Robert Lévy séminaire 1

Nous allons ce soir essayer de repérer ce qu’est un sujet, de quel sujet on parle lorsqu’on évoque ces questions de psychopathologie et est-ce que la psychopathologie concerne la psychanalyse…

Ce sont des questions importantes que je vais essayer de développer par le biais de la structure. Le sujet qui nous intéresse dans la psychanalyse, c’est-à-dire le sujet de l’inconscient, étant lui-même une structure.

Je ne crois pas que le sujet du religieux ni le sujet philosophique soit un sujet de structure précisément…

Justement, ce que Lacan introduit avec le terme de sujet de l’inconscient est la rupture avec d’autres sujets, philosophique et religieux qui ne recouvrent pas une structure. Tout le travail de Freud et de Lacan va être de monter en quoi le langage nous introduit au sujet et par conséquent à la structure.

S’il y a quelque chose à suivre dans la psychanalyse, c’est la dimension de la structure ou des structures.

 

Je parle avec mon corps, et sans le savoir. Je dis donc toujours plus que je n’en sais. C’est là que j’arrive au sens du mot sujet dans le discours analytique. Ce qui parle sans le savoir me fait, « je », sujet du verbe mais ça ne suffit pas à le faire être.

 

« Après dix années de silence, elle devint tout d’un coup d’un intérêt général et déchaîna une tempête de réfutations indignées » dixit Freud dans Résistances à la psychanalyse.

 

On sait que ni l’intérêt pour la psychanalyse, ni ses réfutations n’ont aujourd’hui cessé.

Le projet affirmé de rechercher des causes multiples à la souffrance, à la folie ou à l’angoisse, mais des causes qui ne soient pas psychiques, est le défi qui pousse toujours le scientifique ou le pseudo-scientifique à de grandes querelles et objections. C’est incroyable que les neurosciences n’arrivent pas encore à tout expliquer, malgré leur désir intense de le faire !

 

En conséquence, il est toujours et encore plus aujourd’hui de notre responsabilité, en tant que psychanalystes, d’affirmer les théories psychanalytiques et leurs apports, face aux autres sciences, aux religions, aux philosophies et autres domaines.

 

Freud a construit une conception nommée « métapsychologie », opposée à « l’âme » et à la conscience philosophique de la psyché, que Lacan a complétée en évacuant définitivement tout sujet philosophique de la psychanalyse, en le « désontologisant », ouvrant ainsi la voie au sujet de l’inconscient.

Tout d’abord un petit repère sur la notion de sujet de l’inconscient.

 

Pour ce qui concerne la dimension du sujet  avec Lacan on passe finalement en trois temps : on part du sujet de la société à la famille et de la famille au miroir avant d’identifier plus tard encore le langage comme lieu propre du sujet et de l’inconscient. C’est dans la mesure où le rapport du sujet à lui-même est un rapport à lui-même comme autre, que ce sujet est sujet social en raison d’une déficience  interne qui le voue forcément à cette entreprise. Le sujet est en lui-même l’effet de ce champ qui l’environne de toute part. Lacan dispose dès après-guerre avec l’œuvre de Lévi Strauss des ingrédients  nécessaires à pouvoir poser une antériorité et la détermination  nécessaire de la présence d’une culture comme système de classification combinatoire. Selon Lévi-Strauss, c’est cette combinatoire qui permet de prélever dans la nature des éléments empiriques de manière à les disposer dans une seconde nature et ainsi assigner aux individus une place et une fonction. Pourtant ce n’est pas pour autant que cela confère  encore une place, ni même un statut de sujet  à ces mêmes individus. C’est à dire que pouvoir déterminer un certain nombre de combinatoires des personnes dans une société, cela n’est pas définir pour autant le statut de sujet concerné. C’est-à dire qu’entre l’individu et le sujet on passe du social à l’inconscient en quelque sorte.  C’est en ceci qu’il se différencie de Lévi Strauss car pour Lacan il n’y a qu’avec le langage que cette élaboration du sujet a lieu de façon définitive  et la linguistique donnera à partir de là, c’est à dire de l’œuvre de Saussure les lois de fonctionnement de ces systèmes et par conséquent du sujet lui-même : « De nos jours, au temps historique ou nous sommes de  formation d’une science, que l’on peut bien qualifier d’humaine, mais qu’il faut bien distinguer de toute  psychosociologie, à savoir la linguistique, dont le modèle est le jeu combinatoire opérant dans sa spontanéité, tout seul, d’une façon pré subjective, c’est cette structure qui donne son statut à l’inconscient. C’est elle en tout cas qui nous assure qu’il y a sur le thème de l’inconscient quelque chose de qualifiable, d’accessible et d’objectivable. »[1].

D’ailleurs cette déclaration pourrait suffire en elle-même à apporter une critique définitive à toute tentative de  la Nouvelle Economie Psychique de Melman s’adossant à l’actualité sociale, point sur lequel je reviendrai tout à l’heure. Mais il faut bien entendre que cette élaboration  du sujet ne peut avoir lieu pour Lacan que pour autant que l’on en passe par le stade du miroir. En effet Le stade du miroir c’est pour lui le point fixe à partir duquel il invente un nouveau concept qui unifie et cristallise l’ensemble des déplacements qu’il avait effectués jusqu’à présent pour concevoir une théorie du sujet qu’il ne cessera plus d’approfondir et qui lui permettra, à partir de là, de rendre possible son « retour à Freud »[2]. Donc vous entendez bien que le retour à Freud est lié évidemment au stade du miroir, mais aussi à la conception même du sujet de l’inconscient.

Curieux destin pourtant pour  ce que Lacan appelle : « ce premier pivot de son intervention dans la théorie psychanalytique »[3]  puisque sa première occurrence date de1938 et figure dans son article sur la famille (P.41-47) et qui n’est que la matière reprise de son exposé au congrès de Marien Bad en 1936 dont il ne reste qu’un titre en Anglais :’’The looking glass  phase ‘’à propos duquel il ne subsiste en fait que deux questions dans l’article qu’écrivit Lacan  également en 1936 et qui sont les suivantes :

« A Travers les images, objets de l’intérêt, comment se constitue cette réalité, où s’accorde universellement la connaissance de l’homme ? A travers les identifications typiques du sujet, comment se constitue le jeu, où il se reconnaît ? ». Vous voyez que déjà dans ces deux questions existent d’une part les prémices de la question du réel et d’autre part la question des identifications du sujet que Lacan va reprendre d’une tout autre façon.

Le texte initial en Anglais est un texte perdu bien qu’il figure dans les repères bibliographiques chronologiques des écrits et dont nous n’aurons lecture que dans sa communication de 1949 au congrès de Zurich intitulé : Le stade du miroir comme formateur dans la fonction du je.

