Michèle Skierkowski "La psychanalyse au risque de la dilution"

La psychanalyse au risque de la dilution : « Dilution » n’est pas disparition. La psychanalyse disparaitra-t-elle ? Peut-être. Mais je ne suis pas certaine que cela dépende complètement des psychanalystes.

Dans un très joli texte intitulé « La saison de la psychanalyse », Jean-Bertrand Pontalis se demande si les jours de la psychanalyse sont comptés « si sa saison touche à sa fin ».

Les attaques et critiques que subit la psychanalyse ne semblent pas l’inquiéter autant que ce qu’il désigne comme « une crise de confiance qui gagne les psychanalystes eux-mêmes ». [1]

 

L’expression « crise de confiance » ne me parait pas tout à fait adéquate pour décrire l’ampleur du problème. La confiance, ça se retrouve vite, ce qui ne manque pas d’arriver à Jean-Bertrand Pontalis qui termine son texte sur une note très optimiste.

Ce qui est en train d’arriver à la psychanalyse dans la période actuelle m’inquiète davantage que sa disparition. Cela me paraît plus grave qu’une simple disparition.

Lors de la dernière décennie, des modifications très importantes se sont produites dans le champ de la « santé mentale », dans ce que nous pourrions nommer « le soin psychique ». Ces modifications ont complètement changé la donne.

La thèse de Samuel Lézé[2]intitulée « L’autorité des psychanalystes » est sur ce sujet très intéressante. Je n’entrerai pas dans les détails de sa démonstration mais la résumerai en disant qu’il montre comment la psychanalyse a été non seulement remise en cause depuis les années 2000 et surtout, comment elle a perdu sa position hégémonique et le caractère d’évidence découlant de cette position.

De nombreux facteurs, dont les effets se combinent, permettent d’en rendre compte : l’évolution économique, les changements idéologiques, le processus de normalisation dans le domaine de la santé, l’introduction des protocoles et des évaluations, l’orientation vers une harmonisation toujours plus grande (OMS)[3].

La psychologie cognitive s’est imposé sur le devant de la scène à l’université et le terme « clinique » ne renvoie plus immédiatement, comme auparavant, à « clinique psychanalytique ». Les remises en cause de la théorie et de la pratique psychanalytique par les cognitivistes et les comportementalistes ont coïncidé avec l’offensive visant à faire reconnaitre la profession de psychothérapeute et à faire de la psychanalyse une psychothérapie parmi les autres. Vous connaissez cette histoire.

La position hégémonique de la psychanalyse, du moins en France, entrainait certes des résistances fortes, mais ces résistances confirmaient la place importante de la psychanalyse.

Les temps changent…

Alors Dilution…

Le terme « dilution » évoque bien entendu immédiatement l’homéopathie et les critiques sur la théorie de « la mémoire de l’eau ». Vous savez qu’en homéopathie, la multiplication des dilutions aboutit à une solution dans laquelle la molécule originelle est totalement absente. Pour argumenter sur ses effets, ses partisans invoquent « la mémoire de l’eau » (l’eau garderait les propriétés des substances diluées même lorsqu’elles ont disparu complètement suite à des dilutions répétées). Cette théorie est très poétique mais aussi fort énigmatique.

C’est d’une dilution semblable dont la psychanalyse risque de faire les frais. Y retrouverons-nous ce qui fait la singularité de l’invention freudienne ?

La psychanalyse…une référence ?

C’est lors d’une réunion (àMontpellier) que j’ai commencé à mesurer les effets de cette dilution. Cette réunion avait été organisée par des pédopsychiatres libéraux qui souhaitaient faire part de leurs inquiétudes quant aux difficultés croissantes qu’ils rencontraient dans leur demande de prise en charge de leurs patients par les services hospitaliers. Antérieurement cette possibilité de travail et cette ouverture existaient, mais il n’en est plus de même depuis la conversion quasi générale des services hospitaliers de pédopsychiatrie aux thérapies comportementales et cognitives.

