Ségolène MARTI – Discussion du texte de Radjou Soundaramourty « Une folie sans Autre »

Analyse Freudienne- Demi -journée 25 mai 2019

De la lecture de ton texte, j’ai choisi de développér 3 fils associatifs pour ouvrir le débat.

– Premier fil associatif : En quoi les attaques contre la Psychanalyse, contre l’essence du Psychanalyste avec un P majuscule, pour te suivre, sont- elles de l’ordre de la haine?
– Deuxième fil : Le discours capitaliste aurait-il sur les sujets des effets du registre de la psychose?
– Enfin, le fameux « burn-out » actuel est-il l’expression de la Haine qui se déploie dans le monde du travail (entre autre)?

1- La psychanalyse objet de Haine?
Tu nous dis : – que la haine s’adresse toujours à un grand Autre essentialisé et non au petit autre, au semblable.
– Que ce qui provoque la haine est un grand Autre total ou barré qui vient rappeler la barre qui opère sur le sujet là où il préfère croire à sa complétude, et faire fi de ses vérités indomptables.

Or, la Psychanalyse, le Psychanalyste soutiennent l’incomplétude, le manque, ce « il n’y a pas » ; ce « un plus un ne fait pas un ».

Et cela ne va pas dans l’air du temps :
– l’air du discours capitaliste, de l’ultra-libéralisme et de la toute Vérité scientifique. – l’air de l’homme augmenté, du tout possible, du No Limit, « ce que tu veux tu peux l’avoir » ; « ton rêve deviendra réalité, ça ne dépend que de toi ». Autant de citations qui foisonnent sur les sites internet et qui sont placardées sur tout objet de décoration et/ ou du quotidien;
– l’air des nouvelles thérapies pour le bien-être et l’accession au bonheur .L’air de la com-mu-ni-ca-tion, « Si ça ne va pas dans votre couple, apprenez à communiquer ». La communication ou la disparition du signifiant pour le signe ; la communication ou l’illusion que bien que soumis au langage, la pleine harmonie avec l’autre serait possible.
– la Psychanalyse n’est pas non plus dans l’air du temps de l ‘expertise scientifique qui fait Vérité. Les effets de la Psychanalyse ne se prouvent pas : pas d’études scientifiques cas-témoin, pas de résultats objectivables qui prouvent qu’elle est rentable, qu’elle fait du bien. La Psychanalyse s’éprouve  au un par un  et soutien la différence.

Donc la Psychanalyse, comme représentant de ce qui renvoie à notre incomplétude, au non RS , à l’Altérité absolue, vient décompléter ce grand Autre TOUT, ce grand Autre non barré auquel le monde capitalo-libéral veut croire  et ainsi suscite de la haine, d’où les attaques voire les tentatives d’extermination.

2- Mon deuxième fil associatif part de ce que tu dis de la haine dans la psychose et m’amène à tenter de formuler cette question à partir de ma pratique libérale : le système capitaliste aurait – il, sur certains sujets, des effets s’approchant de la psychose?

Je reviens au discours du capitaliste (DC) de Lacan, qui est différent des 4 autres. Dans les 4 premiers discours, il y a une séparation radicale entre le sujet et son objet ; l’accès direct à son objet de complétude est impossible. Le DC, par contre, efface cet impossible. La complétude est apparemment atteignable. La possession de l’objet comme production devient possible.
Dans ce système, il me semble que l’individu soit entièrement responsable de son rapport au monde. Chacun est libre d’entreprendre ce que bon lui semble et ce sont les lois du marché qui font régulation ; c’est à dire qu’ici, nous ne sommes plus du côté de la castration dont la fonction est de réguler la jouissance et de poser un interdit dans le registre symbolique. Ici la jouissance est sans limite, ce qui est mortifère.
En excluant toute limite, et tiers symbolique ; en créant le chacun pour soi, en voulant effacer la différence, en considérant que toute autorité vient empêcher de jouir et relève d’un autoritarisme totalitaire qui persécute, est-ce que le système capitaliste s’apparente à ce qui fait le lit de la psychose ? A savoir, pas de tiers ou rejet du tiers qui viendrait décompléter le grand Autre totalisant ; « exit » ce tiers qui vient faire coupure, séparation et qui ouvre la voie du symbolique.

En écoutant des patients qui viennent consulter pour « Burn-out », j’entends quelque chose des effets d’un management animé par la jouissance et avec lequel l’autre devient souvent un empêcheur de jouir.

Dans le management repandu actuellement, le Collaborateur est souvent l’objet de jouissance du Manager puisque, du rendement du Collaborateur dépendra la prime, la progression du Manager. Si ce collaborateur est moins productif il peut devenir l’objet de haine de la part de son supérieur. Un quelque chose comme : « si tu n‘assures plus ma jouissance, tu me renvoies à l’incomplétude, et au manque, ce que je refuse, alors je te hais ». Ceci accompagné d’un « je n’y suis pour rien si tu es débordé de travail puisque tu as tout à ta disposition pour réussir ». Alors commencent les manœuvres diverses de l’ordre de la haine auxquelles rien ne semble pouvoir faire limite puisque la Loi et le tiers interdicteur ne font plus partie du tableau. Et puis soudainement le corps du collaborateur lâche.
Les patients auxquels je pense ici, décrivent comment soudainement leur corps ne répond plus : douleurs qui immobilisent, perte de connaissance, impossibilité de sortir du lit ; l’arrêt maladie débute. Ces patients ne font pas une décompensation psychotique, mais ils arrivent dans un état dé-subjectivation majeure qui frôle l’anéantissement, la perte de soi.

Alors évidement la question qu’on se pose est : Qu’est ce qui fait que certaines personnes sont « haïes » et s’effondrent et pas d’autres qui, pourtant ne sont pas plus « rentables « ? Au fil des séances, ces patients repèrent qu’ils ont accepté cette haine, qu’ils n’ont pas fui et se demandent pourquoi.
Le fait que les symptômes passent par le corps m’a mise sur la piste de leur rapport avec une jouissance.

Je fais l’hypothèse qu’il y a dans ce rapport Collaborateur/Manager un trop de jouissance qui déborde; un trop qui s’origine dans une jouissance complice avec le « Manager – Grand Autre non barré ». Une jouissance  partagée qui ramène au UN, et qui constitue un retour à un sentiment primaire de complétude, de fusion  que personne ne viendrait entamer ; mais un sentiment déjà connu. Je fais l’hypothèse que cette relation avec le manager opère comme des retrouvailles avec leur Autre Maternel ; lequel apparaît au fil des séances comme ayant été très peu barré par le tiers paternel (ou représentant). La relation à leur manager répéterait un vécu de quasi- engloutissement antérieur ; vécu qui met tant à mal ces sujets et qui m’évoque quelque chose s’approchant de la psychose.
Ainsi, peut-on envisager pour certains patients le syndrome de « burn-out professionnel » comme résultant d’une résonance massive entre le grand Autre non barré produit par le système capitalo-libéral et le grand Autre maternel très peu décomplété auquel ces sujets ont eu à faire enfant ; résonance qui provoque un débordement de jouissance à laquelle il est si difficile de renoncer malgré sa violence dé-subjectivante.

Ségolène MARTI

SHARE IT:

Comments are closed.