Seville-Diega Ruiz Bànez
L’ORIENTATION SCOLAIRE UN ESPACE POUR L’ECOUTE
Une fille dont je m’occupais depuis 6 mois me disait à la dernière séance que j’ai eue avec elle avant la fin de l’année scolaire : « Je viens parler avec toi parce que si je parle de mes idées avec les autres, ils ne m’écoutent pas, ils me posent des questions et ils me disent ce que je dois faire, mais toi, tu m’écoutes »
Je me suis rendue compte de l’importance de cette écoute presque d’une manière intuitive et après des années d’exercice professionnel.
Le système éducatif actuel propose un modèle d’orientation fondé sur l’élaboration de programmes d’intervention destinés à tous les élèves et intégrés au parcours scolaire. L’élaboration de ces programmes et l’évaluation psychopédagogique des élèves présentant des difficultés d’apprentissage constituent deux domaines importants d’intervention de l’orientation scolaire. J’aimerais centrer mon exposé sur ces deux questions pour mettre en évidence, à la lumière de mon expérience personnelle, les limites que présentent une intervention à ce niveau.
La demande d’intervention, adressée aux professionnels de l’orientation et venant des différents secteurs de la communauté éducative concerne l’échec scolaire des élèves qui ne progressent pas conformément à leur âge et à ce que prévoient les programmes éducatifs. En général, la réponse à cette demande consiste à faire passer des tests et des questionnaires aux élèves afin d’établir le besoin d’une aide spécifique dans l’institution scolaire, la conduite à tenir pour les professionnels qui s’en occupent et l’application de programmes spécifiques dont les élèves pourraient bénéficier, en théorie.
Quand j’ai commencé à travailler, mon intervention s’adaptait à ce modèle mais j’ai commencé très tôt à le mettre en question. D’une manière quelque peu rudimentaire au début et avec peu d’appui théorique, j’ai commencé à consacrer plus de temps à l’écoute des élèves et je me suis rendue compte que cela permettait de développer une vraie demande de leur part et de dévoiler petit à petit la situation qui était à l’origine de l’échec scolaire et qui bloquait l’apprentissage. Plus tard, confronté à une demande pour laquelle je n’avais pas de réponse, j’ai commencé ma formation en psychologie afin de donner un support théorique et technique à cette écoute.
Comme le disait MAUD MANNONI (« Le premier rendez-vous avec le psychanalyste », Denoël-Gonthier, 1965) : « Ce qui fait la spécificité du psychanalyste, c’est la réceptivité, l’écoute. Le psychanalyste ni ne donne raison, ni ne conteste. Il écoute sans juger ». ANNE CORDIER dit aussi : « Le psychanalyste n’a pas le savoir, il est supposé savoir. Le psychanalyste n’a que le savoir que l’analysant lui prête ». L’écoute va permettre au sujet de développer sa propre histoire subjective et que nous puissions faire des hypothèses sur
ce qui se passe. Donner des conseils signifierait maintenir l’autre dans une position infantile, de dépendance. Il s’agit au contraire qu’il puisse élaborer des solutions.
L’adolescent a besoin d’être écouté, de sentir qu’il a le droit d’être lui-même et de construire son propre projet de vie. L’adolescence est une période fondamentale de la vie. Á cet âge, le sujet est confronté à des remaniements qui peuvent affecter son efficience intellectuelle ; les cas d’échec scolaire ne sont pas rares. L’adolescent doit commencer à diriger sa vie, à parler en son nom propre et à faire ses choix sexuels. Face à tout ce bouleversement, son travail scolaire peut être relégué au second plan. L’échec scolaire peut apparaître comme une attitude d’opposition et de révolte ; mais il peut s’agir aussi d’une inhibition névrotique ou psychotique.
Parfois l’échec scolaire a une origine purement pédagogique mais, dans de nombreux cas, c’est un symptôme qui cache un malaise plus profond. C’est une question complexe dont les causes sont multiples et diverses : certaines sont en relation avec la structure propre du sujet, d’autres sont conjoncturelles, les unes et les autres pouvant interagir. S’il s’agit de symptômes et que les mesures pédagogiques s’avèrent insuffisantes, il sera nécessaire de les aborder d’un point de vue thérapeutique.
