Seville-Francisco Rey Cansino

MODIFICATION DU DISPOSITIF PSYCHANALITIQUE SELON LE CONTEXTE SOCIAL

Bonsoir à tous et à toutes. Avant tout, je voudrais dire ma reconnaissance à Margarita Moreno et à l’organisation Analyse Freudienne d’avoir fait appel à moi pour préparer cet exposé. Je trouve très important ce travail de communication que nous allons faire aujourd’hui, mes collègues et moi, à propos du travail d’un psychanalyste en dehors de la consultation.

En faisant cela, je crois que nous défendons notre discipline face à sa remise en cause dans le domaine clinique par ces traitements qui se définissent eux-mêmes comme  » validés empiriquement « . Nous allons tenter de réfléchir ensemble à propos de l’empirique et de sa réalité pour la psychanalyse d’enfants et d’adolescents, en dehors du contexte clinique, et pour ce qui me concerne, dans un contexte social, dans des services sociaux.

 

          Je voudrais commencer mon intervention avec une citation de Freud, issue de son article de 1.918 « Les voies nouvelles de la thérapeutique psychanalytique ». Je cite: « Admettons maintenant que, grâce à quelque organisation nouvelle, le nombre d’analystes s’accroisse à tel point que nous parvenions à traiter des foules de gens. On peut prévoir, d’autre part, qu’un jour la conscience sociale s’éveillera et rappellera à la collectivité que les pauvres ont les mêmes droits à un secours psychique qu’à l’aide chirurgicale qui leur est déjà assurée par la chirurgie salvatrice. La société reconnaîtra aussi que la santé publique n’est pas moins menacée par les névroses que par la tuberculose. Les maladies névrotiques ne doivent pas être abandonnées aux efforts impuissants de charitables particuliers. A ce moment-là on édifiera des établissements, des cliniques, ayant à leur tête des médecins psychanalystes qualifiés et où l’on s’efforcera, à l’aide de l’analyse, de conserver leur résistance et leur activité à des hommes, qui sans cela s’adonneraient à la boisson, à des femmes qui succombent sous le poids des frustrations, à des enfants qui n’ont le choix qu’entre la dépravation et la névrose. Ces traitements seront gratuits. Peut-être faudra-t-il longtemps encore avant que l’État reconnaisse l’urgence de ces obligations. Les conditions actuelles peuvent aussi retarder notablement ces innovations et il est probable que les premiers instituts de ce genre seront dus à l’initiative privée, mais il faudra bien qu’un jour ou l’autre la nécessité en soit reconnue.

          Nous nous verrons alors obligés d’adapter notre technique à ces conditions nouvelles. L’exactitude de nos hypothèses psychologiques, je n’en doute pas, ne peut manquer de frapper les ignorants eux-mêmes, toutefois nous devrons donner à nos doctrines théoriques la forme la plus simple et la plus accessible. Nous découvrirons probablement que les pauvres sont, moins encore que les riches, disposés à renoncer à

 

leurs névroses parce que la dure existence qui les attend ne les attire guère et que la maladie leur confère un droit de plus à une aide sociale. Peut-être nous arrivera-t-il souvent de n’intervenir utilement qu’en associant au secours psychique une aide matérielle, à la manière de l’empereur Joseph. Tout porte aussi à croire que, vu l’application massive de notre thérapeutique, nous serons obligés de mêler à l’or pur de l’analyse une quantité considérable du plomb de la suggestion directe. Parfois même, nous devrons, comme dans le traitement des névroses de guerre, faire usage de l’influence hypnotique. Mais quelle que soit la forme de cette psychothérapie populaire et de ses éléments, les parties les plus importantes, les plus actives demeureront celles qui ont été empruntées à la stricte psychanalyse dénuée de tout parti pris. « 

