Robert Lévy séminaire 2

Bonsoir à tous et à toutes.

Nous ne pouvons pas évidemment, commencer, démarrer ce séminaire sans dire quelques mots sur ce qu’il s’est passé vendredi 13 novembre. Vous êtes tous là, c’est déjà pas mal, il y en a qui sont plus là et quelques réactions de patients sur « être là ou pas être là ». Les uns, téléphonant pour savoir si leur analyste est encore là, vivant et les autres, téléphonant pour savoir, si leur analyste est encore là pour eux, ce qui n’est pas la même chose.

Dont un patient était là, à la Belle Equipe, ce patient je ne le voyais plus depuis quel temps. Il me téléphone « Est-ce que vous êtes là » ? « Je suis là ». « Je ne vais pas venir vous voir tout de suite, encore à nouveau, je voulais juste savoir si vous étiez là ». « Je suis là pour vous, mais venez me voir ».

A l’intérieur du café, ils étaient 4 et en sont sortis à 2, un de ces amis est mort, un autre en réanimation. Le dimanche, il s’est adressé à l’équipe du SAMU à la mairie du 11ème, et il m’a dit qu’il est ressorti de là, bras dessus-dessous avec la psychologue qui pleurait autant que lui ».

Tout cela pour dire qu’il y a quelque chose qui dépasse les questions habituelles de ce que l’on peut entendre et surtout de ce qui est inentendable, parce qu’il n’y a pas de pensées pour l’écouter ou le dire. Un moment de trauma, ce trauma collectif, c’est quand même quelque chose avec quoi on ne peut qu’être  partie prenante au sens affectif, mais pas au sens analytique, c’est peut-être là où on se divise. C’est important que nous puissions nous diviser à ce moment-là, dans ce qui est du ressort d’un collectif auquel on s’identifie, ce qui fait la différence entre les attentats de janvier et ceux de ce vendredi c’est la question de l’identification, sur la question collective au mois de janvier ce qui était quand même assez étonnant, c’est que c’était « je ne suis pas Charlie », Ceux qui ont pu soutenir « je ne suis pas Charlie », ça témoignait quand même que l’autre mort, l’autre atteint par la mort, il  était ou juif ou anti-Mahomet, donc une partie de la population pouvait ne pas s’identifier à cet autre, au fond dans un réflexe bien humain, en sauvegardant sa capacité à se sentir protéger, en pensant que  les autres ce sont ceux qui meurent mais nous n’en faisons pas partie. Un pas a été franchi dans cet attentat, les autres sont devenus tous les autres, indépendamment de toute différence dans l’autre, juifs, musulmans, jeunes, vieux, américains, français … Ce sont des autres au sens large du terme. C’est cela qui fait cette identification collective ce qui a produit un effet assez particulier pour beaucoup à savoir que cette idée que ces jeunes qui sont morts sont nos enfants, même si ce ne sont pas nos enfants. C’est-à-dire que dans ce collectif il y a cette obligation signifiante à porter le deuil, à éprouver un deuil des enfants morts, bien qu’ils ne soient pas nos enfants, même si pour certains, ils le sont malheureusement. Il y a quelque chose de ce sentiment d’un deuil collectif et d’une perte des enfants même si ce ne sont pas les nôtres. Bien entendu, cela ne résout absolument pas pour autant, ce qu’il en est, de ce qui fait syndrome post-traumatique. Nous ne sommes pas dans le trauma collectif, je ne crois pas qu’il y ait de syndrome post traumatique collectif, il y a un syndrome traumatique collectif  bien sûr dont il faut recevoir les échos et en faire une lecture. Et il y a les symptômes post-traumatiques, d’un certain nombre de personnes, et là c’est quelque chose dans des coordonnées je crois un peu connues aussi de nous ; c’est-à-dire la fixité du fantasme et voire même l’impossibilité de mettre en route un fantasme, parce qu’il y a un interdit de penser, quelque chose qui n’est pas pensable, dans cette universalité de la mort des enfants quel qu’il soit. Alors évidemment pour chacun c’est pris différemment dans son histoire et c’est important que nous puissions y réfléchir en tant qu’analyste, en tant que sujet collectif nous pouvons adhérer je crois à ce deuil collectif, à cette peine immense et cette atteinte de la culture … Mais en tant qu’analyste nous voyons bien que cela à ses limites, alors que nos collègues qui pratiquent l’EMDR, les TCC continuent finalement à travailler sur l’idée collectif du deuil. Je ne crois pas que l’on puisse, nous appuyer sur cela pour soigner tout simplement un syndrome post-traumatique plutôt aux prises dans une histoire personnelle, dans un réel personnel, qui ne peut pas être dans un réel universel. La tentation et la tentative est toujours la même, de dire qu’il y a un réel universel et que c’est ça qui fait trauma. Non, il n’y a pas de réel universel. Il y a une histoire universelle qui peut être traumatique au sens habituel de la langue mais il n’y a pas de syndrome post traumatique collectif. Il faut qu’il y ait un réel personnel engagé pour un sujet particulier, pour qu’il y ait ce syndrome post-traumatisme. Je voulais parler de ces évènements qui ne sont pas finis comme nous le savons puisqu’ils se sont reproduits mais pas de façon identique ce matin… Je trouve d’ailleurs que cela est très intéressant  car ce matin, il y avait une certaine distance à l’égard de ce qui se passait, il y avait une rationalité, la police intervenait par rapport à des terroristes trouvés dans un appartement… Des choses qui reprenaient une dimension pensable. Le pensable, s’est interrompu vendredi, il y avait là une impossibilité de penser, on ne peut pas penser des enfants, tuer des enfants « pour rien » à une terrasse, j’ai aussi vécu ça sur cette forme-là, autant le dire, qu’est-ce que c’est que ce « pour rien »…C’est ça qui crée l’impossibilité de penser quelque chose précisément.

Voilà, on aura l’occasion de reprendre tout cela…

Philippe WOLOSKO : On a un peu d’exemple de cet impensable dans le stalinisme…Tuer pour rien…

Robert LEVY : Oui oui… Il y avait une rationalité absurde mais il y avait une rationalité quand même, est-ce que nous l’avons trouvé après-coup, je ne sais pas…

P.WOLOSKO : Nous ne l’avons toujours pas trouvé.

R.LEVY. Je ne sais pas si l’on peut l’approcher comme ça… Tu parles des purges staliniennes ?

P.WOLOSKO : Du type du KGB qui interroge quelqu’un et qui est exécuté avant même d’en avoir fini avec ce qu’il avait à dire.

R. LEVY : Il ne me semble pas que ce soit identique à cet événement très particulier. Nous ne pouvons pas en parler de la même manière… C’est à discuter.

