montrer les corps, ce que les religieux et les politiques ont bien compris. On aurait pu croire que depuis les années 60, le sexe n’était plus tabou, que l’on pourrait en parler. Les thématiques à connotation sexuelle ont progressivement envahi le petit écran, la presse féminine, les cours de récréation, la famille… Tout le monde s’est saisi du concept et par le biais des medias, on en a fait une mode. On aurait pu croire que la sexualité avait cessé peu à peu de dépendre du domaine de la morale pour s’inscrire dans celui de l’épanouissement. En effet, notre siècle est pluraliste puisqu’on peut s’affirmer « homo », « hétéro », « bi », « trans » ou encore « a-sexuel » en pouvant avoir l’impression de passer sans difficulté d’une définition à une autre. Que penser de cette diversité ?
Force est de constater que cette apparente facilité du sexuel actuel n’est pas si simple puisqu’il radicalise les discours religieux. Aussi Totem et Tabou semble d’une actualité toujours aussi brûlante et brutale puisque toute la polémique autour du voile des femmes montre assez bien qu’il s’agit de cacher au regard des hommes ce qui serait susceptible de les attirer. Alors « cachez ce sein que je ne saurais voir » et nous serons saufs : mais de quoi au juste ?
Nous serons saufs des mauvaises pensées que ces corps non voilés pourraient bien susciter. Que sont ces mauvaises pensées ? Toujours les mêmes : le sexe et la sexualité ; le désir donc. Mais peut être allons-nous un peu vite en besogne car ce qui suppose de l’image suppose également de l’interdit d’image. C’est pourquoi je voudrais que l’on s’arrête un peu sur cette question du voile qui me semble très représentative de ces questions de pulsion scopique et d’images. Il y a au moins deux religions qui interdisent les représentations d’images : la religion juive et la religion musulmane. Cette dernière nous vaut depuis un certain temps ce fameux débat autour du port du voile que l’on ne peut assurément pas réduire à des questions de revendication féministe ou encore laïque. C’est ce que nous fait très justement remarquer Bruno Nassim Aboudrar en forgeant une autre hypothèse que je vous amène car elle me semble intéressante et liée à nos préoccupations: « Si le voile musulman heurte tant la sensibilité des Européens – ce que montre à l’envi le débat dont il fait l’objet, en tout cas en France, depuis plus de vingt ans – ce n’est donc pas tant en raison de l’outrage éventuel fait aux femmes (nous tolérons hélas toutes sortes d’outrages) que parce qu’il inquiète profondément l’ordre visuel sur lequel le monde occidental s’est, de longue date fondé. Il inscrit en effet dans une économie du visible entièrement soumise au règne du regard le refus de se laisser voir. Au sein même de l’image faite pour être vue, la vue est empêchée, interdite ; la forme noire montre qu’elle cache, exhibe la dissimulation. » Je trouve que c’est une façon d’envisager le voile extrêmement intéressante et pertinente.
Le refus des images est pour les musulmans aussi important que celui de l’alcool et de manger du porc. Or cette façon de retirer du regard la femme, grâce à un objet qui est le voile, est une manière de mettre en crise un des fondements de notre culture : son système visuel ! Par conséquent : « se
voiler, c’est refuser de faire image et témoigner de son appartenance à un monde qui offre peu à voir et se méfie du regard. Autrement dit, c’est une seule et même logique qui voile les femmes, régule le regard des hommes et interdit les images » . Le seul petit problème, et il n’est pas des moindres, c’est que le voile que portent les musulmanes aujourd’hui fait d’elles à nouveau des images car elles entrent en concurrence avec beaucoup d’autres stratégies et images individuelles qui cherchent à se singulariser dans l’espace public. En effet la première chose que suscite le port du voile aujourd’hui, c’est l’attraction des regards. C’est pourquoi si on ne voulait vraiment pas attirer le regard il vaudrait mieux ne pas créer d’image singulière. Autrement dit les musulmanes d’Occident se comportent comme des images et imitent en fait des images…
Il s’ensuit des questions de pureté et d’impureté et, bien entendu, de morale qui autorise – ou plus exactement interdit – que le sexe puisse s’échanger, se manifester sauf dans certaines conditions qui sont, en résumé et depuis toujours, celles des liens du mariage en vue par conséquent d’assurer la survie de l’espèce. Pas de désir donc si ce n’est celui d’avoir des enfants.
Le mariage, le mariage homosexuel, nous a valu il n’y a pas si longtemps une démonstration de force de l’opposition bien pensante, c’est-à-dire religieuse, sur ce qu’il était bon d’envisager ou non comme institution du mariage, sachant que l’autorisation au mariage de deux personnes du même sexe viendrait « dénaturer » cette institution dont le caractère intimement religieux est sans cesse rappelé à cette occasion. Il s’agit là encore d’un faux débat car si le mariage homosexuel est insupportable c’est qu’il suppose la reconnaissance d’une sexualité « inapproprié » à ce type de lien qu’est le mariage. En effet, on peut baiser entre homos mais qu’ils ne la ramènent pas au grand jour !
Le sexuel représente une vertu politique par excellence et les « Femen » ne s’y sont pas trompées en choisissant de « la ramener au grand jour » elles aussi, c’est-à-dire de choisir d’exhiber leur nudité comme acte révolutionnaire. Il y a donc dans la pulsion scopique de quoi à la fois devenir religieux du côté du refoulement par l’interdit identique à celui développé par Freud dans Totem et Tabou, et également matière à provoquer la révolution, c’est-à-dire susciter le retour du refoulé, en mettant le sexuel à nouveau en circulation par l’exhibition du corps nu des femmes … Mais ceci ne se produit pas sans quelques conséquences violentes à la mesure de la violence du refoulement initial. Les Femmes – FEMEN en l’occurrence – ne se contentent pas de montrer leurs seins mais écrivent sur leur corps mis à nu, des slogans, pour provoquer les hommes dans les grands débats ou manifestement le refoulement fait son œuvre dans l’actualité de : l’avortement, du viol, du voile, et en fond de toutes ces revendications qui se présentent comme une lutte acharnée, disons incarnée, contre toutes formes de religion, en partant du principe que toute religion oppresse la femme et n’est autre que le vecteur armé de ce que les hommes pensent…
On pourrait dire que ces « Femen » sont en première ligne de défense contre la guerre que livrent les hommes contre les femmes. Guerre que l’on retrouve dans toute forme de guerre puisque le payement du butin des vainqueurs a toujours été comptabilisé en corps de femmes. Il n’y a qu’à écouter aujourd’hui même comment la barbarie de ce groupe « Daesh » s’approprie les femmes des territoires conquis. Corps de femmes qui, en certaines circonstances sont utilisés de manière quasi scientifique pour affaiblir l’ennemi et le toucher jusque dans sa descendance qu’il s’agit alors d’éradiquer. Reportons nous aux guerres de l’ex-Yougoslavie au cours desquelles la grande Serbie avait pour option de faire disparaitre les « autres » des territoires revendiqués en capturant leurs femmes, en les violant bien sûr ; mais surtout en tentant d’implanter un enfant Serbe dans leur ventre…
Ce n’est pas sans rappeler ce que les exactions Nazies furent également capables de réaliser en tentant de créer une race pure avec les Lebensborn ; lieux supposés cultiver la réalisation d’une nouvelle descendance enfin libérée de tout caractère d’impureté…
Le pure et l’impure ont donc toujours eu partie liée avec le sexuel ce qui n’empêche pas que les femmes montrent ce qui ne peut se voir et que les hommes profitent de ce qu’ils ne voient pas.
