Roque Hernàndez "Bilinguisme et lien social"

Dès la naissance, certains disent même avant, nous faisons une immersion dans la langue de chacun de nos parents, pas toujours la même, et dans la langue du pays où nous habitons. Cette immersion langagière, au delà de l’immersion linguistique qui soutient l’école, est porteuse ou pas de quelques paroles, quelques traits, signifiantes  dit-on en psychanalyse, porteuse d’identifications, de fantasmes, qui dépuis les génerations qui nous précédent, déterminent pour nous quelques chemins, ouvrent ou ferment d’autres, c’est à dire, nous aliénent, nous donnent ou pas une place toujours nécessaire pour nôtre construction subjective, pour la construction de notre corps et de notre image.

En tant que psychanalystes nous disons, non seulement que nous ne maîtrisons pas la langue qui nous vient de l’Autre, mais que nous ne maîtrisons pas non plus les langues que nous pouvons adopter après dans l’école ou dans le pays dans lequel nous habitons. C’est plutôt la langue qui domine le sujet et même le colonise, car il n’existe pas seulement la conscience et la raison, mais aussi l’inconscient; les paroles nous affectent, nous échapent, nous disons plus ou moins, parfois même le contraire de ce que nous voulons. Le langage, le corps et l’inconscient sont imbriqués. Ce que je dis n’est pas incompatible avec les critères établis dans le domaine de l’éducation pour decider quand un étudiant domine académiquement une langue quelconque, et avec les programes prevus pour leur acquisition.

C’est à dire que ce n’est pas la même chose d’habiter une langue, que de dire que la langue nous habite, c’est pas la même chose de reproduire une langue, la traduire, que se faire auteur de la langue, s’autoriser dans une ou plusieurs langues.
Tout parle autour de nous mais, dans quelle langue ou dans quelles langues nous parle?
En étant la même langue de réference pour une communauté linguistique, la façon singuliere de parler nous différencie par la tonalité, l’accent, les formes linguistiques, les sens différents, etc; le malentendu est constant entre deux parlêtres qui parlent la même langue et aussi entre deux langues différentes en raison de l’énonciation singulier de chacun, au- delà du vocabulaire et des enoncés partagés. D’autre part, la langue des parents n’est pas la langue de l’ enfant. Il y a confusion des langues disait Ferenczi.
Les adolescents dans cette société multiculturelle où nous habitons, rendent compte de ce fait, car, d’une part depuis leur enfance ils essayent d’habiter la langue où ils habitent et pensent, langue reçue de leurs parents et de leur communauté, et, de l’autre, ils ont besoin de se séparer de ce que dans la langue il y a d’aliénant, en se séparant aussi de l’infantile du corps et de son image, et pour ce faire ils se laissent impregner. Ils adoptent des expressions d’autres langues, expressions metisses avec lesquelles ils construissent des codes et “practicables” qui leur permet de passer au-delà, des inventions qui substituent les rites de passage au monde des adultes. Dans ce processus, à nouveau, ce n’est pas seulement la rationalité qui compte, le conscient et le sérieux; le jeu non seulement ne s’oposse pas à la réalité, mais permet de la recréer, une question beaucoup de fois oublié par l’école impregné de préjugés; la réalité ce n’est que la façon singulière dont chacun réinvente le territoire culturel dans lequel il habite, en s’autorisant et recréant le langage lui-même. Dans ce sens il s’agit de maintenir la tension entre le jeu pris dans son sens large, potentiellement transformateur de la réalité et la réalité elle-même en constante évolution et vivante, laquelle nous trace les limites, les possibles et les impossibles qui balisent notre chemin.
Les psychoses sont un bon exemple de la façon dont un sujet peut rester enfermé dans la langue, parasité par elle comme un hôte étrange, devenir malade d’elle comme si c’était un non-lieu, c’est à dire, un espace sans limites, où le sujet ser perd dans une réalité irréelle, sans la distance suffisante pour pouvoir s’en servir.
En même temps, le sujet peut aussi se servir de la langue. Au délà du fait qu’il ne peut la maîtriser, il peut la transformer en recuperant cette disponibilité, cette plasticité initiale de l’enfant pour se plonger dans les langues, cette capacité d’ en jouer, de “torsionner” les langues, de perdre le respect, comme les poètes, pour leur faire dire ce qu’elles ne disent pas, pour faire dire l’indicible. Dans ce cas là, la langue et les possibilités qu’elle permet de trascender le référent, peut être un lieu pour se déplacer, comparable au terrain de jeu, à la scène du théâtre ou à la surface de l’oeuvre littéraire qui, en utilisant le cadre de la langue, peut aller au-delà, c’est à dire, récreer des nouvelles realités sans se perdre, c’est à dire, sans délirer, mais sans renoncer non plus à certaines dérives.
Cette approche que je fais, nous permet d’être attentifs pour ne pas rester attrapés dans la réalité matérielle de la langue, dans sa mecanique auquelle on la réduit quand il s’agit d’enseigner et apprendre plusieurs langues, quand il s’agit d’être poliglote, en la reduisant à un moyen de comunication, en négligeant ainsi le fait que la langue, au-delà d’être un véhicule de communication, c’est un moyen de transport plus complexe, car ce que transporte, ce que transfére ou transmet, en paraphrasant Lacan, c’est la subjectivité du sujet, ses désirs, sa relation avec autrui, avec leur environnement et avec la vie elle-même, en étant le seul remède pour cerner le réel: la hiflosichkeit, l’innommable, le traumatique, avec la vitalité même de la parole et de la langue dans chaque sujet singulier, au-delà de la langue qu’il parle. Il s’agit de reconnaître qu’il n’existe pas seulement la réalité materielle de la langue d’un côté et la réalité psychique du sujet de l’autre, comme le cheval et le cavalier, mais qu’il y a plutôt la façon singulière de monter “lalangue”, la tex-ture singulière qui peut conduire au montage de nouvelles réalités. C’est par cette voie que nous pouvons penser dépuis la psychanalyse cette intersection, cet espace vide entre bilinguisme et inconscient, espace qui ne sera pas sans équivoques qui lui donnent son dynamisme et nous pouvons penser aussi l’intersection entre langues diferentes dont le sujet peut s’en servir, intersections “entre langues” où les mots fluctuent dans la vacuité de ce qui cause le decir, sans atrapper l’objet, mais, fournissant diferentes façons de penser et de transformer la réalité.