Cette réunion rassemblait des praticiens libéraux mais aussi des psychologues, psychiatres, orthophonistes, etc. du secteur public, qui sont en désaccord avec les nouvelles orientations et se sentent isolés. Plusieurs universitaires étaient aussi présents, les théories cognitivistes commençant aussi à envahir l’université.

Dans le texte appelant à cette réunion et lors de cette réunion, la psychanalyse était sans cesse convoquée comme La référence. La manière dont elle était ainsi extrêmement présente dans les discours ne pouvait pas ne pas interroger. Je vous cite quelques formulations : «  La méthodologie d’inspiration psychanalytique que j’utilise », « Mon savoir-faire s’est construit en référence à la théorie psychanalytique ». « Je travaille avec la psychanalyse, je me réfère à la psychanalyse… ». Les enseignants affirmeront à un moment de la discussion que « la transmission des connaissances psychanalytiques se fait très bien à l’université »…

J’arrête là la liste de ces quelques propos entendus de la part de praticiens qui ne se présenteront pas comme psychanalystes, mais comme psychiatre, psychologue, orthophoniste, etc…

Seules quatre personnes dont je faisais partie se sont présentées en disant leur nom et « psychanalyste ». Je me suis demandé pourquoi nous avions ainsi tenu à faire entendre « psychanalystes »dans cette réunion où le terme « psychanalyse » circulait mais n’avait pas grande consistance. Après-coup, il m’a semblé qu’il y avait là quelque chose d’une affirmation et d’un positionnement politique.

Cette position n’est pas contradictoire avec la thèse sur la sorte d’imposture qu’il y a à se dire « psychanalyste ». Pour se présenter, Jean Allouch prend la précaution de dire : « j’exerce la psychanalyse ». Je me souviens d’un de nos collègues disant en réunion plénière, lors d’un séminaire de l’Inter-Associatif Européen de Psychanalyse: « il n’y a ici dans cette salle en ce moment aucun psychanalyste ». C’était vrai pour ce qu’il voulait ainsi démontrer. Mais actuellement l’abus de ce genre d’affirmations peut nuire fortement à la psychanalyse.

La psychanalyse…une spécialité ?

Je crois que la nécessité de faire exister « du psychanalyste » dans les discours qui se tenaient lors de cette réunion venait du fait  que la manière de se référer à la psychanalyse ravalait celle-ci au rang d’une psychologie. Elle était une théorie qu’on pouvait opposer aux thérapies comportementales et cognitives certes, mais une théorie qui devenait alors le référentiel de l’acte. La psychanalyse est une pratique subversive qui ne peut être une technique parmi d’autres, une simple corde supplémentaire à son arc. Toujours à Montpellier (qu’en est-il sur Paris ?) dans une annonce, Madame X, médecin au CHU, se présente en ces termes : « spécialités : psychanalyse, pédopsychanalyse, transfert quantique, reprogrammation par mouvements oculaires ». Ça laisse rêveur…mais ça ne fait pas rêver…

Faire de la psychanalyse une spéciali
té, c’est la diluer dans le grand vase des psychothérapies. Or la psychanalyse n’est pas qu’une psychothérapie[4].

cessité des associations

Revenons à cette réunion et à ces quatre personnes qui se sont présentées comme psychanalystes. Leur point commun est d’être ou d’avoir été membre d’une association de psychanalyse, différente pour chacun de ces quatre psychanalystes. Je pense que de nos jours être membre d’une association ou pas n’est pas du tout indifférent.

La nécessité des associations de psychanalystes me parait actuellement presque absolue et doit être réaffirmée Dès le début du mouvement analytique, la création des associations a répondu au fait que l’invention freudienne, la psychanalyse, ne pouvait s’envisager sans l’existence d’une communauté d’expérience, sans des lieux dans lesquels les questions de transmission, de formation trouvaient place. Mais la création des associations a, dès l’origine, eue aussi comme but la défense de la psychanalyse.