Évidemment c’est un peu court mais ça répond à la question de savoir de quoi profite-t-on dans ce regard du corps des femmes, la réponse est simple : on profite du fantasme.
En effet pas de sexe, pas de sexualité sans fantasme et c’est à chacun, non pas de trouver sa chacune, mais de pouvoir introduire l’autre dans son fantasme qui ne saurait être symétrique ou équivalent. C’est ce que je voulais indiquer dans le fait que les femmes montrent et les hommes en profitent…
N’est-ce pas la nature même du « Malaise dans la Culture », ce malaise du désir, qui conditionne « qu’entre les hommes et les femmes ça ne va pas » depuis toujours ?
Faisons à cette occasion l’hypothèse que le mal-entendu de la différence des sexes réside plus dans cette différence, quant au fantasme, qu’à une quelconque différence anatomique en soulignant que la différence dans le mode de construction du fantasme entraîne une différence quant au mode de jouissance. Une jouissance Autre donc du côté femme que les hommes ne sont pas prêts à pardonner depuis que le père de la horde primitive a fait si bien la démonstration qu’il pouvait les posséder toutes mais pas toute leur jouissance.
Le phallus est mis en échec à vouloir collectiviser la jouissance féminine.
C’est bien ce point fondamental que Lacan introduit après Freud avec le « pas tout » qu’il qualifie d’emblée comme « discordance », dès le 8 décembre 1971 dans le séminaire Ou pire. Cette « discordance » empruntée à Damourette et Pichon n’est autre que ce qui introduit du désaccord ou de la discorde et qui marque cet écart et cette distance qu’introduit en général le mot « ne ». C’est bien pour sortir de ce « tronc commun » que Freud introduisit en son temps entre le garçon et la fille à propos de la libido : « Si on savait donner un contenu plus précis aux concepts de « masculin » et « féminin », il serait alors possible de soutenir l’affirmation que la libido serait, régulièrement et conformément à des lois, de nature masculine, qu’elle se trouve chez l’homme ou chez la femme, et indépendante de son objet, que celui–ci soit l’homme ou la femme » . Nous verrons lors d’un prochain séminaire comment Freud s’y prend pour donner trois sens distincts de l’opposition des concepts « masculin » et « féminin ». Mais en l’attente on peut quand même remarquer que Freud a recours à l’hérédité pour concevoir malgré tout une différence des sexes qui tienne la route via le grand concept de « Bisexualité ». « Tous les individus humains, par suite de leur constitution bisexuelle et de leur hérédité croisée, possèdent à la fois des traits masculins et des traits féminins, si bien que le contenu des constructions théoriques de la masculinité pure et de la féminité pure reste incertain » .
Mais curieusement Foucault nous fait remarquer que pourtant : « On aurait bien du mal à trouver chez les Grecs (comme chez les Latins d’ailleurs) une notion semblable à celle de « sexualité » et de « chair ». Je veux dire : une notion qui se réfère à une entité unique et qui permet de regrouper, comme étant de même nature, dérivant d’une même origine, ou faisant jouer le même type de causalité, des phénomènes divers et apparemment éloign
és les uns des autres : comportements, mais aussi sensations, images désirs, instincts, passions. »
Il n’y a pas en effet de mots pour catégoriser cet ensemble de gestes, actes et pratiques et qui semble chez les Grecs beaucoup plus difficile à saisir.
Un des avatars du sexuel aujourd’hui, c’est par exemple chez les adolescentes, le haut du string qui dépasse, le nombril à l’air, le maquillage excessif de ces jeunes filles avec des tenues hyper-sexualisées en décalage manifeste avec leur développement psycho-affectif. L’hyper-sexualisation est « un phénomène qui consiste à donner un caractère sexuel à un comportement ou à un produit qui n’en a pas en soi ». Cette mise en scène sexualisée (là encore on est dans le domaine de l’audiovisuel et de l’image…) est jugée en inadéquation avec la maturation sexuelle de l’enfant et de l’adolescent et du message qu’il veut faire passer qui n’est pas le même que celui que l’adulte interprète. Mais n’est-ce pas également la question que l’on doit se poser lorsqu’il y a passage à l’acte sexuel dans une cure ? Nous aurons sans doute quelque chose à développer sur ce genre d’avatar du sexuel dans le transfert.
Une histoire de mode ?
Le droit de la sexualité, du libertinage et de l’échangisme a évolué. Il n’y a plus aujourd’hui de limites à la sexualité entre adultes consentants.
Le Droit Européen, et plus précisément celui de la Cour Européenne des Droits de l’Homme, a aboli la morale sexuelle et religieuse. La liberté individuelle est préconisée, notamment la liberté sexuelle. Il n’y a plus de « bonne » ou de « mauvaise » sexualité, d’atteinte aux bonnes mœurs ou d’outrage public à la pudeur. Les repères d’autrefois n’existent plus pour autant que ce soit entre adultes consentants.
Ainsi le sadomasochisme n’est plus considéré comme contraire aux bonnes mœurs sous réserve qu’il n’y ait pas de violences « trop » graves. Mais que faut-il entendre par «trop» ? Les tribunaux ont une large faculté d’appréciation. Quelques arrêts récents ont permis de condamner pour violences, mais ces dernières étaient véritablement manifestes alors que la victime demandait vivement que cesse un tel jeu, c’est-à-dire qu’elle n’était plus consentante à partir d’un certain moment.