Une fois de plus, Freud nous montre sa faculté d’être en avance sur son temps et de devenir un authentique visionnaire. Que sont les services sociaux et pourquoi la psychanalyse d’enfants et d’adolescents est-elle, là,  possible ? La loi 2/1988 du 4 avril les définit comme « ces moyens, activités et prestations organisées pour la promotion du développement des individus et des groupes sociaux, pour l’amélioration du bien-être social, pour une meilleure qualité de vie, ainsi que pour la prévention et l’élimination de la marginalisation sociale”. Le texte de loi poursuit : « à cet effet, les services sociaux seront coordonnés avec d’autres moyens publics ou d’initiative sociale qui, dans le domaine du Bien-être Social, ont pour but le LIBRE DÉVELOPPEMENT DE LA PERSONNE dans la société ». Pourrions-nous dire alors, face à cette définition, que les objectifs de la psychanalyse, entendus comme l’obtention de plus de bien-être et de développement personnel par la maîtrise des conflits psychiques, coïncident avec les objectifs des Services Sociaux ? Je pense que oui, et je crois, en lisant le texte de Freud, qu’il serait d’accord aussi. Mais j’ajouterais quelques nuances, qui, je crois, distinguent  le domaine clinique du domaine social.


             Dans la définition des Services Sociaux l’accent était mis sur la prévention et l’élimination de la marginalité. À mon avis, la demande[1] dans ce domaine a d’abord à voir avec la pathologie des liens. Restaurer des liens qui ont été rompus et éviter que ceux qui sont fragiles finissent par lâcher, je crois que c’est  le but des Services Sociaux, de même que la structure psychique, ses conflits, ses tendances contradictoires, sont celui de la clinique. Il faudrait préciser que, souvent, faire des distinctions trop rigides entre les deux domaines est  inutile, puisque tout n’est pas net, il y a des recoupements. En fait, la question du lien est directement influencée par le psychique, et de même, les relations déterminent la formation des structures psychiques. Je crois que le psychanalyste qui travaille dans les Services Sociaux ne doit jamais perdre de vue que le but de son travail est l’intégration de l’usager dans la société, et cela suppose une façon de faire distincte par rapport au travail strictement clinique.

Ce qui est clair, c’est que le Schéma Conceptuel Référentiel Opératoire de la psychanalyse reste en vigueur dans les Services Sociaux. Des concepts comme l’Oedipe, la compulsion de répétition, les identifications, les étapes du développement libidinal, etc…, nous pouvons les retrouver tous les jours dans les dossiers des us
agers et des familles des Services Sociaux. En fait, parmi les programmes des services sociaux, 

 


[1]     Je voudrais distinguer dans ce texte les concepts de demande et de commande, en situant la demande comme demande d’amour que le patient adresse à l’analyste dans le processus de l’analyse, après l’avoir mis en place de supposé savoir ; la commande serait ce que le patient réclame à l’analyste qui n’a pas grand’chose à voir avec la formation de l’amour de transfert. Il  serait intéressant de réaliser que dans les services sociaux, il est important de distinguer les deux choses, de ne pas confondre la  demande avec la commande, parce qu’on peut répondre à la commande mais il faut faire très attention avant de répondre à la demande d’amour  d’un patient.

inconscient du sujet. Évidemment, nous ne pouvons pas appeler psychanalyse n’importe quoi, ce n’est pas la même chose de travailler avec une séance ou avec deux ou trois, mais en fin de compte, il s’agit de processus qui permettent de saisir le désir inconscient et le transfert d’une façon plus ou moins complète, en partant toujours du même schéma théorique.préoccupée parce que l’aînée se disputait toujours avec elle, elle lui paraissait très rebelle, ne respectant pas ses normes, et lui redisant toujours qu’elle était mieux avec son père. Bien que la mère évoquât surtout les problèmes avec l’aînée, au vu de l’histoire des mauvais traitements entre les parents, j’ai proposé d’évaluer aussi la petite. La plus grande avait 11 ans et la petite 4. La mère racontait que la petite avait été conçue « parce qu’elle avait envie d’avoir un autre enfant », alors que les mauvais traitements existaient déjà dans le couple, à cette époque.

 

celui auquel je participe, c’est le Programme d’Attention Familiale, dont l’objectif fondamental est de prévenir la déstructuration de la famille, en proposant une prestation globale et polyvalente. 