C’est peut être ici que Lacan lâche définitivement Lévi Strauss car si ce dernier dans Les structures élémentaires de la parenté  (P.14)  soutenait que : « Parmi tous les instincts, l’instinct sexuel est le seul qui, pou
r se définir, ait besoin de la stimulation d’autrui. » ; Lacan, quant à lui, soutiendra que plus que l’instinct sexuel, c’est en fait tout l’individu, et tout son dynamisme libidinal, qui non, seulement a besoin de la stimulation d’autrui pour se définir, ce que Lévi Strauss prétend,  mais requiert d’abord  une certaine image de l’autre pour s’identifier ou se définir dans une expérience primordiale (celle du  miroir), anticipant son entrée dans le système des échanges ou il se constituera enfin comme sujet du langage, et plus généralement des échanges sociaux (dont également ceux qui répondent aux structure élémentaires de la parenté).

Vous voyez que là où Lacan lâche Levi Strauss, c’est finalement sur la question de l’ autre qui n’est pas l’individu précisement mais un autre issu de l’expérience du stade du miroir et non pas de l’autre au sens social du terme ; bien que l’on pourrait dir qu’il n’y a pas d’autre social s’il n’y a pas de stade du miroir…Ce qui ne veut pas dire pour autant que tous les autres du social se passent du stade du miroir.

Le Stade du miroir ordonne la règle de partage entre l’imaginaire et le symbolique, il produit l’instance du moi au point de jonction de la nature et de la culture et ce, bien avant sa détermination sociale. C’est sur ce point que Melman dérape…Il va remettre la détermination sociale avant cette instance du moi au point de jonction de la nature et de la culture. Lacan a toujours posé la nécessité d’une articulation de principe entre le champ de l’imaginaire et celui du symbolique, dont la conduite spéculaire et le  « jeu du fort da » représentent respectivement l’évènement inaugural, et l’expérience témoin dont la constitution du sujet se révèle être le fil conducteur et le précipité. « Précipité » est un terme qui va nous être extrêmement utile car c’est la meilleure définition du sujet au sens de Lacan. Au fond, le sujet lacanien est un précipité entre deux signifiants. Le signifiant représente le sujet pour un autre signifiant. C’est à dire que la définition du sujet de l’inconscient est un précipité entre deux signifiants. C’est sous cette forme, c’est-à-dire celle d’un précipité, que Lacan définit le sujet dans les Ecrits[4] . En effet il écrit :

« L’assomption jubilatoire de son image spéculaire par l’être encore plongé dans l’impuissance motrice et la dépendance du nourrissage qu’est le petit d’homme à ce stade infans, nous paraîtra des lors manifester en une situation exemplaire la matrice symbolique ou le je se précipite en une forme primordiale, avant qu’il ne s’objective dans la dialectique de l’identification à l’autre et que le langage ne lui restitue dans l’universel sa fonction de sujet ».

 

Donc le sujet ne préexiste pas à lui-même il est un précipité qui se répète à chaque séquence entre deux signifiants. Alors vous voyez que sur ce point-là qui paraît banal, c’est toute la théorie de Dolto qui chute. A savoir qu’elle fait quand même l’hypothèse de la préexistence d’un sujet.  Ce n’est pas l’objet du travail de ce soir mais on pourra peut-être justement voir cette année à quoi mène ce présupposé d’un sujet dans la théorie de Dolto. Ou, en  d’autres termes, à quoi mène autrement le fait qu’on ne présuppose pas un sujet forcément chez l’enfant avant qu’il ne soit constitué du désir de l’Autre en quelque sorte. Donc le sujet ne préexiste pas à lui-même et ne saurait par conséquent être aliéné au sens philosophique ou même dans le langage puisqu’il n’existe nulle part ailleurs ; ce qui conduira Lacan à préciser ceci[5]  « Le sujet donc, on ne lui parle pas, ça parle de lui, et c’est là qu’il s’appréhende et ce d’autant plus forcément qu’avant que du seul fait de s’adresser à lui, il disparaisse comme sujet sous le signifiant qu’il devient, il n’était absolument rien. Mais ce rien se soutient de son avènement, maintenant produit par l’appel fait dans l’Autre au deuxième signifiant ».

Nous verrons, que dans certaines structures psychopathologiques, quand la séquence du renvoi d’un signifiant à l’autre ne fonctionne plus, comment le sujet pâtis, ce qu’il reste du sujet quand cette séquence ne fonctionne plus… C’est toute la question des psychoses…

Donc, en abandonnant l’intérêt qu’il avait pour le point de jonction entre nature et culture, c’est un point très important puisque à la fois cela scelle son départ de la proximité avec Levi Strauss et en même temps, cela radicalise son point de travail sur la structure  qui n’est plus la structure du sujet en temps qu’individu social, mais structure du sujet en temps que structure du sujet de l’inconscient,  Lacan s’intéresse des lors à ce nœud  imaginaire de servitude qui se noue au jeu  du miroir dans lequel tout commence par une perte qui surgit au déclin du sevrage et qui trouve en toile de fond le pré maturation spécifique de la naissance propre à l’être humain.

L’enfant perçoit alors l’image du double dans le miroir, la forme du semblable et s’identifie ainsi à l’image de l’être humain[6] (Les complexes p.42, 44)

Ainsi dans cet espace imaginaire institué par la vision en miroir  « c’est dans l’autre que le sujet s’identifie et même s’éprouve tout d’abord »[7] , comme un sorte de « précipité du moi à l’autre »[8]  où on retrouve encore ce terme de précipité que l’on peut à nouveau rapprocher de celui de sujet car dans ce précipité du moi à l’autre, se produit du sujet qui s’absente et se présente de par cette action même.

C’est là le prix que le sujet paye du fait même de tendre originellement à masquer le vif d’une fonction de manque à savoir le prix d’introduire au plus profond  de  lui  le principe de discordance imaginaire.

Pourtant il ne faut y voir là encore aucune reconnaissance de sa propre personne même si l’enfant reconnaît déjà son image dans le miroir : «l’Identification personnelle vacille encore ». Lacan emprunte à Charlotte Buhler quelque chose qu’il va s’approprier  afin de retracer le chemin qui mène pour lui aux prémices du sujet de l’inconscient que l’on retrouve tout à fait bien décrit dans son article : Propos sur la causalité psychique[9]  « ….dans la dialectique qui va de la jalousie (cette jalousie dont saint Augustin entrevoyait  déjà de façon fulgurante la valeur initiatrice) aux premières formes de la sympathie. Ils s’inscrivent dans une ambivalence primordiale qui nous apparaît, je l’indique déjà, en miroir, en ce sens que le sujet s’identifie dans son sentiment de soi à l’image de l’autre et que l’image de l’autre vient à captiver en lui ce sentiment) Ce qui pose forcément tout un tas de questions des lors que l’on puisse supposer que ce « franchissement n’a pas eu lieu » ou encore ne s’est accompli que partiellement. Lacan fraye là les prémisses de ce qui va constituer le fait psychotique.  En tout cas, comment la forclusion va produire quelques effets pécisement sur cette dimension propre pour que ce franchissement puisse avoir lieu à savoir que la question de l’image de l’Autre ne puisse se produire dans le jeux du stade du miroir

On pense évidemment instantanément à ce regard qui traverse l’autre chez les enfants autistes ; mais également à toutes les avatars de ce que l’on constate dans les pathologies symbiotiques
au cours desquelles certains enfants demeurent dans une proximité à leur mère dans laquelle il est manifeste qu’il se joue et se rejoue la tentative de recourir à trouver une place dans le regard d’une mère qui ne réfléchit rien de la place de l’enfant dans le miroir.

