Robert Lévy séminaire 3

NEVROSE  PSYCHOSE PERVERSION DE FREUD A LACAN

Après cette très intéressante intervention de Radjou la dernière fois et les échanges qui s’en sont suivis, je souhaiterais revenir ce soir sur des fondamentaux. En effet si Lacan peut argumenter sa théorie c’est dans un souci permanent de son retour à Freud ; alors de quel retour s’agit-il lorsque nous parlons de structure ?

Je voudrais repartir pour ma part de ce que j’avais avancé la fois passée de l’idée d’une fragilité constitutive du symbolique chez tout parlêtre et ce quel que soit la structure à laquelle on se réfère. Je trouve que c’est cela le point intéressant. Ce n’est pas une affaire qui serait liée spécialement  à la structure névrotique ou psychotique mais qui traverse toutes les structures. Si tant est que l’on garde ce terme, c’est la discussion de cette année…Radjou a apporté des arguments un peu à l’encontre de cet appui et j’essaierai de voir encore ce soir si cela peu tenir après le travail de Lacan ainsi que le travail clinique que nous faisons chaque jour avec nos patients.

En d’autres termes comment maintenir ou encore mieux construire  de la métaphore là où elle peut venir à disparaitre même momentanément. C’est donc cela une fragilité du symbolique c’est-à-dire que rien n’est jamais acquis du pont de vue de sa construction du symbolique et qu’il y a des moments où la question même de la métaphore est atteinte, ce qui est un peu plus qu’une fragilité. J’ai déjà un certain nombre de fois développé cette question, mais je voudrais apporter une précision, peut être, qui concerne l’idée que maintenir de la métaphore et plus spécialement de la métaphore du sujet dans des circonstances extrêmes qui peuvent porter atteinte au fantasme, c’est souvent recourir à une fiction. Voilà ce que je vais essayer de vous dire ce soir… Construire de la fiction comme semblant de métaphore. Ce que je veux dire par là est que ces moments extrêmes, qui sont comme je l’ai souvent dit des rencontres avec le réel qui portent atteinte au fantasme comme par exemple le moment traumatique, nous amènent à repenser justement cette question de fragilité du symbolique. De la nécessité pour que ce symbolique puisse à nouveau se reconstruire du recours à une fiction métaphorique. J’ai un nouvel exemple très récent qui concerne les derniers attentats. Un patient se trouve dans l’un des cafés atteints par les kalachnikov des djihadistes et se retrouvant par chance par terre à l’intérieur pour se protéger des balles, il pense : « Ce doit être une mauvaise plaisanterie des gamins du quartier qui lancent encore des pétards… ». C’est quand même une étrange façon d’envisager cette rencontre avec le réel. En même temps je peux dire que ce recours à cette fiction lui a permis de ne pas être traumatisé là où il n’y avait pas de mot pour dire ce qui était en train de se passer ni de temps d’anticipation nécessaire pour anticiper une fiction « imaginariser » l’évènement avant qu’il ait eu lieu… Aucun syndrome post traumatique chez ce patient alors qu’il a perdu plusieurs amis et que d’autres ont été amputés etc… Je pense que vous savez maintenant qu’ils ont tiré avec des balles « doum doum », c’est-à-dire des balles qui éclatent à l’intérieur du corps, donc les survivants de cette boucherie ont été pour beaucoup, amputés… Je rapproche cet évènement de celui dont j’ai déjà souvent parlé, cité par primo Levi dans Si c’est un homme. Livre dans lequel il raconte que chaque matin il « fictionne », c’est-à-dire qu’il  produit de la métaphore là où elle disparait en raison des évènements traumatiques qui l’entourent en se lavant les dents sans brosse ni dentifrice et se lave sans savon face à ses camarades qui le prennent pour un fou. Mais on peut aussi rapprocher les parties d’échec imaginaires de Zweig de ce même processus de fiction producteur de métaphore du sujet. Il faut remarquer également, chose que je n’avais pas fait jusqu’à présent, que cette « fictionnarisation » est rendue possible grâce à une forme de déni voire de démenti donc de louche refus de ce qui se passe autour des personnes concernées que je viens de citer.