Nous avons évoqué jusque là le cadre théorique de la psychanalyse, et soutenu qu’il est possible d’en tenir compte dans le social. Mais qu’en est-il de la technique ? Pouvons-nous l’appliquer comme nous le faisons en consultation ? Nous avons vu que Freud  avait anticipé ce que j’évoque dans mon titre en disant clairement que des modifications s’imposent, mais lesquelles ? Je pense que le plus important dans la technique, ce sont les règles d’abstinence et d’association libre, en tant qu’outils qui permettent l’établissement du transfert ; cela ne devrait pas être différent dans le travail que nous effectuons dans les Services Sociaux, même s’il faut y apporter quelques ajustements en fonction des conditions concrètes.

Une question importante a trait à ce que nous avons évoqué plus haut à propos du travail sur le lien. Très souvent, ce travail impose de tenir compte non seulement du fantasme ou d’éléments internes au sujet, mais il est aussi nécessaire de s’intéresser aux éléments de réalité des relations qu’entretient ce sujet. Il me semble que nous pourrions envisager la question comme une tension entre des éléments contraires : le réel et le fantasmatique, et selon le cas ou le moment de son intervention, le psychanalyste va travailler au plus près de l’un ou de l’autre. Peut-on en déduire une limitation de l’association libre ? Peut-être, mais parfois, des changements dans la réalité d’un sujet peuvent transformer ses fantasmes, ou favoriser leur expression, permettant alors qu’ils soient travaillés.

Je me souviens du cas d’une jeune adolescente et de sa mère qui étaient empêtrées dans un conflit aigu. La mère se plaignait que sa fille était une rebelle et qu’elle ne lui obéissait pas, ni à son mari. De son côté, la fille, une fois, s’était sauvée de la maison, en laissant un mot écrit où elle disait à sa famille qu’elle ne voulait plus rien en savoir. Du fait que ses parents ont signalé sa fugue, le cas est parvenu aux Services Sociaux. Quand j’ai rencontré la mère et la fille, j’ai constaté une grande proximité entre elles deux, ce qui entravait le processus d’autonomisation de l’adolescente. J’aurais pu choisir de travailler avec la fille seule sa peur de grandir, d’être indépendante, etc…, mais la mère insistait et voulait que je lui dise concrètement ce qu’elle devait faire avec sa fille. J’ai commencé à avoir des entretiens avec la mère et la fille ; une fois elles sont arrivées très perturbées par un incident qui venait de se produire avec le fiancé de la fille ; le père l’avait ignoré et elle s’était alors mise en colère ; j’ai pensé alors intervenir pas seulement  avec la fille, mais j’ai dit à la mère qu’elle avait du mal à accepter l’idée que sa fille grandisse, et que très bientôt elle la laisserait, elle et son mari. Alors, l’entretien est devenu affectivement plus intense, et cette femme a pu exprimer en pleurant tout l’espoir qu’en tant que parents ils avaient mis sur cette fille qui maintenant les traitait si mal.

              Si cela s’était produit en consultation privée, quelle aurait été ma décision ? Adresser la mère ou les deux parents à un autre thérapeute pour aborder leur difficulté à laisser grandir leur fille ? Dans le contexte actuel, combien de gens accepteraient une telle proposition ? Qu’est-ce que je veux dire par là ? Que beaucoup de modifications du cadre qui se produisent dans des contextes non cliniques peuvent aussi survenir en consultation. Il y a quelques jours, à la fin du cours de formation de Curra Carrasco, que certains connaissent, à l’association Andalouse de Psychothérapie Psychanalytique, cette question se posait : une analyse est-elle possible avec une seule séance hebdomadaire ? Curra émettait l’idée après Lacan, que ce qui définit une psychanalyse, ce n’est pas une méthode précise, mais la position qu’occupe le psychanalyste pour écouter le désir

 