Je crois que pour ceux, comme beaucoup d’entre vous travaillent avec des enfants petits dans des psychoses infantiles graves, on a tous constaté ce fait que que ce sont des mamans qui peuvent en effet regarder leurs enfants, elles peuvent très s’en occuper, ce n’est pas la question, mais la question est que dans leur regard, il n’y a pas de place pour cet enfant. C’est-à-dire que ce regard ne réfléchit rien d’une image possible pour se constituer comme enfant.

Mais on pense  également à l’inverse : à  ces mères tout aussi symbiotiques qui manifestement tentent par cette emprise sur leur enfant de jouer et rejouer inlassablement ce qui pour elle-même ne s’est pas produit de cette reconnaissance comme autre. C’est une autre variante des distorsions de la question du repérage de l’autre dans le regard de la mère.  Mais il s’agit tout autant de cette fascination duelle dans le rapport du sujet à sa propre image qui fonde une sémiologie qui va de la subtile dépersonnalisation à l’hallucination du double et de ce qui dérive de l’aliénation du sujet : « vers la rivalité qui prévaut, totalitaire »comme l’écrit Lacan dans : De nos antécédents[10]

Donc dans cette pure fascination à l’égard de l’image[11]  (la troisième congrès de l’EFP  Rome 1 .11 .74  in lettre de l’EFP n° 16) l’enfant  fait l’épreuve de la forme contournée  d’un rapport à soi qui passe par un rapport à l’autre. Mais c’est avec le miroir que le sujet est façonné par un monde de formes qui  le pose avant tout comme une extériorité à lui-même qui explique si bien cette : « méconnaissance systématique de la réalité qui caractérise la connaissance  paranoïaque » (quelques réflexions sur l’Ego)

 

Ainsi        L’apport des conceptions psychanalytiques des structures cliniques névrose, psychose et perversion est aujourd’hui remise en question. De nouvelles appellations cliniques se multiplient et tentent de renforcer la posture scientifique, à l’aide d’items à consigner et auxquels se référer pour s’assurer qu’il s’agit bien de pathologie.

Mais ce que nous constatons dans l’expérience quotidienne au « un par un » avec nos patients ne fonctionne pas ainsi. Cette prétention à vouloir « classer », évaluer, et ainsi donner un nom qui nomme une souffrance, au lieu de représenter le sujet souffrant, n’est peut-être qu’une tentative pour rassurer le soignant.

N’oublions pas ce que Freud, pour sa part, remarquait : « Je n’ai pas toujours été psychothérapeute. Comme d’autres neurologues, je fus habitué à m’en référer aux diagnostics locaux et à établir des pronostics en me servant de l’électrothérapie, c’est pourquoi je m’étonne moi-même de constater que mes observations de malades se lisent comme des romans et qu’elles ne portent pour ainsi dire pas ce cachet sérieux, propre aux écrits des savants.[12]

De quoi Freud nous parle-t-il ici si ce n’est des effets du réel dans la clinique, dans et à travers la parole, effets qui ne peuvent être décrits selon le mode habituel de quantification des théories scientifiques habituelles. Il serait beaucoup plus facile d’étiqueter une « attaque de panique » par exemple et de prescrire.

Pour la psychanalyse, ce que viennent demander les patients à travers leurs symptômes, ne peut être réfuté d’un revers de manche et seulement par une prescription. Il s’agit de faire la supposition que, dans toute parole, il y a une part de réel et que les symptômes, en tant qu’objets renvoyant à des constructions d’objets différents et irréductibles, révèlent une grande multiplicité de réels, à prendre au un par un, pour chaque sujet, C’est précisément cela que la science ne peut pas prendre en compte.

 

 

Pour la psychanalyse aussi, le diagnostic a son importance pour la conduite de la cure, une importance qui ne se superpose pas évidemment à celle de la sémiologie psychiatrique. Parfois, pour ne pas dire toujours, du temps est nécessaire, pour préciser ce diagnostic, en raison des interrogations et des doutes qui surgissent au cours du travail analytique. Or le doute est difficile à admettre en médecine, même s’il a poussé autrefois à tenter d’autres traitements comme les cures thermales en 1900, puis les lobotomies ou plus récemment les électrochocs.

 

C’est peut-être parce que cet aspect dérange que l’on désigne la psychanalyse comme obsolète ou rétrograde, elle qui s’obstine à prendre en compte les lois de l’inconscient et dont  ses principes, son éthique et ses avancées sont aujourd’hui oubliés et rejetés. Nous, nous soutenons que les notions cliniques de névrose, psychose et perversion pourraient être le dernier bastion pour soutenir le sujet aujourd’hui.

 

C’est d’ailleurs sur cette orientation que Freud a pu édifier, sur une base clinique, un premier modèle théorique pour rendre compte de la représentation et des affects dans leur complexité et de la dynamique du sujet inconscient dans le chapitre VII de « L’Interprétation des rêves ».

On comprend aussi que Lacan s’est éloigné très rapidement des postfreudiens qui revenaient à la vérité scientifique, en se rapprochant par exemple d’Alexandre Koyré. Pour Lacan, la question constante sera de savoir si science rime avec forclusion du sujet et réduction de la vérité à des formules logiques. C’est au nom d’une éthique de la vérité que Freud, peu avant sa mort, en arrivait à nous transmettre « qu’il ne faut pas oublier que la relation analytique est fondée sur l’amour de la vérité », message que nous pouvons lire dans « Analyse avec fin et analyse sans fin ».

 

Alors, quel est le statut du sujet en psychanalyse ? Comment se construit le sujet au lieu du grand Autre qui lui préexiste ? Comment quelqu’un advient-il au lieu du sujet ?

 

« Wo es war, soll ich werden ». Pour le psychanalyste, il s’agit de considérer que le signifiant se présente comme pouvant être barré et c’est par cette opération qu’il s’inaugure comme signifiant. Le non-dit alors se déplace ce qui fait que la négation chute de l’énonciation à l’énoncé. Ce qui constitue le signifiant, plus que sa trace, c’est le fait qu’il puisse être barré. Trace de ce qui n’est pas encore, limite d’un vide, trace d’une absence, vide d’objet.

 

Le sujet va ainsi surgir sous l’action du langage. Nous situons l’inconscient dans ce lieu de coupure, de fente, de fermeture et d’ouverture. L’inconscient se présente en état de « réalisation », toujours « à être » : le sujet est A-VENIR.