La question est alors la suivante : existe-t-il une sorte de démenti qui ne serait pas du ressort de la perversion ? Ou encore, la perversion est-elle la tentative par ce louche refus d’un mode de défense contre l’atteinte de la métaphore du sujet  ce qui, dans ce cas, reviendrait à nous interroger sur la question de la perversion comme modalité ultime de défense contre la psychose ? Et par conséquent situerait cette fictionnarisation comme Sinthome ? Mais n’est-ce pas justement dans ce sens que Lacan infléchit la perversion en la renomment de « père version » en faisant équivaloir un quatrième anneau au nœud borroméen au père et au symptôme ? Pour faire valoir justement cette fragilité du symbolique ?

« Ce n’est pas que soient rompus le symbolique, l’imaginaire et le réel qui définit la perversion, c’est qu’ils sont déjà distincts et qu’il en faut supposer un quatrième, qui est le Sinthome en l’occasion, qu’il faut supposer tétradique, ce qui fait le lien borroméen, que perversion ne veut dire que version vers le père et qu’en somme le père est un symptôme ou un Sinthome, comme vous voudrez »[1]

Très intéressant… On voit bien comment, sur une modalité le père peut faire symptôme et sur une autre, il peut faire sinthome, ce qui n’est pas la même modalité…

On peut d’ailleurs un peu préciser les choses puisque au fond, cette fragilité rend compte de ce manque constitutif dans le symbolique que Lacan écrit :S (A). Au fond le manque constitutif du symbolique, la fragilité du symbolique n’est rien d’autre que le S de A barré, c’est à dire qu’il n’y a pas de garantie de la vérité. S’il y avait une garantie de la vérité, on pourrait compléter le symbolique de telle sorte qu’il soit enfin constitué définitivement or cela ne marche pas justement. Et de ce fait, il n’y a pas de garantie de la vérité.

Point très précis que Lacan instaure dans la rupture avec les deux universaux l’homme et la femme.

Une autre conséquence qui a à voir avec la même chose c’est que l’Autre comme lieu des signifiants est incomplet, barré  (pas de garantie de la vérité) et par conséquent détermine un impossible quant à l’inscription de ce qui pourrait faire rapport. Rapport donc entre deux jouissances celle d’un homme et d’une femme… En sachant que c’est en fonction de modalités différentes de rapports à la jouissance phallique justement que les deux sexes répartissent leur déclaration sexuelle. En effet « la  jouissance phallique est l’obstacle par quoi l’homme n’arrive pas, dirais-je, à jouir du corps de la femme, précisément par ce que ce dont il jouit, c’est de la jouissance de l’organe »[2]

Mais ce qui est à noter c’est que ce manque dans le symbolique, cette incomplétude donc ou ce manque de rapport sexuel qui puisse s’écrire, écrit du même coup la place possible de la perversion. Puisqu’il suffit de compléter à nouveau S (A) par l’objet a pour en faire un S(A). C’est-à-dire que la complétude du grand Autre ne se fait qu’avec le recours de l’objet a, invention de Lacan.

Le meilleur exemple Lacanien est sans doute la position « pervers » que Lacan  donne à la femme en tant que mère puisque là où elle n’est pas toute parce que S (A) « elle trouvera le bouchon de ce a que sera
son enfant 
»[3].

Ce qui est une façon de nous faire entendre qu’en tant que mère la femme sera toute entière dans la jouissance phallique, mais au-delà, que toute jouissance phallique est pervers puisqu’elle fait rapport sexuel grâce à l’Autre désormais complet.

Il est à noter que même dans cette avancée très importante de sa théorisation il se réfère à Freud « toute sexualité humaine est perverse si nous suivons bien ce que dit Freud »[4].

C’est, me semble-t-il une avancée très forte de Lacan dans la clinique puisque dès lors on peut entendre le véritable enjeu de ces femmes qui n’ont plus de rapport sexuel après la naissance de leur enfant.