Serge GRANIER DE CASSAGNAC: C’était sûrement impensable pour un certain nombre de gens. Il y avait une logique au départ la défense du prolétariat puis cela devient la défense d’un groupe autour de Staline. La rationalité c’est déplacée, comme il y avait une rationalité chez Hitler avec l’extermination.

M. ROCKWEL: Cela me fait penser à ce que disait Serge par rapport aux Tutsies et aux Hutus, il n’y avait là aucune rationalité.  Quelques années après, tu nous en avais parlé, il s’agissait des  assassins qui étaient réintégrées dans leur village sous la condition qu’ils racontent ce qu’ils avaient faits pas pour demander un pardon. Il s’agissait de réécrire une histoire subjective de quelqu’un et de ces actes, ce qui manquait complète
ment. J’ai l’impression qu’il y là avait ce même impensable, impensé, un interdit de penser.

R. LEVY : Je crois que c’est un interdit de penser surtout… Nous sommes encore sous le choc, il nous faut du temps.

S. SABINUS: Je crois que tu vas parler des EMDR et autres techniques de ce genre … Ces MDR, « mort de rire »… EMDR, mouvements des yeux… Après chacun croit…

R. LEVY : Il y a là une rationalité, je vais en parler.

S. SABINUS: Nous avons la disponibilité éventuelle à questionner de notre capacité d’écoute particulière analytique à titre individuel pour les traumatisés. Pour moi c’est vraiment une question… Je ne suis pas sur qu’on n’ait pas autant la capacité à écouter les autres…Certes, il ne s’agit pas de proposer une analyse à des personnes traumatisées qui n’ont rien demandé, mais il n’empêche que je me pose cette question, c’est une question actuelle et à venir, pour penser que ce n’est qu’un début et il y a quelque chose de notre position à titre personnel et aussi peut-être à titre institutionnel sur cette disponibilité d’écoute. Comment pouvons-nous proposer un type d’écoute non pas sur le plan collectif, groupal, social mais individuel. Quand j’entends qu’une psychologue pleure avec les gens, cela ne les aide pas. Il ne s’agit pas d’être froid et détaché. Il y a de l’interdit de penser qui est du côté idéologique, mais il y a aussi de l’impensable et proposer à des gens à titre individuel, qu’il y a quelque chose qui puisse se dire, parce que nous sommes là, en place pour entendre.

R. LEVY : Oui, c’est ce dont je vais et veut essayer de parler ce soir, cela suppose aussi, c’est extrêmement important, de ne pas lâcher la dimension thérapeutique de l’analyse. Cela à des coordonnées particulières la thérapeutique dans l’analyse, ce n’est pas la même que dans la médecine, une des coordonnées c’est cette question des bouts de réels de l’analyste, qu’il ait pu pour lui-même être travaillé ailleurs…Parce que ce qui fait la dimension d’identification affective avec l’autre est précisément ce point d’aveuglement sur lequel on partage la même peine… Or de « même peine »,  il n’y  en jamais pour la Psychanalyse. Le réel de l’un, n’est pas le réel de l’autre.  C’est un point très important à rappeler : il n’y a pas de même peine quand on est psychanalyste.

S.SABINUS: Quand nous entendons des reportages télévisés, la TV qui aime ce côté un peu pathos, on interviewe des gens pour savoir, entendre des choses qui leurs sont arrivés, je suis frappé d’entendre que les gens ne peuvent que parler à titre individuel, ils ne racontent pas la pression du sang au Bataclan, mais comment eux dans leur propre histoire, dans leur proximité, de ce quoi ils ont échappé à titre individuel, ils évoquent les enfants de leurs copains, ce à quoi ils ont échappé à titre personnel, on entend cette dimension de l’individuel, pas une seule personne ne vit la même chose, malgré en effet ce traumatisme collectif auquel on peut s’identifier.

R.LEVY : C’est la supposition que nous faisons quand on parle de sujet. Il n’y a pas de sujet qu’autre qu’individuel, le sujet collectif c’est autre chose, c’est tellement autre chose en effet, que j’insiste un peu, il n’y a pas de peine partagée quand on est analyste. Entendez ça du bon côté, cela ne veut pas dire que l’on est froid ou distant, toute peine personnelle partagée rend la thérapeutique impossible.

Alors, nous en revenons au séminaire de ce soir :

 

 

« La Psychanalyse est un procédé (verfahren) médical qui tend à la guérison de certaines formes de nervosité (névrose) au moyen d’une technique psychologique S. Freud [1]

Voilà donc la façon dont démarre ce magnifique petit article sur lequel je suis revenu que Paul Laurent Assoun a traduit pour la première fois en 1980, et qui n’avait pas été traduite jusqu’alors.

A la suite des questions qui ont été débattues après l’exposé de Françoise, je suis tombé sur la question suivante de la sénatrice  Colette Giudicelli qui attire l’attention de Mme la ministre des affaires sociales et des droits des femmes sur la prédominance de la psychanalyse dans la formation des psychologues et des pédopsychiatres.  Elle dit ceci :

« On constate ainsi que les avancées des neurosciences et de la neuropsychologie ne sont donc pas prises en compte dans les propositions de traitement thérapeutiques. Ainsi, des enfants, qui rencontrent de vrais problèmes, ne pourront être soignés par des thérapies ayant prouvées leur efficacité scientifique en dépit des recommandations régulières de la Haute Autorité de Santé sur ces questions. »

Aussi elle lui demande de lui faire connaitre les intentions du gouvernement quant à l’évolution de la formation des psychologues et des pédopsychiatres …

Il me semble donc que cette question au Ministre situe  assez bien l’enjeu auquel la psychanalyse est confrontée à nouveau : est-elle thérapeutique et si oui avec quel appareil sémiologique repère-t-elle ses pathologies afin de les soigner ? Question d’autant plus cruciale qu’une série de nouvelles thérapeutiques telles que EMDR, Hypnose et autres TCC sont officiellement accréditées par les HAS ce qui est sans précédent dans l’histoire .

Je crois que c’est une question à laquelle nous ne pouvons pas nous dérober ; mais qui n’est pas tellement récente au fond, voire même qui a toujours existée depuis la découverte de la psychanalyse. Pourtant, que faire, en ce qui nous concerne de cette patate chaude de la dimension thérapeutique des cures, puisque force est de constater que nos patients ne terminent pas leurs traitements de la même façon qu’ils y étaient entrés. Pourquoi donc avoir tant été frileux sur cet aspect alors que nous savons que, par exemple avec les enfants petits nous pouvons changer leur devenir d’existence pathologique en quelques séances et que , avec les autres il en est de même dans des modalités temporelles chronologiques différentes bien sure .

D’ailleurs Freud n’a jamais dérogé à cette dimension, voire même il a axé la transmission de sa découverte sur cet aspect franchement thérapeutique de la psychanalyse.