 

Nous évoquions plus haut que les concepts de névrose, psychose et perversion constituaient le dernier bastion pour soutenir le sujet aujourd’hui. Ces structures, que la psychiatrie a aussi utilisées, sont évidemment différentes dans l’usage qu’en
fait la psychanalyse, autant chez Freud que chez Lacan. C’est la relation au discours, au signifiant et à la langue qui les différencie pour ce qui concerne le sujet.

 

Très tôt déjà, Freud soutenait que les discours provenaient du fantasme, souvenons-nous que les premières hystériques semblaient toutes abusées !

C’est ainsi que pour sa part, renonçant très tôt aux « comportements », il a pu introduire dans  l’interprétation des rêves la métaphore et la métonymie comme lois du langage, les énonciations, la fonction signifiante, le manque et le désir.

Disons que Désir, fantasme et objet sont les trois concepts qui nous permettent de suivre le parcours du sujet dans la structure. En effet nous avons beaucoup travaillé sur cet algorithme lacanien $a, c’est-à dire que le sujet est barré dans le désir de l’objet. Donc formule du fantasme, qui incluait le sujet dans son état barré et l’objet dans son rapport au désir et au sujet.  Ces trois éléments en fonction de leur combinatoire pouvaient nous amener à repenser la question de la psychopathologie. C’est-à-dire que dans la névrose dans la psychose et dans la perversion, la question même du fantasme de pose de façon tout à fait différemment. Et donc, on pouvait  reformuler avantageusement les notions de névrose, psychose et perversion en fonction de la place à laquelle le sujet se situe dans le fantasme, c’est-à-dire dans sa façon d’avoir à faire avec l’objet et le désir donc. Ainsi c’est le sujet qui semble être finalement le véritable objet de la psychanalyse, c’est en tout cas la définition qu’en donnera Lacan dans le séminaire XI  (p 13) : « l’objet de la psychanalyse est le sujet, non pas pris comme objet en face d’un observateur neutre mais comme ne pouvant faire l’objet d’un travail que dans un rapport, une structure dans laquelle l’analyse est partie prenante ». L’objet de la psychanalyse suscite donc directement la question : «quel est le désir de l’analyste ? » (Ibid. p 14)

Mais ce n’est pas pour autant que nous en avons terminé avec le sujet car : le sujet on en parle à tort et à travers et notre confusion s’accroît lorsque l’on franchit le pas du sujet humain et de ce qu’il advient dans notre monde. Il faut donc se rendre à l’évidence, cette notion est à la fois l’outil le plus utile si il est bien employé et la source des plus grands conflits actuels pour ne pas dire la source des plus grandes guerres. Je citerais volontiers  Alain Ehrenberg[13] qui nous indique que le sujet est à l’origine d’un conflit qui divise les psychanalystes eux-mêmes et porte sur les relations entre les transformations de la psychopathologie et celles de la vie sociale.

– Les conflits d’interprétation de la psychanalyse et leurs lots de fictions ;

-Les relations orageuses de la psychanalyse avec les sciences, qu’il s’agisse des neurosciences ou de l’évaluation scientifique des traitements psychothérapeutiques.

Il faut bien dire que l’un des  supports les plus forts de cette guerre contre le sujet de l’inconscient c’est le livre de Charles Melman sur la nouvelle économie psychique dans lequel on peut lire notamment[14] (L’Homme sans gravite. jouir à tout prix, entretiens avec JP Lebrun. Paris Denoël 2002 P 32) « Voilà encore un trait de la nouvelle économie psychique : il n’y a plus de division subjective, le sujet n’est plus divisé. C’est un sujet brut (…..), un sujet entier, compact, non divisé. »

Donc si on lit correctement cette remarque il nous faut changer notre façon d’écrire l’algorithme du fantasme en fonction de cette nouvelle économie et on s’aperçoit alors très vite que si le sujet n’est plus divisé on ne peut même pas écrire cette formule et que des lors c’est l’hypothèse même du fantasme qui disparaît. Il faut remarquer à cet égard que Lacan aborde la question du sujet non barré une seule fois dans le séminaire du 3fevrier 1965 ( Problèmes, cruciaux pour la psychanalyse ) au cours duquel à propos de la démonstration de l’image spéculaire, il va utiliser quatre schémas  dont celui du bouquet renversé pour définir une image qu’il appellera réelle, et dont il donnera pour définition que : « c’est quelque chose qui se soutient dans l’espace à la façon d’une illusion » et que cette image ne surgit que dans certaines conditions au cours desquelles le spectateur se trouve lui-même dans un certain champ assez limité pour qu’il n’échappe pas aux effets du miroir sphérique. Dans ce cas l’illusion qui apparaît : « l’illusion de l’image réelle, c’est un sujet. Ce sujet est tout à fait mythique, c’est parce que le S n’est pas barré que c’est mythique. »

On connaît par ailleurs la critique fondamentale que Lacan adresse au mythe et en particulier au mythe Lévi Straussien dont il dira ceci dans Radiophonie[15]  « (…) Le mythe, dans l’articulation de Lévi Strauss (…) refuse tout ce que j’ai promu de l’instance de la lettre dans l’inconscient. Il n’opère ni de métaphore, ni même d’aucune métonymie. Il ne condense pas, il explique. Il ne déplace pas il loge, même à changer l’ordre des tentes. ». L’ordre des tentes étant ce que Lévi Strauss avait construit de la symbolique de ce qui, dans chaque société ancestrale, se représentait par la place dans le village, des tentes de chacun. Ce que dit Lacan du mythe est que cela réduit le langage. C’est du symbolique qui n’a pas recours au langage.

Ainsi le recours au sujet non barré nous apparaît en effet bien mythique et peu susceptible de justifier à lui seul le socle sur lequel viendrait s’appuyer une nouvelle économie psychique sauf à vouloir modifier les fondements même du Freudisme. C’est-à-dire fonder un nouvel inconscient. Mais de quel inconscient s’agirait-il si on lui retire le fantasme ?

Mais ceci n’a rien d’étonnant puisque derrière ce nouveau sujet compact c’est effectivement la notion de refoulement qui est niée[16] : «Nous avons affaire à une mutation qui nous fait passer d’une économie organisée par le refoulement à une économie organisée par l’exhibition de la jouissance.)Comme si la jouissance pouvait être en elle-même hors du refoulement et que l’on puisse y recourir ou s’en servir sans mobiliser en même temps l’ensemble de l’appareil psychique ? Voir, comment cette jouissance pourrait-elle s’exhiber hors son adossement au fantasme ?