A défaut, les violences légères, sous forme par exemple de morsures ou de griffures, ne sembleraient pas susceptibles de permettre des poursuites ou condamnations. On peut se demander de manière plus générale si cette liberté sexuelle sans barrières au nom du respect de la liberté individuelle ne risque pas de conduire au meurtre et donc à l’absence même de liberté. Vous vous souvenez qu’il y a eu quelqu’un sur internet qui proposait de manger quelqu’un d’autre… qu’il a trouvé, tué et mangé. On voit bien que l’on passe d’un registre à un autre. Il n’y a plus de morale pour déterminer ce qui est bon ou pas mais la responsabilité est donnée au partenaire dans la mesure où il peut annoncer ou pas qu’il consent à telle ou telle pratique… Je trouve que c’est un passage absolument important dans notre civilisation et au niveau des échanges sexuels.
Autre point qui peut soulever débat, celui des clubs échangistes. En effet, les gérants de ces lieux étaient jusqu’en 1994 assimilés à des proxénètes. L’intermédiaire d’un club dit de débauche était en effet visé en tant que tel par la loi. Ce n’est plus le cas. Le gérant d’un club échangiste est considéré aujourd’hui comme un chef d’entreprise qui ne fait que commercialiser ses produits (boissons, etc…). Là encore, la question du consentement mutuel est mis en avant et il n’y a plus de « moralisation » de cette pratique comme cela pouvait être le cas auparavant.
La notion de débauche a également disparu. L’échangisme n’est nullement de la prostitution. En outre, si certaines femmes entraînées par leurs partenaires dans un club échangiste peuvent être considérées comme des victimes consentantes, d’autres y voient une façon de fortifier leur couple, de faire renaître une excitation sexuelle. Tout ce qui vient d’être dit concerne des relations entre adultes consentants.
Majorité sexuelle ?
La question de la majorité sexuelle doit être précisée. Si elle est établie en principe à 15 ans, il existe des cas où un majeur ne peut avoir de relations sexuelles avec un mineur même âgé de plus de 15 ans. Un moniteur de sport de 17 ans ayant des relations sexuelles avec une jeune fille du même âge pourrait être poursuivi car il y a entre eux un lien de hiérarchie. Vous voyez que la question de moralisation tombe s’il s’agit de personne du même âge mais dont l’un est en position hiérarchique par rapport à l’autre.
De même un professeur ne peut avoir de relations avec un élève que si ce dernier est âgé de 18 ans. En outre, la majorité sexuelle des prostitué(e)s est fixée à 18 ans. Plus précisément, avoir des relations sexuelles avec un(e) prostitué(e) de moins de 18 ans est répréhensible.
Il est évident que, mise à part la protection des mineurs, les repères en termes de liberté sexuelle vacillent. Comment des personnes élevées dans notre pays avec ses règles morales communément admises peuvent appréhender le Droit Européen et la permissivité qu’il sous-entend ? Il semble que seule une éducation sexuelle conséquente et soucieuse du respect de l’autre puisse y répondre.
Il faut aussi aiguiser nos analyses et notamment s’interroger sur l’hypocrisie affichée par les médias. Ainsi, certains magazines qui sont à l’affût des pratiques sexuelles de célébrités n’hésitent pas à passer des petites annonces de propositions prostitutionnelles plus ou moins tarifées. Et si certains sont choqués par la permissivité juridique, qu’ils s’interrogent sur les publicités et les émissions érotico-sado-masochistes qu’ils acceptent sans broncher.
De même, la prostitution et ses récents débats montrent combien l’ambiguïté demeure sur la question d’une soit disant nécessité sans laquelle une garantie contre le viol n’existerait plus. On trouve dans ces débats récents des témoignages de « stars » pour la prostitution comme si on pouvait ignorer la différence entre fantasme et réalité et surtout comme si la traite des corps humains ne faisait pas partie de ce type de pratique. Rappelons à ce sujet que ce sont près de 80 % des personnes prostituées qui ont été abusées enfant. Curieusement donc, certains peuvent soutenir qu’il y a là, dans la prostitution une forme de liberté à respecter voire même prétendre comme le font encore certains groupes féministes que la femme doit pouvoir disposer de son corps et qu’ainsi c’est un métier comme un autre.
Tout ceci n’est certainement pas étranger au phénomène d’hyper sexualisation des jeunes. L’adolescence se caractérise par une quête identitaire dans laquelle les codes vestimentaires, les attitudes et les comportements traduisent le besoin d’appartenir à un groupe, de trouver sa place. Le vêtement est en quelque sorte un moyen d’expression privilégié. Il faut aussi avouer que depuis leur plus jeune âge, on ne cesse de répéter aux enfants qu’ils sont « mignons », qu’ils sont « beaux ». En grandissant, les adolescentes ont toujours le besoin de se sentir belles, elles mettent leur corps en avant puisqu’elles savent que c’est ce qui séduit.
C’est le regard que les adultes posent sur elles qui n’est pas « adapté ». On pourrait les regarder simplement comme des jeunes filles de 14 ans qui portent une minijupe. Oui, mais l’adulte y voit autre chose, il sexualise le message qu’elles cherchent à faire passer. L’adolescente, non. Elle se trouve jolie et séduisante et cherche une revalorisation narcissique et pas forcément sexuelle au sens où les adultes peuvent l’entendre.
En dévoilant son intimité physique l’adolescente cher
che à cacher son intimité psychique. C’est pourquoi il est toujours intéressant d’interroger les adolescentes sur leurs motivations. Car l’hyper-sexualisation, dans ses excès (tous les adolescents ne sont pas dans l’excès), peut s’appréhender comme une seconde peau, traduction d’un mal-être, de blessures affectives. Quand il y a risque, il faut en parler. L’attitude des mères est parfois encourageante. Il y a en effet un certain nombre de petites filles et d’adolescentes dont les mères sont fières d’avoir des filles belles et séduisantes qui leur servent en fait de faire-valoir.
Au fil des années, les comportements et les vêtements changent mais le statut de l’image demeure, ce qui arrive quand les jeunes filles réalisent les messages qu’elles pouvaient transmettre et qu’elles découvrent leur propre sexualité.
Voilà bien une opération complexe et d’ailleurs, qui pourrait prétendre être tout à fait à l’aise avec sa sexualité ? Il n’en demeure pas moins que la libido demeure constante une grande partie de la vie du sujet avec parfois il est vrai quelques « troubles » pour lesquels il consulte un nouveau spécialiste : le sexologue. Thérapeute censé remettre en route les disfonctionnements de cette machine appelée sexualité. Les médias l’ont bien compris : comme entre les hommes et les femmes « ça ne marche pas », ils prodiguent chaque semaine de bons conseils dans leurs pages, de telle sorte qu’ici l’orgasme puisse avoir lieu, que là les préliminaires correctement exécutés y conduisent, ou qu’enfin on sache ce qu’un homme attend d’une femme et vice versa. Tout cet artifice sans pour autant répondre à la question « que veut une femme ? » ou résoudre ce fait qu’il n’y a pas de relation sexuelle ….