C’est pourquoi l’article de Freud cité en exergue de ce séminaire me parait tout à fait adapté à notre travail ; et c’est ce que je vais essayer de vous transmettre maintenant.

Evidemment notre difficulté tient à ce que la consistance même de la Psychanalyse, son identité, ne surgit que d’une certaine forme de conflictualité ou d’opposition aux autres savoirs, ce que Lacan appelait en d’autres temps la subversion.

Elle ne se pose en effet qu’en s’opposant aux autres sciences, en les subvertissant donc et s’impose en se différenciant. Différence à inclure bien entendu avec la médecine, ou plus exactement avec le mode de guérison que la médecine propose.

C’est ce que ce remarquable article de Freud nous révèle, exhumé et traduit par Paul Laurent Assoun : « l’intérêt de la psychanalyse « .

Il nous montre comment la Psychanalyse subvertit donc toute science et, comme je viens de le mentionner, ceci tout en ne pouvant déchiffrer son apport que dans le langage qu’elle subvertit simultanément également, c’est-à-dire celui de la science même.

Pourtant Freud annonce d’emblée ses couleurs :

« La Psychanalyse est un procédé (verfahren) médical qui tend à
la guérison de certaines formes de nervosité (névrose) au moyen d’une technique psychologique »[2]

Il s’agit donc explicitement de « tendre vers » la guérison des névroses et des Psychoses qui ne se réduisent pas aux questions Psychiatriques puisque : « la psychanalyse revendique l’intérêt d’autres que des psychiatres , dans la mesure où elle effleure différentes autres sphères de savoir ( wissens gebiete) et établit des relations inattendues entre celles-ci et la pathologie de la vie Psychique »[3] Et surtout la Psychanalyse  « dans les psychoses comme dans les névroses  pour la première fois dans l’histoire de la médecine permet d’obtenir un aperçu sur l’origine et le mécanisme de ces maladies . »[4]

Pourtant cette déclaration n’empêche absolument pas Freud d’être mesuré et de ne pas exclure d’autres champs de la recherche en matière d’affections psychiques : « La psychanalyse enseigne qu’une bonne moitié de la tache psychiatrique incombe à la psychologie.

Néanmoins, ce serait une grave erreur si l’on voulait supposer que l’analyse recherche ou recommande une conception purement psychologique des troubles psychiques. Elle ne  peut méconnaitre en effet que l’autre moitié du travail psychiatrique a pour contenu l’influence des facteurs organiques (mécaniques, toxiques, infectieux) sur l’appareil psychique. Dans l’étiologie des dérangements psychiques, elle ne revendique même pas pour les plus légères de celles-ci, pour la névrose, une origine purement psychogène, mais en recherche la cause dans l’influence sur la vie psychique  d’un facteur indubitablement organique à mentionner plus tard. »[5]

C’est tout de même intéressant : la volonté soi-disant freudienne d’une toute puissance  sur les questions des névroses, psychoses et autres n’est absolument pas vraie. Il a toujours évoqué des possibilités ultérieure et future et crois que nous y sommes d’une certaine façon en ce moment. Les neurosciences rendent compte d’un certain nombre de mécanismes organiques et physiologiques dont Freud a tout à fait présumé l’intérêt et la valeur, le jour où cela serait enfin possible. Ce n’est pas pour autant qu’il faille laisser de coté une autre dimension.

Par conséquent même si les points de vue biologiques doivent être tenus à l’écart le temps du travail Psychanalytique : « une fois le travail psychanalytique accompli, nous devons trouver la jonction (anschlus) avec la biologie et pouvons-nous nous estimer satisfaits si elle semble déjà assurée sur l’un ou l’autre des points essentiels. »[6]  Ce dernier élément va donner l’occasion à Freud d’indiquer l’origine des névroses :

« L’opposition entre instincts du moi et instinct sexuel, à laquelle nous devons rapporter l’origine des névroses, se poursuit dans le domaine biologique en tant qu’opposition entre des instincts qui servent à la conservation de L‘individu et tels instincts qui servent à la perpétuation de l’espèce »[7]. Nous touchons ici aux limites de ce concept de libido, objet même de la psychanalyse qui suppose un savoir qui a pour objet, l’objet  du désir qui ne se résout pas non plus avec le biologique …

Curieuse destinée d’ailleurs de ce concept de libido qui ne s’épuise pas non plus dans son contenu biologique puisqu’il ne s’agit pas seulement de de la fonction sexuelle liée à la sexualité génitale mais ne ressortit pas non plus pleinement au domaine de la psychologie.

Ce qui permet à P.L. Assoun de qualifier ce concept assez joliment  « d’objet introuvable ».[8] Libido  pourtant autour et avec lequel se structure le discours Psychanalytique. Alors nous vient tout de suite à l’esprit ce que Lacan appelle l’objet a.

C’est le but avéré de Freud en tout cas de persuader tout discours scientifique qu’il est concerné par le discours analytique, pas sans la psychanalyse donc. Peut-on dire aujourd’hui la même chose ; aujourd’hui où la science se passe très bien de la dimension, voire de l’existence même du sujet ?

Point assez facile à démontrer lorsque par exemple une thérapie EMDR est censée guérir les symptômes post traumatiques en agitant un crayon devant les yeux du patient au moment où se présente l’élément de réminiscence traumatique pour que le cerveau « permette l’intégration dans un oubli soi-disant thérapeutique de l’évènement soi-disant traumatique ». Il s’agit pourtant sans le dire de produire du refoulement sans participation du sujet à son propre refoulé.

C’est ce qui est intéressant puisque toutes ces nouvelles thérapeutiques vont avoir le même objectif. C’est-à-dire produire ce que la psychanalyse est sensée produire, à savoir refoulement ou retour du refoulé, sans sujet en quelque sorte… Comme si on pouvait fabriquer tout ce que la psychanalyse découvre et propose, de l’appareil psychique et de son fonctionnement sans que le sujet n’y soit associé du tout… C’est quand même stupéfiant !

Il n’y a par conséquent plus ni névrose ni structure à traiter, mais au moins des comportements inadaptés et au plus  des symptômes hors tout contexte historique du sujet.

Opposons tout de suite à cet exemple celui d’un médecin généraliste en analyse  qui reçoit un appel d’un de ses patients en urgence lors des attentats de vendredi. Il lui propose donc un rdv très rapide et la première question que c médecin lui pose est : « qu’est-ce que cela vous évoque d’autre ? «  Le patient fond alors doublement en larmes car il revient instantanément une agression il y a 5 ans qui l’avait conduit à l’hôpital et pour laquelle il n’avait pas été traité …. On voit bien la question de l’analyse personnelle et qui situe l’écoute mais également la dimension de la restitution du sujet à une place où l’on peut entendre quelque chose.

Donc  sujet et névrose sont concernés et si on évacue l’un l’autre suit.