Sauf à se promouvoir en nouvel anthropologue qui forcément ne peut que nier cette fonction essentielle du fantasme amenée par Lacan à savoir que le fantasme répond comme recours à une détresse du sujet. Donc la détresse est ce qui permet de faire un filtre face au réel, et donc le fantasme et sa construction ne sont, ni plus ni moins, qu’un  recours à la possibilité d’un filtrage du réel ; ce qui d’ailleurs, pendant un certain temps, est la fonction assurée par la mère. Évidemment l’enfant, dans un premier temps, n’a pas de constitution de fantasme, et c’est sa mère qui lui permet de filtrer pour lui le réel avec son propre fantasme. C’est ce que l’on trouve dans la séance du 12 novembre 1958 du séminaire Le désir et son interprétation : « (……..)Dans la présence primitive du désir de l’Autre comme opaque, comme obscure ,le sujet est sans recours(…)j’emploie le terme de Freud, en Français cela s’appelle la détresse du sujet(…)avec son moi il se défend contre cette détresse et avec ce moyen que l’expérience de la relation à l’autre lui donne, il construit quelque chose qui est la différence de l’expérience flexible avec l’aut
re, parce que  ce que le sujet réfléchit ce ne sont pas simplement des jeux de prestance ce n’est pas son opposition à l’autre dans le prestige et dans la feinte, c’est lui-même comme sujet parlant et c’est pourquoi, ce que je vous désigne ici comme étant ce lieu d’issue, ce lieu de référence par ou le désir va apprendre à se situer, c’est le fantasme »

Ce que Lacan traduit là par détresse du sujet c’est le terme Allemand d’ilflosiegkeit, c’est-à-dire cette angoisse sans recours à laquelle se trouve confronté le Bébé, sorte d’effondrement qui, et c’est cela l’intéressant trouverait son recours grâce au fantasme ; ce qui n’est pas non plus sans poser un certain nombre de difficultés quant à savoir à partir de quand on peut parler de fantasme chez l’enfant, c’est-à-dire à quel moment se constitue quelque chose qui peut s’élaborer en terme de fantasme. C’est encore une fois lié à la constitution même du sujet. Pour qu’il y ait du fantasme, il faut qu’il y ait du sujet et pour qu’il y ait du sujet, quels sont les éléments constitutifs de ce que l’on appelle sujet de l’inconscient…

Mais on peut déjà dire que cette thèse Lacanienne est très proche de ce que Winnicott théorise sur la notion d’effondrement primitif sans toutefois avoir recours au fantasme et en reconnaissant la notion de dépendance totale à l’environnement sans évoquer la constitution du sujet. Ce fut le génie de Freud de montrer que contrairement à ce que pensait Kant, le sujet n’était pas au centre de la connaissance, puisqu’il tourne lui-même au centre de cette part Inconsciente qui l’habite. Il nous apporta cette idée que son autre sa limite est ce qui scinde ce qu’il croit être son être.

Pour Freud le sujet est divisé mais pas au sens où il y aurait déchirure entre conscience et désir ou bien entre raison et passion. Pour lui, le sujet est divisé de par le conflit qui le constitue comme sujet, la division est constitutive de son unité même. Il s’agira donc pour Freud d’entrer dans le sujet avec des mots et non pas avec des médicaments c’est ce qu’il mettra au point grâce à sa méthode dite d’association libre ; ce que Lacan reprendra sous la forme du signifiant qui représente le sujet pour un autre signifiant qui justifie par là tout autant la méthode Freudienne. Imaginer que serait l’association libre si on ne l’adossait pas à l’idée que le signifiant représente le sujet pour un autre signifiant, cela n’aurait aucun sens. C’est avec cette dimension du précipité qui est produit d’un signifiant à l’autre que l’on peut parler d’association libre. Sinon, il n’y aurait pas de nécessité d’en passer par l’association libre. Au fond, Freud serait resté à l’hypnose si l’on n’avait pas fait cette hypothèse qui justifie après-coup le passage à l’association libre, c’est-à-dire l’hypothèse de Lacan. Donc : « le langage n’est pas un code parce que dans son énoncé il véhicule le sujet présent dans son énonciation »[17]

La tendance à vouloir tirer le sujet du coté non divisé, comme le fait Melman, non refoulé et par conséquent à en faire un pure produit de la société va forcément conforter cette autre tendance de la psychiatrie actuelle qui joue sur l’indétermination structurale ou se mêlent des éléments  névrotiques, pervers et pourquoi pas psychotiques dont l’obscure clarté ne peut que justifier l’objet médicament qui apaisera la souffrance et effacera les symptômes cible.

Je passe pour le moment sur le rapport du sujet avec les états limites et j’insisterai, en revanche, sur ce à quoi nous mène la Nouvelle Économie Psychique et sa résolution pharmacologique : La guerre des deux sujets celle des défenseurs du sujet parlant et celle des promoteurs du sujet cérébral. Les premiers s’inquiétant que les neuro- sciences ne mettent fin à la subjectivité humaine en réduisant le social à ne plus pouvoir s’identifier qu’à un cerveau sain ou malade ; et les autres, ceux du sujet cérébral prétendant que l’on va pouvoir enfin sortir définitivement, grâce à eux, des pathologies mentales en tant que pathologies particulières et ainsi cesser de culpabiliser les patients ou leurs parents. On entend bien que le lieu principal de la guerre du sujet cérébral est celui de l’autisme relayé par son partenaire le plus proche, le DSM.

 

Aujourd’hui, via les différents DSM, nous assistons à un retour aux « comportements », le sexe ne définit plus le sujet. La psychiatrie actuelle rejette les manifestations psychiques et somatiques comme problèmes, et rejette le sujet dans toutes ses dimensions : le sujet de l’histoire, le sujet du désir, le sujet du droit et, évidemment, le sujet du langage et de la jouissance. C’est pour cela que nous refusons cette optique.  Pour nous, l’hystérie est l’inconscient même et la causalité psychique est à l’origine des symptômes.

Mais ce n’est pas non plus une question très nouvelle :

Henri EY qui voulait associer la neurologie et la Psychiatrie pour fonder une approche organo-dynamique du Psychisme indiquait  déjà au colloque de Bonneval en 1943 la remarque suivante : « Les maladies mentales sont des insultes et des entraves à la liberté, elles ne sont pas causées par l’activité libre, c’est-à-dire purement psychogénétiques. »  Ce à quoi Lacan qui, pour sa part, préconisait de repenser le savoir Psychiatrique  sur le modèle de l’inconscient Freudien,  lui rétorqua ceci : « Le risque de la folie se mesure à l’attrait même des identifications où l’homme engage à la fois sa vérité et son être. Loin donc que la folie soit le fait contingent des fragilités de son organisme, elle est la virtualité permanente d’une faille ouverte dans son essence. Loin qu’elle soit pour la liberté « une insulte », elle est sa plus fidèle compagne, elle suit son mouvement comme une ombre. Et l’être de l’homme non seulement ne peut être compris sans la folie, mais il ne serait pas l’être de l’homme s’il ne portait en lui la folie comme la limite de sa liberté. » Vous voyez que Lacan inverse totalement la remarque en faisant quelque chose où la question de la liberté est liée, non plus à la limite de la folie mais à la limite de ce que l’inconscient peut produire comme aliénation et comme à la fois liberté et manque de liberté.