M. Safouan, dans son dernier livre, fait apparaître le paradoxe qui en découle : les associations de psychanalyse créées au départ du mouvement freudien pour défendre la psychanalyse n’ont eu d’autres choix que l’institutionnalisation. Par là même elles ont non seulement manqué les buts qu’elles s’étaient données, mais ont aussi produit du dogmatisme. Les crises et les scissions peuvent ainsi être comprises comme les mouvements nécessaires pour à chaque fois « dé-s’institutionnaliser » la psychanalyse. Ce mouvement paradoxal traverse aussi bien le mouvement freudien que la saga lacanienne, pour reprendre l’expression de M. Safouan.

Pour des générations d’analystes et pour la nôtre (enfin la mienne), faire partie d’une association de psychanalyse était une chose importante, essentielle dans le travail de psychanalyse, à tout le moins une question inévitable. Certain(e)s pouvaient décider de ne pas en faire partie, mais c’était forcément à l’issue d’un débat, d’un questionnement. C’était dire « non », mais d’un non argumenté.

A l’heure actuelle, cela me semble beaucoup moins vrai. Faire partie d’une association semble une question annexe pour une grande partie des jeunes analystes qui sont attirés toujours davantage par des lieux qui se veulent « de formation », qui distribuent du savoir théorique, quand ce n’est pas des diplômes donnant accès au titre de psychothérapeute.

Or les associations de psychanalyse me paraissent d’autant plus nécessaires qu’elles sont les seuls lieux où peut se poser la question de « ce qu’est un psychanalyste », ou plutôt comme le formulait O. Grignon le seuls lieux où peut se mettre au travail la question de « en quoi il y a du psychanalyste dans une cure, une séance, etc. » La reprise de l’orientation donnée par Lacan sur cette question me paraît aujourd’hui essentielle pour ne pas laisser les choses se diluer toujours plus.

A l’heure où des pratiques pour le moins étranges sont nommées « psychanalyse », à l’heure où elle se trouve rangée dans le grand chapeau des psychothérapies, gommant ainsi le fait que la psychanalyse n’est pas qu’une psychothérapie, reprendre les questions du côté « du psychanalyste » me parait nécessaire. Et cela ne peut se faire que dans les associations de psychanalyse. Ne pas reculer devant  le terme de « psychanalyste », sans être pour autant dupe de l’imposture permettra peut-être de continuer à faire exister de la psychanalyse.

La dilution actuelle de la psychanalyse dans le champ des psychothérapies amène les personnes désirant devenir psychanalyste à court-circuiter, à la fin de leur analyse, la question du passage à l’analyste et à se rabattre sur la position de « psychothérapeute ».

Pierre-Henri Castel dans un de ses textes fait cette remarque : il y a de jeunes psychanalystes qui disent n’avoir jamais reçu quelqu’un venant leur demander une psychanalyse.

On peut rire de cela… ou leur dire que dans des temps anciens nous avions quelques suspicions quant aux demandes dites « demandes d’analyses », surtout s’il s’agissait de demandes « d’analyses didactiques » ! Mais s’interroge Pierre-Henri Castel,« qu’est-ce que la psychanalyse, si personne, jamais, ne vient vous demander une psychanalyse ?» Lui répondrons-nous par une pirouette ?

Lacan questionne : « Qu’est-ce qui définit l’analyse ? » et il répond : « Je l’ai dit …. L’analyse c’est ce qu’on attend d’un psychanalyste… » [5]. Et il ajoute, n’oublions pas de le préciser : « il faudrait évidemment essayer de comprendre ce que ça veut dire ».

 

 


[1]Pontalis Jean-Bertrand , « La saison de la psychanalyse », in revue Trans, N° 4, Suivre, Montréal, 1994.

[2]Lézé Samuel, «  L’autorité des psychanalystes », Puf, 2010. Cette thèse d’anthropologie est le résultat d’une enquête de terrain dans les milieux psychanalytiques parisiens.

[3]OMS : Organisation Mondiale de la Santé.

[4]Lacan Jacques, : «   ce que nous avons à dire dépasse de beaucoup son application thérapeutique, le statut du sujet y est intéressé ».  Problèmes cruciaux pour la psychanalyse, Seuil, page 158.

[5] Lacan  Jacques,  Séminaire L’envers de la psychanalyse, Leçon du 16 janvier 1970.

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