Nous allons voir pourquoi dans la façon dont Freud affirme l’existence de l’inconscient et des névroses nous ne pouvons conclure autrement que : il n’y a pas d’inconscient sans névrose ou de névrose sans inconscient puisque l’inconscient c’est le refoulement et nous pouvons en mesurer, en repérer les conséquences …

C’est pourquoi nous tenons à ces structures, névrose, psychose et perversion car elles nomment de trois façons ce que nous appelons l’Inconscient …

De quelle façon, Freud va nous le montrer dans ce même article que je vais continuer à commenter.

Il ne peut en tout cas pas concevoir l’inconscient sans qualifier la psychanalyse de « procédé médical ».

Est-ce à dire qu’elle ressortit de la médecine ? Non, si on lit bien Freud il s’agit de « procédé » donc c’est une connotation technique dont le but est thérapeutique et ressortit de ce fait à a médecine sans pour autant faire allégeance au savoir médical, en tant que servant à guérir, elle participe d’un projet médical. Mais à l’aide d’un savoir original dont nous allons maintenant donner les coordonnées.

Je reprends ici les remarques de P.L Assoun qui définit avec Freud la Psychanalyse comme étant le nom de

1°D’un procédé pour l’investigation de processus mentaux à peu près inaccessible autrement.

2° D’une méthode fondée sur cette investig
ation pour le traitement de désordres névrotiques.

3° D’une série de conceptions psychologiques acquises par ce moyen et qui s’accroissent ensemble pour former progressivement une nouvelle discipline scientifique.[9]

P.L. Assoun nous fait donc remarquer à juste titre que dès 1904 dans la méthode psychanalytique, Freud reconnaissait la tâche que s’efforce de résoudre la méthode psychanalytique qui peut s’exprimer dans des formules différentes bien qu’elles soient équivalentes dans leur essence  soit :

Supprimer les amnésies, faire régresser les refoulements, rendre l’inconscient accessible au conscient, ce qui a lieu par la victoire contre les résistances[10].

Par conséquent la question de la guérison ne se pose pas comme un retour à un état antérieur évidemment mais consiste en une transformation dynamique qui peut s’exprimer en formules différentes, et dont la sanction est la guérison pratique du malade c’est-à-dire comme l’indique Freud « le rétablissement de sa faculté d’agir et de jouir »[11]

Sans pour autant en surestimer ni minimiser ses apports « je me suis tout autant opposé à la sous-estimation qu’à la surestimation de notre thérapeutique ; j’ai soutenu que les succès analytiques n’avaient rien à envier à ceux de la médecine générale, que l’analyse accomplit tout ce que l’on peut exiger aujourd’hui d’une thérapeutique. D’autre part qu’il nous fallait être préparé à en reconnaitre la limite. »[12]

Encore une fois, saluons le manque de toute puissance de Freud

Je dirai donc à la suite de ces remarques que la médecine a pour tâche de soigner  la vie et la psychanalyse  l’existence.

Alors comment ?

En tout cas la Psychanalyse ne guérit pas les âmes, comme le fait la religion. Ce que Freud reproche justement  à Pfister « vous n’avez sans doute pas besoin d’user d’une technique sévère des résistances puisque vous employez la psychanalyse au service de la guérison des âmes chez des êtres juvéniles, le plus souvent encore éloignés du sérieux de l’érotisme »[13]

Il s’agit de reprendre ce qui avait été abandonné à la physiologie c’est-à-dire les actes manqués et les rêves en les considérant dès lors comme des processus proprement psychologiques à réinsérer dans le continuum de la vie psychique. Et de façon très originale et parfaitement novatrice puisque la psychanalyse n’est pas constituée par un exercice de « transposition sur le normal des idées acquises sur le pathologique » …Mais son originalité et sa méthode tient à ce qu’elle travaille de façon prioritaire sur le normal, la normalpsychologie du psychisme et tire des règles communes entre processus normaux et processus pathologiques.

Voilà le point de jonction des structures Névrose, psychose et perversion c’est-à-dire  c’est à dire ce continuum entre le normal et le pathologique dans lequel Freud met le curseur de temps en temps sur la question du normal quand il s’agit du rêve , des actes manquée et. Mais que, en même temps, tout ces éléments qui sont des constructions psychiques sont susceptibles de nous renseigner sur la construction même de ce qu’est une névrose, une psychose et une perversion.

C’est pourquoi encore une fois j’insiste sur le fait que retirer psychose névrose et perversion à la psychanalyse serait lui retirer la constitution même de ce qu’on appelle l’INCONSCIENT et par conséquent tout repérage du sujet ; ce que les DSM ont eu la tâche de réaliser  nettement quand ils retirent au syndrome post traumatique toute question concernant un premier temps du trauma dans l’histoire du sujet.…

Je pense à la lecture que l’on peut faire avec une presque plus grande simplicité lorsque des parents annulent leur rdv après les attentats et qu’ils donnent comme raison le fait qu’après cela ils ne peuvent plus venir en laissant leurs enfants seuls alors qu’ils le faisaient précédemment.

La lecture que je peux faire est la suivante : vendredi des enfants sont morts sous le feu d’un désir innommable, mort d’un enfant qui les renvoie à la raison pour laquelle ils étaient venus me consulter à savoir justement l’imminence possible de la mort de leur enfant à sa naissance, qui avait considérablement traumatisé ce couple au point de n’avoir plus ensuite de vie tranquille possible.

Voilà comment ce traumatisme collectif vient relancer quelque chose du trauma au un par un qui a à voir, non plus avec la mort de ces enfants sur les terrasses mais avec la mort de leur enfant. Donc il s’agit de ne pas le laisser seul…

Il ne s’agit pas pour la psychanalyse  de pathologiser la vie psychique ; mais au contraire  d’assumer cette investigation des processus psychiques pour montrer qu’il y a une syntaxe commune avec le registre pathologique.

Ainsi, pour Freud le rêve devient la clé de ce qui « ouvre tous les mystères de la psychologie névrotique  .Le rêve devient ainsi le paradigme normal (normalvolbild) de  toutes les fonctions psychopathologiques. Qui comprend que le rêve peut aussi percer le mécanisme psychique des névroses et des psychoses.»[14]

Et Freud d’ajouter encore en insistant si besoin était « La psychanalyse a été mise en état, par ses considérations émanant du rêve, d’édifier une psychologie des névroses à laquelle on ajoute, morceau par morceau, en un travail qui se poursuit continuellement. »[15]

La conséquence est la suivante « la démonstration que de nombreux phénomènes de la pathologie dont on croyait pouvoir donner une explication physiologique sont des actes psychiques, et que les processus qui nous livrent des résultats anormaux peuvent être ramenés à de forces pulsionnelles psychiques. »[16]

Ainsi quels sont ces actes psychiques dont Freud nous souligne la dimension de « force pulsionnelle » ?