Alors soyons bons élèves et reportons nous un peu à ce que nos maîtres, Freud et Lacan, nous indiquent en la matière …
Ainsi, que partagent donc les hommes et les femmes dans un rapport ? La fonction phallique en précisant bien que le phallus « ne désigne nullement l’organe dit pénis avec sa physiologie ». La fonction du phallus relie non pas des hommes et des femmes mais des êtres parlants d’un côté et la jouissance de l’autre. Ce que cette fonction phallique vient nommer ainsi c’est le rapport de chaque être parlant à la jouissance qu’il vient toucher par le langage. Ainsi peut-on déterminer une sorte de loi sexuelle qui détermine le rapport de chaque sexe à la jouissance et par conséquent de faire de la fonction phallique ce qui différencie homme et femme. Notons que ce terme de jouissance recouvre une polyvocité intéressante puisqu’il désigne à la fois ce qui est attendu de la relation sexuelle et le comble de ce que nomme depuis longtemps la consommation comprise comme l’appropriation des biens et des satisfactions.
Dès lors « cette fonction du Phallus rend désormais intenable cette bipolarité sexuelle, et intenable d’une façon qui littéralement volatilise ce qu’il en est de ce qui peut s’écrire de ce rapport. »
Voilà donc ce que je souhaitais vous dire en introduction du sujet de cette année.
Discussion
A. KONRAD . – Cela ne laisse pas beaucoup de place au psychanalyste…
R. LÉVY . – Vous trouvez ? Cela en laisse beaucoup, pour autant qu’il ne s’enferme pas dans ses concepts sans tenir compte de ce qui se passe autour de lui. Je pense qu’il est absolument fondamental de cesser de raisonner et d’arraisonner nos concepts entre nous comme si rien ne se passait autour de nous, comme s’il ne se passait rien dans notre société. Il s’agit ici de faire un retour à Freud et à Lacan avec un éclairage qui ne nous isole pas de ce que le discours suppose aussi de vivant. Loin de moi l’idée qu’il n’y ait pas de place pour le psychanalyste ! Il y a de la place pour des psychanalystes qui seraient susceptibles d’accueillir du discours vivant.
S. GRANIER . – Ce dont tu parles je le vois comme un cadre auquel nous sommes tous confrontés. Après, qu’est-ce qu’on en fait ? Comment on l’entend, comment cela nous arrive dans le transfert… J’ai l’impression que ce que l’on a de mieux à faire est d’entendre de façon singulière à chaque fois, sans a priori. Voir comment ces différents aspects moralisateurs peuvent se structurer dans le psychisme d’un individu particulier et comment il situe les différentes instances dans lesquels il est pris, qui sont en conflit pour lui, d’une façon absolument singulière. Aborder ces questions d’un point de vue psychanalytique, sans a priori. Tout le travail reste à faire.
S. SABINUS . – C’est une introduction particulière… Il me semble que tu nous as fait un état des lieux, socio-politique du champ de la sexualité. De la manière dont la sexualité, par le droit, le social, la politique, est balisée. Mais il me semble que par cet état des lieux, cette définition du champ par la négative, je l’entends comme ce qui intéresse l’analyste à l’endroit où précisément il n’est plus dans ce cadre, où il est hors cadre. Au point même de dire, il me semble, qu’une première chose à faire lorsqu’il s’agit de sexualité, est que l’on n’a rien à faire, rien à dire avec ces histoires de voiles, de jupes courtes etc. Il me semble que c’est cela que tu définis bien et c’est extrêmement important. C’est vrai que nous sommes intéressés au cas par cas et ce n’est pas notre propos de faire du général, cela n’empêche pas pour autant un mode de théorisation qui a rapport avec la jouissance. Par exemple à propos du regard, j’étais assez frappé à propos du voile et que finalement autour des pratique et de la religion, c’est que dans cette histoire de voile, par le regard, c’est une façon de couper le circuit de la pulsion qui est un circuit grammaticale, c’est-à-dire : « je vois, être vu, se faire voir ».
F. FABRE . – Lorsque tu dis : « le voile dans sa conception religieuse », enfin toutes ces histoires autour du voile, ces jeunes filles qui se mettent à porter le voile… Là il est question de l’image et de la pulsion que l’on réintroduit en se faisant voir. Ces jeunes filles, on ne voit qu’elles ! Elles sont hyper-maquillées etc. Ce n’est pas pour couper le circuit de la pulsion mais au contraire pour le réintroduire.
R. LÉVY . – C’est exactement ce que repère cet auteur dont j’ai parlé tout à l’heure et qui dit qu’à vouloir couper le circuit de la pulsion c’est-à-dire anéantir l’image pour elle-même, en fait elles font complètement l’inverse. Elles remettent en circulation des images d’exception qui font qu’elles deviennent l’objet du regard, là où elles sont supposées l’interdire. C’est cela qui est intéressant au-delà des questions féministes qui sont d’autres questions. Pour ce qui nous intéresse, je crois que c’est plutôt cette dimension, à savoir, qu’il n’y a pas de sexualité sans regard.
S. SABINUS . – Il y a quelque chose, toujours à propos du voile, qu’il faut souligner et qui est le regard porté par la femme : elle regarde ! Il y a là quelque chose qui vient être souligné par le voile. A ne pas vouloir être vue, cela vient renforcer le fait qu’elles regardent.
P. WOLOSKO . – Le voile comme objet érotique…
S. GRANIER . – A une époque je suis allé voir un ami Kabyle, dans un petit village et j’étais surpris car aucune femme n’était voilée… Là, elles n’ont pas de besoins… Tout le monde se connaît. Elles ne se voilaient que pour aller en ville. Donc la question érotique réapparaît dans le regard.