Lacan laissera donc entendre que la fondation par Descartes de la pensée moderne n’excluait pas le phénomène de la folie  et Derrida lui emboitera le pas un peu plus tard ; je le site :

« Et comment est-ce que je pourrais nier que ces mains et ce corps soient à moi , si ce n’est peut-être que je me compare à certains insensés de qui le cerveau est tellement troublé et offusqué par les noires vapeurs de la bile , qu’ils assurent constamment qu’ils sont des rois lorsqu’ils sont très pauvres ; qu’ils sont vêtus d’or et de pourpre lorsqu’ils sont tous nus ou qu’ils s’imaginent être des cruches  ou avoir un corps de verre ? Mais quoi, Ce sont des fous, et je ne serais pas moins extravagant si je me réglais sur leurs exemples. »

 

Il me semble que cette disputation de l’époque, 1943, revêt aujourd’hui une actualité très importante.

Au fond le débat n’a pas changé et les tenants des neurosciences réduisant la folie à une maladie strictement neurologique sont toujours aussi actuels alors que la Psychanalyse et les Psychanalystes à la suite spécialement de Freud et de Lacan tentent toujours d’envisager la folie comme un fait psychique à la limite de l’aliénation et de l’invention du sujet. Plus exactement la Psychanalyse tente de « faire avec » les symptômes du sujet sans vouloir aucunement éradiquer ce qui représente le sujet c’est-à-dire ses symptômes ;
Disons qu’à vouloir lui retirer ses symptômes on retire au fou  sa qualité de sujet …

Pourtant  ce qui caractérise le fou, le psychotique aujourd’hui c’est bien qu’il soit « hors sujet » et c’est sans doute ce qui lui donne ce caractère d’Alien, d’étranger  dans lequel le névrosé ne se retrouve pas. Le fou est un « autre » au sens le plus hétérogène du terme et je fais partie d’une génération où la folie s’est trouvée prendre la consistance d’une question adressée justement  à cet autre. En effet il y avait quelque chose à entendre de cette hétérogénéité sans qu’elle soit forcément l’objet d’une mise à l’écart de la société, d’une volonté de la réduire au silence, ou encore  d’une prise de neuroleptiques. En France  dès après 1968 les portes des hôpitaux Psychiatriques se sont ouvertes.

Loin de moi d’ailleurs  l’idée de vouloir minimiser l’apport des neuroleptiques dans ce qu’on appelle les crises aigues ; ils ont permis en effet au sujet de sortir de sa camisole, de ses électro chocs (encore qu’ils soient aujourd’hui de retour) ou encore de sortir du grand enfermement dans les cellules d’isolement pour d’autres. Mais les neuroleptiques sans un questionnement  sur cette faille du sujet de la folie qui est sa plus fidèle compagne ne pourraient pas être compris si on l’empêchait de porter en lui cette limite à sa liberté …

C’est très précisément la tendance actuelle que les différents DSM, descriptions sécuritaires et biologico– comportementales qui ont envahi le discours psychiatrique à travers les successives  versions du Manuel Diagnostic et Statistique des troubles mentaux importé des USA  qui ne traitent plus que des symptômes et abandonnent toute idée de structure.

Ce qui nous a valu entre autre l’abandon de la notion  psychoses maniaco-dépressives au profit de l’invention de la bipolarité, sorte de fourretout dans lequel on verse toute agitation, toute forme de dépression. Par conséquent qui n’est pas bipolaire aujourd’hui ? C’est pourquoi  Nous voyons arriver dans nos cabinets des personnes qui se présentent maintenant ainsi : « bonjour docteur, je suis Bipolaire ». La notion d’hystérie a également disparue au profit de ses manifestations comportementales que l’on traite maintenant à coup de psychotropes ; la liste est longue et ne saurait être exhaustive sans revêtir un certain ennui …

Voilà donc pour une première situation du sujet dans la folie aujourd’hui : il a disparu au profit de  son diagnostic.

Je m’arrêterai là donc mais ce qui importe quant au sujet de la folie aujourd’hui, c’est cette tentative tout à fait raisonnée de le faire disparaitre dans un certain nombre d’appellations de ses manifestations comportementales de façon à le traiter avec des substances chimiques sans n’avoir plus à l’écouter.

En effet la théorie du sujet ne récuse pas le cogito cartésien mais une tradition de la psychologie du moi issue du cogito. C’est ainsi que la reprise par Lacan du cogito en « là où je pense, je ne suis pas et là où je suis, je ne pense pas »   donne  à l’écoute du sujet de la folie une certaine difficulté car ce sujet de la folie exclue le sujet qui le cause et cause sans que le sujet soit forcément présent dans ce qu’il dit …

C’est très exactement ce qui se produit dans l’Automatisme mental, terme très juste pour nommer ce qui, dans le sujet, «pense par soi-même »  C’est une idée très forte pour rendre compte du déclenchement de la Psychose  par l’idée d’automatisme provoqué par le réel de la rencontre.

C’est peut être le meilleur exemple de ce que le sujet ne puisse pas reconnaitre ses productions comme siennes. Autant de phénomènes qui « visent le sujet personnellement, ils le dédoublent, lui répondent, lui font écho, lisent en lui, comme il les identifie, les interroge, les provoque et les déchiffre »

En tout cas, le sujet de la folie aujourd’hui est plus exclu que jamais et on le rencontre surtout dans les rues, il est sujet SDF,  sans domicile fixe donc  et on ne l’écoute plus puisqu’il a choisi finalement la rue comme lieu de son exclusion mais aussi de son expression.

Si la psychopathologie ne fait pas de place au sujet, la clinique psychanalytique l’aborde par l’accueil du surgissement du réel dans la vie, dans sa vie, dans ses symptômes, dans son quotidien enfin dans son histoire ; autant de lieux possibles d’un surgissement du sujet.

Pourtant ce réel, c’est-à-dire cet impossible dont la folie s’approche avec angoisse  provoque le passage à l’acte quand les normopathes que nous sommes n’en tiennent pas compte. Il nous faut insister encore un peu plus sur ce fait que le réel n’est pas de l’ordre ni de la négation ni du refoulement mais du paradoxe d’un dire qui ne peut pas se dire, et qui n’est pas  non  plus du ressort d’une quelconque pensée refoulée ou niée, mais de celui de l’impensable.

C’est pourquoi Il faut  des dispositifs particuliers pour accueillir cette irruption du sujet de la folie avant tout paradoxal, une sorte de praticable afin que le réel nous permette d’approcher de ce sujet, en tout cas de son émergence sans cesse à reconstruire grâce à autant de relais symboliques qui permettent effectivement et littéralement  que quelque chose de la métaphore puisse avoir lieu. En d’autre termes, pour qu’il y ait de la suppléance là où du sujet pourrait advenir .

La difficulté principale de ce sujet de la folie c’est bien de ne pas avoir d’accès au fantasme et donc de devoir  faire face à un monde dans lequel le réel le bombarde en permanence.

En effet nous savons que le fantasme, chez le névrosé permet de filtrer en quelque sorte l’accès au réel pour  ne pas trop en pâtir sauf quand il y a trauma, cas où le fantasme est éfracté et donc où le sujet se trouve en prise directe avec le réel.