Leur jouissance est donc bien limitée à la jouissance phallique avec leur enfant à l’exclusion dirons-nous de toute autre jouissance. Vous entendez quand même que c’est une des définitions de la perversion : jouir à l’exclusion de toute autre jouissance… En ce sens nous touchons à ce que Lacan souligne comme étant de l’ordre de la perversion  en tant qu’elle permet une complétude là où le rapport sexuel est forcément manquant. C’est assez intéressant de voir comment Lacan déplie la question de la structure avec des éléments qui vont être constitutifs d’avancées très fortes quant à la dimension du symbolique mais aussi du réel et de l’imaginaire.

En effet « la féminité est soumise à l’expérience primitive de la privation pour en venir à souhaiter de faire être symboliquement le phallus dans le produit de l’enfantement, que celui-ci doive ou non l’avoir »[5]

C’est ainsi qu’il n’y a pas de perversion féminine à mon sens sauf à entendre la femme dans sa version  mère ; dans laquelle  l’enfant peut prendre la place de fétiche soumis qu’il sera à un contrat où, en tant qu’objet a de la mère, il devra la faire jouir.

Cette figure peut durer d’ailleurs assez longtemps dans la vie d’un sujet et prend diverses formes dont toutes celles qui concerneront plus tard la soumission pour un homme au désir d’une femme et pour une femme l’impossibilité à accepter le désir d’un homme …

Par conséquent c’est aussi une indication très importante dans la clinique avec les enfants puisque si le symptôme de l’enfant est bien lié à la question du fantasme de ses parents, hypothèse que nous faisons, il s’agira donc de « dénouer », au sens propre du terme c’est-à-dire en terme de nœud borroméen, l’enfant de la place d’objet a qu’il est pour certaines mères , objet de leur jouissance phallique donc qui est la raison même de cette résistance que nous constatons souvent coté mère à la guérison de leur enfant. En effet « guérir » suppose le renoncement de ces mères à leur jouissance phallique.

Un point encore qui nous permet de soutenir qu’il ne s’agit pas tant du symptôme de l’enfant mais de l’enfant comme Sinthome car celui-ci se trouve  à la place de l’objet a pour la mère qui lui assure à elle de nouer avec cet enfant, objet a, les trois instances RSI là où sans lui, sans cet objet  donc elle ne le pourrait pas. C’est ce que l’on constate cliniquement également lorsque l’enfant ne joue plus ce rôle, peut se décaler donc, c’est à ce moment que peuvent apparaitre des moments très dépressifs du côté de la mère, voir même délirants… C’est-à-dire qu’en effet, on voit bien quelle est la fonction de cet objet a, à savoir un objet sinthomatique et pas du tout de symptôme. Fonction sinthomatique pour la mère qui lui permet de nouer RSI là où sans ce recours cela n’était pas possible. Vous voyez que c’est aussi cohérent avec la question de la perversion où quand même Lacan fait cette hypothèse qu’il y a du sinthome dans la perversion avec cette limite du champ de la psychose… On ne va pas rentrer dans ces questions là, c’est simplement pour vous faire entendre que l’intérêt du travail de Lacan sur la perversion reste quand même dans cette appellation de perversion. Alors effectivement, ce n’est plus la perversion au sens de structure ou tout au moins c’est perversion au sens d’une structure qui inclurait la dimension de l’objet a comme complétude de l’Autre c’est-à-dire de la jouissance phallique et que cela serait une nouvelle définition de la perversion… Mais on peut tout à fait également impliquer la perversion au sens structural freudien ; on retrouve également cette façon de repérer la dimension de la jouissance phallique et de l’objet a comme complétude du grand Autre.

Nous voyons  que cette conception de repère de la perversion est également une façon de dire quelque chose sur la position de sujet qu’un enfant peut avoir ou avoir eu dans les prémices de sa construction du fantasme. C’est cela qui nous intéresse évidemment. C’est-à-dire que bien sur que cela va être déterminant cette imprégnation, cette façon d’avoir été placé là plutôt qu’ailleurs dans la façon dont, pour lui, son fantasme va se construire.

