Paris 03/11Xavier Moya-Plana- "Questions de transfert dans un hopital de jour pour enfants"

LE VIDE ET LE NEANT :

Les enfants accueillis à l’hôpital de jour souffrent d’angoisses primaires d’anéantissement ou agonies primitives de désintégration, chute sans fin, perte de la collusion psychosomatique… (Winnicott).

Le moindre changement peut provoquer ces angoisses de changement, créant un monde plat, bidimensionnel, sans intériorité, sans pensée ni contenu émotionnel , qui sont projetées à l’extérieur.

Il est important pour notre travail de bien différencier le néant et le vide.

Le néant n’est pas le vide :

-Le néant : « est un trou avec rien autour » Raymond Devos

« il n’a pas de centre et ses limites sont le néant »

Leonard da Vinci.

-Le vide : Il y a de l’espace qui l’entoure, il est un trou avec des

Bords : espace à déployer, à trouer, à border : espace

Transitionnel (dans une lettre à Winnicott, Lacan parle d’un espace

de différenciation précoce du besoin et du désir ).

Espace de tiercéité qui propose un accès à la construction

du sujet dans un lien au symbolique, au désir, à la

perte et à la loi.

Les enfants accueillis à l’hôpital de jour nous montrent à quel point l’irruption du pulsionnel vient les attaquer dans leur intégrité psychique. Chaque jour il leur faut tout reconstruire, la vie quotidienne est chaque jour un lendemain de guerre.

Parfois le travail institutionnel au quotidien tient du roman de Duras « barrage contre le Pacifique ». A-t-il tenu , ou pas ? La marée et la tempête ont-elles encore tout emporté…. ?

TRANSFERT ET PSYCHOPATHOLOGIE INSTITUTIONNELLE

DE LA VIE QUOTIDIENNE

Car si la vie quotidienne peut être terrifiante pour les enfants souffrant de psychose et pour leurs familles, ceux-ci vont pouvoir se saisir de la relation transférentielle complexe qui leur sera proposée par les soignants de l’hôpital de jour, pour y déposer une forme, un contenu et un sens à condition de lui prêter l’attention nécessaire.

Les soignants se saisissent de la manière la plus intense des contenus déposés en leur apportant les différentes fonctions, comme nous le propose Pierre Delion :

– phorique

– sémaphorique

– métaphorique

1) PHORIQUE : le cadre, le contenant, tout ce qui est nécessaire pour définir une scène sur laquelle l’enfant pourra jouer sa problématique, souvent à son insu.

2) SEMAPHORIQUE : disposant d’un cadre, l’enfant exprimera les signes de sa souffrance subjective, le membre de l’équipe qui pourra en être le réceptacle , en sera , pour un temps ,le porteur, dans une dynamique transférentielle.

3) METAPHORIQUE :Cette fonction permet de travailler le sens des signes envoyés par l’enfant souffrant de psychose, des signes qu’il dépose à son insu tout au long de sa trajectoire institutionnelle, tel « un petit poucet qui ne se sait pas ».

Cette mise en sens se fait dans les réunions institutionnelles, supervisions individuelles, formations individuelles et collectives afin d’en faire une lecture à partir de mouvements transférentiels de ce qu’on pourrait appeler la psychopathologie institutionnelle de la vie quotidienne.

Dans ce travail de psychothérapie institutionnelle , il s’agit de créer une « colloque transférentiel » qui réunit l’ensemble des soignants autour d’espaces de réunions, d’ateliers , de psychothérapie individuelle, avec des temps interstitiels entre deux activités, temps fondamentaux et pour les enfants et pour les adultes , leur permettant de fabriquer des représentations de ce qu’ils viennent de faire ou de ce qu’ils vont faire juste après.

I) Martin et l’hôpital de jour

Martin a neuf ans quand il arrive à l’hôpital de jour envoyé par son pédopsychiatre qui le voit une fois par semaine en psychothérapie, après de vaines et longues tentatives d’intégration scolaire.

Depuis l’école maternelle ce garçon présente des angoisses de séparation massives , des comportements d’isolement et d’agressivité à l’égard des autres enfants comme des enseignants, et développe un isolement de plus en plus radical s’accompagnant de thèmes délirants de type schizoparanoide.

Son seul souhait est de rester enfermé à clé dans sa chambre en jouant pendant des heures à un jeu vidéo dont le thème est la deuxième guerre mondiale.