             Comme nous venons de le dire, il est clair que le déploiement du transfert peut subir des modifications. Les conditions temporelles de la fréquence, de la durée des séances, influent sur le développement du transfert. Je pars de l’idée que le phénomène de transfert existe hors du cadre psychanalytique : c’est propre aux relations humaines et cela existe dans n’importe quel domaine. Ce qui caractérise la psychanalyse, c’est de le mettre en évidence et d’en faire un outil thérapeutique. On
rencontre donc des réactions transférentielles dans les interventions des Services sociaux, plus discrètes que dans une analyse, mais qui sûrement apportent beaucoup d’informations et peuvent être convenablement maniées. Dans le cas d’un garçon psychotique et consommateur de drogues,  il est apparu très clairement qu’au début, il se rapprochait de moi comme il le faisait avec ses parents : ou bien en essayant de me défier, ou bien en s’éloignant, en ratant des séances, en faisant échec à toute tentative d’interprétation de ce qui lui arrivé. Si j’avais choisi d’interpréter cela directement, j’aurais répété le modèle de relation qu’il avait avec ses parents, et il se serait éloigné à nouveau. L’un des problèmes principaux du travail dans un contexte social, c’est la précipitation avec laquelle on demande des solutions. Il y a une urgence du côté de la demande, parfois il faut l’entendre parce qu’il existe des risques importants (dans ce cas précis, il aurait pu y avoir une nouvelle crise psychotique, ou une agression contre les parents, qui étaient très destructeurs à son égard), mais il arrive que cette précipitation empêche de penser. Dans ces services, nous recevons beaucoup de pathologie de l’acting : drogues, délinquance, violence scolaire, agressions, etc… Dans le cas évoqué, j’ai pu attendre et me montrer prêt à l’aider quand il le voudrait. Peu à peu, il se rapprocha de moi, tout en maintenant SA distance (par exemple, il faisait des études, et quand je savais qu’il allait être en vacances, j’essayais  de lui donner rendez-vous plus souvent, mais il manquait ces séances, et quand je n’insistais pas, il  revenait prendre rendez-vous avec moi). En respectant cette distance, sans l’interpréter, il a pu commencer à accepter ce que nous pouvions penser de la façon dont il se traitait lui-même, et cesser de se faire mal en se situant comme le phallus de ses parents ; il réalisait qu’il avait à se différencier de ses parents.

          L’une des fonctions principales des Services Sociaux  consiste à pouvoir évaluer et orienter la demande que nous recevons vers les solutions les plus adéquates pour qu’elle soit traitée. Nous recevons aussi des demandes d’information provenant d’autres organismes : Protection des Mineurs, Tribunaux, etc… De ce côté, c’est surtout un travail de diagnostic, dans un sens plus psychosocial que clinique, où parfois il faut enquêter sur des questions très concrètes de fonctionnement familial, ou à propos d’indicateurs de risque de maltraitance, etc… Pour la psychanalyse d’enfants nous savons que l’un des outils diagnostiques les plus importants qui existent est le jeu. Pour Liberman et cols. (1.981), « le jeu est le mode de codage prédominant de la communication de l’enfant dans les séances psychanalytiques ; il représente le texte dans le contexte de la séance.” Est-il possible de prendre le temps du jeu dans les Services Sociaux ? A mon avis, oui, mais j’utilise aussi d’autres moyens diagnostiques plus faciles à manier comme le dessin ou le Test Désidératif pour les enfants. J’y apporte quelques modifications, comme par exemple, accueillir des frères de la même famille à la même heure de jeu. Une fois, j’ai reçu deux sœurs dont le couple parental  s’était séparé pour des problèmes de violence. Les filles étaient avec la mère, qui était 

 

          Quand les deux sœurs sont arrivées pour cette évaluation, j’ai d’abord reçu l’aînée, qui était le centre des préoccupations de sa mère, elle a fait des dessins alors que nous parlions de sa situation familiale. Quand j’allais recevoir la petite, pour qui j’avais préparé une caisse de jeux pour le diagnostic, elle a refusé de venir seule avec moi. Après un moment d’hésitation, où j’étais sur le point de renoncer à la recevoir, il m’est venu de lui demander si elle accepterait de venir avec sa sœur. Elle a accepté avec réticence, et pendant la première partie de l’heure sa sœur a servi d’intermédiaire, elle faisait le lien entre nous, jusqu’à ce que, peu à peu, elle prenne confiance et commence à me regarder directement et à m’adresser la parole. Comme je le disais plus haut, outre la dimension subjective, cette heure de jeu a servi à saisir quelque chose de la relation entre les deux sœurs et a permis que je me rende compte que l’aînée, dont la mère se plaignait tant, jouait un rôle très protecteur pour sa sœur parce que, du fait de son âge et de sa conscience de la situation, elle savait que beaucoup de choses que sa petite soeur avait vécues étaient terrifiantes (c’était très curieux, parce que le film préféré de cette petite de 4 ans était un film d’horreur pour adultes, ses personnages favoris étaient des vampires, ce qui révélait toute son angoisse orale).