Tout d’abord les attaques hystériques qui sont les symptômes d’une excitation émotive aigue et assimilées aux éruptions d’affect (affektsanbruchen).

« Des représentations mimiques ou hallucinatoires de fantasmes.[17]Qui règnent inconsciemment sur la vie affective de ceux-ci et signifient une réalisation de leurs désirs secrets refoulés. »

C’est donc un conflit psychique qui signifie la lutte contre de telles motions désirantes (wunschregungen).

Pour la névrose obsessionnelle il faut reconnaitre combien sont signifiantes toutes les actions compulsionnelles et reflètent, tout comme pour l’hystérie des conflits vitaux.

C’est donc « l’examen analytique qui a montré ici que les affects sont pleinement justifiés, dans la mesure où ils expriment des reproches, à la base desquels git au moins une réalité psychique ((psychische réalitat). Mais les représentations attachées à ces affects ne sont plus les représentations originaires, mais sont parvenues à cette liaison par déplacement (remplacement, substitution) de quelque chose de réprimé. La réduction (rétrogradation) de ces déplacements fraie la voie à la connaissance des idées réprimées et fait apparaitre la liaison d’un affect et d’une représentation tout à fait appropriée. »[18]

Je faisais remarquer à une patiente qui ne se remettait pas d’un contrat qu’elle ava
it accepté de la part d’un homme avec lequel elle travaillait au point d’en être déprimée et d’avoir perdu ses cheveux (ce contrat faisait traumatisme pour elle) ; je lui faisais remarquer donc que la façon dont elle qualifiait cet homme, les signifiants le définissant étaient ceux-là même que je lui avais déjà entendu utiliser à propos d’un autre homme. A savoir celui qui l’avait violée jeune fille auquel elle n’avait pas pu non plus s’opposer et avait dû accepter puisqu’elle ne pouvait pas crier étant donné que se parents se trouvaient à coté…Pourtant elle disait que le second n’était pas un violeur… mais elle en parlait avec les mêmes signifiants… Effet du déplacement et de la condensation, comme dans le rêve le résultat traumatique s’avère être pourtant identique….

Identique à la façon dont « chaque rêve est signifiant, son étrangeté provient des déformations (enstellungen) qui ont été entreprises pour l’expression de son sens, son absurdité est intentionnelle et exprime de la dérision, de l’ironie et de la contradiction, son incohérence est sans importance dans l’interprétation »[19]J’ajouterai qu’en effet peu importe le sens pourvu qu’on ait les signifiants …

Autant dire que quels que soient les condensations (verdichtung) ou les déplacements (verschiebung) on s’y retrouve dans l’interprètation pourvu qu’on suive les signifiants car ils témoignent sans cesse de la place du sujet. Et ce, indépendamment de la chronologie et indépendamment de la représentation… Élément tout à fait capital…

Ainsi ce qui fonde avant tout le lien entre construction psychique et symptômes, en d’autres termes entre sujet et névrose, c’est pour Freud les actes manqués, oublis de mots, de noms, de projets et lapsus linguae ou de lecture mais aussi lapsus d’écriture ou encore l’égarement de choses qui deviennent introuvables. Tous ces éléments que l’on peut qualifier de symptomatiques font dire à Freud que « les actes manqués sont des phénomènes psychiques complets et ont toujours un sens et une tendance. Ils sont au service d’intentions déterminées qui, en raison de la situation psychologique du moment, ne peuvent parvenir à s’exprimer autrement. Ces situations sont en général celles d’un conflit psychique par lequel la tendance sous-jacente est privée d’une expression directe et repoussée vers une voie indirecte…. »[20]

J’ajouterai que l’acte manqué est toujours réussi et tout  comme le rêve  construit avec la censure, le  désir et la culpabilité. je pense à une patiente qui revient demander quelque chose après deux tranches d’analyse à partir d’un acte manqué qui est le suivant. Cet été elle part en weeks end dans le sud pour une formation et alors qu’elle est en train de prendre un bain très relaxant, elle se dit qu’elle devra faire attention en en sortant. Elle sort de la baignoire, glisse et se rompt Quatre côtes avec un pneumothorax ( perforation du poumon). Elle ne va pas tout de suite aux urgences et pense qu’elle s’est fait, comme d’habitude dit-elle quelques bleus.

Donc elle finit par arriver aux urgences dans un état de quasi mort et me dit qu’elle vient à nouveau car à sa sortie elle s’est encore assise chez elle sur sa table en verre et s’est perforée la cuisse alors qu’elle ne s’assoit jamais sur cette table. Elle vient donc me revoir car ce weeks end de formation était le seul qu’elle s’était octroyée en n’allant pas s’occuper de son père de 91 Ans, elle s’en était effectivement sentie très coupable ; mais en fait au-delà de cette punition cet acte lui avait quand même permis, au prix de risquer sa vie d’interrompre ses visites à son père pendant plusieurs semaines. On apprendra quelques séances plus tard que ce père représente un déplacement d’une mère qui ne l’avait jamais aimée, père dont elle attend encore qu’il lui donne cet amour auquel elle ne peut toujours pas renoncer et qui l’aliène à des taches de plus en plus exigeantes auprès de lui. Avec tout de même ce petit bémol de la haine qu’elle en éprouve pour lui et qu’elle pourra finalement formuler sous la forme d’un vrai désir de mort : « je souhaite qu’il meurt pour en être débarrassée » Par conséquent la culpabilité éprouvée n’était pas tant de ne pas aller le voir ce fameux weeks end mais de ce désir de mort pour son père qui apparait maintenant, punition qu’elle s’inflige en risquant sa propre mort dans l’acte manqué…. Effectivement comme le dit tellement bien Freud « notre maladresse devient assez souvent le voile (deckmantel) de nos intentions secrète »[21]

Par conséquent il y a un continuum entre les formations de l’inconscient et la névrose « et en effet la psychanalyse a montré  que les hypothèses d’une activité psychique inconsciente, de la censure et du refoulement, de la déformation et de la formation de substitution (ersazbildung) qui ont été obtenues par l’analyse de ces phénomènes normaux  nous rendent possible également la première  compréhension d’une série de phénomènes pathologiques, nous mettent en main (in der hande spielen) en quelque sorte la clé de tous les mystères de la psychologie névrotique »[22]

Ainsi, ce que Freud découvre c’est que ce qui importe n’est pas la vérité de l’énoncé mais celle de l’énonciation et que la vérité a structure de fiction à déchiffrer en savoir textuel. Aussi la réalité matérielle importe peu puisque que, que ce soit vrai ou faux, ce qui importe ce sont les effets d’après coup car ce qui compte et fait souffrir ce sont les réminiscences venues comme retour du refoulé. Ce que Lacan va formuler de la façon suivante en reprenant d’ailleurs à son compte le terme hystérique dans le sens de la névrose :