(Quelques mots sur l’admission : aménagements +++ et soins à la mouette « moitié »)

Pendant les deux premières années, il investit l’hôpital de jour en déployant des scénarios de guerre, de destruction, de mort, de fin du monde, inspirés directement de son jeu vidéo. Mais cette fois-ci , l ‘écran projectif est l’hôpital de jour et les personnages sont en chair et en os , les membres de l’équipe et les autres enfants . Il reproduit des scénarios de terreur où il est tantôt le terrorisant tantôt le terrorisé, mêlant imaginaire et réalité.

Voici une vignette de ce que Martin vivait et nous faisait vivre à l’hôpital de jour à cette époque :

« l’hiver 44 ou peut-on mourir de froid à l’hôpital de jour ?»

Martin, six mois après son arrivée, déclenche au sein de l’hôpital de jour ce qu’il appellera la deuxième guerre mondiale, s’inspirant fortement d’un jeu électronique appelé « CALL OF DUTY : L’appel du devoir » !!!, dans lequel il plonge pendant des heures, enfermé à clef dans sa chambre, à la maison.

Pour se préparer à nous attaquer ou à nous préserver des attaques ? il va se livrer à toutes sortes d’expériences :

– Vérifier les issues de secours et les moyens d’alerte en cas de danger, en les empruntant et en déclenchant l’alarme incendie.

– Fabriquer des tourelles de chars, des pistolets et des fusils, en carton.

– Chercher des ennemis à l’intérieur de l’hôpital de jour- rôle qui nous tombait dessus, plus souvent qu’à notre tour-.

En même temps qu’il investissait le lieu de soins, la guerre s’y déployait (refus total des activités, insultes, menaces et coups contre les autres enfants et contre les adultes qui s’interposaient, sans aucune limite autre que la contention physique) Martin déclenchait « pour de vrai » l’alarme d’incendie de l’hôpital de jour pour nous avertir que le débarquement avait eu lieu ; donc en quelque sorte il nous donnait de l’espoir et nous demandait de tenir bon !

Un jour, lors de la période récente de grand froid à Paris, Martin décide de nous préparer au grand froid de l’hiver de 194…. Pour ce faire, il ouvre toutes les fenêtres et portes de la cour, ferme les radiateurs. Nous résistons autant que nous le pouvons, car même la guerre a des limites ! Toute tentative pacifique, guerrière, psychothérapique, éducative, etc….. s’avère vaine et en tant que responsable j’interviens en fermant portes et fenêtres, en rétablissant le chauffage et en interdisant à Martin de recommencer.

Ceci va déclencher une angoisse intense chez cet enfant, une colère avec une violence dirigée contre tous les objets autour de lui et aussi contre les enfants et les adultes qui passent : des chaises sont projetées sur les personnes, sur les murs,…..

Avec l’aide d’un éducateur nous essayons de contenir sa violence, en l’entourant de nos bras et de notre parole, alors qu’il il pousse des cris effrayants et qu’il recommence dès qu’on le lâche.

Une éducatrice vient à « notre secours » et cela nous permet d’entamer un dialogue à trois (les deux éducateurs et moi-même), sans s’adresser à l’enfant, tout en le contenant physiquement. Nous parlons du froid insupportable, de la violence et du fait de ne pas trop savoir comment arrêter l’un et l’autre.

Cette éducatrice, dans un moment de forte identification à Martin, nous fait part de sa peur qu’il attrape froid et tombe malade ( Martin n’est vêtu que d’un petit blouson couleur militaire),

Martin qui écoutait attentivement entre deux cris, demande à cette éducat
rice si la peur qu’elle a pour lui ne fait pas battre son cœur très vite et si elle ne risque pas de mourir. Une réponse rassurante ouvre l’échange à quatre, cette fois-ci, sur la peur, la peur de mourir,..sur une future opération que sa mère doit subir…

Nous avions réussi , à quatre , à ouvrir un espace, un temps de trêve au sein de la guerre sans répit que Martin mène contre les dangers qui menacent en permanence son psychisme .

Parfois, des mouvements de construction et de réparation pouvaient émerger,moments pendant lesquels il fabriquait des trousses de survie et des brassards de la Croix Rouge, dans le cadre de l’atelier d’arts plastiques, pour pouvoir aider l’équipe soignante.

Cependant ces trêves étaient de courte durée..

D’autres guerres suivront contre le pouvoir des « CRATES », ainsi appelait-il les membres de l’équipe ; tandis que le directeur, Chef des CRATES, lui , était le fiancé d’Hitler , selon des tracts placardés, …

*

C’est ainsi que Martin investira l’hôpital de jour en l’agressant, sans réussir ni à le détruire ni à se détruire, plaçant du coup l’hôpital de jour hors de son contrôle omnipotent, qui ,lui, survit sans exercer de « représailles » comme dirait Winnicott, en accueillant l’agressivité de Martin sans se déprimer ni s’absenter au-delà de ce que l’enfant peut supporter.