          J’aimerais commenter deux questions relatives au travail dans les Services Sociaux, qui sont en rapport avec les ajustements dont la technique a besoin dans un tel contexte. Le travail se fait à partir d’une institution, et dans une équipe. La psychanalyse institutionnelle n’est pas nouvelle, il y a des apports très intéressants dans la clinique, par exemple, la Tavistock Clinic de Londres, une institution très impliquée dans la recherche et le développement de la psychanalyse. Egalement à Buenos Aires, avec Jerusalinsky et cols. (1.980) qui défendent les apports de la psychanalyse pour le travail de prise en charge d’enfants handicapés, ayant des problèmes de développement ; ils y associent tout un versant éducatif, avec les apports de Piaget à l’étude du développement cognitif de l’enfant. Cette équipe, où travaillent des pédagogues, des psychologues, des médecins, des orthophonistes, etc…, pose la question des transferts qu’un enfant et sa famille établissent avec l’institution comme avec chacun des intervenants qui y travaillent. Dans mon expérience, j’ai pu constater comment chaque usager, chaque famille s’adressait à chaque technicien d’une façon différente, se situant dans des rôles différents selon l’interlocuteur. C’était le cas d’un garçon de 13 ans avec son institution ; il vivait avec sa grand-mère paternelle, et elle insistait pour qu’on le prenne en charge psychologiquement, parce qu’il était devenu très agressif avec elle, allant jusqu’à l’agresser physiquement. Quand j’ai demandé à la grand-mère ce que pensait le père du garçon de cette consultation, elle m’a dit qu’elle ne voulait pas qu’il soit au courant parce que, pour lui, nous sommes « ceux qui enlèvent les enfants ».

          Pour pouvoir analyser et tirer profit de ces différents transferts, il est très important de m
ettre en place une coordination d’équipe, où chacun est confronté à des professionnels d’autres disciplines, dans mon cas, à des travailleurs sociaux et des éducateurs qui n’ont pas nécessairement une formation psychanalytique. Pour cela, je crois qu’il est nécessaire de faire l’effort d’expliquer notre langage et nos conceptions

théoriques à ce type de professionnels, afin de pouvoir établir des stratégies d’intervention pour chaque cas, et de profiter de ce qu’apporte au travail psychologique et psychanalytique le travail d’autres disciplines.

 