Face à une situation d´échec scolaire, il s’agit tout d’abord de réfléchir sur les capacités mentales, car la crainte du retard mental est toujours présente. Les résultats vont être décisifs : s’ils ne sont pas bons, le garçon sera traité comme un débile mental et dirigé vers un enseignement spécialisé ; on dira dans le jargon éducatif que c’est un élève avec un Besoin Spécifique de Soutien Scolaire. Cette mesure dont la fonction est, en principe, de « combler des lacunes » et d’aider l’enfant à rattraper son retard, débouche la plus part du temps sur un enseignement parallèle, marginal, d’où il aura des difficultés à sortir.
Le Quotient Intellectuel n’est pas une mesure de l’intelligence mais une évaluation comparative. Il nous indique si l’enfant est en avance ou en retard par rapport au niveau moyen de son âge. Les tests évaluent la maîtrise des opérations scolaires. Un QI faible nous révèle que l’enfant est en retard en ce qui concerne les acquisitions scolaires par rapport au niveau moyen de son âge.
Les tests ne tiennent pas compte de la situation particulière du sujet, ni de son histoire, alors que ces facteurs ont une influence sur ses réponses. On sait que le QI n’est pas une valeur stable et immuable, il peut changer selon le moment, la situation et la personne qui l’a fait passer. Le QI peut évoluer dans le temps et il n’est en aucune façon une composante définitive du sujet. Les résultats sont meilleurs quand par exemple, on a fait une thérapie ou quand les conditions de l’environnement s’améliorent. JUAN PUNDIK dit : « La Statistique est une science qui dit que si je mange un poulet et que tu n’en manges pas, chacun a mangé un demi poulet »
L’usage aléatoire de ces tests, leur utilisation comme seul moyen d’évaluation et le fait de croire en leur validité scientifique incontestable peuvent avoir des conséquences importantes sur le sujet qui peut être étiqueté d’une manière déterminante pour sa scolarité et pour sa vie. Cependant, je ne dis pas que cela n’a aucune valeur, mais que sa
valeur est relative et qu’il faut comparer ces résultats avec d’autres formes d’intervention qui prennent en compte la singularité du sujet et permettent un travail plus souple afin de faciliter son intégration dans un circuit normal, lorsque cela est possible.
Je vais commenter un cas à ce propos. Il s’agit d’une fille de 12 ans qui vient me voir sur les conseils de son professeur principal pour un retard scolaire. Elle est très timide et isolée dans sa classe, elle ne participe pas aux activités. Je m’occupe d’elle, je lui fais passer un test pour évaluer son QI et les résultats indiquent une déficience mentale ; cependant, ce que j’ai observé tout au long des séances que j’ai eues avec elle ne correspond pas à ça : elle est nerveuse, elle répond aux questions de façon impulsive, sans réfléchir et, le plus souvent, elle échoue. Je pense, même si elle n’en parle pas, que son blocage quant aux apprentissages a une autre origine ; je ne sais pas laquelle. Je garde ces résultats et j’explique à ses professeurs que cette fille a besoin d‘une attention particulière, d’une adaptation de l’enseignement à son propre rythme d’apprentissage ; j’informe le professeur qui va s’occuper d’elle particulièrement, et on élabore un emploi du temps pour la classe de soutien. Je n’en connais pas encore la raison, mais la fille répond très bien à cette nouvelle situation et les professeurs commencent à observer une évolution très favorable pour elle. On décide de la faire sortir de la classe de soutien et de l’incorporer à la classe normale. Si le diagnostic de débilité mentale avait été porté, il est probable que son destin aurait été différent.
Comme je l’ai dit au début de mon exposé, l‘administration de l’éducation propose un modèle d’intervention à travers des programmes qui déterminent des mesures et des actions qui ne tiennent pas compte d’éléments subjectifs. Ce mode d’action peut convenir pour certains types d´élèves mais il ne tient pas compte des spécificités de ceux pour qui l’échec scolaire est un symptôme qui cache très souvent autre chose. Pour que l’on puisse parler de ce malaise, il faut un lieu d’expression et d’écoute pour la parole. Actuellement, la saturation des dispositifs de Santé Mentale rendent cette écoute impossible ; elle est remplacée par le traitement pharmacologique qui, soit dit en passant, soulage le symptôme mais peut aussi le chroniciser en empêchant son élaboration, son expression par la parole ; comme il est dit dans le texte de présentation de cette journée : «là où s’arrête le langage, ce qui continue à parler, c’est la conduite » (MAUD MANNONI).