En effet « (…) Le phallus (.) Joue la fonction métonymique la plus secrète, selon qu’il s’interpose ou se résorbe dans le fantasme du désir .Entendons que ce fantasme est au niveau de la chaine de l’inconscient, ce qui correspond à l’identification du sujet qui parle comme moi dans le discours de la conscience. Dans le fantasme, le sujet s’éprouve comme ce qu’il veut au niveau de l’Autre, cette fois avec un A, c’est-à-dire à la place où il est vérité sans conscience et sans recours. C’est là qu’il se fait en cette absence épaisse qui s’appelle le désir »[6].

 

Peut-être est-ce également un moyen de dire que le crédit de l’évolution d’un enfant reste toujours ouvert pour peu que l’on travaille avec ces éléments d’ouverture d’une aliénation précoce à l’emprise de la jouissance phallique. C’est ainsi également que l’on peut dire à la fois qu’il n’y a pas de sujet qui préexiste à l’enfant et qu’il y a une place préexistence au sujet enfant dans le désir phallique de sa mère, ce qui n’est pas la même chose puisque la fonction signifiant du  nom du père va pouvoir ou pas modifier cette construction dans un sens ou dans l’autre. Mais nous savons aussi qu’il n’y a de père que pour autant que la mère l’introduise, ce qui laisse peu de champ à une grande plasticité quant à la question de la jouissance phallique ou non.

Une famille était venue me consulter pour un enfant de dix ans qui dormait encore avec sa mère car « il ne pouvait pas dormir autrement » disait sa mère et de plus lorsqu’on l’en empêchait il hurlait tellement fort que les voisins étaient alertés. Le problème maintenant c’était qu’il commençait à insulter sa mère, et la taper. Le père ne disait mot dans la consultation si ce n’est pour signifier que lorsqu’il était seul avec son fils il n’avait aucun problème. Je demandais alors pourquoi ce n’était pas lui qui s’occupait de son fils le soir pour lui faire regagner sa chambre, la mère alors s’interposa clairement pour me dire qu’elle ne pouvait pas tolérer qu’il intervienne car il était trop violent… Il regagnait donc chaque soir la chambre de son fils puisqu’il n’avait plus de place dans le lit conjugal…

Ainsi ce constat nous porte forcément à nous interroger sur ce que serait une jouissance non phallique, une jouissance  issue  de S (A) puisque il y a donc la supposition d’une jouissance au-delà de la jouissance phallique ? Il s’agit d’une femme qui ne serait pas toute mère donc… On reste dans ce cas dans
une conception assez énigmatique selon laquelle une jouissance qui ne serait pas toute phallique serait alors du côté « d’une jouissance qu’on éprouve et dont on ne sait rien »[7]… Alors, cette jouissance dont on ne sait rien n’est-elle pas celle qui concernerait un en dehors de moi-même ? Celui qui ne serait pas ce moi-même que j’aime dans mon semblable ? Une sorte de « non substituable à soi-même » que l’on retrouve chez Frege en terme de « chose non identique »; le non substituable à soi-même est un impensé radical, dont le mécanisme logique ne porte pas de trace  il est forclos sans recours ni marque.[8] C’est une autre conception de l’identification qui n’est plus celle à laquelle Freud se réfère en tant que Moi comme sorte de pelure d’identifications superposées … C’est une identification qui suppose qu’il n’y ait justement  pas ces espèces de pelures superposées pas de trace un non substituable à soi-même, donc un impensé radical.

Par conséquent La question maintenant est donc la suivante : pour sortir d’une position phallique, l’enfant devrait il éprouver une « jouissance autre » de la part de sa mère qui ne le considèrerait  plus dès lors comme un autre elle-même… Ne serait-ce pas la Seule issue pour qu’il éprouve que le phallus de la mère soit ce qui lui manque et non ce dont il est pourvu ; condition sine qua non pour que dans un second temps la castration puisse s’accomplir sous la forme : « non, tu n’es pas le phallus de celle qui t’a conçue » Ainsi c’est à ce prix de n’être pas le phallus de l ’Autre que le sujet peut accepter une nouvelle entrée dans le symbolique différente de celle de l’entrée première dans le langage… Il faut je crois distinguer tous ces éléments pare que l’on a un peu pour mauvaise habitude de penser que l’entrée dans le langage nous fait quitte avec l’entrée dans le symbolique. C’est absolument             enfants psychotiques qui parent très bien sans pour autant être quitte de symbolique, pas plus que nous du reste. Donc il y a des entrées dans le symbolique, je dirais qu’il en a presque en permanence et puis malheureusement aussi parfois des sorties… En tout cas, une deuxième entrée dans le symbolique est celle qui concerne ce point de constat que  l’enfant n’est pas le phallus de celle qui l’a conçue.