« L’ambiguïté de la révélation hystérique du passé ne tient pas tant à la vacillation de son contenu entre l’imaginaire et le réel, car il se situe dans l’un et dans l’autre. Ce n’est pas non plus qu’elle soit mensongère. C’est qu’elle nous présente la naissance de la vérité  dans la parole, et que par là nous nous heurtons à la réalité de ce qui n’est ni vrai ni faux : du moins est-ce là le plus troublant  de son problème. Car la vérité de cette révélation, c’est la parole présente qui en témoigne dans la réalité actuelle et qui la fonde au nom de cette réalité. Or, dans cette réalité, seule la parole témoigne de cette part des puissances du passé qui a été écartée à chaque carrefour où l’évènement a choisi ».[23]

Il me semble que ces éléments nous amènent à penser la question de la psychanalyse autrement. C’est-à-dire que la dernière fois on s’était un peu préoccupé de savoir si au la psychanalyse n’était pas une croyance en l’inconscient ; je crois qu’avec ces éléments on peut dire que c’est une question mal posée car ce qui importe c’est celle de savoir quel est le statut de la vérité que l’on choisit?  Et la réponse est claire : quelle est la vérité  c’est celle  de la parole actuelle qui témoigne de ce qui a été écarté du passé où l’évènement traumatique a eu lieu.

Autant dire que si nous pouvons croire en quelque chose c’est bien dans ce fait que parler c’est dire sans cesse quelque chose d’un passé qui ne se dit pas à quelqu’un seulement à celui qui veut bien l’entendre ….

Discussion

R.Lévy: Donc, on ne peut pas se dégager de névrose, psycho
se et  perversion, pas à prendre au sens de la psychiatrie du terme mais à prendre au sens d’une continuité obligatoire entre la construction même de l’appareil psychique et de ses effets. Ce n’est pas une pathologie,  c’est un continuum qui rencontre à un bout ou à un autre de la chaîne de ce que c’est qu’une construction psychique. C’est évidemment très éloigner de la sémiologie psychiatrique… Encore que pourquoi ne pas concevoir et je crois que nous pouvons tout à fait le faire, qu’il existe une sémiologie psychanalytique si on est freudien. Il n’y a pas de raison d’éviter cette dimension, cette fonction de la psychanalyse, comme cure au sens thérapeutique, ni d’éviter ce qui est très important dans la psychanalyse comme cure de thérapeutique, nous oublions que les cures psychanalytiques sont curatives. Ce n’est pas seulement un parcours. C’est un travail qui mène à quelle chose, pas un travail pour un travail, voilà quelques éléments que je mets en débat.

 

S. Granier De Cassagnac : Par rapport à la question du refoulement, et la façon dont tu opposais les techniques, quand on raisonne avec ce modèle, psychose, névrose et perversion, la question ne se pose pas du tout de la même façon selon que l’on aborde quelqu’un qui est du coté de la psychose et quelqu’un qui est du coté de la névrose et raison de plus lorsqu’o aborde les enfants. Parce que tu faisais remarquer qu’avec les techniques d’hypnose, il s’agit de fabriquer un refoulement. Au moment où tu disais cela, je me suis dit que c’est un refoulement de quelque chose qui est d’une  émergence d’un réel qui est comparable à ce qui peut ce construire avec des enfants lorsqu’on dit qu’avec eux il s’agit de fabriquer du refoulement.  D’ailleurs généralement, ils se débrouillent très bien pour le fabriquer eux-mêmes.

Robert Lévy : Mais c’est avec eux, pas sans eux. Car dans l’hypnose et dans l’ EMDR cela m’est apparu extrêmement clairement, que la communauté de ces deux éléments avec les TCC s’appuie sans le dire sur les mêmes éléments qui sont les nôtres en faisant en sorte que les patients n’y soient pas conviés.

S. Granier : Quelquefois avec des gens qui sont du coté de la psychose, il peut y avoir fabrication d’un refoulement. Je me souviens d’un truc que tu avais dit il y a longtemps en lien avec  Alfandari où il avait repéré quelque chose d’oublié, qui avait fait que son patient avait complément changé sa structure psychique après une séance dont il avait été incapable de se souvenir. Il revenait là-dessus, qu’est-ce que j’ai pu dire que j’ai oublié. Il y avait eu fabrication d’un refoulement. Le patient notait cette séquence comme importante de son histoire.

Robert Lévy : Je partage avec toi tout à fait cette idée que ce n’est pas la même chose dans ces trois types de structures.

S. Granier: Dans ce que défendent les partisans des TTC, concernant les syndromes post traumatiques, il peut y avoir cette idée là, de faire oublier quelque chose de l’appareil psychique, d’effacer quelque chose, d’effacer quelque chose, du vécu psychique. C’est vrai que ça peut marcher, non, en tant que cela fait disparaître un symptôme.

R. Lévy: Ça ne marche pas, si,  de façon transitoire pour un certain moment et un certain temps, mais forcément ça réapparait sous une autre forme, autrement.

S. Sabinus : Nous pouvons avancer que ces techniques sont des techniques qui confortent le traumatisme au sens de on continue de faire croire à ce sujet qu’il n’en est pas un, que quelque chose peut se passer sans lui. Nous pouvons dire qu’en fait de combattre le traumatisme, cela va dans le même sens que le traumatisme, ce n’est pas étonnant, ça guérit au sens comme l’aspirine fait passer le mal de tête, mais cela ne peut pas aller mieux  au sens profond du terme au sens du sujet, cela va mieux temporairement au niveau du symptôme mais pas au sens du sujet.

R. Lévy : De plus, l’honnêteté scientifique ne vas pas jusqu’à évoquer quelle est la part de suggestion dans ces techniques. Et encore moins du transfert dans ces techniques, parce que si il y a quelque qui marche c’est quand même ça.  Quand on s’adresse à ces personnes on a recours au transfert, on s’adresse dans le transfert au supposé savoir… Ils y sont forcément pris qu’ils veulent ou non…

S. Sabinus : Ce qui est grave c’est que le sujet supposé savoir, s’oublie aussi en tant que sujet, il applique une technique objective comme un chirurgien,  il est technicien objectif qui agite son crayon devant les yeux ou prononce quelques phrases.

Robert Lévy: C’est là que c’est intéressant c’est quand une de ceux-là, psychologue sort en pleurant, la ça commence à m’intéresser pour toutes les raisons que tu es en train de dire. C’est-à-dire l’idée que c’est une technique qu’on applique, qu’il n’y a pas de sujet là-dedans et que ça va très bien marcher comme ça. C’est lorsque cela ne marche pas que cela devient intéressant

Participant : si elle s’interroge là-dessus, elle peut peut-être en faire quelque chose

S. Sabinus : La psychologue qui pleure cela confirme qu’elle est bien traumatisée.

Jean Jacques Valentin : Je trouve qu’il reste que cette expression de l’analyse produisant du refoulement… Cela me questionne.