*

Vers la fin de sa deuxième année à l’hôpital de jour, Martin est plus détendu, il peut assister quotidiennement à sa séance de classe, commencer à montrer son potentiel intellectuel et nous prévoyons pour le début de l’année 2007 une intégration scolaire à l’école primaire en CE1 dans des matières particulièrement investies (histoire et géographie). Cela se passera bien et pourra s’étendre à d’autres matières.

Il investit avec régularité les ateliers d’arts plastiques et d’écriture de romans et aussi les sorties en petit groupe dans des musées.

Nous mettrons aussi en place un travail d’autonomie des transports qui permettra en quelques semaines à Martin de devenir autonome et de venir à l’hôpital de jour, depuis sa ville de la banlieue sud de Paris.

Son temps d’intégration scolaire va augmenter dans le début de sa troisième année à l’hôpital de jour. Il va, par ailleurs, inaugurer un musée de la guerre à l’hôpital de jour où moyennant une entrée « symbolique » (il fallait donner ses nom et prénom), Martin nous propose une visite guidée au cours de laquelle il raconte avec beaucoup de détails et références spatio-temporelles les guerres du passé à l’hôpital de jour. Il crée la ligne de bus 81 (année de naissance de l’hôpital de jour) qui parcourt tous les lieux de souvenirs de la dernière guerre.

*

II) Orientation vers le collège et passage en post-cure : Martin devient « métaphysicien »

Martin est à l’école à mi-temps en plus d’une séance quotidienne de classe avec les enseignants de l’hôpital de jour. Son niveau s’est nettement amélioré tant en français qu’en mathématiques.

Sa dysorthographie est moins importante, l’apprentissage des tables lui a permis de faire des multiplications et il est en train d’aborder l’apprentissage de la division.

Donc, une orientation vers un collège, avec l’organisation d’une post-cure d’un jour par semaine à l’hôpital de jour et 4 jours au collège, sera décidée avec un total consensus de Martin, de ses parents et de l’école primaire.

Pendant le temps qui lui reste à l’hôpital de jour, quelques mois d’avril à juillet, Martin va devenir un « métaphysicien » en déployant tout un questionnement sur l’espace et le temps, la mort, les générations, les fondations…..

Martin se questionne sur le temps, donc sur la séparation à venir :

Comment conter, compter le temps qui précède son départ ?

Il va créer avec l’aide de ses éducateurs un calendrier de la coupe d’Europe de foot qui couvre à peu près la même période, avec beaucoup d’inventivité et de détails : chaque pays d’Europe, avec ses couleurs, ses jours de match, et les cases pour les résultats.

Tous les matins il vient dans mon bureau chercher le stylo orange pour inscrire les résultats et au passage, entre deux commentaires sportifs relatifs au match de la veille : « Dis-moi, heu… avant toi, il y avait un autre directeur ? Oui.

En me regardant fixement dans les yeux : Ici, dans ton bureau … ?

dans ton même fauteuil ????? » Je réponds : « Et, bien oui … ». Martin reste tout pensif et moi très silencieux et disponible.

Il me raconte un rêve :

« J’arrive chez moi, tout est éteint, dans le noir, mes parents sont morts et il y a un corbillard avec une momie dedans : et c’est mon père !!! »

J’écoute et je ne fais aucun commentaire. Ce récit marquera le début d’un travail métaphysique pour Martin.

Quelques jours après, sa grand-mère maternelle décède et Martin me questionne sur la mort et les rituels qui l’accompagnent, les peines qu’on ressent . Il me propose une théorie pour y faire face :

Il me demande, à propos de l’enterrement de sa grand-mère maternelle :

« Pourquoi ma mère n’a pas pleuré ? »

« Pourquoi mon grand père, au lieu d’être triste montrait à tout le monde les photos de son dernier voyage ? »

« C’est quoi, la mise en bière de ma grand-mère » (son père est un grand buveur de bière).

« Qui décide du jour, du cimetière et de l’emplacement de la tombe »

« J’ai combien de grands mères déjà ? »

Martin me fait part d’une théorie de son père : « « Mon père m’a dit que les vieux n’ont pas peur de la mort, parce qu’ils souhaitent se reposer »

-« Voilà ce qui est rassurant », je pense au fond de moi.

Je le reçois comme une preuve de sollicitude faîte au vieux que je représente pour Martin.