Cette intervention particulière en faveur de certains sujets n’est pas incompatible avec le développement de différents programmes d’orientation, d’information et de conseil. Mais il y a des sujets qui ont besoin d’un accompagnement spécifique dont la durée peut varier selon les cas.
Parfois, on obtient un changement inespéré avec des interventions de courte durée. Je pourrais commenter ici le cas de V, un garçon de 12 ans qui déambulait le long des couloirs du collège avec des crises d’anxiété. Après plusieurs séances avec le garçon et la famille (je ne peux pas en dire plus) les crises ont cédé et le garçon a pu continuer ses études
D’autres fois, l’intervention doit se prolonger plus longtemps et c’est la période de scolarisation qui impose des limites. J.M. est un garçon avec des symptômes d’anorexie qui vient demander de l’aide à 14 ans, lorsqu’il est en 2º ESO (quatrième). Il avait redoublé deux fois parce qu’il ne se sentait pas capable de se concentrer sur ses études. L’intervention s’est prolongée pendant trois années scolaires, c’est-à-dire, jusqu’à la fin de ses études quand il a obtenu son certificat d’études secondaires (brevet).
Parfois, les circonstances permettent que ce mode de travail soit bénéfique : l’élève ou la famille font une demande d’aide, il y a un transfert… et le sujet peut surmonter ses difficultés et continuer à étudier.
A est un garçon de 12 ans qui avait des crises d’anxiété, des crises de jalousie de sa sœur cadette, des menaces de suicide,…. J’ai commencé à m’occuper du garçon et de sa famille mais, peu après, le garçon a refusé de venir me voir parce que ses copains le traitaient de fou. J’ai continué à m’occuper des parents et, après un moment difficile où il a dû redoubler, il continue maintenant ses études avec de bons résultats.
En d’autres occasions, si les circonstances sont défavorables (le garçon est forcé de venir ou bien il ne veut pas venir parce que c’est mal vu par ses copains, la famille n’assume pas ses responsabilités, on n’arrive pas à établir un transfert…) l’intervention échoue. Je pourrais citer plusieurs cas de garçons dont je me suis occupée pendant un certain temps et qui ont renoncé sans avoir obtenu les résultats attendus à cause de différentes raisons : craintes, résistances, manque de collaboration de la famille ou boycott, mauvaises décisions de ma part quant à l’hypothèse de travail.
Il y a des cas très complexes qui nécessitent la participation des différents services du centre éducatif : l’éducateur social, l’adjoint aux études, le professeur principal… c’est-à-dire l’organisation d’un dispositif d’aide coordonné où chaque élément occupe une fonction d’aide et de soutien lorsque la famille est défaillante. J’ai commencé à voir MA il y a 4 ans. C’était une fille avec une histoire de phobie scolaire, d’isolement social et d’échec scolaire persistant. Les crises d’angoisse qu’elle avait quand elle venait au collège provoquaient un absentéisme toujours plus important et un déphasage quant à l’apprentissage. Je l’ai adressée au service de Santé mentale où on lui a donné des médicaments et où on l’a reçue à peu près tous les mois et demi. J’ai commencé à la recevoir une heure par semaine et ses parents une fois par mois. Grâce à la collaboration des
professeurs de soutien, on a élaboré un emploi du temps pour la classe de soutien qui devait diminuer petit à petit de sorte qu’il ouvrirait la voie à un emploi du temps complet dans la classe normale. Elle pouvait aussi aller dans la classe de soutien si elle était anxieuse et s’y calmer avant de retourner dans sa classe.
L’éducateur social était chargé de contrôler son absentéisme et il rendait visite de temps en temps à la famille. L’adjoint aux études collaborait en s’occupant de ses problèmes de discipline. L’ensemble des professeurs connaissait la situation et on s’est mis d’accord sur les différentes interventions qui devaient être coordonnées par le professeur principal. De
mon côté, j’ai contacté son psychiatre avec qui j’ai échangé et j’ai cordonné certaines activités avec la famille.