C’est à ce tournant que l’on trouve la névrose obsessionnelle, qui ne vient pas d’une frustration de la demande d’avoir mais d’une castration non réalisée quant à être ce qui manque au désir de l’Autre ; à savoir le désir de la mère évidemment. Ce dernier point montre, me semble-t-il comment on peut suivre un sujet, l’entendre donc dans ce qui n’est ni un diagnostic et encore moins une sémiologie, mais une façon de suivre le sujet dans la façon dont un signifiant phallique le représente ou non pour un autre signifiant.

Évidemment c’est de cette confusion permanente entre frustration de l’objet réel et castration de l’objet imaginaire qu’il va s’agir sans cesse dans la dialectique du sujet entre l’être et l’avoir…

Pour ce faire il faudrait que le père ou plus tôt sa fonction suppose une relation symbolique simple, c’est-à-dire une « relation où le symbolique recouvrirait pleinement le réel » [9] Pour ce faire il faudrait que le père ne soit pas seulement un nom du père mais qu’il recouvre pleinement la valeur symbolique cristallisée dans sa fonction, or ceci, ce recouvrement du symbolique et du réel, est insaisissable.

C’est bien, me semble-t-il la difficulté que nous rencontrons dans ces consultations analytiques avec les enfants dans lesquelles l’analyste ne peut pas, ne doit pas se mettre à la place du père mais en revanche, doit assurer l’ouverture possible de ce recouvrement pour le père. En effet, prendre une place surmoïque en lieu et place du père réel ne peut que contribuer à discréditer encore un peu plus le vrai père. Cependant indiquer la place à laquelle un père peut entrer en fonction contribue à ce recouvrement du symbolique et du réel. Qu’est-ce que cela signifie d’autre que de laisser pour un enfant la possibilité que à cette loi nous y soyons tous soumis, c’est-à-dire qu’aucun amour  imaginaire complice n’empêche ce recouvrement du symbolique et du réel en sachant néanmoins que le père est toujours pris dans une certaine forme de discordance  c’est à  dire discordance entre ce qui est perçu par le sujet sur le plan du réel et la fonction symbolique…

C’est ce qui se rejoue souvent pour un homme dans la relation parentale à savoir : ou bien renoncer à faire tiers pour assurer  la jouissance phallique de sa femme (on peut dire dans ce cas de sa mère) ; ou bien  renoncer à la jouissance phallique de sa femme (dans ce cas on peut dire également de sa mère) en assurant une fonction symbolique pour son enfant. Or, ça n’est qu’à ce prix d’une solitude d’un dire que non que peut se construire une fonction paternelle. Il faut quand même remarquer que c’est dans cet acte qu’il y a une nouvelle entrée dans le symbolique  pour un père également. D’ailleurs j’en veux pour preuve que certains, qu’on appelle psychotiques, trouvent dans le fait de devenir père, une possibilité de faire sinthome. J’ai déjà souvent développé ce point pour souligner en résumé que ce non du père ne peut se dire qu’en lieu et place de la castration du père, de celui qui l’énonce évidemment…

Vous l’aurez compris, les repères du sujet vont se construire dans les éléments  que les parents vont lui donner comme autant de signes et signifiants qui vont forger son environnement désirant …

La construction de son fantasme voire son impossible construction  sera évidemment totalement prise dans ces éléments constitutifs du sujet comme désirant.