S. Garnier: Je disais cela pour les enfants.

JJ.Valentin: Oui pour les enfants, mais ce que disait Robert me paraissait plus large, car il me semblait que tous les exemples que vous donniez allaient dans un autre sens que celui que produire du refoulement. C’est quelque chose que j’ai du mal à saisir : l’analyse productrice du refoulement. C’est-à-dire que les représentations de nouveaux conscientes pourraient être refoulées ? Elles ne seraient pas dans le refoulement mais dans un état de suspens, en souffrance.

R.Lévy: En souffrance d’une représentation impossible à se souvenir, mais dont les effets se déplacent sur d’autres représentations. C’est ce qui fait qu’à l’occasion d’un nouveau traumatisme, d’ailleurs ce n’est pas forcément un traumatisme. Si c’est un traumatisme c’est accessible de façon plus directe, par exemple quelqu’un perd son travail, se trouve dans une situation de profonde dépression, personne ne comprend rien, les médicaments n’ont aucun effet sur ce type de dépression puis on s’aperçoit, quand elle s’adresse à un analyste, que petit-à-petit cette perte de travail le renvoi par une chaîne de déplacement à quelque chose qui a été traumatique dans un premier temps qui est resté complètement sans bruit, cet évènement premier traumatique, n’est pas apparu traumatique avant la perte du travail, comme traumatique. Autre exemple, mon chat est mort, je tombe dans une dépression catastrophique, pareil impossible… Ce sont après des années et des années à l’occasion, là encore de résistance à tout autre traitement, on s’aperçoit par une chaîne, peu importe les détails, ce qui importe c’est la structure du fonctionnement, ça renvoie à un premier traumatisme pour le coup infantile très ancien du côté de la perte qui est inconscient et non refoulé.

S. Sabinus : Ce qui est non refoulé c’est le premier traumatisme qui n’est pas intégré à l’appareil psychique, il n’est pas intégré aux représentations, ce n’est pas le chat
qui est mort qui doit être refoulé, c’est le fait que le chat est mort renvoi à ce premier traumatisme inconscient et non refoulé. Il vit sa petite vie dans son coin, il n’est pas intégré  à l’appareil psychique, aux représentations.

S. Granier: On pourrait placer là la forclusion ?

R. Lévy: Ah non non ! La question de serge est pas mal car elle va me permettre de vous dire à quoi cela me fait penser… Par un autre biais, si on reprend le syndrome post-traumatique, c’est la rencontre avec un réel qui éfracte le fantasme de quelqu’un. Ce fantasme éfracté ne permet plus de filtrer justement ce réel qui arrive. Alors ce n’est pas n’importe quel réel qui éfracte le fantasme, c’est avec certains signifiants qui sont à repérer. Ce n’est pas un événement en tant qu’évènement, c’est un réel,  un évènement qui se représente par des signifiants, ce ne sont pas n’importe lesquels… Sur le même évènement de la grande histoire, ce n’est pas tout le monde qui va avoir un syndrome post-traumatique. Quand la bombe, dans le métro ou RER, il y a 20 ans, a éclaté, une étude très intéressante a été faite et a montre qu’il y avait trois catégories de personnes qui ont réagit :

1 – Celles qui étaient finalement choquées mais pas traumatisées, on les a sorties du métro ou RER, cela a été pour ces personnes.

2 – Celles qui apparemment n’étaient pas choquées ou un petit peu mais qu’on a quand même adressées à l’équipe des psychologues pour parler de ce qu’elles ont ressenti.

3 – Celles qui n’étaient pas choquées, pas traumatisées et qui un, deux trois  ou quatre ans après se sont mises à délirer ou à déprimer de façon vraiment grave. C ‘est l’histoire de mon chat…

Comment on comprend ça ? Tout le monde n’a pas dans le coin de sa tête un premier traumatisme en souffrance, pour avoir un syndrome post-traumatique, il faut qu’il y ait ce premier temps traumatique. Ensuite se divisent les gens en fonction d’un certain nombre d’autres éléments, Alors pourquoi ? Parce que ce réel effractant le fantasme, réduit au plus près l’identification et l’objet et à ce moment-là, il n’y a plus de refoulement possible. C’est un de ses seuls moments, ou on peut assister à un élément psychotique, alors que ce ne sont pas des personnes qui ont une structure psychotique. Ce sont des personnes qui se mettent à ce moment-là à délirer et ils ne sont pas psychotiques. Cela veut dire que ce moment-là d’effraction du fantasme produit un suspend du refoulement, c’est-à-dire qu’il n’y a plus de métaphorisation possible.. Nous pourrions par ce biais-là rendre compte de votre question sur pourquoi le refoulement…

P.Wolosko: Alors ce qui n’est pas refoulé revient dans le réel comme pour les psychotiques.

S. Granier : C’est pourquoi je disais forclusion.

R.Lévy : Oui oui, c’est pour cela que je me suis servie de ce que tu me disais…

S. Sabinus : Je ne suis pas sûr que ce soit la forclusion, la forclusion fait partie de la structure

R. Lévy : Oui, le refoulé revient dans le réel comme dans un moment psychotique. Je ne crois pas non plus que cela soit une forclusion, ce serait plus un moment de suspend des capacités de métaphorisation mais ça ne suffit pas pour parler de forclusion.

S. Sabinus : La forclusion fait partie de la structure.

S. Granier : Quand je parlais de forclusion, je ne pensais pas à l’évènement actuel mais à celui du passé, je pensais à la base d’une évolution classiquement névrotique, il peut  y avoir une forclusion partielle.

S. Sabinus : Est-ce que tu ne crois pas que ce n’est pas la différence qu’il y entre la dénégation  et le déni, par exemple. Cela dépend de la manière dont il est exclu de la continuité ? Il y a différentes façons d’exclure. Structurellement, cet élément-là est hors circuit de façon structurelle, alors que pour l’autre, il n’empêche pas la fabrication du sujet en tant que tel… il y a juste un élément insignifiant qui reste du côté du déni. Je voulais juste reprendre peut-être une chose : tu disais, on n’a pas tous des traumatismes, en fait on en a tous un et celui qui est fondamental, il y en a un au moins un,  est celui du sexuel. Je pense que c’est à cela que cela réfère tout le temps. Il y a ceux qui se retrouvent au Bataclan, ceux qui sont à côté, et en effet, toutes les variantes dont la manière dont on réagit revient à un traumatisme sexuel, cela réfère à des traumatismes cachés, pour chacun et selon son histoire est mis de côté, dans cette même intensité et cette même violence, en remettant en cause, en jeu comment chacun, tout petit enfant,  a dealé avec ce traumatisme là, ce qu’il en a fait et c’est ça qui est remis à l’épreuve ? Comment le refoulement s’est fait à partir de ça ?