Grâce à la collaboration de tous ces professionnels, MA est en 3ºESO (troisième) et, même si elle continue à avoir des difficultés, elle a pu continuer ses études, elle vient au collège de manière régulière, elle a commencé à se faire des amis et à avoir une vie sociale, ce qu’elle n’avait jamais connu. Maintenant, le travail avec elle continue et il est probable qu’elle ait besoin de cet accompagnement jusqu’à la fin de sa scolarisation.
Il est important de travailler d’abord avec les professeurs principaux et les familles l’itinéraire du garçon pour qu’il puisse consulter volontairement et formuler une demande d’aide. Ainsi on pourra commencer à réaliser les problèmes que l’adolescent manifeste (Ex : ils me prennent toujours à partie) afin de commencer à élucider à partir de là la situation latente qui les provoquent.
Pour finir, j’aimerais parler de la déconvenue que j’éprouve en voyant certains cas de garçons qui arrivent au collège avec tout un dossier de consultations et de diagnostics faits par différents professionnels mais qui, en réalité, n’ont été « vus » par personne.
C est un cas exemplaire, celui d’une fille de 13 ans qui arrive au collège avec un dossier bien plus étendu que sa propre vie. Ses professeurs du Primaire la décrivent comme une fille gentille, affectueuse, indécise, qui vit comme « égarée dans le temps » avec des symptômes autistes et un retard scolaire considérable. Elle a été évaluée par 5 psychologues, chacun d’entre eux lui a fait faire des questionnaires et des tests de toutes sortes. Sur la base de ces résultats, elle a été diagnostiquée comme une Débile Mentale Modérée, Trouble de l’hyperactivité avec déficit de l’attention, Déficit par rapport aux relations sociales, déficit de la lecture, de l’écriture et de bien d’autres choses encore. De plus, le traitement prescrit consiste à mettre encore en place une longue liste de programmes. Mais, en réalité, personne ne s’est jamais occupé d’elle, elle est restée piégée dans un statut d’objet. Personne n’a écouté son savoir par rapport à son malaise, c’est son comportement qui parle et ce faisant, on dirait qu’elle ratifie ce que les tests ont pronostiqué. Ce mode d’intervention, même s’il peut être efficace dans certains cas, s’appuie sur une conception d’un moi fragmenté où l’on dirait que chaque fonction (acquisitions intellectuelles) agit de façon autonome et où il s’agit de réparer le dysfonctionnement de chacune de ces fonctions. Mais si l’on prend ces fonctions de façon indépendantes, alors le sujet est absent et on sait que pour pouvoir travailler avec le sujet, nous n’avons rien d’autre que le savoir qu’il nous apporte.
Les difficultés à soutenir cet espace de travail sont évidentes : difficultés à préserver un cadre adéquat, à maintenir l’autonomie de mon intervention étant donnée ma présence dans la vie quotidienne du centre (dans les conseils d’évaluation, l’échange de données avec les professeurs principaux, le fait que je donne des cours à des garçons que je reçois ensuite individuellement) .Tous ces facteurs sont des obstacles au transfert et peuvent alimenter des résistances.
ANNY CORDIÉ dit : « Les traitements en milieu scolaire rencontrent beaucoup d’obstacles. Dans ces situations, le demandeur est l’institution et les résistances apparaissent dès le début. On peut obtenir une amélioration momentanée de l’angoisse, mais on arrive rarement à une modification structurelle ». Il est possible qu’avec ce travail j’obtienne un apaisement de l’angoisse, je ne peux pas l’évaluer dès maintenant, mais dans la plupart des cas que je reçois, je ne peux pas poser la question du prix d’une thérapie privée à la famille.
Je pense que dans mon collège les différents professionnels font un effort important pour que chaque élève puisse avancer à son rythme, avec sa temporalité propre, tout en valorisant les efforts et les progrès obtenus. Cette liberté dans l’apprentissage peut favoriser l’expression du désir et l’intégration de l’élève dans le système. Comme le dit ANNY CORDIÉ : « Notre objectif ne peut pas être que le sujet s’adapte à un certain idéal, social ou autre, mais qu’il puisse vivre au plus près de sa vérité »
Traduction : Lola Monleón et Serge Granier de Cassagnac