Comment pourrons-nous concevoir ce sujet, si ce n’est en tant qu’il fait symptôme, car là où il y a sujet, il y a symptôme. Par conséquent, accueillir l’hystérie, c’est accueillir le sujet de l’inconscient, sachant que les hystériques sont les militantes de la cause analytique dont elles ont largement contribué à la découverte.

Au travers de leurs paroles leurs symptômes se font et se défont, révélant ainsi leurs désirs pathogènes à travers leurs réminiscences et leurs souvenirs douloureux.

 

Nous pourrions également poser la question de la sexuation chez l’enfant ou nous demander quand un enfant devient sujet, ou quand nous-mêmes le considérons comme un sujet.

 

Une autre question est de nous demander s’il y a sujet dans les psychoses c’est-à-dire si, quand Freud se réfère au refoulement, cela convient pour rendre compte de la question du délire, ou d’une kinesthésie, ou d’un automatisme mental. En effet peut-on parler de sujet quand il n’y a pas d’accès possible au fantasme ?

Ou encore, qu’entendons-nous par sujet pervers, considérons-nous avec Freud que le sujet est pris dans les trois temps du fantasme ? Alors, parler de fantasme dans la perversion devrait inclure les développements de Lacan, qui prend le fantasme pervers comme volonté de jouissance, dans « Kant avec Sade », établissant la différence avec le fantasme névrotique.

 

Autrement dit, de quel sujet s’agit-il quand nous parlons de forclusion dans un cas et de dénégation dans l’autre, alors que la relation au di
scours diffère ?

Ou encore,  comment concevoir ces questions au regard du sujet pris au un par un, sans tenir compte de ces structures, considérées évidemment comme discours et par conséquent comme parcours possible dans la structure ?

 

Ce que la psychiatrie moderne a précisément essayé de faire, c’est utiliser beaucoup des mots, des d’appellations, mais qui sont des noms qui précisément ne nomment pas ou qui nomment sans nommer. Ces noms (bipolaire par exemple) évitent la structure, en ne décrivant rien de plus que ses éléments ; et  font disparaître le sujet sous le poids écrasant du mot qui le définit alors.

 

Cependant, il y a d’autres noms, comme Œdipe ou Hamlet qui révèlent quelle était la conception du sujet de Freud, qui n’avait rien à voir avec la médecine, ni avec des pathologies reposant sur des variantes physiologiques (pas plus avec la psychologie comportementale, l’anthropologie ou la sociologie).

 

Il a finalement inventé une « science du réel ».

 

On voit que la question de la structure nous remet sur la voie du sujet. Ce sujet qui apparaît dans la cure, le sujet de l’inconscient. Sujet précipité, à-venir, pris dans des bouts de réel toujours au un par un.

 

Discussion

Voilà comment je voulais introduire le sujet de cette année…

 

J.J. Leconte : Tout est dit !

 

R. Lévy : Non tout n’est pas dit ! Il y a des choses qui sont des pistes de travail à etayer… s’il y a un point qui m’intéresse plus particulièrement, pour être encore plus clair, si c’est possible, la place dy fantasme dans les structures. Voire même, est-ce que ce que l’on appelle Névrose, psychose et perversion, n’est pas en fait constitué par les variantes du fantasme…Plus exactement, les variantes de la structure du fantasme… C’est comme cela que j’entendrai cette idée que Névrose psychose et perversion sont les ultimes remparts du sujet aujourd’hui. C’est-à-dire du sujet pris dans sa structure qui n’est autre que la construction du fantasme finalement pour chacun…

 

S. Sabinus : Est-ce que tu serais d’accord pour dire que s’appuyer sur ces 3 structures : psychose, névrose, perversion, montre finalement que c’est un acte politique ? Quand tu dis « qu’il y encore à dire », j’entends ça, tenir compte de ces structures montre bien que l’acte analytique est un acte politique, la manière dont tu l’amènes, la façon dont est la psychanalyse dans notre société. La psychanalyse est un acte politique ou sinon il ne l’est pas, ce mode particulier de la société du 5ème discours, celle d’une économie capitaliste  qui met en danger pas seulement la psychanalyse, elle met en danger surtout un sujet dans sa liberté. Dans sa liberté d’être dans sa dépendance non pas à un autre mais à son propre fantasme, à quel point, il est très clair que tenir compte d’une certaine forme de structure, rétablir la structure contre l’éclatement des structures sous le mode du comportement est un acte politique qu’il faut apprécier parce que nous sommes là dans une autre dimension, cela complique beaucoup les choses car cela signifie me semble-t-il que chaque cure, chaque séance est un acte politique.

 

R. Lévy : C’est un acte politique au sens il n’y a pas d’acte analytique qui ne  vise pas la dimension du  sujet. Tu as d’autres actes analytiques que celui qui visent le sujet et en que tel du coup c’est un acte politique.

 

S. Sabinus : Oui, tu as bien amené l’idée du sujet plein, ce que nous impose  la société de consommation pour aller vite. On est pas un sujet divisé ; « je sais moi ce que tu veux, , tu n’as plus qu’à te couler dans le moule ». Le problème est réglé. Il y a bien un sujet compact auquel on a affaire et auquel on a tendance à s’identifier, cela simplifie la vie. C’est un peu pénible d’être divisé car si on n’est pas divisé, c’est hyper confortable, pour un temps, jusqu’au moment où on se retrouve en Syrie.

 

J.J Valentin: En parlant du sujet plein, pas plein, pourquoi, en réentendant la formule de Lacan que vous utilisez « le sujet est représenté par un signifiant pour un autre signifiant », pourquoi ne dit-on pas, le sujet est représenté par un signifiant pour le signifiant phallique ? Est-ce qu’il faut entendre, qu’un deuxième signifiant doit venir parce que ce signifiant phallique finalement ne vient pas, et qu’il faut un autre signifiant et un autre signifiant, et un autre signifiant et un autre signifiant… Comme on le voit dans la association libre. Quel est le statut de cet autre signifiant, du deuxième ? C’est le signifiant phallique ? Pas nécessairement ?

 

R. Lévy : Le statut du signifiant phallique ? Mais ce n’est pas nécessairement le signifiant phallique, mais en tous cas, c’est nécessairement le signifiant phallique qui fait qu’on parle.

 

J.J Valentin: Je trouve que c’est une formule bizarre.

 

S. Sabinus : Cela touche quelque chose de juste, le signifiant phallique est celui qui est toujours sur l’horizon duquel ça situe … Que c’est cela que la machine déploie d’un signifiant à l’autre, dans la direction du signifiant phallique, donc il n’est pas manquant, il est toujours sur cet horizon-là à la recherche de …

 

R. Lévy  : S’il n’était pas manquant, il n’aurait pas d’Autre…

 

C. Cazzadori: C’est la case vide, le signifiant manquant, autrement c’est bloqué.

 

S. Sabinus : C’est le signifiant du manque.

 

P. Wolosko : Pour rebondir sur cette question, j’avais pensé l’automatisme mental comme une chaîne signifiante purement métonymique, le problème c’est que la chaîne métonymique ne s’arrête pas… Et ça ne change pas, on ne peut pas zapper pour changer de chaîne…

 

R. Lévy  : Quand même l’automatisme mental est la meilleure façon d’illustrer comment on est pensé par l’Autre. Sauf que là ce n’est pas une métaphore c’est vrai pour celui qui le vit et effectivement, pensé par l ‘Autre. Toute la question de la division du sujet, c’est de lui permettre justement d’avoir cette part possible entre le fait d’être à la fois dans la dimension de l’inconscient et du  conscient  plus freudiennement parlant. Or, on croit à un certain nombre de choses que peuvent démentir les actes, que l’on peut commettre. Là, dans cette forme de délire, ce qui revient de l’Autre, revient sous une forme totalement métonymique, ce n’est plus du tout méthaphorisable ?