C. DELARUE . – Je trouve que le photographe Gaëtan De Clairambault représente bien cela… Je fais une différence entre voile et foulard. Pour moi, ce n’est pas la même chose. Un voile implique une notion de transparence. Le voile me fait penser à la danse des sept voiles, la danse de Salomé. Ce qu’il n’y a pas dans le foulard. Le voile est bien fai
t pour montrer ce qu’il est supposé cacher…
R. LÉVY . – Il y a des questions qui sont très cliniques et très actuelles : comment permettre de faire advenir du sujet dans des situations religieuses où l’interdit de la sexualité est tel qu’il n’y a pas de recours. Je pense à deux jeunes gens pour qui les femmes, une femme, est quelqu’un qu’on choisit une fois, avec qui on se marie pour la vie… Et donc avant qu’on l’ait choisi, il n’est pas question de regarder une autre femme, qui que ce soit d’autre. Et pour certains, c’est un représentant religieux qui peut connaître les prétendants afin de les mettre en présence. S’ils ont des projets communs de vie, ils peuvent alors se marier. C’est un point absolument incontournable dans l’organisation sociale et qui évacue le sujet au sens pensant du terme et qui résiste, me semble-t-il, à la psychanalyste ou au psychanalyste. C’est un point de non négociation sur la dimension du désir. Cela ne peut s’entendre que dans un cadre religieux extrêmement astreignant et à propos duquel il n’y a pas de questions. Évidemment, pour celui qui est dans la foi et la croyance et la vérité… A l’époque de Freud et dans Totem et tabou, c’était quand même quelque chose qui amenait à penser le religieux de l’ordre de la névrose obsessionnelle. Je pense que c’est quelque chose qui a changé. Les fondamentalistes sont, à mon avis, de l’ordre de la paranoïa et quasiment plus de la névrose obsessionnelle. C’est cela qui rend beaucoup plus résistant à la psychanalyse, le fait religieux.
S. SABINUS . – Ne crois-tu pas que le coup d’envoi a été donné à l’entrée du vingtième siècle où le politique, monde structuré sur un mode névrotique, a basculé dans quelque chose de complètement délirant… Il y a quelque chose d’une dérive du politique vers le paranoïaque qui implique aussi, peut-être, de l’extrémisme du côté de la religion. Il y a autre chose en lien avec le fait divers de l’allemand que tu évoquais, qui est ce point de vue Freudien où la sexualité ne se résume pas aux garçons et aux filles. La sexualité c’est aussi « je dévore, je suis dévoré » avec appui pour chacun des objets. Il y a quelque chose qui intéresse l’analyste à partir de la pulsion. On est passé de l’instinct à la pulsion qui inscrit autre chose que les jeux politico-socio de la différence des sexes. Il y a là dans le sexuel quelque chose qui implique le sujet autrement.
J. – J. LECONTE . – Il y a quelques années, une journée d’étude s’intitulait : « y a-t-il une autre sexualité que la sexualité infantile ? » On est en plein dans le sujet. C’est l’archaïque de la sexualité infantile, le pervers polymorphe dont il est question…
R. LÉVY . – Oui mais entre le pervers polymorphe et la perversion…
S. SABINUS . – C’est toute la question du passage de l’instinct à la pulsion, du passage à l’acte… Je me souviens d’un médecin urologue qui me disait à propos d’un patient impuissant : « Quand même, il n’a qu’à pas y penser ! ». Le problème avec nous, êtres humains, c’est que l’on parle ! Si on ne parlait pas…
R. LÉVY . – Ce sur quoi je voulais insister avec cette histoire de consentement c’est quand même qu’il s’agit de la victoire de la perversion ! Comment la perversion réussit à s’inscrire dans la loi… Ce qui fait loi c’est la loi du pervers, sa loi, pas la loi sociale.
F. FABRE . – Cela met le tiers complice.
PARTICIPANT . – Il y a quand même la justice qui intervient…Si une personne se considère victime elle peut aller voir la justice… Il y a quand même une protection…
R. LÉVY . – Alors cela se discute… Car le principe même de la loi du pervers, c’est de pouvoir démontrer à l’autre que sa loi ne vaut rien, et que c’est la sienne qu’il doit utiliser pour jouir. C’est la loi de sa jouissance qui devient loi universelle.
S. SABINUS . – Si on prend l’exemple de l’allemand qui s’est fait dévorer, ils avaient signé un contrat. Ce que je veux dire est que ni l’un ni l’autre n’ont porté plainte. Les plaintes sont venues de l’extérieur.
R. LÉVY . – Catherine Millot parle dans son livre de l’intelligence de la perversion. Elle montre comment l’intelligence est liée à la perversion c’est-à-dire comment cette perversion trouve des moyens intelligents pour destituer la notion de phallus.
S. SABINUS . – Ce qui est important dans l’histoire de l’allemand est le contrat. Le contrat du pulsionnel. C’est comme si on posait la question : « Est-ce qu’on peut consentir à la pulsion ? ». Est-ce que cela a un sens de dire « je consens à la pulsion ». C’est ce que miment ces deux personnages en disant : « on va consentir à la pulsion », dans tout le chemin de la pulsion, manger et être mangé, « cela ne regardera qu’une espèce de « nous » qui fait unité ».
J. – J. VALENTIN . – Mais c’est le contrat du masochiste…
R. LÉVY . – Oui mais il n’y a pas besoin d’invoquer la perversion pour ça…Il suffit de reprendre la façon dont Lacan reprend le cogito pour faire la démonstration que l’idée du consentement est une absurdité totale. A savoir : « là où je suis je ne pense pas et là où je pense, je ne suis pas. » Une fois que l’on a avancé cette carte maitresse, que veut dire le consentement ? Le consentement est l’aliénation la plus extrême… L’aliénation au désir de l’ Autre.
P. WOLOSKO . – Il y a un exemple très simple pour illustrer cela : les jeunes filles qui trouvent normal de se faire sodomiser…
R. LÉVY . – Ou de se rendre dans des lieux échangistes… c’est une « mode » bien particulière… Lieux qui sont quand même des lieux de perversion.
S. SABINUS . – C’est ce que rappelait Jean Jacques, quelque part, sexualité et perversion sont synonymes… La sexualité n’est pas autre chose que perverse.
L. BALLERY . – Alors, justement, je voudrais revenir sur lien entre « la psychanalyse est-elle encore de son temps » et la question du sexuel. Il est vrai que l’on en a un peu parlé dans le séminaire enfant mais en vous écoutant ce soir, je me formule les choses d’un manière un peu différente. Il me paraissait important d’insister sur l’introduction du terme d’ « avatar » par rapport à ce changement de thème. Il est vrai que l’on peut l’entendre du côté du polymorphisme, de la perversion polymorphe. Je me demandais s’il s’agissait de cela concernant les avatars du sexuel, cet espèce d’irrémédiable du polymorphisme de la sexualité et ses incidences dans le champ social et politique, ou est-ce que c’était à entendre du côté de la façon dont le politique et le social traitent le sexuel. On voit bien que dans le terme avatar il y a du déplacement, du polymorphisme…
S. GRANIER . – Jeudi dernier, la façon dont nous avons évoqué le terme d’avatar est en lien avec Lacan et la façon dont il envisage le destin des pulsions. Par rapport à la pulsion, je me disais que lorsqu’on envisage des cas extrêmes où la pulsion mène jusqu’à la mort, cela contredit presque le schéma de Freud dont il dit que la pulsion rate toujours son objet…
S. SABINUS . – C’est quand même à partir de là qu’il a mis au jour la différence entre la pulsion de mort et la pulsion de vie. D’une certaine manière, elle attrape son objet ou non. En tout cas elle va jusqu’à l’extinction de la tension. Alors que dans l’autre cas, le principe est le plus bas niveau possible… Ce qui n’est pas du tout la même chose.