P. Wolosko: A propos du premier traumatisme, Freud dit : « il y a un traumatisme, un passage à l’acte du père  sur la  fille, et il se rend compte que c’est fantasmatique ».

JJ Valentin: Ce n’est pas toujours fantasmatique. L’histoire d’Emma n’est pas fantasmatique du tout.

S. Sabinus : Comme c’est fantasmatique, c’est pour tout le monde. Tous nous n’échappons pas au fantasme. Effectivement ceux dont le père, le grand-père, l’oncle a tripoté l’enfant cela reste quand même des cas particuliers, relativement exceptionnels, tous autant que nous sommes, nous n’échappons pas au fait du fantasme.

P. Wolosko: Ma question c’est : quelles sont finalement les relations entre la formation du fantasme et la question du premier traumatisme…Comme s’il y avait un moment de formation du fantasme…Il y  a bien un moment de la formation du fantasme, pour toi Robert cela date du moment de la subjectivation. Serge dit : « c’est l’option du sexuel ». cela ne semble pas contradictoire

R. Lévy: Je crois que Freud répond par avance à cette question en parlant de la croyance de l’inconscient. La vérité à laquelle on se réfère dans l’écoute c’est celle qui dit qu’au fond ce qui est vrai, c’est ce qu’on dit. Il n’y a pas de différence de réalité ou pas …

P. Wolosko: Ce n’est pas la question, est-ce que ce n’est pas au moment de la formation du fantasme qu’il est lui-même traumatique. Est-ce que dans la formation du fantasme il n’y a pas déjà une préparation, puisque c’est dans deuxième traumatisme que l’effraction du fantasme que se produit le post-traumatisme,  quelque chose qui vient frayer un chemin d’un deuxième traumatisme, et que le premier serait justement dans le temps de la constitution du fantasme.

S. Granier: Ce qui irait dans ce sens c’est quand tu parles d’un temps du fantasme qui ne revient pas quoiqu’on fasse.

R. Lévy: J’aime bien la formule de LACAN, qui réfère ça à ce moment particulièrement secouant d’entrer dans le symbolique. Cela me parle dans ce que tu dis. Je le verrai plutôt comme ça. Ce  qui est traumatique aussi aberrant que cela puisse paraître, c’est de rentrer dans ce moment particulièrement turbulent, c’est de rentrer dans le symbolique et c’est ça qui est traumatique et qui fait effraction dans le réel.

P. Wolosko: L’entrée  dans le symbolique ce n’est pas la même chose
, que le Nom du père. L’entrée dans le symbolique c’est très tôt…

R. Lévy: Là-dessus, on discute ! Je pense que l’on ne cesse jamais d’essayer de continuer de rentrer dans le symbolique ; ce n’est jamais vraiment fait, ce n’est pas quelque chose d’acquis, la preuve en est le syndrome post-traumatique, cela montre bien que ce n’est pas quelque chose d’acquis et qu’il suffit d’un évènement et d’une mauvaise rencontre avec le réel pour que cela ne marche plus. Et il y a d’autres moments…

P. Wolosko: Les psychotiques ont quand même un symbolique.

R. Lévy: A leur façon.

P. Wolosko: C’est la question de l’entrée dans le symbolique. Si l’entrée dans le symbolique c’est avoir accès au langage…

R. Lévy : C’est un premier temps mais cela ne suffit pas…

P. Wolosko : c’est un premier traumatisme qui peut correspondre au fantasme, traumatisme qui correspond au « fort da » et il y a un deuxième temps … Les psychotiques ont accès au symbolique, il y a deux entrées dans le symbolique.

R. Lévy: Non ça ne suffit pas. Il n’y en a pas deux mais cinquante mille, on essaie sans cesse de rentrer dans le symbolique, de s’y accrocher. Nous avons été nourris au biberon lacanien, avec cette idée qu’ une fois qu’on avait le Nom du père on serait tranquille, et bien pas du tout, nous ne sommes jamais tranquille, du fait même de notre entrée dans le langage, il y a des personnes particulièrement fragiles du symbolique précisément. Au fond, si on ne parlait pas on serait beaucoup plus tranquilles avec le symbolique car nous n’en aurions pas besoin.

Participant : L’entrée du symbolique aussi comme l’inscription de la lalangue qui permet aussi l’inscription dans le symbolique.

Robert Levy : On voit bien que cela ne suffit pas non plus, c’est encore un autre moment… Il y a des moments par exemple, du côté féminin dans l’enfantement, pourquoi dans ces  moments-là,  il y a des moments de délire possible par exemple ? On voit bien que c’est encore un moment que se joue et se rejoue l’entrée du symbolique.

P.Wolosko: C’est pourquoi, nous pouvons dire que le sexuel ne cesse pas de ne pas s’inscrire.

R. Lévy : Exactement…

Chantal Cazzadori: Le symbolique ne recouvre pas tout…

R. Lévy: Non, c’est surtout que nous ne sommes pas complètement recouverts par le symbolique, enfin sortez couverts…

 


[1] L’Intérêt de la Psychanalyse  Article paru en 1913 dans la revue Italienne SCIENTIA , Organo internazionale di sentesi scientifica , Volume XIV , VII° année L’article de Freud se trouve en deux parties , la première au N° XXXI du volume P.240 , 250 et la seconde au N°XXXII du même volume P.369,384 Chaque partie porte en signature « Wien, Universitat.Sigm.Freud » Nous devons sa première traduction Française à Paul Laurent Assoun  in S. Freud L’intérêt de la Psychanalyse PR2SENT2 ? TRADUIT ET COMMENT2 PAR Paul Laurent Assoun  ED. RETZ CEPL 1980

[2] S. Freud in Assoun Déjà cité P. 53

[3] Ibidem P.54

[4] Idem

[5] Ibidem P.70

[6] Idem P. 81

[7] Idem

[8] P. 39

[9] S. FREUD GW XIII 211 Cité par P.L Assoun opus cité P.103

[10] S. FREUD GW V 8 Cité par P.L. Assoun P. 105 opus cité

[11] Ibidem cité par Assoun …

[12] Freud Pfister opus déjà cité P.175

[13] Lettre 19   5/6 1910  IN correspondance  de Sigmund Freud avec le Pasteur Pfister  1909 -1939 GALLIMARD 1966 P.73-74

[14] FREUD l’intérêt p.65

[15] Idem

[16]IbidemP.67

[17] Freud p.66

[18][18] IdemP.68

[19] Idem P.62

[20] Idem P.56

[21] Ibidem P.60

[22] IdemP.65

[23] J. Lacan ECRITS LE SEUIL 1966 P. 255

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