En effet, « la relation narcissique au semblable est l’expérience fondamentale du développement imaginaire de l’être humain. En tant qu’expérience du moi sa fonction est décisive dans la constitution du sujet. Qu’est-ce que le moi, si non quelque chose que le sujet éprouve d’abord  comme à lui-même étranger à l’intérieur de lui ? C’est d’abord dans un autre plus avancé, plus parfait que lui que le sujet se voit »[10]

Ces éléments constitutifs du sujet comme désirant nous amènent à nous repérer dans ce que Freud a qualifié de zwangneurose c’est à dire névrose de contrainte. Oui c’est sur ce fond de contrainte à ne pas désirer que l’obsessionnel se construit et que l’on rencontre de façon paradigmatique dans la cure là où sa neutralité immuable se fait complice, lui qui n’attend que ça pour montrer l’impossible : « vous voyez bien c’est bloqué ».

Quand je dis contrainte à ne pas désirer il vaudrait mieux dire, je crois, haine du désir car les dix commandements de cette névrose sont les suivants comme nous le fait si bien remarquer Philippe Julien [11] :

  1. Ne demande rien. Que ta demande meure pour réaliser ainsi ta demande qui est d’être un sujet mort, évanoui, effacé.
  2. Ton désir est en vérité de déprécier, d’annuler, de détruire le désir de l’Autre. En effet c’est le tien ou le sien
  3.  Attends d’être demandé. Attends que l’Autre compense ton silence. En effet, pour parer à l’angoisse du désir de l’Autre,  tu dois la recouvrir de sa demande : une demande anale de
    donner. En retour sois oblatif ; tu n’en feras jamais assez pour que l’Autre se maintienne dans l’existence.
  4. Ne jette rien accumule jusqu’à l’encombrement. On ne sait jamais ça peut toujours servir ! Aimer, c’est avoir toujours de quoi donner et pour avoir de quoi, retiens ce que tu as, serre les fesses ! serre les dents !
  5. Ton propre désir tu l’engageras demain, après-demain, plus tard. Tu as le temps : fais le mort. Ainsi tu sauras faire attendre l’Autre longtemps, puisqu’il n’y a d désir que dans l’impossible.
  6. En attendant fais tes preuves. Surmonte l’inhibition par l’exploit, la prestance, l’esbroufe, à l’image de la grenouille qui se voulait aussi grosse que le bœuf, oui mais toi tu n’éclateras jamais !
  7. Ne ne fais rien de définitif ou d’exclusif : pas de pied dedans sans un pied dehors ! Pas d’avancée sans l’assurance d’un retrait.
  8. L’impératif du surmoi qui t’ordonne : jouis, fais de ton impuissance à le réaliser une demande à adresser à un maitre supposé savoir si le rapport entre jouissance et maitrise est d l’ordre de l’impossible ou non.
  9. Soumets toi à l’ordre de faire, de faire ceci ou cela. Tu dois te surcharger avec un programme sans faille, sans vide, sans répit, pour éviter l’interrogation sur le désir de l’Autre
  10. Arrête ton analyse le jour où tu pourras alléger ta culpabilité en culpabilisant autrui. A ton tour, que  ta propre voix  transmette à ton entourage  cet ordre de faire, sans explication ni murmure : c’est comme ça parce que c’est comme ça !  fin de l’analyse …

Tout le travail de Lacan va consister à remettre en question l’interprétation orthodoxe des symptômes obsessionnels, c’est-à-dire ce qu’il considère être l’impasse des post Freudiens

Il conteste que ces symptômes viennent seulement d’une frustration subie dans l’enfance ; que cette frustration ait pu provoquer chez un sujet une agressivité dirigée contre celui ou celle à l’origine de cette frustration et enfin que cette agressivité soit à son tour l’origine d’une régression avec un retour à des stades génitaux d’oral ou d’anal.

Il conteste tous ces points d’autant plus qu’ils ont donné lieu à ce que dès lors l’analyse ne soit plus que la suppression de cette cause subie comme frustration en apportant par l’analyste dans le transfert : don, oblativité , générosité etc..

En effet le problème de tout névrosé c’est celui de son agressivité culpabilisante à l’égard de son semblable supposé avoir le phallus. Or  la résolution  de ce problème est l’effet d’un déplacement de la question : comment renoncer à l’être, de telle sorte qu’ensuite l’avoir ou ne pas l’avoir en découle sans angoisse ni revendication. [12]

Vous entendez qu’une toute autre conduite de la cure s’impose dès lors que l’analyste ne confonde pas frustration de l’objet réel et castration de l’objet imaginaire qui recouvre celle entre l’être et l’avoir.