J. – J. VALENTIN . – Je trouve que la perversion n’est pas bien caricaturée là… La perversion structurale, polymorphe de l’enfant, c’est-à-dire que le sujet n’est pas du tout placé de la même façon, ce n’est pas du tout la même chose…
S. GRANIER .- Mais cela provient de la perversion polymorphe.
CRUZ . – La question de la perversion polymorphe… Est-ce que c’est inversion à cause de la multiplicité d’objets ou est-ce que c’est de l’inversion parce que dans « l’aller-retour », c’est vraiment de l’autoérotisme et l’autre n’intéresse pas du tout.
S. SABINUS .- La perversion, dans les textes freudiens, sauf erreur, c’est en effet dans la mesure où l’objet après quoi court la pulsion est totalement indifférent, quel qu’il soit… Donc, du coup, on se retrouve avec du polymorphisme et donc des versions différentes du circuit pulsionnel. C’est comme cela que je le comprends. C’est en ce sens-là, en effet, que ce n’est pas du tout la même chose que la perversion au sens psychiatrique, légale…
R. LÉVY . – J’aurais plutôt tendance à raisonner par rapport au fantasme et avec cette spécificité particulière de la perversion qui est la fixité. Et ce n’est pas du tout polymorphe… Il y a quelque chose qui vient se fixer à un moment donné sur un objet (celui du pervers) qui détermine grâce, ou à cause (à discuter) de cet objet, un fantasme et un seul avec une fixité absolu, contrairement à ce qui se passe fort heureusement chez le névrosé pour qui, au fond, le fantasme est plutôt un jeu de scénario qu’il peut changer même si le scénario inconscient du fantasme originaire a quelque chose de déjà déterminé. En revanche, tous les scénarios peuvent avoir lieu, les gens peuvent changer de place etc… Chez le pervers tout cela disparaît, il y a une seul objet un seul fantasme et un seul scénario. C’est quand même absolument différent du polymorphisme de l’enfant pervers qui se joue à ce moment-là de tous les scénarios possibles pour « jouir sans contraintes ». La puissance du pervers est extrêmement contrainte, c’est cela qui fait sa jouissance, c’est la contrainte à une fixité, à un scénario, à un objet.
J. – J. VALENTIN . – Et surtout le scénario dans son apparence phénoménologique est inverse de la réalité structurale du scénario. C’est-à-dire que par exemple Lacan dit que le sadique est extrêmement mobile, dans son scénario, alors qu’en fait, dans la structure même du fantasme, il est objet immobile. Et d’ailleurs l’écriture du scénario du fantasme pervers est inverse de celle du névrosé. Donc c’est pour cela que je trouve que l’on ne passe pas facilement de la perversion polymorphe de l’enfant à la perversion structurale.
S. SABINUS . – Pour Freud, ce qui fabrique la perversion est ce mode particulier de la pulsion, son destin qui n’est plus celui du refoulement mais celui du déni. Ce n’est pas le même traitement du pulsionnel par rapport à cela. Le déni de la castration n’est pas la même chose que son refoulement. C’est cela qui fait la fixité…
R. LÉVY . – Cela me paraît normal d’arrêter là ce soir…
Notes
-1 GIDDENS 1992 2006 Cité par Jeffrey weeks SEXUALITE ED PUL 20014 P. 157
1- Opus cité P.161
3- Bruno Nassim Aboudrar Comment le voile est devenu musulman ED Flammarion 2014 P. 16
4- Ibidem p .18
5- S.FREUD Trois Essais sur La théorie du sexuel, Traduction La Transa 1985, Tome III P.37
6- S. Freud ‘quelques conséquences Psychiques de la différence anatomique entre les sexes in LA VIE SEXUELLE PARIS PUF 1969 P.132
7- Michel FOUCAULT histoire de a sexualité II Usage des plaisirs ED GALLIMARD 1984 P. 50
8- J. LACAN d’un discours qui ne serait pas du semblant séance du 17 Février 1971
Discussion
H. Konrad : Cela ne laisse pas beaucoup de place au psychanalyste…
R.Lévy : Vous trouvez ? Cela en laisse beaucoup, pour autant qu’il ne s’enferme pas dans ses concepts sans tenir compte de ce qui se passe autour de lui. Je pense qu’il est absolument fondamental de cesser de raisonner et d’arraisonner nos concepts entre nous comme si rien ne se passait autour de nous, comme s’il ne se passait rien dans notre société. Il s’agit ici de faire un retour à Freud et à Lacan avec un éclairage qui ne nous isole pas de ce que le discours suppose aussi de vivant. Loin de moi l’idée qu’il n’y ait pas de place pour le psychanalyste ! Il y a de la place pour des psychanalystes qui seraient susceptibles d’accueillir du discours vivant.
S. Granier De Cassagnac : Ce dont tu parles je le vois comme un cadre auquel nous sommes tous confrontés. Après, qu’est-ce qu’on en fait ? Comment on l’entend, comment cela nous arrive dans le transfert… J’ai l’impression que ce que l’on a de mieux à faire est d’entendre de façon singulière à chaque fois, sans apriori. Voir comment ces différents aspects moralisateurs peuvent se structurer dans le psychisme d’un individu particulier et comment il situe les différentes instances dans lesquels il est pris, qui sont en conflit pour lui, d’une façon absolument singulière. Aborder ces questions d’un point de vue psychanalytique, sans aprioris. Tout le travail reste à faire.