          Ceci est lié aux cas que nous rencontrons dans les Services Sociaux où les pathologies de l’acting et des passages à l’acte sont très présentes. Abus sexuel, maltraitance, délinquance, drogues, absentéisme et violence scolaire, etc… sont les motifs des demandes d’intervention. On nous demande comme professionnels de nous occuper d’abîmes parfois insondables, en ce sens cela m’évoque la prise en charge de l’autisme ou des psychoses graves. C’est pour cela que nous devons modifier la technique et éviter des débordements transférentiels que nous ne pourrions pas maîtriser. Il convient aussi de garder une certaine distance, de travailler le transfert dans l’ici et maintenant en dehors de l’institution, de voir ce qui se produit dans la relation familiale, ou avec l’école et l’institution, etc… Je crois que  le travail coordonné avec d’autres professionnels permet de garder cette distance optimale, sur le mode d’une « supervision horizontale », et peut nous aider à penser, à éviter des réactions contre-transférentielles. De la même façon, comme la psychanalyse a beaucoup étudié le transfert et le contre-transfert, elle peut apporter beaucoup au travail de l’institution et  des collègues de l’équipe afin de prévenir des interventions iatrogènes. Nous avons reçu une famille qui se présentait à notre service en demandant une aide autant économique que psychologique, parce que la mère était entrée dans un épisode dépressif ; elle demandait un arrêt de travail ; elle était auxiliaire de vie dans une maison de retraite ; en même temps, elle cessait d’exercer ses fonctions d’épouse et de mère, en s’enfermant dans sa chambre. Le père était en invalidité à la suite d’un accident du travail dans la construction, il aurait pu exercer d’autre métier, mais il se trouvait en traitement psychiatrique, il avait été consommateur de drogues et il avait eu des problèmes d’agressivité dans d’autres emplois. Ils avaient deux enfants : un fils de 20 ans, le seul à travailler et soutenir économiquement la famille, et une fille de 16 ans, qui allait au lycée et présentait, comme sa mère, une symptomatologie anxieuse et dépressive et des problèmes de comportement dans son établissement. Quand j’ai entendu pour la première fois, dans un entretien conjoint avec l’éducatrice, l’exposé de la mère sur la maladie, j’ai commencé à penser qu’elle feignait d’être malade. Elle voulait se présenter comme quelqu’un en souffrance, avec beaucoup de problèmes, mais il n’y avait pas une vraie conviction dans ce qu’elle disait, avec un discours qui paraissait plaqué, comme si elle avait étudié le texte du DSM-IV sur la dépression. J’ai proposé une série de rencontres avec elle et son mari, auxquelles ils ont assisté très irrégulièrement, et où elle se plaignait d’avoir besoin d’ »autre chose », d’une autre vie, d’une autre famille ; elle racontait qu’elle s’était mariée très jeune et elle avait le sentiment qu’elle avait dû mûrir prématurément. De son côté, le mari se désespérait avec elle, mais il n’était pas non plus capable de tenir sa place, puisqu’il avait traversé quelques épisodes de dépendance au jeu, malgré la précarité de l’économie familiale. Dans ce contexte, elle a épuisé son temps d’arrêt de maladie et elle a dû passer devant le tribunal médical de la Sécurité Sociale. Elle est venue demander un certificat qui indiquerait qu’elle est suivie par notre centre. Comme nous avions parlé de ce cas en équipe, et que nous pensions à une possible simulation, nous avons refusé, en disant que nous ne remettions pas de rapports à des particuliers, mais seulement à la demande d’autres organismes. Le tribunal médical lui a refusé la prolongation de son congé, et elle a dû retourner à son travail ; de ce fait, elle a cessé de venir au service. Nous devons tenir compte ici de ce que Freud  disait dans les « Conseils aux médecins … », par rapport à la « furor sanandi » et à la nécessité de réfléchir avant d’accéder à la demande d’un patient ou d’un usager. Dans les Services Sociaux nous sommes très exposés à toutes sortes de manipulations, puisque

 

nous intervenons dans des procédures pour mineurs, des invalidités, des divorces, etc… et il est très important de préserver  « l’appareil pour penser les pensées« , comme dirait Bion.

          Par conséquent, dans ce type de services, il est nécessaire de travailler d’une façon très humble, en apprenant à se contenter de résultats modestes. Je crois sincèrement que si un psychanalyste est capable de ne pas se laisser porter par du narcissisme infantile, de ne pas prendre les usagers à la légère en les considérant comme un travail « de seconde zone », s’il les accepte comme ils sont, en privilégiant la rencontre de sujet à sujet, alors il est possible d’utiliser tout le potentiel de notre discipline dans ce champ.  Parfois c’est difficile, parce que la citation de Freud sur « l’or pur de l’analyse » a du poids, comme je le disais.

          J’espère avoir pu transmettre quelque chose de la réalité complexe que je côtoie tous les jours dans mon travail, et que cette réalité peut tous nous aider à penser, à repenser aux difficultés, aux problèmes que la psychanalyse nous pose aujourd’hui. Merci beaucoup de  votre attention.

 

Références bibliographiques :

   Bion, W.R. (1.975). Aprendiendo de la experiencia. Buenos Aires: Paidós

   Carrasco, Francisca (2.009). La intervención psicoterapéutica desde las distintas formas de entender el aparato psíquico. Revista de la Asociación Madrileña de Psicoterapia Psicoanalítica, nº 6

   Freud, S. (1.910). Consejos al médico en el tratamiento psicoanalítico. Obras completas. Buenos Aires: Amorrortu

   Freud, S. (1.918). Los caminos de la terapia psicoanalítica. Obras completas. Buenos Aires: Amorrortu

   Jerusalinsky, A. y cols. (1.980). Psicoanálisis de los problemas del desarrollo. Buenos Aires: Nueva Visión

   Liberman, D. y cols. (1.981). Semiótica y psicoanálisis de niños. Buenos Aires: Amorrortu

 

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