Arrivé en ce point je m’aperçois que je n’ai pas parlé encore de l’hystérie et très peu de psychose que je garde pour la prochaine fois ; mais je voudrais conclure ce soir sur l’idée que Lacan n’a jamais lâché les catégories Névrose psychose et perversion et ce même si il a pu avoir comme objectif une révision nosologique. Il n’invente pas en effet de nouvelles classifications mais interroge les frontières qu’elles dressent ce qui n’est pas sans effet sur le repérage des symptômes. Il ne remet pas non plus en question la distinction entre névrose et psychose mais interroge les critères de leur distinction et de leur application. La question du tracé des frontières concerne bien-sûr également la perversion à partir du moment où il en en propose une généralisation en l’écrivant père version.

La topologie des nœuds aurait-elle modifiée la classification de Lacan ; en tout cas il souhaite renouveler la sémiologie à partir de l’expérience analytique. Ce dont on peut être sure c’est que cette sémiologie Lacanienne participe d’une clinique fondée sur le signifiant qui se relie à un autre signifiant et non sur le signe qui se relie à une chose comme en médecine. Le symptôme devient alors un nœud de signifiants qui se relaient à l’inconscient

A-t-il pour autant mené à bien cette révision nosologique ? Au plus, il en a posé quelques jalons.

En tout cas jusqu’en 1975 aux USA il reprend la distinction entre les névroses ; par conséquent la classification névrose psychose et perversion persiste dans les grandes lignes mais en effet s’affine en fonction des élaborations nouvelles et principalement avec l’invention de l’objet a. On peut dire à ce sujet que cette invention a permis plus que de revoir les classifications, de définir ce qui leur échappe avec la nouvelle dimension de cet objet non spécularisable. Mais les remaniements les plus importants vont avoir lieu avec l’écriture des quatre discours et la topologie des nœuds borroméens.

Ce qui amène à reconsidérer la classification comme dépendante du symptôme en tant que dépendant du sujet dans une  conception « sociale » dans la mesure où l’hystérie devient l’un des quatre discours déterminant un certain type de lien social. Du coup il est vrai que cette sorte de généralisation de l’hystérie comme discours ouvre et entame le principe de différences structurales. Mais je crois que c’est sur ce point que Melman a poussé les choses en « déclassifiant » l’hystérie au profit du lien social comme premier et du coup c’est la conception de l’inconscient même qui disparaît.

Quant  à la topologie des nœuds, elle brouille d’une certaine façon les frontières anciennes des classifications même si jusqu’au bout de son enseignement les grandes lignes de la classification persistent avec, grâce à cette topologie, un nouveau point de vue sur le symptôme avec l’avènement du Sinthome. Je crois donc qu’il nous reste à faire, en tout cas pour ceux qui en ressentent la nécessité, ce travail que Lacan n’a pas poussé jusqu’au bout de montrer que l’on pourrait se passer des classifications.

Voilà donc ce que je voulais vous dire ce soir.

 


[1] J. Lacan le Sinthome 18/11/75

[2] J Lacan Encore Ed Le seuil P.13

[3] Lacan séminaire livre XX, Encore Le seuil, 1975 P.36

[4] Lacan le Sinthome leçon du 11 Mai 1976

[5] J LACAN  Le triomphe de la religion champ freudien Ed SEUIL 2005 P.59

[6] Ibidem P.59

[7] LACAN ENCORE Livre XX P.71

[8] Voir à ce sujet l’article de Badiou Marque et Manque in Cahiers pour l’analyse  N° 10 LA FORMALISATION Ed Seuil P. 157

[9] Lacan Le mythe in
dividuel du névrosé SEUIL 2007 P. 49

[10] J Lacan le mythe individuel du névrosé Ed champ Freudien le seuil 2007 P.46

[11] Opus cité P. 136

[12] P.JULIEN P.135 OPUS CITE

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