S. Sabinus : C’est une introduction particulière… Il me semble que tu nous as fait un état des lieux, socio-politique du champs de la sexualité. De la manière dont la sexualité, par le droit, le social, la politique, est balisée. Mais il me semble que par cet état des lieux, cette définition du champ par la négative, je l’entends comme ce qui intéresse l’analyste à l’endroit où précisément il n’est plus dans ce cadre, où il est hors cadre. Au point même de dire, il me semble, qu’une première chose à faire lorsqu’il s’agit de sexualité, est que l’on n’a rien à faire, rien à dire avec ces histoires de voiles, de jupes courtes etc. Il me semble que c’est cela que tu définis bien et c’est extrêmement important. C’est vrai que nous sommes intéressé au cas par cas et ce n’est pas notre propos de faire du général, cela n’empêche pas pour autant un mode de théorisation qui a rapport avec la jouissance. Par exemple à propos du regard, j’étais assez frappé à propos du voile et que finalement autour des pratique et de la religion, c’est que dans cette histoire de voile, par le regard, c’est une façon de couper le circuit de la pulsion qui est un circuit grammaticale. C’est-à-dire « je vois, être vu, se faire voir »
F.Fabre : Lorsque tu dis : « le voile dans sa conception religieuse », enfin toutes ces histoires autour du voile, ces jeunes filles qui se mettent à porter le voile… Là il est question de l’image et de la pulsion que l’on réintroduit en se faisant voir. Ces jeunes filles, on ne voit qu’elles ! Elles sont hyper maquillées etc. Ce n’est pas pour couper le circuit de la pulsion mais au contraire pour le réintroduire.
R.Lévy : C’est exactement ce que repère cet auteur dont j’ai parlé tout à l’heure et qui dit qu’à vouloir couper le circuit de la pulsion c’est-à-dire anéantir l’image pour elle-même, en fait elles font complètement l’inverse. Elles remettent en circulation des images d’exception qui font qu’elles deviennent l’objet du regard, là où elles sont supposées l’interdire. C’est cela qui est intéressant au delà des questions féministes qui sont d’autres questions. Pour ce qui nous intéresse, je crois que c’est plutôt cette dimension, à savoir, qu’il n’y a pas de sexualité sans regard.
S. Sabinus : Il y a quelque chose, toujours à propos du voile, qu’il faut souligner et qui est le regard porté par la femme : elle regarde ! Il y a là quelque chose qui vient être souligné par le voile. A ne pas vouloir être vue, cela vient renforcer le fait qu’elles regardent.
P. Wolosko : Le voile comme objet érotique…
S. Granier : A une époque je suis allé voir un ami Kabyle, dans un petit village et j’étais surpris car aucune femme n’était voilée… Là, elles n’ont pas de besoins… Tout le monde se connaît. Elles ne se voilaient que pour aller e
n ville. Donc la question érotique réapparaît dans le regard.
C. Delarue : Je trouve que le photographe Gaëtan De Clairambault représente bien cela… Je fais une différence entre voile et foulard. Pour moi, ce n’est pas la même chose. Un voile implique une notion de transparence. Le voile me fait penser à la dance des sept voiles, la danse de Salomé. Ce qu’il n’y a pas dans le foulard. Le voile est bien fait pour montrer ce qu’il est supposé cacher…
R. Levy : Il y a des question qui sont très cliniques et très actuelles : comment permettre de faire advenir du sujet dans des situations religieuses ou l’interdit de la sexualité est tel qu’il n’y a pas de recours. Je pense à deux jeunes gens pour qui les femmes, une femme est quelqu’un qu’on choisit une fois, avec qui on se marie pour la vie… Et donc avant qu’on l’ai choisit, il n’est pas question de regarder une autre femme, qui que ce soit d’autre. Et pour certains, c’est un représentant religieux qui peut connaître les prétendants afin de les mettre en présence. S’ils ont des projets communs de vie, ils peuvent alors se marier. C’est un point absolument incontournable dans l’organisation sociale et qui évacue le sujet au sens pensant du terme et qui résiste, me semble-t-il à la psychanalyste ou au psychanalyste. C’est un point de non négociation sur la dimension du désir. Cela ne peut s’entendre que dans un cadre religieux extrêmement astreignant et à propos duquel il n’y a pas de questions. Évidemment, pour celui qui est dans la foi et la croyance et la vérité… A l’époque de Freud et dans Totem et tabou, c’était quand même quelque chose qui amenait à penser le religieux de l’ordre de la névrose obsessionnelle. Je pense que c’est quelque chose qui a changé. Les fondamentalistes sont, à mon avis de l’ordre de la paranoïa et quasiment plus de la névrose obsessionnelle. C’est cela qui rend beaucoup plus résistant à la psychanalyse, le fait religieux.
S. Sabinus : Ne crois-tu pas que le coup d’envoi a été donné à l’entrée du vingtième siècle où le politique, monde structuré sur un mode névrotique, a basculé dans quelque chose de complètement délirant… Il y a quelque chose d’une dérive du politique vers le paranoïaque qui implique aussi, peut-être, de l’extrémisme du coté de la religion. Il y a autre chose en lien avec le fait divers de l’allemand que tu évoquais, qui est ce point de vue Freudien où la sexualité ne se résume pas aux garçons et aux filles. La sexualité c’est aussi « je dévore, je suis dévoré » avec appui pour chacun des objets. Il y a quelque chose qui intéresse l’analyste à partir de la pulsion. On est passé de l’instinct à la pulsion qui inscrit autre chose que les jeux politico-socio de la différence des sexes. Il y a là dans le sexuel quelque chose qui implique le sujet autrement.
JJ. Leconte : Il y a quelques années, une journée d’étude s’intitulait « y a-t-il une autre sexualité que la sexualité infantile ? » On est en plein dans le sujet. C’est l’archaïque de la sexualité infantile, le pervers polymorphe dont il est question..
R. Levy : Oui mais entre le pervers polymorphe et la perversion…
S. Sabinus : C’est toute la question du passage de l’instinct à la pulsion, du passage à l’acte… Je me souviens d’un médecin urologue qui me disais à propos d’un patient impuissant : « Quand même, il n’a qu’à pas y penser ! ». Le problème avec nous, êtres humains c’est que l’on parle ! Si on ne parlait pas…
R. Levy : Ce sur quoi je voulais insister avec cette histoire de consentement c’est quand même qu’il s’agit de la victoire de la perversion ! Comment la perversion réussit à inscrire dans la loi… Ce qui fait loi c’est la loi du pervers, sa loi, pas la loi sociale.
F. Fabre : Cela met le tiers complice.
Participant : Il y a quand même la justice qui intervient…Si une personne se considère victime elle peut aller voir la justice… Il y a quand même une protection…
R. Levy : Alors cela se discute… Car le principe même de la loi du pervers, c’est de pouvoir démontrer à l’autre que sa loi ne vaut rien, et que c’est la sienne qu’il doit utiliser pour jouir. C’est la loi de sa jouissance qui devient loi universelle.