Aussitôt après il me raconte un rêve dont il me certifie qu’il n’est pas un cauchemar : « Comment en es-tu si sûr ? » lui dis-je. « Ben…, parce je ne me suis pas réveillé » me répond-il

Voici le récit du rêve, Martin raconte : « il y a plein de scies qui découpent les corps au milieu d’un terrain de foot mais avec mon père je réussis à m’échapper »

Dans la suite des questions métaphysiques, cette fois-ci, sur le temps des fondateurs, il me demande : « Dis-moi, depuis quand on a créé l’hôpital de jour ? Est-ce qu’il y avait des appartements avant à la place ? »

Et Martin, confronté à ces questions fondatrices, va faire ses premiers pas dans le monde de la métaphore : un matin il vient me voir à son arrivée, il avait un ballon avec lui et je lui rappelle l’interdit de jouer au ballon en dehors de la cour, alors il me dit :

« Tu sais, directeur, j’aime tellement le football, que quand je vois un ballon, je suis comme un aimant et un frigo » (je comprends qu’il fait référence aux magnets qu’on accroche au réfrigérateur), et il poursuit, « je me sens attiré et je reste collé –tu vois- eh ! »

Il se met debout avec le ballon bien serré contre lui :

« Est-ce que je suis l’aimant ? ou le frigo ? je ne sais pas »

Après, il me demande le stylo orange et va inscrire les derniers résultats de la coupe d’Europe : « T’es content directeur ? L’Espagne a gagné, je pense que pendant les vacances je m’achèterai le maillot de foot de l’équipe espagnole »

La veille de son départ en vacances, dernier jour de sa prise en charge, il m’apporte l’affiche avec les résultats de la finale en me disant : « je suis sûr qu’il te plaira de la garder dans ton bureau ».

Martin ,dans une dynamique symbolique de don et de dette, m’offre un cadeau de départ.

3) COMMENTAIRES CLINIQUES SUR LES SOINS INSTITUTIONNELS APPORTES A MARTIN

Il existe certes une procédure d’admission à l’hôpital de jour, pré-établie, écrite qui tient compte de toute une série de paramètres juridiques, administratifs et cliniques. Néanmoins, n
ous faisons en sorte que cette procédure puisse s’adapter et se décliner en autant d’expressions que d’enfants accueillis.

En sorte que chaque enfant ait son hôpital de jour , ce qui présuppose une existence , une consistance suffisante pour être trouvée, mais aussi, une souplesse suffisante de jeu pour être utilisée , dans le but de trouver-créer une véritable relation qui donne ce caractère unique et partageable à la fois. Autrement dit, une relation de transfert.

Dans ce récit sur le travail effectué par Martin pour cheminer au sein de l’hôpital de jour de la destructivité à la créativité, je souhaiterais relever quatre points qui me paraissent mettre en évidence les soins institutionnels :

1) La capacité de l’équipe à survivre à la destructivité de Martin sans exercer de représailles.

Cet espace hôpital de jour a la capacité de « survivre », ce qui veut dire dans ce contexte :

* Maintenir et continuer à faire exister les différentes fonctions éducative, scolaire, psychothérapique, etc…… sans exercer de représailles, en accueillant l’agressivité de l’enfant et de sa famille, sans se déprimer ni s’absenter au-delà de ce que l’enfant peut supporter.

* Créer un espace de relation qui « survive » aux violentes attaques de Martin ainsi qu’ au découragement et à la fatigue de l’équipe soignante. La « survivance » de cet espace sera garantie par une capacité suffisante de l’équipe soignante à élaborer et à supporter le transfert.

*

2) L’hôpital de jour comme espace de représentation :

L’équipe soignante doit faire preuve d’une « capacité à psycho-dramatiser » dans l’ensemble des lieux institutionnels.

Cette attitude permet d’ouvrir un espace possible de représentation et de symbolisation par l’articulation des différents fonctions et vécus qui se verbalisent devant l’enfant.

En même temps, elle est à entendre aussi, dans le sens de représentation théâtrale qui déploie sur une scène des personnages, des ressentis et de la parole.

3) La dimension soignante institutionnelle dans sa capacité de mise en récit de ce qui se passe pour l’enfant accueilli, en le co-construisant avec lui.

On voit Martin, au fur et à mesure que son récit se co-construit en interaction avec l’équipe, conquérir , en quelque sorte « une identité narrative », processus d’identification jamais achevé, selon Paul Ricoeur,qui lui permettra de raconter et de « se raconter ».

Il me paraît important d’insister sur le fait que la qualité soignante d’une institution se mesure moins au nombre et à la profondeur des interprétations prétendument psychanalytiques qu’on y formule, qu’à la continuité de mise en récit de ce qui se passe pour l’enfant accueilli.

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