 

P. Wolosko : Je connais une patiente dont le fils est psychotique, qui déroule sa chaîne métonymique à voix haute du matin au soir…  Sauf quand il y a quelqu’un d’autre que son fils, évidemment

 

F. Fabre : Alors on est tous parlé par l’Autre… C’est très rare que nous disions des paroles vraies, pleines, et cette opération que nous sommes obligés de faire pour être dans le langage normal, c’est quand même un sacré truc. Moi, à un moment, je me disais ce sont les fous qui ont raison. C’est ça le langage, une action comme ça qui n’a rien de naturel. Un contact fréquent avec des psychotiques  et on est pris comme ça, dans l’étrangeté… Et ce n’est plus de l’étrangeté, c’est nous qui allons pas bien… Une espèce de torsion qui nous semble on ne peut  plus naturel … Quelque part au départ on a tous été là-dedans. Il fallut un certain nombre d’opérations psychiques pour en sortir.

 

S. Sabinus :  Et tu ne crois pas que justement le psychotique sait qu’il est parlé par l’autre. Nous on ne le sait pas

 

R. Lévy : Alors vous voyez, nous ne pouvons pas nous passer des structures ; « le psychotique le sait »… C’est là-dessus que nous devons travailler.

 

S. Sabinus : Ce qui est incroyable, c’est qu’on est obligé de reprendre les structures contre ce qu’implique le DSM, l’éclatement de la structure… C’est non pas l’éclatement du sujet, c’est une compression du sujet comme finalement un élément du système capitaliste, je simplifie à l’extrême, et non plus quelque chose qu’il peut librement décider d’acheter un iPhone plutôt qu’un Samsung.

 

F. Fabre: D’ailleurs le « burn-out », nouvelle pathologie, la nouvelle demande, « Je suis en burn-out », survient à mon sens à un moment où le sujet est tellement compressé, qu’il n’a plus de possibilité d’y aller avec son symptôme pour répondre à ce grand Autre, l’extérieur, le social. A un moment, il y a une disjonction telle, que le sujet écrasé, soit se suicide, soit il y a quelque chose dans le corps qui ne fonctionne plus. Il n’arrive plus à aller bosser. C’est un peu comme ça que je me représente le burn-out comme un sujet compressé.

 

R. Lévy : Tu trouves que c’est une entité nouvelle ?

 

Françoise FABRE : Pas du tout ! C’est la demande qui se présente comme ça, c’est le symptôme qui arrive comme ça.

 

S. Granier : Que signifie burn-out en anglais?

 

F. Fabre: C’est brûlé en dehors, brûlé au corps.

 

F. Cosson: Les personnes atteintes de burn-out ce sont souvent des hystériques qui n’ont pas pu dire non… Enfin leurs conditions de travail, tu connais, faisaient qu’on les avait placé dans un réel tel, que c’était invivable.

 

C. Cazzadori: Comme c’est invivable avec des personnes comme ça on ne peut plus en placer une.

 

F. Cosson : Ah cela dépend…

 

C. Cazzadori: J’ai un patient au téléphone, il vit en Angleterre, il n’en peut plus, et je n’en peux plus de ce qu’il n’en peut plus, ça parle, ça parle.

 

F. Cosson : Au dispensaire, on s’occupait de psychotiques de la gare de Lyon, des SDF, des schizophrènes… Tous ceux que j’ai entendu, préféraient leur liberté, préféraient errer, trouver leurs papiers, poser leurs valises, prendre leurs douches, laver leurs linges dans le dispensaire on avait une petite salle.  Pour un certain nombre d’hommes en rentrant chez eux, ils ont découvert leur lit conjugal occupé, ils ont une réaction très curieuse,  ils ont refermé la porte de leur chambre, de leur maison, ils sont partis en laissant tout, certains même en changeant de nom…Cela va très loin.  Et là pour les remettre … C’était impossible, je n’ai pas réussie. L’équipe était là pour les recevoir, leur donner un repas, nous avons fait un travail avec eux, est-ce que nous les avons améliorés ? Je ne sais pas… J’en avais un qui était poète, « écoutez », me disait-il, « Quand je lève les yeux le matin, je vois ces fleurs, c’est tellement plus beau que d’être enfermé dans un hôpital psychiatrique ». C’est cet espace de liberté qu’ils recherchaient…

 

F. Fabre: Enfermés dehors… Ce serait un peu la définition de la forclusion. Dans ce qui se passe en psychiatrie depuis une bonne décennie, avec le secteur, ils avaient un peu la paix… Aujourd’hui, il faut qu’ils fassent ceci, cela, qu’ils prennent leurs médicaments, qu’ils se couchent à telle heure, il faut qu’ils aient un projet, c’est un commandement phallique qui ne tient pas compte de la structure, qui fait que cela les tue encore plus. Leur espace est balisé dehors, Ils construisent un espace de déambulation qui leur sert  ainsi d’espace psychique.

 

F. Cosson : Il faut savoir que pour avoir la paix avec la loi, on m’en a décrit un certain nombre, qui sont indics de police… C’est donnant donnant, quand ils perdaient leur carte vitale, ils pouvaient la récupérer en quelques jours, il y avait des accommodements avec la loi….

 


[1] Séminaire XI, p.24

[2] La chose Feudienne, 1955

[3] Note : De nos antécédents, Ecrits, p. 67

[4] Les Ecrits, : Le stade du miroir comme formateur de la fonction du « je »,  p. 94

[5] Position de l’inconscient in Les Ecrits, p. 835

[6] Les complexes Familiaux, p. 42, 44

[7] Les Ecrits, p.180

[8] Les Ecrits, p. 248

[9] Les Ecrits, p. 180, 181

[10] Les Ecrits, p. 71

[11] La troisième, congrès de l’EFP, Rome 01/11/1974, in lettre de l’EFP N° 16

[12] Freud, Etudes sur l’hystérie, Puf 1974, p125

[13] Esprit N° 309 Nov 2004 p. 75

[14] L’homme sans gravité. Jouir à tout prix, entretiens avec JP Lebrun. Paris Denoël 2002, p. 32

[15] Silicet N° 2/3, Paris 1970

[16] Ibid. p18

[17] Lacan, Problèmes cruciaux de la psychanalyse, séance du 10/03/1965

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