S. Sabinus : Si on prend l’exemple de l’allemand qui s’est fait dévoré, ils avaient signé un contrat. Ce que je veux dire est que ni l’un ni l’autre n’ont porté plainte. Les plaintes sont venues de l’extérieur.
R. Levy : Catherine Millot parle dans son livre de l’intelligence de la perversion. Elle montre comment l’intelligence est liée à la perversion c’est à dire comment cette perversion trouve des moyens intelligents pour destituer la notion de phallus.
S. Sabinus : Ce qui est important dans l’histoire de l’allemand est le contrat. Le contrat du pulsionnel. C’est comme si on posait la question : « Est-ce qu’on peut consentir à la pulsion ? ». Est-ce que cela a un sens de dire « je consens à la pulsion ». C’est ce que miment ces deux personnages en disant : « on va consentir à la pulsion », dans tout le chemin de la pulsion, manger et être mangé, « cela ne regardera qu’une espèce de « nous » qui fait unité ».
JJ. Valentin: mais c’est le contrat du masochiste…
R. Levy : Oui mais il n’y a pas besoin d’invoquer la perversion pour ça…Il suffit de reprendre la façon dont Lacan reprend le cogito pour faire la démonstration que l’idée du consentement est une absurdité totale. A savoir : « là où je suis je ne pense pas et là je pense, je ne suis pas. » Une fois que l’on a avancé cette carte maitresse, que veut dire le consentement ? Le consentement est l’aliénation la plus extrême… L’aliénation au désir de l’ Autre.
P. Wolosko : Il y a un exemple très simple pour illustrer cela : les jeunes filles qui trouvent normal de se faire sodomiser…
R. Levy : Ou de se rendre dans des lieux échangistes… c’est une « mode » bien particulière… Lieux qui sont quand même des lieux de perversion.
S. Sabinus : C’est ce que rappelait Jean Jacques, quelque part, sexualité et perversion sont synonymes… La sexualité n’est pas autre chose que perverse.
Laurent Ballery : Alors, justement, je voudrais revenir sur lien entre « la psychanalyse est-elle encore de son temps » et la question du sexuel. Il est vrai que l’on en a un peu parlé dans le séminaire enfant mais en vous écoutant ce soir, je me formule les choses d’un manière un peu différente. Il me paraissait important d’insister sur l’introduction du terme d’avatar par rapport à ce changement de thème. Il est vrai que l’on peut l’entendre du coté du polymorphisme, de la perversion polymorphe. Je me demandais s’il s’agissait de cela concernant les avatars du sexuel, cet espèce d’irrémédiable du polymorphisme de la sexualité et ses incidences dans le champ social et politique, ou est-ce que c’était à entendre du coté de la façon dont le politique et le social traitent le sexuel. On voit bien que dans le terme avatar il y a du déplacement, du polymorphisme…
S. Granier : Jeudi dernier, la façon dont nous avons évoqué le terme d’avatar est en lien avec Lacan et la façon dont il envisage le destin des pulsions. Par rapport à la pulsion, je me disais que lorsqu’on envisage des cas extrêmes où la pulsion mène jusqu’à la mort, cela contredit presque le schéma de Freud dont il dit que la pulsion qui rate toujours sont objet…
S. Sabinus : C’est quand même à partir de là qu’il a mis au jour la différence entre la pulsion de mort et la pulsion de vie. D’une certaine manière, elle attrape son objet ou non. En tout cas elle va jusqu’à l’extinction de la tension. Alors que dans l’autre cas, le principe est le plus bas niveau possible… Ce qui n’est pas du tout la même chose.
JJ. Valent
in : Je trouve que la perversion n’est pas bien caricaturée là… La perversion structurale, polymorphe de l’enfant, c’est à dire que le sujet n’est pas du tout placé de la même façon, ce n’est pas du tout la même chose…
S. Granier : Mais cela provient de la perversion polymorphe.
M. Cruz : La question de la perversion polymorphe… Est-ce que c’est inversion à cause de la multiplicité d’objets ou est-ce que c’est de l’inversion parce que dans « l’aller-retour », c’est vraiment de l’autoérotisme et l’autre n’intéresse pas du tout.
S. Sabinus : La perversion, dans les textes freudiens, sauf erreur, c’est en effet dans la mesure où l’objet après quoi cours la pulsion est totalement indifférent quel qu’il soit… Donc, du coup, on se retrouve avec du polymorphisme et donc des versions différentes du circuit pulsionnel. C’est comme cela que je le comprends. C’est en ce sens là, en effet, que ce n’est pas du tout la même chose que la perversion au sens psychiatrique, légale…
R. Levy : J’aurais plutôt tendance à raisonner par rapport au fantasme et avec cette spécificité particulière de la perversion qui est la fixité. Et ce n’est pas du tout polymorphe… Il y a quelque chose qui vient se fixer à un moment donné sur un objet (celui du pervers) qui détermine grâce, ou à cause (à discuter) de cet objet, un fantasme et un seul avec une fixité absolu, contrairement à ce qui se passe fort heureusement chez le névrosé pour qui, au fond, le fantasme est plutôt un jeu de scénario qu’il peut changer même si le scénario inconscient du fantasme originaire a quelque chose de déjà déterminé. En revanche, tous les scénarios peuvent avoir lieu, les gens peuvent changer de place etc… Chez le pervers tout cela disparaît, il y a une seul objet un seul fantasme et un seul scénario. C’est quand même absolument différent du polymorphisme de l’enfant pervers qui se joue à ce moment là de tous les scénarios possibles pour « jouir sans contraintes ». La puissance du pervers est extrêmement contrainte, c’est cela qui fait sa jouissance, c’est la contrainte à une fixité, à un scénario, à un objet.
JJ. Valentin : Et surtout le scénario dans son apparence phénoménologique est inverse de la réalité structurale du scénario. C’est-à-dire que par exemple que Lacan dit que le sadique est extrêmement mobile, dans son scénario, alors qu’en fait, dans la structure même du fantasme, il est objet immobile. Et d’ailleurs l’écriture du scénario du fantasme pervers est inverse de celle du névrosé. Donc c’est pour cela que je trouve que l’on ne passe pas facilement de la perversion polymorphe de l’enfant à la perversion structurale.
S. Sabinus : pour Freud, ce qui fabrique la perversion est ce mode particulier de la pulsion son destin qui n’est plus celui du refoulement mais celui du déni. Ce n’est pas le même traitement du pulsionnel par rapport à cela. Le déni de la castration n’est pas la même chose que sans refoulement. C’est cela qui fait la fixité…
R. Levy : Cela me paraît normal d’arrêter là ce soir…