Langue (sujet 1 Langue (sujet 2 . . . ) intersectons entre langues

L’inconscient du sujet, une fois perdue la jouissance solitaire du babillage, de la lallation, se sert de la texture d’une langue quelconque, implique le corps sexué et la parole qui s’adresse a l’ Autre pour qu’il ne soit pas ce qu’il répresente, mais ce qu’ il est. C’est pour ça, qu’en quelque sorte, entre deux parlêtres, s’ouvre toujours l’abîme, de la même manière que l’abîme s’ouvre entre le sujet et le savoir inconscient . Se confronter à cet abîme, à ce vide nécessite un saut dans le réel. Parmi l’altérité et la réalité il y a le réel. (Alter-réel-ité).

D’autre part, il ya une dimension de politique linguistique, une dimension politique du bilinguisme dans une communauté d’êtres parlant et il ne fait aucun doute que le vide qu’une communauté partage, est revêtue d’identités, des idées et des idéaux qui font un tissu historique servant de soutien et de défense face au conflit ouvert par le différent, l’ hétérogène, l’extime révélé par d’autres langues, d’autres tissus historiques de la même communauté ou d’autres pays, d’autres cultures, comme le soi-disant phénomène de l’émigration . À cet égard, il devrait être en mesure
d’aller au-delà du bilinguisme, au de-là du binaire, vers le multilingue, territoire métisse où une langue ne s’ impose pas sur l’ autre, mais où plusieurs langues, plusieurs cultures peuvent se connecter ,autour du vide réel qui appelle toujours les sujets à élaborer et recréer une réalité en constante évolution.
La langue, quelle qu’elle soit, est pas-tout, pas de langue suffisant pour tout dire, pour rendre compte de l’objet en question, donc nous avons besoin d’élargir la langue, passer d’une langue à l’autre par des portes signifiantes. S’ il est vrai que parfois se déplacer dans une langue est une façon de se défendre, de ne pas vouloir savoir des expériences douloureuses, il est également vrai que parfois, ce qui semble bloqué dans une langue peut être débloque dans une autre. Ecrire dans une langue autre que la langue maternelle, comme ils font beaucoup d’écrivains, c’ est un moyen d’élargir le champ des représentations. Ce qui mène chacun à le faire, c’est une question singulière. On peut parler de nombreuses langues pour ne rien dire et on peut faire une plongée dans plusieurs langues, concerné par une forte poussée de dire l’indicible. D’où l’importance que l’école soit attentive à la vivacité des langues et au fait qu’au-delà d’être un moyen de communication, pour les parlêtres, parler est une question de vie ou de mort.
 

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